La récidive chez les détenus qui fuient en douce
Il est rare que des détenus s'évadent des établissements correctionnels, sauf dans
le cas des établissements à sécurité minimale
(2). Comme ces
établissements ne sont pas pourvus de clôtures, de murs ou de postes de surveillance
armée sur leur périmètre, on emploie le terme «fuite en douce» pour
désigner une évasion d'un établisse ment à sécurité minimale,
puisqu'il ne s'agit pas réellement d'une évasion au sens classique du terme.
Les établissements à sécurité minimale concentrent leurs efforts sur la
réadaptation et la réintégration sociale des délinquants. Ceux-ci ont donc
des contacts avec la collectivité par le biais des absences temporaires et de la
semi-liberté. Les délinquants qui sont condamnés à purger leur peine dans
les établissements à sécurité minimale sont considérés comme
peu susceptibles de fuir en douce et, même s'ils venaient à le faire, on considère
qu'ils ne posent pas de grave danger pour la collectivité.
La recherche empirique sur les comportements associés à l'évasion est
limitée de toute façon, c'est pourquoi on ne sait pas grand-chose du risque que les
délinquants qui s'évadent récidivent avant qu'ils ne soient repris par les
autorités. La Division des opérations institutionnelles du Service correctionnel du Canada
s'est récemment penchée sur le nombre de délinquants qui avaient fui en douce des
établissements et qui ont été repris et inculpés d'une infraction grave
pendant l'exercice 1992-1993
(3). Profil des délinquants qui fuient en douce Il s'est
produit 189 fuites en douce pendant la période visée. Des 174 délinquants en fuite
qui avaient été repris au 13 avril 1993, 12 (6,8 p. 100) ont été
accusés d'une infraction grave (voir la figure), soit de vol qualifié
(7), de
voies de fait causant des lésions corporelles
(2), de tentative de meurtre
(2) ou d'agression sexuelle
(1). Un profil descriptif des 12 délinquants suit:
-
neuf étaient célibataires (non mariés);
-
ils étaient âgés, en moyenne, de 32 ans;
-
huit avaient des antécédents de violation des conditions de la mise en
liberté conditionnelle et d'évasion;
-
six avaient déjà été incarcérés dans un
établissement fédéral;
-
il avaient antérieurement été impliqués dans au moins trois incidents
de sécurité au sein d'un établissement;
-
en moyenne, les délinquants avaient 34 condamnations au criminel à leur dossier
(entre 1 et 70);
-
l'infraction la plus grave commise par neuf des délinquants était un vol
qualifié; deux d'entre eux étaient condamnés à l'emprisonnement
à perpétuité pour meurtre;
-
exception faite des délinquants condamnés à l'emprisonnement à
perpétuité, la durée moyenne de la peine était de 11,4 ans.
Figure 1
Par conséquent, la majorité des délinquants ayant fui en douce étaient des
récidivistes susceptibles d'être considérés comme des fomenteurs au sein de
l'établissement et des «habitudinaires» de l'évasion. Rapport sur les fuites
en douce en 1991 Un rapport antérieur
(4) passe en revue les fuites en douce et les
taux de fuite en douce par 1 000 détenus dans les établissements fédéraux
à sécurité minimale entre le 1er avril et le 30 septembre 1991. Ce document rend
compte de 79 fuites en douce impliquant 95 délinquants
(5) ainsi que des infractions
commises par les évadés avant qu'ils ne soient repris.
Au 12 décembre 1991, 84 des 95 détenus (88,4 p. 100) qui avaient fuient en douce entre le
1er avril et le 30 septembre 1991 avaient été repris. Des 84 détenus repris,
environ la moitié (48,8 p. 100) l'avait été en moins d'une semaine. Les trois
quarts (75 p. 100) d'entre eux n'ont pas récidivé pendant cette période.
En revanche, le quart
(21) des détenus qui avait fui en douce a été
accusé d'une nouvelle infraction criminelle. Quinze d'entre eux ont été
accusés d'infractions mineures (vol, fraude, introduction par effraction) tandis que les six
autres ont été accusés d'infractions graves (deux d'attaque armée et quatre
de vol à main armée). Ainsi, seulement 6 des 84 détenus repris (7,1 p. 100) ont
été accusés d'une infraction grave.
Les recherches menées par d'autres autorités ont aussi révélé que la
plupart des délinquants qui fuient en douce ne récidivent pas et que ceux qui
récidivent commettent rarement des infractions graves
(6). Par contre, la comparaison
des résultats des différentes études doit être prudente à cause de la
diversité des définitions données aux termes «évasion» et
«nouvelle infraction» ainsi que des différences dans les populations
carcérales, les régimes de justice pénale et les méthodes de recherche.
Conclusions Il est facile de conclure que les évasions se produisent parce que les
délinquants ne souffrent pas d'être enfermés. Pourtant, même si la
majorité des délinquants incarcérés aimerait mieux être en
liberté, la plupart d'entre eux ne cherchent pas à s'évader, même ceux qui
sont détenus dans des établissements à sécurité minimale. Par
conséquent, pour réduire encore le nombre d'évasions, les autorités
correctionnelles doivent chercher à mieux comprendre les autres facteurs qui poussent les
détenus à tenter de s'évader
(7). Elles pourraient alors mettre sur pied
des programmes de prévention des évasions qui seraient plus efficaces et qui
provoqueraient une réduction du danger que posent les évadés éventuels pour
le personnel des établissements correctionnels et pour la collectivité.
Un incident retentissant impliquant un détenu évadé peut facilement amener le
public à oublier que le régime correctionnel fonctionne efficacement, c'est pourquoi il ne
faut pas négliger de faire valoir les exemples qui témoignent de ce
succès
(8), comme le nombre de détenus qui ne s'évadent pas, mais qui
reprennent leur place dans la société en tant que citoyens respectueux des lois.
Enfin, les auteurs suggèrent que d'autres recherches soient menées sur les crimes que
commettent les détenus qui fuient en douce des établissements et les
évadés.
(1)Robert Sturrock, agent des statistiques sur la sécurité,
Division des opérations institutionnelles, Service correctionnel du Canada, 340, avenue Laurier
ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.
(2)Davis (S.P.), «Survey: Inmate Populations Up - But Escapes Down»,
Corrections Compendium, XIV, 5, mai 1991, p. 8-12.
(3)Les données sur les les profils des délinquants et les nouvelles
inculpations (infractions) ont été extraites des bases de données du Centre
d'information de la police canadienne (CIPC) et du système des profils de dangerosité
(SPD).
(4)Sturrock (R.), Mid-Year Report on Walkaways from Minimum Security Institutions
(1991-04-01 to 1991-09-30), Ottawa, Division des opérations institutionnelles, Service
correctionnel du Canada, mai 1992.
(5)Ibid., p. 3.
(6)Voir Gorta (A.) et Sillavan (T.), «Escapes from New South Wales Gaols: Placing
the Risk In Perspective», Australian and New Zealand Journal of Criminology, 24, 1991, p.
204-218. Voir aussi Holt (L.K.), Statistical Bulletin on Escapees for 1986: A Profile of Escapees
and Returns From Escape during 1986 and Individuals on Escape Status on December 31, 1986, Boston
(Mass.), Massachusetts Department of Correction, 1987. Et voir Murphy (T.H.), Prediction of Minimum
Security Walkaways, Lansing (Mich.), Michigan Department of Corrections, 1984. Et voir Porritt
(D.), «The Threat From Escapes: Some Facts About Prison Escapes», Research Bulletin,
n° 6, Sydney (Nouvelle-Galles du Sud), New South Wales Department of Corrective Services, mars
1982.
(7)Voir Johnston (J.) et Motiuk (L.), Facteurs liés aux fuites en douce
d'établissements à sécurité minimale, Ottawa, Direction de la recherche
et des statistiques, Service correctionnel du Canada, 1992. Voir aussi Sturrock (R.), Porporino (F.) et
Johnston (J.), Literature Review on the Factors Related to Escape from Correctional Institutions,
Direction de la recherche et des statistiques, Service correctionnel du Canada, 1990.
(8)Voir «Beaver Creek Institution: What About Success Stories», The
Banner, 23 septembre 1992, p. A2.