Service correctionnel du Canada
Symbole du gouvernement du Canada

Liens de la barre de menu commune

FORUM - Recherche sur l'actualité correctionnelle

Avertissement Cette page Web a été archivée dans le Web.

Le projet Life Line

Il y a fort longtemps (plus précisément au vie siècle), on confia à un bénédictin du nom de Saint-Léonard le soin de rendre visite aux détenus. il trouva dans les prisons des âmes torturées, oubliées de tous, qui étaient emprisonnées depuis longtemps et qu'il n'y avait vraiment plus lieu de garder enfermées. Il intercéda en leur faveur auprès du roi et pria celui-ci de relâcher ces prisonniers. Celui-ci, en homme politique éclairé, savait bien qu'il n'était pas avisé, politiquement parlant, de relâcher des criminels. il accepta pourtant de libérer les prisonniers, mais uniquement à la condition que Saint-Léonard les accueille dans son monastère. Celui-ci y consentit. Certains n'y restèrent que pendant un temps, d'autres à demeure. il s'établit bientôt au monastère un genre de famille artificielle et, avec le temps, il vint à y avoir plus de prisonniers libérés que de moines au monastère.

C'est de l'exemple de Saint-Léonard et de l'idée d'hommes vivant en groupe, s'entraidant, qu'est venue l'idée d'une maison de transition spécialement conçue pour les condamnés à perpétuité. Aujourd'hui, une « bouée de sauvetage » est lancée de la maison St. Leonard's, sise dans la ville de Windsor, à près de 700 hommes et femmes qui sont incarcérés dans les pénitenciers de l'Ontario et qui courent le risque de sombrer dans un océan de temps, d'apathie et de désespoir. L'oeuvre de Saint-Léonard se perpétue par l'entremise de personnes qui donnent aux condamnés à perpétuité un nouvel espoir en leur proposant aide et programmes et, éventuellement, une maison de transition spécialement conçue pour satisfaire leurs besoins fondamentaux. Le projet dans lequel s'inscrit cette initiative est appelé Life Line.

Dès 1982, les gens de la maison St. Leonard's de Windsor se sont rendu compte que l'augmentation en flèche du nombre de condamnés à perpétuité qui purgent une très longue peine posait problème, et qu'il fallait faire quelque chose à cet égard. L'avènement de la peine d'emprisonnement à perpétuité de 25 ans imposée aux délinquants reconnus coupables de meurtre au premier degré a entraîné une hausse inégalée du nombre de délinquants emprisonnés pendant de longues périodes. Avant 1976, il y avait au Canada 750 détenus purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité admissibles à la libération conditionnelle après un délai de sept à 10 ans. A l'heure actuelle, il y a 1 848 condamnés à perpétuité dans les prisons canadiennes; 400 d'entre eux doivent purger 25 ans avant même d'être admissibles à la libération conditionnelle. Il y a également 1 000 condamnés à perpétuité qui purgent leur peine dans la collectivité, en liberté sous surveillance.

Les réactions que suscite cette situation varient du tout au tout. La fascination qu'exercent les meurtriers reconnus sur le public s'éteint au moment où la sentence est prononcée. Les dirigeants politiques sont satisfaits de la peine de 25 ans, qui constitue à leur avis un compromis politique valable pour l'abolition de la peine de mort. Les partisans de la réforme accusent le gouvernement d'adopter des lois régressives et d'imposer des sentences excessivement longues. Comme on peut s'y attendre, le Service correctionnel du Canada se trouve à chercher ce qu'il doit faire de ces détenus qui purgent 15, 20 ou 25 ans dans ses établissements. Les condamnés à perpétuité, après s'être fait imposer de mettre leur vie en attente pendant 15 ou 25 ans, se sentent délaissés, abandonnés à vivre de leur mieux, à l'aveuglette, la majeure partie de leur peine, et se résignent à subir la profonde solitude qu'impose le temps qui n'en finit plus de passer. Lorsqu'arrive enfin le moment magique de la libération, après échéance du délai de 10 ou 25 ans préalable à la libération conditionnelle, ce n'est pas un criminel violent ou dangereux que l'on libère, mais un détenu habitué à la vie en établissement, donc mai préparé à assumer son indépendance subite et susceptible d'être un fardeau pour la collectivité.

La méthode préconisée par la maison St. Leonard's est dictée par le bon sens. À l'heure actuelle, un condamné à perpétuité sur trois est en liberté dans la collectivité; ce nombre est appelé à augmenter. En donnant aux condamnés à perpétuité l'occasion de participer à des programmes utiles pendant leur incarcération et en les aidant à réintégrer la collectivité, il est possible d'augmenter leurs chances de succès et de mieux protéger la collectivité.

Le projet Life Line est la première initiative systématique qui vise à satisfaire les besoins des condamnés à perpétuité à la fois pendant l'incarcération et durant la réinsertion dans la collectivité. Le projet se fonde sur les travaux de Bill Palmer, psychologue de l'établissement Warkworth en Ontario, ainsi que sur des études menées par le Dr Mary Lou Dietz de l'université de Windsor. L'ouverture de la maison St. Leonard's a été rendue possible grâce à une subvention de la Fondation canadienne Donner. Le Service correctionnel du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles se sont chargés d'élaborer un nouveau programme pour les détenus purgeant une longue peine. John Braithwaite, qui à l'origine mit la maison St. Leonard's au défi de venir en aide aux détenus condamnés à une peine d'emprisonnement à perpétuité de 25 ans, a guidé cette entreprise conjointe dans la formulation des trois composantes fondamentales du projet Life Line:
  1. le programme In-Reach, soit le travail fait auprès des condamnés à perpétuité dans les établissements mêmes (l'article suivant y est consacré);
  2. le centre Life Line, centre résidentiel et de ressources visant à permettre la réinsertion graduelle et surveillée des délinquants dans la collectivité;
  3. la mise en oeuvre du projet Life Line dans d'autres collectivités du pays.
Manifestement, un programme qui a pour objet d'augmenter les chances de réintégration des condamnés à perpétuité en libération conditionnelle doit trouver sa source dans les établissements. Le projet Life Line a débuté avec le programme In-Reach, programme d'extension qui tente de laisser une impression positive sur le condamné à perpétuité dans les premiers temps d'une longue sentence. Tom French, premier intervenant pour le programme In-Reach, est entré à l'établissement Millhaven en janvier 1991. Le choix de cet établissement comme point d'entrée est tout indiqué car c'est là que les délinquants condamnés à une peine d'emprisonnement à perpétuité entrent dans le système correctionnel en Ontario. Au moment de leur entrée en prison, bon nombre de ces délinquants sont sous l'emprise du choc et d'un désespoir profond. Les condamnés à perpétuité n'ont qu'un désir: prendre un somnifère qui leur permettra de dormir pendant 15 ou 25 ans, pour échapper à la longue sentence qui leur a été imposée.

La première chose à faire pour ces détenus, c'est d'éveiller chez eux un espoir, afin que le désespoir qu'ils ressentent ne les pousse pas au suicide. Tom, lui-même un condamné à perpétuité en libération conditionnelle, tient à rappeler à tous les condamnés à perpétuité qu'il y a « une vie après la vie ». Il incite les condamnés à assumer leurs responsabilités, à faire preuve d'initiative et à participer à des programmes qui enrichiront leur vie au lieu de se contenter d'exister.

En fait, la majorité des meurtriers déclarés coupables seront un jour libérés dans la collectivité et pour bon nombre d'entre eux, ce jour est arrivé. Quinze années se sont écoulées depuis l'avènement de la peine d'emprisonnement de 25 ans, et les premiers délinquants condamnés à la réclusion à perpétuité sont aujourd'hui admissibles à la libération conditionnelle en vertu du processus de révision judiciaire. Sont-ils prêts? Le sommes-nous?

L'acceptation par la collectivité des condamnés à perpétuité mis en liberté conditionnelle est la pierre angulaire du projet Life Line, et une maison réservée aux condamnés à perpétuité demeure un objectif premier. Bien des choses indiquent que la libération anticipée est dans le meilleur intérêt du délinquant, pour sa réhabilitation, et de la société, pour sa protection. Le centre Life Line, sis à Windsor (Ontario), offrira un programme résidentiel aux condamnés à perpétuité, un endroit où ceux-ci pourront demeurer jusqu'à concurrence de trois ans, soit la période entre l'admissibilité à la libération conditionnelle de jour et la libération conditionnelle totale.

Il n'existe pas de programme unique, générique, qui convienne à tous les condamnés à perpétuité. En revanche, certains problèmes sont généralement admis, comme l'institutionnalisation, les relations sexuelles, les aptitudes à la vie quotidienne, la toxicomanie et l'alcoolisme, l'emploi et le besoin de « réconciliation » par l'exécution de services communautaires. La longue période de résidence au centre Life Line se prête au recours à des programmes individuels avec des degrés de participation progressifs afin d'amener le condamné à perpétuité, avec le temps, à assumer des niveaux de responsabilité et d'indépendance sans cesse croissants. L'exécution de services communautaires fera partie intégrante du projet Life Line.

Il n'empêche que d'inciter les citoyens de Windsor à accepter de jouer un rôle dans la réhabilitation de meurtriers trouvés coupables s'est avéré une véritable épreuve de la tolérance de la collectivité. En avril 1990, un article intitulé « Windsor Chosen for Halfway House Devoted to Killers » (Une maison de transition pour tueurs à Windsor) faisait la une du quotidien Globe and Mail. Bien entendu, les médias et les représentants politiques de l'endroit s'en sont donné à coeur joie. Cette semaine-là a semblé très longue aux partisans du projet Life Line. Les opposants au projet se rallièrent sous la banderole du « pas chez moi ». Bon nombre des points soulevés étaient ramenés à la question suivante: « pourquoi avoir choisi Windsor? » Les dirigeants municipaux craignaient que Windsor ne devienne, du moins dans l'esprit des gens, la capitale nationale des meurtriers traduits en justice. Pourtant, après de massives consultations auprès de la collectivité, les citoyens de Windsor ont paru prêts à accepter la responsabilité de leur proportion de condamnés à perpétuité mis en libération conditionnelle. Par contre, aujourd'hui, ils se demandent pourquoi le programme n'a pas été instauré ailleurs qu'à Windsor.

Question d'autant plus valable, qu'il y a, à l'heure actuelle, 1 000 condamnés à perpétuité participant à des programmes communautaires au Canada. Le nombre croissant de condamnés à perpétuité qui réintègrent la collectivité est une question d'intérêt national. Le projet Life Line mis en oeuvre à Windsor est perçu comme un projet pilote, un modèle dont pourront s'inspirer d'autres collectivités. Le pivot de la réussite de ce projet en tant que ressource dans la collectivité est la mesure dans laquelle les autres collectivités sont prêtes à réagir aux situations et non à la peur. On espère que d'autres collectivités canadiennes prendront d'office la responsabilité de mettre sur pied des programmes comparables qui contribuent à la réussite de la réinsertion des condamnés à perpétuité et, plus encore, qui rendent nos collectivités plus sûres.

Comme l'explique Sandra Atkin, victime d'une tentative de meurtre:

En tant que victime, je suis d'avis que le projet Life Line est un programme valable pour aider les condamnés à perpétuité à réintégrer une société qui leur est devenue complètement étrangère. Pour ces délinquants, réussir ne signifie pas seulement ne pas retourner en prison, mais bien devenir des membres productifs de la société, capables de l'enrichir. J'espère que le programme Life Line pourra aider ces délinquants à s'améliorer de sorte qu'une fois libérés sous condition, ils ne réintègrent pas la société pour y faire de nouvelles victimes, mais plutôt pour apporter quelque chose de valable aux collectivités dans lesquelles ils vivent.

Nous pouvons mettre sur pied des programmes de réhabilitation efficaces qui englobent la collectivité, ou nous pouvons continuer de faire semblant que le problème n'existe pas et espérer que les choses se régleront d'elles-mêmes. Le choix que nous ferons en dira long sur nos valeurs, notre société et nous-mêmes.