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Étude de 133 cas de suicide de détenus survenus dans des établissements fédéraux canadiens

Selon les ouvrages sur le sujet, le suicide est la principale cause de décès dans les prisons canadiennes(2) et britanniques(3). Il est également bien connu que le taux de suicide dans les établissements correctionnels de l'Amérique du Nord et de l'Europe de l'Ouest est plus élevé que dans la population en général(4). Dans le cadre d'une des études les plus approfondies sur le suicide de détenus, Burtch et Ericson(5) ont calculé que de 1959 à 1975, le taux de suicide de détenus dans les établissements canadiens était de 95,9 pour 100000 détenus. Ce taux est beaucoup plus élevé que chez les Canadiens non incarcérés, qui s'élève à 14,2 pour 100000 hommes.

L'inquiétude soulevée par cet état de choses a amené le Service correctionnel du Canada à mettre sur pied un programme de prévention du suicide qui reprend les éléments du programme de prévention du suicide de l'Alberta(6). La conception, le perfectionnement et la réussite de programmes de cette nature supposent l'entendement des facteurs qui influent sur le suicide de détenus.

Selon une étude sur les détenus qui se sont suicidés dans les établissements fédéraux canadiens entre 1977 et 1988, les hommes sont plus susceptibles de se suicider; la méthode de choix pour se tuer est la pendaison et le suicide survient souvent peu de temps après la détermination de la peine. Le suicide chez les détenus est également lié au fait d'être célibataire, aux tentatives de suicide antérieures, à la toxicomanie ou à l'alcoolisme et à des antécédents de troubles psychiatriques. Par contre, aucun lien significatif n'a été établi entre le suicide et l'âge, la nature de l'infraction commise, le passé criminel ou la durée de la peine.

Même si la recherche préliminaire dont il est question ici laisse entrevoir des mesures qui pourraient être prises pour prévenir le suicide dans les prisons, le phénomène n'en demeure pas moins, de prime abord, complexe et à plusieurs propositions. Pour concevoir des mesures de prévention à long terme qui s'avéreront efficaces, il faut multiplier les recherches dans le domaine.

Cet article reprend les résultats de l'étude et les compare aux conclusions d'autres grandes études sur le sujet.

Méthodologie

En 1990-1991, les chercheurs ont tenté d'analyser tous les cas de suicide de détenus survenus dans des établissements fédéraux canadiens entre 1977 et 1988. Seuls les délinquants condamnés à une peine de deux ans ou plus sont incarcérés dans les établissements fédéraux canadiens, ceux-ci n'étant d'ailleurs pas des établissements de détention provisoire. La population visée par le sondage était donc exclusivement constituée de détenus purgeant une peine de deux ans ou plus.

Les dossiers des détenus qui se sont suicidés entre 1977 et 1988 ont été fournis par le service des archives du Service correctionnel du Canada. Il a été possible d'analyser 133 dossiers; huit autres dossiers ne pouvaient être consultés.

Caractéristiques démographiques des détenus

Les résultats de cette étude concordent avec ceux des grandes recherches antérieures : les détenus sont plus portés à se suicider que les détenues(7) Sur les 133 cas de suicide étudiés, il n'y avait que quatre suicidées. Cent quinze (80 p. 100) des suicidés étaient des Blancs.

Les recherches antérieures n'ont pas donné de résultats concluants quant à la répartition d'âge des suicidés. Selon une étude, le taux de suicide était plus élevé chez les jeunes(8), mais une autre étude affirmait le contraire(9). Une troisième étude a établi que le taux de suicide connaissait deux maxima, aux points de départ et de fin de l'échelle d'âge -soit chez les détenus âgés de 15 à 19 ans et chez les détenus âgés de plus de 50 ans(10). En revanche, l'étude dont il est question ici n'a pas fait ressortir de sommets prononcés, mais semble plutôt indiquer que le suicide se produit dans tous les groupes d'âge.

En ce qui concerne l'état civil des suicidés, les recherches menées dans les pénitenciers(11) et les prisons(12) ont montré sans équivoque que les détenus célibataires sont plus susceptibles de se suicider. Ainsi, l'étude rapportée ici a révélé que 49,6 p. 100 des détenus qui se sont suicidés étaient célibataires et que 12,1 p. 100 s'étaient retrouvés célibataires après une séparation, un divorce ou un deuil. Environ 38 p. 100 des suicidés étaient mariés ou avaient un conjoint de fait. Des 130 détenus dont les dossiers étaient suffisamment complets, environ 60p. 100 n'avaient pas d'enfant, 14 p. 100 avaient un enfant et les autres en avaient plus d'un.

Pour expliquer ce taux de suicide élevé chez les détenus célibataires, on peut invoquer l'hypothèse du suicide égotiste avancée par Durkheim et voulant que les personnes qui ont moins de liens communautaires soient plus susceptibles de se supprimer(13).

Distribution régionale

Le nombre de suicides survenus dans chacune des cinq régions du Service correctionnel du Canada varie considérablement. Dans la région de l'Atlantique, on dénombrait 17 suicides (14 p. 100 du total), au Québec, 49 (40,5 p. 100), en Ontario, 30 (24,8 p. 100), dans les Prairies, 14 (11,6 p. 100) et dans la région du Pacifique, il (9,1 p. 100).

La figure qui suit compare ces pourcentages au nombre de détenus incarcérés dans chaque région(14), ce nombre étant exprimé comme pourcentage de la population carcérale totale. La figure permet de remarquer que dans la région de l'Atlantique et particulièrement dans celle du Québec, le pourcentage du nombre total de suicides dépasse la proportion, exprimée en pourcentage, de la population carcérale totale qui y est incarcérée. Par contre, dans les régions de l'Ontario, du Pacifique et surtout des Prairies, le pourcentage du nombre total de suicides est inférieur au pourcentage de la population carcérale qui s'y trouve. La raison exacte de ces variations n'est pas connue.


Figure 1
Figure 1

Circonstances des suicides

Cette étude a confirmé les résultats de nombreuses études antérieures(15) : la pendaison est la méthode la plus souvent employée par les détenus pour se donner la mort. Elle fut employée dans 80 p. 100 des cas où ce renseignement avait été consigné et par au moins les deux tiers de l'échantillon total. Certains détenus s'étaient servis de vêtements ou d'une corde pour se pendre, mais la majorité avait utilisé la literie.

Dans 96 p. 100 des cas où l'information était consignée, et dans les deux tiers de l'échantillon total, les détenus s'étaient suicidés dans leur cellule. Le moment choisi était relativement également réparti sur toute la journée (24 heures), quoique 40 p. 100 des détenus (comparativement aux 33 p. 100 prévus) se soient suicidés ou plus précisément aient été trouvés morts par le personnel entre 20 heures et 4 heures. Trente-trois pour cent des suicidés ont été découverts entre 4 heures et midi et 21 p. 100, entre midi et 20 heures.

Le moment de l'année choisi pour passer aux actes était réparti également sur toute l'année et dans les régions. Ce résultat s'écarte de la fluctuation saisonnière constatée par certains chercheurs(16).

Caractéristiques criminelles et des peines

L'évidence d'un lien concluant entre la violence et le suicide est une question controversée(17). L'étude n'a révélé qu'une faible corrélation entre la criminalité violente et le suicide: 51 (38 p. 100) des détenus, au moment où ils se sont suicidés, purgeaient une peine pour agression non sexuelle accompagnée de violence, 34 (26 p. 100) étaient incarcérés pour vol qualifié ou pour port d'arme illégal et 25 (19 p. 100) pour infraction contre les biens. Seul un des suicidés en était à sa première infraction. La recherche d'une corrélation entre l'incidence de suicide et la durée de la peine n'a pas donné de résultats concluants.

Quant aux circonstances d'incarcération, un tiers des suicidés avaient séjourné en isolement protecteur pendant une certaine partie de l'année précédant leur suicide tandis qu'un détenu sur 10 se trouvait en isolement disciplinaire.

Un nombre élevé de suicides surviennent peu après la détermination de la peine - le quart dans les 90 jours et environ la moitié dans l'année qui suit. Le temps écoulé entre la détermination de la peine et le suicide ne semble pas dépendre de la nature de l'infraction commise, du passé criminel du détenu ou des deux.

Antécédents psychiatriques

À l'instar de bien d'autres études(18), celle-ci a révélé une incidence élevée de troubles psychiatriques chez les suicidés. Selon leur dossier, 44 p. 100 des détenus qui s'étaient suicidés avaient déjà séjourné au moins une fois dans un hôpital psychiatrique, plus souvent qu'autrement dans l'année précédant le suicide. Trente-deux pour cent des suicidés avaient été hospitalisés dans un établissement psychiatrique distinct de la prison. Vingt-neuf pour cent avaient suivi un traitement psychiatrique en consultation externe. Aucun diagnostic psychiatrique précis ne figurait au dossier de la plupart des suicidés tandis que les diagnostics qui étaient consignés étaient très variés, sans qu'un portrait précis ne ressorte pour l'ensemble de l'échantillon.

Ces détenus avaient également accumulé les tentatives de suicide. Des 133 cas, 99 avaient tenté de se supprimer au moins une fois auparavant. De ceux-là, un peu plus de la moitié avaient cherché au moins une fois à se suicider en prison alors que le quart avait essayé à plusieurs reprises. Selon les dossiers, le quart des détenus avait voulu se suicider au moins une fois alors qu'ils étaient en liberté. Parmi les détenus qui avaient déjà tenté au moins une fois de se suicider, pour la majorité (94 p. 100), cette première tentative est survenue moins d'un an avant le suicide même.

L'étude a mis en évidence un net rapport entre la consommation d'alcool ou de drogue et les tendances suicidaires. Environ le deux tiers des détenus qui se sont suicidés étaient alcooliques, d'après leurs dossier, et un peu plus de la moitié étaient toxicomanes (54 p. 100). Aucun renseignement n'avait été consigné sur l'intoxication, à la drogue ou à l'alcool, au moment du suicide.

Analyse

La recherche sur le suicide en milieu correctionnel permet de recueillir des renseignements qui peuvent être utilisés pour améliorer les programmes de prévention comme ceux récemment mis sur pied aux États-Unis(19) et au Canada(20). D'après les résultats de cette étude, il serait préférable de miser sur des solutions simples pouvant être instituées dans les établissements, en plus d'offrir une aide individuelle aux détenus.

Dans les établissements, il y a moyen de prendre des mesures pour limiter les occasions propices au suicide. Par exemple, pour contrer les méthodes employées pour se suicider, il faudrait prêter davantage d'attention à certains éléments comme le type de literie utilisé, le remplacement des lacets par des languettes de velcro, l'installation de fixations qui cèdent quand une résistance s'exerce et autres mesures visant à limiter les possibilités de suicide. L'idée de ne pas enfermer seuls dans une cellule les détenus qui sont jugés suicidaires se défend aussi. Force est de reconnaître que d'excellentes mesures ont déjà été prises à cet égard et que ce sont justement des mesures comme celles-là qui aboutiront à une prévention efficace.

Quant à l'aide individuelle devant être offerte aux détenus, outre les recours thérapeutiques et les mesures de sécurité ayant cours, il faut surveiller avec vigilance les détenus placés en isolement disciplinaire ou en isolement protecteur ainsi que ceux qui sont célibataires, qui ont déjà tenté de se supprimer ou qui ont déjà souffert de troubles psychiatriques. Il faut tout particulièrement surveiller les détenus qui viennent d'entrer dans le système carcéral. Étant donné les fortes tendances à l'alcoolisme et à la toxicomanie constatées chez les détenus qui se suicident, il pourrait s'avérer judicieux de multiplier les programmes de lutte contre ces problèmes et d'inciter activement les détenus à y prendre part. Il demeure que le suicide chez les détenus est un problème complexe et que des recherches plus poussées sur tous les aspects du phénomène sont nécessaires; seulement quelques-uns de ces aspects ont été abordés dans le cadre de l'étude dont il est question dans cet article.

Remerciements : Les auteurs tiennent à remercier Ray Denson et Ken Pease d'avoir traduit les dossiers rédigés en français, Evelyn McCauley de la Direction de la recherche et des statistiques du Service correctionnel du Canada de son précieux concours et Dorothy Little, d'avoir mis à contribution ses compétences de secrétaire.


(1)Christopher Green, psychiatre-conseil, Stockton Hall Hospital, Stockton-on-the-Forest, York (Royaume-Uni); Glenn Andre, adjoint de recherche, unité de recherche en neuropsychiatrie, Centre psychiatrique régional, Saskatoon (Saskatchewan); Kathleen Kendall, sous-traitant, Projets pilotes, Service correctionnel du Canada, Administration régionale (Ontario); Terah Looman, adjoint de recherche, faculté de psychiatrie, Royal University Hospital, Saskatoon (Saskatchewan); Natalie Polvi, psychologue résidant, Etablissement Warkworth, Campbelljord (Ontario).
(2)Burtch (B.E.) et Ericson (R.B.), The Silent System: An Enquiry into Prisoners Who Suicide, Toronto, University of Toronto, Toronto Centre of Criminology, 1979.
(3)Smith (R.), « The State of the Prisons: Deaths in Prison », British Medical Journal, n° 288, 1984, p. 208-212.
(4)Tournier (P.), « Le suicide en milieu carcéral (1975-1978): Analyse statistique », Revue internationale de criminologie et de police technique, n° 36, 1983, p. 42-49.
(5)Burtch et Ericson, The Silent System, p. 7.
(6) « The Bolt Report 1976: Alberta Report to the Task Force on Suicide ». Rapport présenté au ministre des Services sociaux et de la Santé communautaire de l'Alberta.
(7)Outre Burtch et Ericson, The Silent System, voir Lester (D.), « Suicide and Homicide in USA Prisons », Psychology Reports, n° 61, 1987, p. 126. Voir aussi Orlowski (R.J.), 1983, dans Smith, « The State of Prisons: Deaths in Prisons », p. 208-212.
(8)Jaye-Anno (B.), « Patterns of Suicide in the Texas Department of Corrections 1980-1985 », Journal of Prison and Jail Health, n° 5, 1983, p. 82-93.
(9)Dooley (E.), « Prison Suicide in England and Wales 1972-1987 », British Journal of Psychiatry, n° 156, 1990, p. 40-45.
(10)Burtch et Ericson, The Silent System.
(11)Jaye-Anno, « Patterns of Suicide in the Texas Department of Corrections 1980-1985 ».
(12)Beigel (A.) et Russel (H.), « Suicide Attempts in Jails: Prognostic Considerations », Hospital and Community Psychiatry, n° 23, 1972, p. 361-363.
(13)Durkheim (E.), Suicide, Glencoe (Ill.), Free Press, 1951.
(14)Adult Correctional Services in Canada 1989-90, Ottawa, Statistique Canada, 1990. Chiffres de 1988-1989.
(15)Voir par exemple Burtch et Ericson, The Silent System, p. 30. Voir aussi Esparza (R.), « Attempted and Committed Suicide in County Jails », dans Danto (B.) (éd.), Jail House Blues, Orchard Lake (Mich.), Epic Publications, 1973, p. 39.
(16)Dooley, « Prison Suicide in England and Wales 1972-1987 ». Voir aussi Hayes « And Darkness Closes In - A National Study of Jail Suicides », Criminal Justice and Behavior; n° 10, 1983, p. 461-484.
(17)Voir par exemple West (D.J.), Murder Followed by Suicide: An Inquiry Carried Out for the Institute of Criminology, Landres, Heinemann, 1965. Voir aussi Backett (S.A.), « Suicide in Scottish Prisons », British Journal of Psychiatry, n° 151, 1987, p. 218-221.
(18)Voir par exemple Jaye-Anno, « Patterns of Suicide in the Texas Department of Corrections 1980-1985 ». Voir aussi Topp (D.), « Suicide in Prison », British Journal of Psychiatry, n° 134, 1979, p. 24-27. Voir également Burtch et Ericson, The Silent System.
(19)Orlowski, dans Smith, « The State of Prisons: Deaths in Prisons ».
(20)Botterell (E.H.), « Report on the Study Team's Investigation on Atlantic Region's Suicides ». Rapport non publié présenté au commissaire du Service correctionel, 1984.