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L'expérience des femmes condamnées a perpétuité pour meurtre

Le document La création de choix : Rapport du Groupe d'étude sur les femmes purgeant une peine fédérale(2), publié en 1990, recommandait la révision fondamentale du traitement des femmes purgeant une peine fédérale. Plus important peut-être, il recommandait que les modèles de gestion et d'intervention en milieu carcéral basés sur le contrôle et le châtiment soient remplacés par des modèles axés sur le soutien.

L'expérience des femmes emprisonnées à perpétuité affirme l'importance de ce principe. Dans une étude basée sur des entrevues avec des femmes condamnées à perpétuité, les répondantes ont parlé davantage de la façon dont elles étaient traitées que de tout autre aspect de leur vie derrière les barreaux.

Leurs commentaires sur la vie en prison portaient principalement sur les profondes restrictions de leur autonomie et de leur initiative personnelle, sur leur position subalterne et sur leur difficulté à exercer un contrôle sur leur vie(3).

L'expérience de ces femmes indique également que cette perte de contrôle ne peut être soulagée uniquement en leur fournissant des programmes et des services mieux adaptés. Si les femmes ont soulevé des points qu'elles veulent aborder, elles ont aussi parlé des pressions exercées sur elles afin qu'elles suivent des programmes - et ce, qu'elles aient ou non l'impression d'en avoir besoin ou que les programmes soient adaptés à leurs besoins. Bref elles ont souligné le peu de marge de manoeuvre dont elles disposent pour faire des choix. La méthodologie Cet article s'inspire de recherches(4) amorcées en 1988, avant la publication du rapport La création de choix. Les entrevues biographiques réalisées par des techniques non directives et rétrospectives ont permis aux femmes purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre de parler de leur vécu, dans leur optique et en leurs propres termes(5).

Au total, 18 femmes ont été interviewées: 16 étaient détenues à la Prison des femmes de Kingston, en Ontario, et deux, dans des établissements provinciaux de détention au Québec(6).

On a également effectué des entrevues semi-structurées avec dix employés - gestionnaires, agents de gestion des cas et thérapeutes - dans les établissements où les femmes étaient incarcérées. Il a notamment été question de leur expérience auprès des femmes condamnées pour meurtre, de leur compréhension du vécu et des besoins de ces femmes et des politiques et pratiques actuelles en matière de gestion des peines. Comprendre ce qui s'est passé De nombreux observateurs ont été réticents à se pencher sur la participation des femmes aux crimes avec violence, sauf pour parler de leur victimisation(7). Les femmes interrogées, elles, n'ont pas fait preuve de la même réticence. En fait, la plupart ont parlé volontairement de leur délit, et une seule n'a pas reconnu sa participation à un homicide(5).

Les femmes ont indiqué qu'elles essayaient de comprendre ce qui s'était passé, parfois en lisant ou en se tournant vers des intervenants de l'intérieur ou de l'extérieur de l'établissement. Leurs explications - diverses et parfois complexes - référaient généralement au contexte plus vaste de leur vie.

Peu importe le passé de ces femmes - vie en établissements ou en famille d'accueil, expérience de la rue, consommation d'alcool et de drogue - elles ne s'en sont pas servi pour minimiser ou excuser leur geste ni pour s'absoudre de toute responsabilité.

De telles circonstances permettaient quand même de mieux comprendre ce qui s'était passé et d'atténuer l'image de meurtrière que ces femmes ont d'elles-mêmes.

Le fait de replacer le comportement des détenues en contexte peut aussi élargir l'éventail des explications de ce comportement. Par ailleurs, une telle approche permettra probablement de réagir de façon plus constructive à la violence passée : en examinant les causes profondes de cette violence et en essayant d'atténuer, dans une certaine mesure, le tort causé. L'emprisonnement à perpétuité Comme l'ont souligné les femmes interrogées, elles ne purgeaient pas simplement une peine, mais une peine à vie. Contrairement aux détenues purgeant une peine calculée «en chiffres», techniquement parlant, il n'y a aucune limite au nombre d'années que les femmes condamnées à perpétuité peuvent passer en prison avant d'être mises en liberté.

Bien que les détenues purgeant des peines minimales de 15 ans et plus sans admissibilité à la libération conditionnelle peuvent demander aux tribunaux d'examiner leur dossier après 15 ans de détention, le résultat de cette procédure est imprévisible(9), tout comme le résultat du processus de libération conditionnelle. Plus important, les femmes seront probablement surveillées longtemps après avoir quitté le pénitencier. Comme l'ont dit beaucoup de femmes, une condamnée à perpétuité «appartient au système jusqu'à sa mort.»

Les femmes ont également dit s'être vu refuser l'accès à des programmes ou à des privilèges (auxquels elles auraient pu être admissibles) en raison de leur condamnation. Bien souvent, l'admissibilité à certains programmes ou privilèges dépend de la classification de sécurité d'une détenue. En vertu de la politique actuelle, la classification de sécurité des détenues purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité ne peut être réduite qu'après un certain nombre d'années d'emprisonnement, même si la détenue ne présente aucun risque au sens où l'entend l'établissement.

Comme l'ont laissé entendre les entrevues avec le personnel, cette politique «étale» l'octroi de privilèges de manière que les détenues atteignent «le plafond» vers leur date d'admissibilité à la libération conditionnelle. Toutefois, selon un employé, une telle politique pour les détenues à perpétuité peut également entraîner un sentiment d'impuissance à modifier leur situation. «Je crois que la plupart des femmes purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité sont perdues dans le système... Elles en font partie et leur cas va être traité en fonction d'un échéancier, peu importe leur comportement.» L'abus de médicaments psychotropes(10) Si l'on accorde beaucoup d'attention à la consommation d'alcool et de drogues illicites chez les détenus, ce n'est pas le cas pour l'abus de médicaments psychotropes prescrits. Néanmoins, la moitié des femmes interviewées dans le cadre de l'étude ont indiqué avoir consommé de tels médicaments pendant des mois, voire des années, soit avant les événements qui les ont conduites en prison, soit immédiatement après, ou plus tard(11).

On allègue souvent que la demande élevée est à l'origine de l'abus de médicaments psychotropes chez les femmes, et plus particulièrement chez les détenues. Malheureusement, cette explication ne tient pas compte de l'idéologie et des pratiques médicales régissant la prescription de médicaments psychotropes(12); plusieurs études ont révélé des pratiques de prescription différentes auprès des hommes et des femmes, à partir d'idées préconçues sur leurs besoins. En outre, cette explication ne tient pas compte de la façon dont le vécu des femmes peut augmenter la demande. Certaines femmes purgeant des peines d'emprisonnement à perpétuité en sont venues à considérer les médicaments comme une façon de combattre le stress, l'angoisse et les contraintes de la vie en prison.

Selon Claudine(13), condamnée à une peine minimale de 10 ans, les détenues consomment de tels médicaments parce qu'elles ont trop peu de moyens d'exprimer des émotions refoulées: «On n'a pas droit aux choses normales en prison, aux mêmes sortes d'exercices, aux mêmes sortes de solutions au stress et à l'anxiété qui existent à l'extérieur».

Les pressions exercées auprès des détenues afin de se conformer aux attentes de l'établissement ont également amené certaines d'entre elles à consommer des médicaments psychotropes comme moyen de ne pas perdre leur maîtrise. Comme le dit Claire, «Tu ne peux pas dire ce que tu penses en prison. Tu ne peux montrer aucun signe de colère. Tu ne peux pas te débarrasser de tes frustrations. Ou bien on te fait un rapport, ou bien on te met en ségrégation. C'est très dur. Personnellement, je ne pense pas qu'ils peuvent comprendre ce qu'une personne vit dans un environnement comme ça».

Toutefois, la plupart des détenues étaient d'avis qu'à long terme, les médicaments réduisaient leur capacité de faire face à leur situation, et elles ont cessé d'en prendre. Cet aspect des médicaments psychotropes est encore plus évident à la lumière des descriptions de leurs effets par les femmes.

Selon Claire, qui a consommé de tels médicaments régulièrement pendant 10 ans lorsqu'elle était en prison (dont quatre ans de consommation constante), les médicaments l'ont empêchée de comprendre sa situation et elle ne pouvait plus penser ou agir. «J'étais comme un zombi. La plupart du temps, j avais même pas conscience de ce que je faisais».

De même, Lorraine, qui a pris divers tranquillisants et somnifères pendant les six années précédant les événements qui ont mené à sa condamnation (ainsi que durant son procès), a indiqué que les médicaments avaient diminué sa maîtrise d'elle-même. «Ca t'engourdit, ça fait que tu es jamais vraiment au-dessus de tes affaires, jamais vraiment en contrôle.»

La question de la consommation prolongée de médicaments psychotropes par les détenues a également été soulevée par une employée qui a travaillé avec les femmes pour les aider à réduire leur dépendance et à recouvrer un sentiment de pouvoir personnel - même si celui-ci est limité en prison. «Quand un de mes objectifs est d'augmenter le sentiment d'auto-contrôle et le sentiment de pouvoir personnel, je dois me battre contre les médicaments.»

Ni les employés ni les détenues consultés ne prônaient l'interdiction de tous les médicaments psychotropes, mais tous ont souligné les risques et les limites de leur usage. Ils ont maintenu qu'on ne devrait les prescrire que comme mesure temporaire, tout en cherchant d'autres solutions aux problèmes sous-jacents. Conclusion Cette analyse ne vise pas à présenter les femmes condamnées à l'emprisonnement à perpétuité comme des victimes impuissantes ni à suggérer que tous leurs problèmes sont attribuables à la façon dont elles sont traitées en prison. Une telle conclusion irait à l'encontre de ce qu'ont affirmé les femmes interrogées.

Toutefois, si l'on veut mettre en pratique le principe d'habilitation mis de l'avant dans La création de choix, il faut examiner les attentes imposées aux femmes sous responsabilité fédérale pendant qu'elles sont en prison et une fois qu'elles sont en libération conditionnelle.

Pour déterminer quels programmes sont les mieux adaptés, il faut également admettre que ces femmes sont conscientes de leurs propres besoins et, dès lors, leur donner une plus grande marge de décision. Le droit de choisir est essentiel à tous les détenus (hommes et femmes), et ce, quelle que soit la longueur de la peine qui leur a été imposée ou la gamme d'options qui s'offrent à eux.


(1)Toute correspondance doit être adressée à Tina Hattem, Recherche sur les questions correctionnelles, Solliciteur général du Canada, 340, avenue Laurier ouest, pièce 11E, Ottawa (Ontario) K1A 0P9. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteure et ne reflètent pas nécessairement le point de vue du ministère du Solliciteur général.
(2)La création de choix Rapport du Groupe d'étude sur les femmes purgeant une peine fédérale, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1990.
(3)Pour une discussion détaillée sur cette question, voir T. Hattem, «Vivre avec ses peines les fondements et les enjeux du contrôle et de la résistance saisis à travers l'expérience de femmes condamnées à l'emprisonnement à perpétuité», Déviance et Société, vol. 15, n° 2, 1991, p. 137-156.
(4)La recherche a été financée par une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
(5)L'énoncé suivant a servi de thème aux entrevues «Je sais que vous êtes en train de purger une longue peine. J'aimerais que vous me parliez de comment vous avez vécu cela à partir du début jusqu'à maintenant».
(6)Ce nombre représentait environ le tiers des femmes condamnées à l'emprisonnement à perpétuité pour meurtre à ce moment-là.
(7)Pour une analyse de ces questions, voir M. Shaw, Confronting Violence by Women, document présenté lors de la Conférence de l'Association canadienne «droit et société», Ottawa, Université Carleton, juin 1993.
(8)Des 18 femmes interrogées, neuf n'avaient jamais eu de démêlés avec la justice auparavant et 14 purgeaient leur première peine d'emprisonnement.
(9)Au moment de rédiger cet article, seule une femme avait demandé un examen judiciaire de son admissibilité à la libération conditionnelle. Sa période d'inadmissibilité avait été ramenée de 25 ans à 15 ans.
(10)L'expression «médicament psychotrope» désigne généralement les médicaments prescrits par un médecin ou un psychiatre et qui agissent sur le système nerveux. Parmi les médicaments psychotropes connus, mentionnons les somnifères, les tranquillisants et les antidépresseurs. Pour une analyse exhaustive des questions entourant les médicaments psychotropes, voir T. Hattem, «Vivre avec ses peines les fondements et les enjeux de l'usage de médicaments psychotropes saisis à travers l'expérience de femmes condamnées à l'emprisonnement à perpétuité», Criminologie, vol. 24, n° 1, 1991, p. 49-61.
(11)La consommation de médicaments psychotropes a rarement été mentionnée au cours des entrevues menées dans le cadre d'une étude antérieure sur l'expérience d'hommes purgeant une peine minimum de 25 ans dans des pénitenciers du Québec. Voir T. Hattem, Condamnés à 25 ans minimum expérience vécue et perspectives d'avenir, rapport de recherche inédit, Université de Montréal, Centre international de criminologie comparée, 1987. on connaît bien la grande consommation de médicaments psychotropes par les femmes. Des études menées au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni démontrent presque invariablement que les femmes se voient prescrire au moins deux fois plus de médicaments psychotropes que les hommes, souvent sous forme de tranquillisants. Voir R. Cooperstock et J. Hill, The Effects of Tranquilization: Benzodiazepine Use in Canada, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services, 1983. Les quelques données dont on dispose indiquent que la différence de consommation entre les détenus de sexe masculin et féminin est encore plus grande. Voir Enquête de la Commission des droits de la personne du Québec à la prison Tanguay, Montréal, Montréal, Commission des droits de la personne du Québec, 1985; J. Resnik et N. Shaw, «Prisoners of their Sex: Health Problems of Incarcerated Women», Prisoners' Rights Sourcebook: Theory, Litigation and Practice, vol. 2, New York, I. Robbins, Clark Boardman, 1980.
(12)Voir N. Stoller Shaw. «Female Patients and the Medical Profession in Jails and Prisons», Judge, Lawyer, Victim, Thief, Boston, N. H. Rafter et F.A. Stanko, éd., Northeastern University Press, 1982.
(13)Tous les noms utilisés ici sont fictifs afin de protéger l'identité des participantes. Les citations anglaises ont été traduites.