Élargissement de l'enquête sur la récidive: étude des influences
dynamiques(1)
Tout le monde sait que c'est l'absence de limites qui distingue la fonction publique du secteur
privé; en effet, quand on travaille pour le gouvernement, on n'a pas à s'inquiéter
du «résultat net». J'ignore de qui nous vient cette brillante observation, qui
était sûrement judicieuse quand elle a été formulée, mais qui
aujourd'hui sent le cliché et qui, en ce qui a trait au secteur correctionnel, est
carrément fausse dans la mesure où celui-ci est astreint à une limite, à un
résultat précis qu'il ne peut ni oublier, ni négliger: la récidive.
Les idées présentées ici découlent de la reconnaissance du fait que la
prévention de la récidive est la mission première de tout régime
correctionneL La première partie de l'article est consacrée à certains aspects de
la prédiction de la récidive en général - en gros, ce qu'on en sait et ce
qu'on en ignore. Cette première partie prépare le terrain pour un exposé sur des
recherches qui visent à en apprendre plus long sur la récidive, voire même à
obtenir de l'information qui pourrait s'avérer précieuse tant pour la formulation de
politiques d'ensemble que pour trancher des cas particuliers.
Les conclusions résumées ici sont les premières d'un projet en cours mené
conjointement avec Vern Quinsey de Queen's University. Comme les données sont encore
incomplètes, l'auteur tient à insister sur le fait que ce rapport n'est aucune-ment final
et il se réserve le droit de désavouer n'importe laquelle des conclusions
présentées ici advenant qu'on découvre plus tard, à la lumière
d'autre information, que celles-ci ne sont pas fondées. La perspective de la vérité
est en évolution et, comme telle, elle est appelée à changer. Facteurs de
prédiction statiques de la récidive Il est bien connu que diverses variables historiques
peuvent servir à prédire la récidive. Ainsi, les personnes dont le casier
judiciaire est chargé ou qui consomment abusivement de l'alcool et d'autres intoxicants sont plus
susceptibles que d'autres d'être réincarcérées. Même si prises
individuellement, pas une de ces variables ne constitue un facteur de prédiction
particulièrement fiable, il y a moyen de les combiner statistiquement pour obtenir des
échelles qui donnent des résultats bien plus intéressants.
Les études menées au Canada ont beaucoup fait avancer les choses à cet
égard. Une échelle de prédiction qui compte parmi les plus fiables,
l'échelle d'information statistique sur la récidive (ISR)
(2), est sans doute
connue de la majorité des lecteurs de FORUM puisque le Service correctionnel du Canada s'en sert
régulièrement pour justifier ses décisions en matière de libération
conditionnelle.
Les échelles que l'on connaît sont manifestement utiles puisqu'elles permettent de
prédire la récidive dans l'ensemble. Autrement dit, en travaillant à partir d'un
échantillon nombreux de délinquants qui ont certaines caractéristiques, il est
possible de prédire avec précision quel pourcentage d'entre eux seront
réincarcérés dans les quelques années à la suite d'une nouvelle
infraction. Pour généraliser grossièrement, on peut dire que la précision
des échelles se situe à peu près entre la chance et l'infaillibilité.
Pour les gens comme moi, qui aiment jouer avec les chiffres, ce n'est pas mal, mais pour ceux qui
interviennent directement auprès des délinquants, en milieu correctionnel, et qui sont
appelés à prendre des décisions sur eux, c'est pauvre. Quand il s'agit d'une
personne plutôt que de l'ensemble, on risque de commettre de graves erreurs, même avec les
échelles les plus fiables. Manifestement, il y a lieu d'améliorer la pratique à ce
chapitre. Sur la piste de la récidive Je suis convaincu qu'il existe des obstacles énormes
qui rendront difficile, voire impossible, toute amélioration marquée de
l'efficacité des outils de prédiction actuellement en usage. Les échelles sont
simplement des séries de variables qui ont un rapport avec la récidive, mais elles
laissent complètement de côté les procédés psychologiques ou sociaux
qui risquent d'être à l'origine de la reprise du comportement criminel. D'emblée, il
est impossible de partir du travail qui a déjà été fait et d'y apporter des
améliorations progressives. La seule façon d'améliorer la fiabilité des
échelles de prédiction est de les refondre intégralement, en espérant que la
nouvelle version donnera de meilleurs résultats.
Une façon plus judicieuse d'améliorer le succès de la prédiction est de
s'intéresser à ce qui se produit lorsque le comportement du délinquant cesse
d'être légal et devient criminel. La causalité psychologique n'est pas une question
de statistique; à un niveau individuel, elle est toujours personnelle
(3).
Pour élaborer un modèle théorique des causes de la récidive, il faut tenir
compte de facteurs autres que les simples variables historiques qui font partie des échelles de
prédiction actuellement utilisées. Les tentatives faites par le passé, en plus
d'ignorer le besoin d'intégration théorique, étaient fondées sur une
information restreinte - généralement les renseignements qui pouvaient être
aisément obtenus en consultant les dossiers des établissements
(4). Les
chercheurs prédisaient donc le comportement futur en se fondant exclusivement sur une certaine
gamme de données historiques. Les échelles ne tiennent pas encore compte de données
sur le fonctionnement dynamique et actuel (attitudes, pensées, comportement en prison ou
mécanismes d'adaptation), en grande partie parce que cette information n'est pas
systématiquement consignée dans les dossiers des délinquants et qu'elle n'est pas
aisément accessible.
La pénurie de sources d'information a des conséquences indésirables. En plus de
limiter l'utilité des échelles comme moyens de prédiction, certaines des variables
utilisées sont tributaires d'inégalités sociales et économiques. Une
étude inédite qui compare la valeur de prédiction de plusieurs
échelles
(5) a révélé que les scores obtenus aux échelles
d'évaluation étaient étroitement liés à des circonstances comme le
rang social ou les années de scolarité. Il peut donc être injuste de prendre une
décision au sujet de l'avenir d'un délinquant uniquement en fonction de ces valeurs.
De plus, les décisions prises uniquement en fonction de facteurs historiques infirment toute
possibilité de changement. Or certains délinquants
changent, parfois à cause
de l'influence du régime correctionnel, parfois à cause d'une évolution des
circonstances, parfois à la suite d'un événement qui survient dans leur
intimité. En fermant les yeux sur le comportement actuel, on décide automatiquement que
l'avenir des délinquants est décidé d'avance à cause de leur passé et
qu'ils n'ont aucune chance de réadaptation.
Ces observations sur les limites des recherches passées mènent à la conclusion
qu'il faut entreprendre l'élaboration d'un modèle théorique qui tient compte des
faits et des procédés psychologiques qui précèdent la récidive. Outre
les prédispositions historiques, il doit refléter le comportement et la connaissance
actuels et expliquer pourquoi certains délinquants récidivent et d'autres pas. Il faut
donc trouver une explication du
procédé de la récidive, et non uniquement
des facteurs qui permettent de la prédire, et de la façon dont les expériences, les
connaissances et les aptitudes d'une personne se conjuguent pour provoquer la reprise de
l'activité criminelle. Le modèle de récidive unifié (Mark I) Deux
modèles ont été retenus pour orienter la recherche. Le premier avait
été mis au point dans le cadre d'une étude antérieure sur la façon
dont les délinquants s'adaptent à leur environnement, et en particulier sur la
façon dont ils viennent à bout de leurs problèmes
(6). Quoique
principalement destinée à analyser le comportement en prison, cette étude avait
aussi porté sur la façon dont les détenus s'étaient attaqués aux
problèmes auxquels ils s'étaient trouvés confrontés avant d'être
incarcérés. En plus de révéler que le niveau général
d'adaptation était médiocre, l'étude a fait ressortir une corrélation entre
les troubles d'adaptation et la criminalité.
Ces résultats, et d'autres dans la même veine, ont abouti à la formulation d'une
hypothèse dite d'«adaptation-criminalité» selon laquelle quand un
délinquant commet d'autres actes criminels, c'est parce les moyens dont il dispose pour faire
face aux problèmes de la vie quotidienne sont insuffisants ou destructifs (ce n'est pas si noir
et blanc, mais laissons les autres considérations de côté pour le moment). Les
données appuient cette hypothèse de plusieurs façons. Par exemple, on a
constaté que lorsque les scores obtenus aux échelles d'évaluation de la
capacité d'adaptation étaient élevés, les sujets avaient un passé
criminel nettement moins chargé (rétrospectif) et vice versa. En outre, les
évaluations de la capacité d'adaptation et du comportement conséquent faites dans
le cadre de la première étude ont permis de prédire la récidive (prospectif)
avec autant de précision que les échelles de prédiction communément
utilisées.
Si l'on pose que le comportement récidivant est signe d'une défaillance des
mécanismes de maîtrise de soi qui font que l'individu respecte les lois, on peut alors le
comparer à ce qui se produit quand le toxicomane rechute. Le second modèle retenu avait
été élaboré pour tenter d'expliquer la rechute relativement aux
comportements d'accoutumance et de la représenter comme principalement tributaire d'états
émotifs négatifs, de conflits avec autrui et de certaines pensées ainsi que de
facteurs externes, comme la pression sociale
(7).
Même formulés indépendamment et dans des contextes différents, ces deux
énoncés théoriques se complètent manifestement. Lorsqu'on prend les deux
modèles ensemble, on constate sans peine qu'ils s'attachent chacun à une différente
partie du même cheminement et qu'ils peuvent être joints au «point de risque».
Si les difficultés d'adaptation sont à l'origine d'actes criminels, il est probable que
les troubles d'adaptation provoquent une détresse émotive et certaines pensées qui
donnent elles-mêmes lieu à un comportement violent ou irrationnel et qui affaiblissent la
capacité de maîtrise de soi et la vigilance intérieure. De même, en ce qui a
trait à la théorie sur la rechute, les difficultés d'adaptation amorcent
probablement l'enchaînement critique de réactions émotionnelles et de pensées
qui précède la récidive criminelle. Les difficultés d'adaptation provoquent
une tension, et la théorie sur la rechute décrit ce qui survient après.
L'étude Partant de ce raisonnement, il fut décidé d'analyser le processus de
récidive. L'étude principale a été entreprise avec l'appui de la Direction
de la recherche et des statistiques du Service correctionnel du Canada. Aujourd'hui, la portée de
l'étude a été élargie et approfondie grâce à une subvention de
Conseil de recherches en sciences humaines.
Les sujets étaient des récidivistes sous juridiction fédérale dans la
région de l'Ontario. Ils avaient été choisis aléatoirement et
recrutés aussitôt que possible après leur retour en prison, pour la plupart avant
même qu'ils ne soient sortis du centre de réception de l'établissement Millhaven.
Les résultats présentés ici ne visent que l'échantillon initial qui comptait
100 hommes ayant commis une nouvelle infraction avec violence. Cet échantillon est en voie
d'être agrandi. Aux fins de contrôle et de comparaison, les chercheurs se sont servis d'un
groupe de détenus mis en liberté qui n'ont pas récidivé.
Les chercheurs ont eu recours à diverses variables, en s'intéressant
particulièrement aux problèmes, aux émotions et au comportement pendant la
période qui a immédiatement précédé la nouvelle infraction. Pour
tenter de représenter graphiquement le processus de récidive, on a posé aux sujets
une série de questions sur des points critiques de la séquence, de la première
pensée fugitive sur la possibilité de récidiver jusqu'au point de non-retour. De
plus, les chercheurs ont réuni des données détaillées sur d'autres
comportements, comme les réactions d'adaptation, l'emploi du temps et l'abus d'intoxicants.
Enfin, les chercheurs ont inclus plusieurs variables visant à évaluer les
antécédents personnels et criminels. Les données ont été recueillies
par le biais d'une entrevue structurée, d'une série de questionnaires normalisés et
d'un dépouillement des dossiers. Les facteurs de prédiction de l'infraction Les
données historiques sur les 100 premiers sujets ont permis aux chercheurs de constater qu'ils
avaient réuni une population de délinquants endurcis. Plus du tiers d'entre eux avait
été condamné, le plus récemment, de vol qualifié, le tiers encore, de
voies de faits, et les autres, d'autres types de crimes avec violence. Les antécédents
criminels des sujets étaient nombreux, variés et empreints de violence. Ils avaient en
moyenne 24 condamnations antérieures chacun. Ils avaient séjourné en moyenne
environ cinq mois dans la collectivité après avoir été mis en
liberté, en y passant de 15 mois à 15 minutes avant d'être arrêtés de
nouveau.
Le mode de vie de ces délinquants à l'extérieur de la prison était
conforme, à pratiquement tous les points de vue, aux caractéristiques mises en
évidence par des études antérieures. Par exemple, dans la catégorie de
l'emploi du temps, les délinquants ont rapporté passer le plus clair de leur temps
«à traîner» avec des amis alors que les activités faites en famille
occupaient, en moyenne, une proportion nettement moindre de leur temps. D'autres variables ont
indiqué que ces délinquants menaient une vie très agitée,
déménageant souvent et changeant souvent d'emploi et de conjoint.
Au moment de l'entrevue, les sujets étaient encore plus agités sur le plan
émotionnel que les délinquants qui avaient été observés au
début de leur peine d'emprisonnement. De nombreux sujets manifestaient une foule de signes de
dépression. Environ la moitié de l'échantillon a obtenu des scores
supérieurs à 15, score qui est généralement retenu comme une indication de
forte probabilité de symptômes à un niveau clinique dans l'inventaire de
dépression de Beck, l'échelle d'évaluation de la dépression la plus
répandue. Le contrôle d'autres variables, comme l'anxiété, a confirmé
que les sujets étaient aux prises avec des problèmes émotionnels graves.
Il n'est pas anormal que le fait de retourner en prison provoque des troubles émotifs chez les
sujets, mais les questions posées aux sujets sur leur vie dans le civil ont
révélé que les problèmes dont ceux-ci souffraient étaient
antérieurs à l'incarcération et probablement aussi aux nouvelles infractions. Deux
caractéristiques en particulier ont semblé fortement indicatrices de troubles d'ajustement
et donc éventuellement utiles comme facteurs de prédiction de problèmes futurs. Il
s'agissait d'une part de l'abus d'intoxicants et, d'autre part, du stress émotionnel.
Dans le cas de la première variable, les résultats obtenus se rapprochaient de ceux
d'études antérieures. Par exemple, tous les sujets de l'échantillon consommaient en
moyenne plus de huit verres d'alcool par jour (cette moyenne inclut les non-buveurs).
Les chercheurs ont également réuni des données sur la reprise de la consommation
d'alcool après la mise en liberté, fait qui témoigne de l'inefficacité des
mesures de contrôle en vigueur. En effet, même si plus des trois quarts des
délinquants de l'échantillon avaient été mis en liberté sous
réserve de s'abstenir de consommer de l'alcool ou d'autres intoxicants, la majorité
d'entre eux a admis avoir violé cette condition moins d'une semaine après la mise en
liberté. Pis encore, 44 p. 100 d'entre eux ont rapporté avoir pris un verre dès
leur premier jour de liberté dans la collectivité.
Il y a un lien manifeste entre la récidive et l'abus d'intoxicants. Les deux tiers des
délinquants de l'échantillon ont rapporté qu'ils avaient consommé de
l'alcool dans les 24 heures précédant la nouvelle (première) infraction et qu'en
moyenne, ils en avaient consommé il verres (soit encore plus que la moyenne quotidienne de
l'ensemble des buveurs). De plus, la gravité de l'abus d'intoxicants semblait varier avec la
nature de l'infraction. Par exemple, les voleurs consommaient moins d'alcool que les autres
délinquants, mais davantage d'autres intoxicants.
Ce qui importait davantage en ce qui a trait au modèle théorique utilisé,
c'était les données sur l'état émotif des délinquants pendant la
période qui a précédé l'infraction. On a demandé aux
délinquants de décrire leur état émotif le mois avant qu'ils ne
récidivent; la grande majorité a rapporté s'être sentie agitée, ou mal
à l'aise (dysphorie). Un peu moins du quart des sujets s'est dit en état de
dépression. Venaient ensuite la colère et l'anxiété.
Comme les délinquants étaient agités au moment de l'entrevue, il n est pas
impossible que leur état à ce moment ait coloré rétrospectivement leur
impression de leur état émotif avant de commettre l'infraction. Néanmoins, les
résultats obtenus sont cohérents et très probants.
On a ensuite demandé aux délinquants de décrire leur humeur la veille du jour
où ils ont commis la nouvelle infraction. Là encore, l'agitation et le malaise dominaient,
quoique la colère était alors l'émotion la plus souvent éprouvée.
On a ensuite interrogé les délinquants sur les motifs qui, selon eux, les avaient
incité à récidiver. Si un quart de l'échantillon a dit avoir agi
principalement par appât du gain, il n'en demeure pas moins qu'un autre quart a agi sous le coup
de la colère ou de l'impuissance.
Le modèle mis au point dans le cadre de l'étude rapportée ici établit un
lien de causalité puissant entre les troubles émotionnels et l'incapacité à
résoudre les problèmes de la vie à l'extérieur de la prison. D'autres
résultats ont montré que la plupart des sujets éprouvent énormément
de difficulté à choisir et à mettre à exécution des solutions
efficaces pour résoudre des problèmes courants. Une évaluation de
«l'efficacité d'adaptation» a révélé que
pas un seul des
délinquants de l'échantillon étudié n'avait obtenu un score qui
égalait le score moyen obtenu par les sujets d'un échantillon aléatoire de
non-délinquants (intervenants correctionnels)
(8).
Tout ce qui précède vient confirmer l'hypothèse que les troubles
émotionnels et l'abus d'intoxicants précèdent la reprise de l'activité
criminelle. De plus, les résultats obtenus indiquent que ces facteurs sont causés par une
piètre capacité d'adaptation. Bien entendu, il est impossible de tirer de conclusions
définitives à ce stade, puisqu'on ne dispose pas de données de comparaison sur
d'autres populations. En revanche, comme les résultats d'une comparaison à un premier
groupe de contrôle de non-récidivistes a fait ressortir des différences
considérables, on peut s'hasarder à conclure, jusqu'à preuve du contraire, que
certains facteurs dynamiques peuvent entraîner la récidive. Le processus d'infraction Un
autre résultat vaut d'être signalé, même à ce stade si peu
avancé de la recherche. En plus de se pencher sur les facteurs qui précèdent
l'infraction, les chercheurs ont voulu caractériser l'enchaînement des circonstances qui
constituent le processus d'infraction. Ils tenaient à le faire pour plusieurs raisons
importantes, et notamment pour voir s'il est possible d'intervenir avant que le délinquant ne
commette la nouvelle infraction. L'entrevue a porté en grande partie sur les actions et les
pensées des délinquants concernant une éventuelle infraction avant que ceux-ci ne
passent aux actes.
On a fourni aux sujets une ligne de temps pour les aider à repérer les étapes de
la séquence d'infraction. Des points étaient marqués sur cette ligne, allant de
plusieurs mois avant l'infraction jusqu'à l'infraction même. On a demandé aux sujets
de noter une série de «jalons d'infraction» sur la ligne, à partir du moment
où l'idée de commettre une infraction les a effleuré pour la première fois
jusqu'au moment où ils ne pouvaient plus faire marche arrière, c'est-à-dire
l'instant où ils avaient déjà posé les premiers gestes de
l'enchaîne-ment qui a abouti à l'infraction. Les résultats de cette analyse sont
résumés dans le tableau.
Tableau 1
Jalons du processus d'infraction
(Pourcentage des sujets) |
Temps écouté
avant l'infraction |
Premiére
pensée |
Plus
long-temps |
projet |
Plan 1 |
Plan 2 |
Non- retour |
Un mois ou davantage |
26 |
14 |
7 |
4 |
3 |
0 |
Une semaine ou devantage
(mais <1 mois) |
11 |
11 |
9 |
5 |
3 |
0 |
Une jour ou devantage
(mais <1 semaine) |
10 |
12 |
13 |
10 |
11 |
6 |
Question d'heures
(mais <1 jour) |
8 |
11 |
13 |
11 |
9 |
11 |
Dans l'heures
précéent l'infraction |
6 |
10 |
8 |
12 |
12 |
7 |
Au moment de
commettre l'infraction |
38 |
44 |
50 |
59 |
62 |
76 |
Premiére pensée - premiére pensée
fugitive de commettre une infraction
Plus long temps - premiére pensée prolongée de
commettre une infraction ( plus d'une minute)
Projet - premiére instance où le délinquant envlsage
de réellement commettre une infraction
Plan 1 - pensées initiales concernant la planification de l'infraction
Plan 2 - premiers plan définitifs ou concrets
Non-retour - point de non-retour |
Peu importe le repère auquel on s'attarde, l'absence d'anticipation est frappante. Pour
pratiquement la moitié des sujets, l'ensemble du processus d'infraction - c'est-à-dire
l'intervalle entre la première pensée fugitive et l'exécution comme telle de
l'infraction - s'est résumé à environ une heure. Seulement environ le quart des
sujets a déclaré avoir réellement planifié le geste criminel pendant plus
d'une heure avant de commettre l'infraction.
Quoique l'on soit au courant depuis longtemps de l'aspect impulsif de nombreux actes criminels et de
l'impulsivité des délinquants, ces données les ont présenté
quantitativement. Non seulement les infractions n'étaient-elles pas
préméditées, mais les données ont indiqué que les sanctions
antérieures avaient été vaines. Par exemple, seulement sept délinquants sur
100 ont dit qu'ils avaient songé aux éventuelles conséquences négatives de
leur geste avant de passer aux actes, et ils ont encore moins songé aux conséquences pour
leurs victimes, malgré le fait qu'ils avaient déjà été
incarcérés. Les conséquences de ces modèles sur la prise de décisions
logiques et pesées, fondement essentiel du droit pénal, semblent énormes.
Conclusion L'étude du processus de récidive chez le délinquant peut manifestement
révéler des choses très intéressantes. Quoiqu'on n'ait pas, à l'heure
actuelle, de preuves concluantes susceptibles d'avoir raison du scepticisme justifié de certains,
il y a des indications que les émotions et les habitudes jouent un rôle critique dans
l'enchaînement des faits qui mène à la récidive.
De plus, le processus d'infraction rappelle, par certains côtés, un missile balistique.
Une fois amorcé, il avance rapidement et rien ne peut le faire dévier de sa trajectoire.
Par contre, dans le cas de la récidive, la mise en branle du processus est influencée par
certains comportements et certaines émotions qui sont non seulement prévisibles, mais qui
peuvent être désamorcés. Évidemment, il y a énormément de
travail à faire dans ce domaine.
En attendant, on continue de recueillir des données. Les recherches sur le processus en
engendreront peut-être d'autres; quand on commence à creuser une question, on ne sait
jamais où on peut finir par aboutir.
(1)Ce compte rendu est inspiré d'une conférence
présentée dans le cadre du troisième forum annuel sur la recherche du Service
correctionnel du Canada tenu à Whistler, en Colombie-Britannique, en juin 1991.
(2)Nuffield (J.), Parole Decision-Making in Canada: Research Towards Decision
Guidelines, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1982.
(3)Monahan (J.), Predicting Violent Behavior: An Assessment of Clinical
Techniques, Beverly Hills, Sage, 1981, p. 99.
(4)Quinsey (VL.), «Deinstitutionalization Policy and the Identification of Dangerous
Individuals: A Literature Review», Criminologie, 17, 2, 1984, p. 53-78.
(5)Porporino (F.), Zamble (E.) et Higginbottom (S.), «Assessing Models for Predicting
Risk of Criminal Recidivism». Document non publié, Queen's University, 1988.
(6)Zamble (E.) et Porporino (F.), Coping, Behaviour and Adaptation in Prison Inmates,
New York, Springer-Verlag, 1988.
(7)Marlatt (G.A.) et Gordon (JR.), Relapse Prevention: Maintenance Strategies in the
Treatment of Addictive Behaviours, New York, Guilford Press, 1985. Et voir Annis (H.M.) et Davis
(C.£), «Relapse Prevention Training: A Cognitive Behavioral Approach Based on Self-Efficacy
Theory», Journal of Chemical Dependency Treatment, 2, 1989, p. 81-103.
(8)Hughes (G. V), Personal Disposition, Coping, and Adaptation in Correctional
Workers. Thèse de doctorat, Queen's University, 1990.