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Quand le délinquant rentre dans le droit chemin: le phénomène de la cessation de l'activité criminelle

Les jeunes récidivistes qui continuent de commettre des actes criminels à l'âge adulte intéressent beaucoup les chercheurs, au détriment des jeunes contrevenants qui deviennent des adultes respectueux des lois, c'est-à-dire ceux qui réussissent à s'extraire du système des tribunaux pour la jeunesse. La cessation de l'activité criminelle est appelée désistement(1).

On comprend mal les facteurs qui sont à l'origine du désistement. Les circonstances et les facteurs qui amènent une personne à poser un premier geste criminel et à poursuivre dans cette voie ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui provoquent le désistement. Une étude des délinquants qui ont cessé de commettre des infractions permettrait d'en apprendre plus long sur la nature, le mécanisme, les facteurs de motivation, les facteurs de protection et la perpétuation de cette volte face. Souvent, ces sujets sont dits faux-positifs de la recherche sur la délinquance parce qu'ils se sont amendés alors qu'il avait été prévu qu'ils persisteraient dans la criminalité.
Mulvey et LaRosa résument:

au lieu de considérer que les adolescents qui ne se comportent pas de façon antisociale en vieillissant sont des faux-positifs aux fins de la prédiction de l'inadaptation, il serait plus utile de les considérer comme de vrais-positifs aux fins de la prédiction de la réhabilitation(2).

Il faut dégager les facteurs particuliers qui permettent de prévoir la désistence.

L'étude dont rend compte cet article a consisté en une analyse rétrospective d'adultes qui ont eu des démêlés avec la justice pendant leur adolescence, mais qui sont rentrés dans le droit chemin en vieillissant. Cet article résume sommairement les principales conclusions qui ont pu être tirées des données quantitatives. (D'autres recherches seront entreprises afin d'analyser les données qualitatives compilées dans le cadre de l'étude.)

Divers problèmes méthodologiques entravent toute étude de la désistence et de ceux qui désistent. Le principal obstacle est de réussir à retrouver des personnes qui furent des jeunes contrevenants, mais qui n'ont pas poursuivi leurs activités criminelles à l'âge adulte. La Loi fédérale sur l'accès à l'information et les lois provinciales sur la protection des renseignements personnels interdisent la consultation des dossiers officiels sans autorisation pour retrouver des personnes qui pourraient éventuellement faire partie d'un échantillon. Les dossiers cliniques ne font pas partie du domaine public et ne peuvent être employés à des fins de recherche.

Méthode de recherche

Les chercheurs ont obtenu de trois quotidiens qu'ils publient des articles sur de jeunes contrevenants qui s'étaient amendés en vieillissant. Ils demandèrent aussi à divers organismes, notamment le ministère des Services correctionnels, les Services de probation et de libération conditionnelle, le centre de jeunesse Change Now et les foyers de groupe du ministère des Services sociaux et communautaires, de faire circuler une lettre invitant les personnes qui satisfaisaient aux critères de la recherche à participer à l'étude. On demandait aux intéressés de communiquer avec le bureau de projet, en insistant bien sur la confidentialité de l'information et le respect de l'anonymat des participants. Les participants ont été payés 25 dollars, mais ils n'ont pas su avant l'entrevue qu'ils seraient rémunérés.

Les 20 participants étaient tous des hommes qui avaient eu des démêlés plus ou moins graves avec la justice pendant leur adolescence. L'adolescence était définie comme la période entre 13 et 18 ans. Pour pouvoir participer à l'étude, les sujets devaient être âgés d'au moins 18 ans au moment de l'entrevue et il devait s'être écoulé au moins un an depuis la fin de la période de probation ou de la mise en liberté sous condition.

La gravité et l'étendue de l'activité criminelle étaient établies en fonction du nombre de condamnations pendant l'adolescence. Pour qu'un sujet puisse participer à l'étude, il devait avoir été condamné à au moins trois reprises.

Dans le cadre d'interviews semi-structurées(3), les participants ont été questionnés sur différents sujets, y compris la famille, les études, les antécédents de délinquance, les comportements déviants et les circonstances liées à la désistence. Ces sujets ont été retenus à l'issue d'une analyse de la documentation; ils n'ont pas été choisis en fonction d'une quelconque théorie.

Résultats

Les sujets étaient âgés d'entre 23 et 44 ans. Au moment de leur dernière condamnation, ils avaient entre 14 et 32 ans; la durée moyenne de la période de désistence était de 10,25 ans. La plus courte période de désistence était de trois ans. Si 60 p. 100 des sujets avaient cessé toute activité criminelle à l'âge de 21 ans, pour 40 p. 100 d'entre eux, la plus récente condamnation remontait à l'âge adulte (dont 20 p. 100 à la fin de la vingtaine ou au début de la trentaine).

Dans la plupart des cas (70 p. 100), les parents des participants habitaient sous le même toit lorsque le sujet était âgé de 14 ans. L'alcoolisme ou la consommation excessive d'alcool se retrouvait dans la plupart des familles (55 p. 100) et la drogue, dans 40p. 100 des familles. Seulement 15 p. 100 des parents avaient des antécédents criminels, mais 40 p. 100 des participants avaient un frère ou une soeur qui avait eu des démêlés avec la justice.

Toujours au sujet de leur vie familiale, la moitié des participants ont dit qu'ils avaient grandi dans un foyer où ils se sentaient aimés et acceptés. Pourtant, seulement deux des participants ont déclaré qu'ils discutaient régulièrement de leurs tracas avec leur père ou qu'ils passaient du temps en compagnie de leur père. Les rapports avec les mères étaient généralement meilleurs, celles-ci venant en aide à leurs enfants ou leur donnant des conseils de façon régulière dans 70 p. 100 des cas.

Les chercheurs demandèrent aux participants de décrire leurs habitudes de consommation d'alcool et de drogue à la pré-adolescence, à 16 ans et au moment de l'interview. Les habitudes de consommation d'amphétamines reflétaient étroitement la consommation d'héroïne, de barbituriques, de tranquillisants et de LSD. Dans l'ensemble, la consommation était très forte, surtout à l'âge de 16 ans, lorsque quatorze des participants consommaient fréquemment diverses drogues. Ces chiffres sont d'autant plus frappants qu'au moment de l'interview, 18 des participants ont déclaré qu'ils ne buvaient plus d'alcool, ne fumaient plus de marijuana et ne prenaient plus d'amphétamines.

La figure 1 rend compte de la fréquence des infractions par type et des condamnations à l'adolescence. Trois participants n'avaient jamais été condamnés pour une infraction contre les biens, cinq autres n'avaient jamais été trouvés coupables d'un méfait public et quatre autres n'avaient jamais été inculpés d'une infraction violente. En tout, 17 participants avaient été condamnés pour une infraction contre les biens, 15, un méfait public, et 16, une infraction violente.



Figure 1
Figure 1
Les chercheurs questionnèrent les participants pour voir avec combien d'espoir et d'optimisme ceux-ci envisageaient l'avenir à la fin de la probation et au moment de l'entrevue. À la fin de la probation, 60 p. 100 des sujets ne pensaient pas qu'ils seraient capables d'éviter d'autres démêlés avec la justice. Au moment de l'entrevue, 17 des 20 participants ont déclaré qu'ils avaient un but d'avenir concret; 15 d'entre eux pensaient pouvoir atteindre leur objectif.

Les chercheurs ont aussi demandé aux participants d'énumérer en ordre d'importance les influences qui avaient joué le plus sur leur décision de faire volte-face. Les résultats figurent dans le tableau; ils sont regroupés à la figure 2 pour donner une mesure plus générale.


Tableau 1
Fortes influences sur la décision de cesser toute activité criminelle
Influences les plus fortes
Amie ou conjointe
Maturation
Parents
Travailleur social ou intervenant correctionnel
Autre
35%
25%
10%
10%
20%
Influences moyennes
Parents
Maturation
Amie ou conjointe
Incident surprenant ou bouleversant
Autre
30%
20%
15%
15%
20%
Influences moindres
Incident surprenant ou bouleversant
Counseils dùn aîne
Constatation de l'effet de la prison sur les gens
Parents
Ami
Maturation
Autre
25%
20%
15%
10%
10%
10%
10%


Figure 2
Figure 2
La plus forte influence en jeu était la maturation individuelle; venaient ensuite les parents et les épouses ou amies. Il est intéressant de constater que les travailleurs sociaux, le personnel correctionnel et l'incarcération n'étaient pas perçus comme de fortes influences.

Commentaire

L'enquête a corroboré certaines des conclusions préliminaires d'une étude rétrospective de jeunes délinquants réformés.

La rareté des recherches sur les criminels qui s'amendent et l'apparente difficulté que pose la création d'un échantillon étaient autant d'obstacles à l'exécution de ce projet. Or, il s'est avéré possible de tirer de l'information de jeunes contrevenants réformés. Bien des gens qui ont participé à cette étude l'ont fait de bon gré pour que d'autres puissent bénéficier de leur expérience. Dans la plupart des cas, c'était la première fois que ces personnes racontaient leur passé en détail.

L'âge auquel l'activité criminelle avait pris fin variait selon les individus. Dans la majorité des cas, la dernière condamnation remontait à l'âge de 20 ans ou avant. Toutefois, certains avaient trempé dans des activités criminelles jusqu'à la fin de la vingtaine, voire même le début de la trentaine. Il semblerait que la cessation de l'activité criminelle est l'issue d'un processus évolutif dont les étapes ne coïncident pas forcément avec les limites d'âge chronologique stipulées par les lois. Manifestement, le fait qu'un jeune adulte commette des crimes ne signifie pas forcément qu'il deviendra un criminel endurci en vieillissant.

La plupart des participants consommaient beaucoup de drogue et d'alcool à l'adolescence. Leur changement de comportement à cet égard et la cessation de l'activité criminelle étaient une conséquence de la lutte qu'ils avaient mené pour venir à bout de leur toxicomanie. Ils commettaient des crimes pour se procurer l'argent nécessaire à l'achat de drogue et au financement de leurs autres activités. L'arrêt quasi total de la consommation de drogue et d'alcool par les participants révèle que ceux-ci ont radicalement changé leur façon de vivre.

Même si les parents de la plupart des participants n'étaient pas divorcés ou séparés quand ceux-ci avaient 14 ans, ils étaient loin d'être issus de foyers idéaux - dans 55 p. 100 des cas, la famille vivait les conséquences d'une consommation excessive d'alcool.

L'affection et le soutien moral dont bénéficiait la personne avaient au moins autant d'importance que sa situation familiale, et pourtant seulement deux des 20 participants ont rapporté qu'ils passaient du temps avec leur père ou qu'ils parlaient avec lui. Même si les mères s'en sortaient dans l'ensemble mieux que les pères, la structure des échanges quotidiens entre les participants et leur famille laissait beaucoup à désirer. Les membres de la famille ne semblaient pas particulièrement attachés les uns aux autres. Compte tenu du degré de criminalité des participants à l'adolescence, cette constatation n'a rien d'étonnante(4).

Il est intéressant de noter que les parents figurent parmi les plus fortes des influences qui sont à l'origine de la désistence, même si leur influence était souvent indirecte. Le désir de l'adulte de faire ses preuves ou de faire amende honorable restait fort, malgré les nombreux problèmes que les participants devaient inévitablement surmonter. On peut supposer que bon nombre des parents n'ont jamais cessé d'appuyer leur enfant.

Les participants ont déclaré que leur développement personnel et la maturité avaient beaucoup joué sur leur désir de cesser toute activité criminelle. La difficulté de ce revirement transparaît nettement dans les impressions des participants à la fin de la probation : ils s'attendaient à avoir beaucoup de mal à éviter d'autres démêlés avec la justice. Pourtant, ces impressions ne les ont pas empêché de formuler des objectifs à long terme et d'envisager l'avenir avec optimisme.

D'autres personnes semblent jouer un rôle important dans l'affirmation du désir de renoncer à la criminalité, particulièrement les amies et les épouses, et parfois un ami.

Il est intéressant de constater la faiblesse de l'influence des travailleurs correctionnels, des travailleurs sociaux et des agents de liberté conditionnelle. Lorsque des participants ont fait mention de l'influence d'un intervenant, c'est parce que ce dernier avait fait bien plus que ne l'exigeait son emploi et qu'il avait offert amitié et conseils au délinquant.

D'après ces délinquants réformés, la maturation et l'influence d'un tiers jouent beaucoup sur la décision de s'amender. Comme dans le cas de bien d'autres problèmes sociaux, le dilemme qui demeure en est un de causalité : la maturation résulte-t-elle d'une influence extérieure ou vice-versa? Ou encore, les deux symptômes sont-ils en fait attribuables à un troisième processus? En outre, la variation de l'âge auquel intervient la décision de cesser toute activité criminelle soulève d'autres questions. Dans quelle mesure existe-t-il une variation individuelle de la susceptibilité à une intervention?

En fin de compte, l'étude a montré que divers chemins mènent à la désistence. Cette diversité est signe qu'il faut concevoir un modèle axé sur le sujet pour guider les intervenants et les décideurs de politiques puisque les programmes de traitement universels, qui ne tiennent pas compte de l'âge, semblent inefficaces.


(1)Trasler (G.B.), « Delinquency, Recidivism and Desistence », British Journal of Criminology, n° 19, 1979, p. 314-322.
(2)Mulvey (E.) et LaRosa (J.F.), « Delinquency cessation and Adolescent Development »,
American Journal of Orthopsychiatry, n° 56, 1986, p. 214.
(3)Pour obtenir un calendrier d'entrevue, s'adresser à Paul Hubert, départment de psychologie, université de Guelph, Guelph (Ontario) N1G 2W1.
(4)LeBlanc (M.) et Fréchette (M.),
Male Criminal Activity from Childhood through Youth: Multilevel and Developmental Perspectives, New York (New York), Springer-Verlag, 1989.