Concevoir des locaux pour les délinquants ayant une déficience : le point de vue d'un architecte
Les établissements correctionnels ont évolué en fonction de la
nécessité sociale d'enlever certaines personnes de la collectivité et de
restreindre leur liberté. Toutefois, d'un point de vue humain, l'un des grands problèmes
est justement que leur architecture est conçue, non sans raison, pour tenir compte des
préoccupations de sécurité plutôt que des caractéristiques et des
besoins des détenus.
Or, si les services de l'établissement ne sont pas facilement accessibles aux détenus
ayant une déficience quelconque, les progrès de ces personnes dans la voie de la
réadaptation seront entravés. Il est par conséquent crucial que les
établissements correctionnels soient construits d'une façon qui permette à ces
délinquants de profiter au maximum des services de la prison. Il va de soi que
l'accessibilité aux services correctionnels est un préalable si l'on veut que tous les
détenus puissent les mettre à profit pour progresser. Incapacité,
accessibilité et codes du bâtiment Nous sommes, pour la plupart, capables de nous adapter
à notre environnement, mais les personnes ayant des limitations fonctionnelles n'ont qu'une
capacité d'adaptation restreinte. Le Canada a donc établi des lois précisant les
critères architecturaux propres à garantir l'accessibilité aux nouveaux
bâtiments comme aux bâtiments en place.
Le degré selon lequel une personne ayant une déficience physique peut fonctionner en
toute autonomie dans un environnement détermine l'accessibilité. La politique du
gouvernement fédéral énonce désormais que toutes les installations
-nouvelles et anciennes - doivent être rendues accessibles
(2).
La Loi canadienne sur les droits de la personne définit la «déficience
physique» dans les termes suivants: désigne toute infirmité congénitale,
pathologique ou accidentelle, y compris l'épilepsie, la paralysie, l'état d'amputé,
l'atonie, les troubles de la vue, de l'ouïe ou de la parole....
(3)
Cette définition doit être prise en compte par les architectes dont le défi
consiste à résoudre les problèmes de conception découlant de
l'impossibilité pour les personnes ayant une limitation fonctionnelle de participer pleinement
à une vie dite normale (ou dans le cas qui nous intéresse, à la vie normale de la
prison). Les questions d'accessibilité peuvent être extrêmement complexes et il
incombe à l'architecte de prévoir les nombreuses situations quotidiennes et
d'aménager l'espace où elles se dérouleront.
À part les questions relatives à l'accessibilité, la plupart des problèmes
architecturaux sont assez courants, car la majorité des types de bâtiments ont
évolué au cours de l'histoire, intégrant les activités qu'ils abritent.
Souvent, il est donc possible de construire de nouveaux bâtiments d'après un plan de base
sans avoir à refaire toute la recherche pour régler les problèmes de
fond
(4). Malheureusement, cette facilité ne joue pas toujours en faveur de solutions
créatives face à de «nouvelles» contraintes comme le besoin
d'accessibilité à tous.
En outre, les codes et les lois régissant l'accessibilité aux bâtiments (comme le
Code national du bâtiment du Canada, divers codes du bâtiment provinciaux et la
Loi canadienne sur les droits de la personne) ont été appliqués comme s'il
s'agissait de normes d'avant-garde pour la conception architecturale alors que leur intention
était simplement d'établir des critères obligatoires minimums. Par exemple, les
codes abordent essentiellement les difficultés des personnes qui utilisent un fauteuil roulant en
prenant pour hypothèse que ces personnes ont un bon usage de leurs bras
(5).
Heureusement (à certains égards), certaines exigences des codes du bâtiments
concernant les bâtiments en place sont parfois relativement vagues. Les architectes disposent donc
d'une certaine latitude et sont en mesure de donner accès comme il se doit à tous
grâce à des modifications architecturales mineures, comme l'aménagement de portes et
d'ascenseurs plus larges (même si les nouvelles rampes d'accès doivent être
strictement conformes au code
(6)). Cette marge de manoeuvre ne diminue pas le problème
de l'accessibilité, mais permet parfois aux architectes de trouver des solutions un peu plus
facilement et plus rapidement. Difficultés typiques Nous ne saurions décrire dans un court
article comme celui-ci le nombre de difficultés qui surviennent dans la conception architecturale
d'un établissement correctionnel, mais les exemples suivants illustrent la complexité des
problèmes.
Ainsi, les exigences d'accessibilité et celles de la sécurité peuvent parfois
être difficiles à concilier. Les grilles, les calandres et les couvercles de regard peuvent
entraver la mobilité des personnes ayant des limitations fonctionnelles
(7) et il
convient, par conséquent, de ne pas les situer dans les passages ou dans les cours à
grande circulation. Mais le déplacement de ces obstacles peut les cacher à la vue de sorte
que des dispositifs de sûreté (comme des mécanismes de blocage) doivent alors
être prévus pour ces voies qui pourraient permettre aux détenus de s'évader.
Les escaliers «ouverts» qui n'ont pas de contre-marches sont merveilleux pour la
sécurité mais dangereux pour les aveugles qui risquent de trébucher en raison d'un
manque de repères.
La répartition de l'espace pose également des difficultés. Comme les personnes
ayant une déficience physique ont besoin de plus de place pour leurs mouvements, leurs cellules
devraient être plus grandes que les cellules ordinaires. Des questions d'ordre psychologique
entrent ici en jeu : les agents de correction doivent se préparer à une certaine friction
entre les détenus, les cellules plus grandes pouvant susciter la jalousie.
L'usage quotidien de certains accessoires est également critique. Les accessoires autour des
toilettes doivent être extrêmement solides, faciles à saisir et installés de
façon suffisamment sécuritaire pour supporter, le cas échéant, le poids
d'une personne. D'autres appareils ou éléments fixes comme les éviers, les tringles
de penderie et peut-être même les lits peuvent nécessiter des modifications s'ils
sont trop hauts pour être accessibles.
L'incompatibilité entre l'accessibilité et la sécurité n'est pas la seule
qui peut se présenter lorsqu'on réaménage un bâtiment pour en faciliter
l'accès. Les différentes limitations fonctionnelles des personnes peuvent
nécessiter des conceptions incompatibles. Alors que les personnes ayant une déficience
visuelle, par exemple, ont besoin d'un environnement qui répercute le son facilement, les
personnes malentendantes ont besoin d'un lieu insonorisé pour atténuer les bruits de fond
qui prêtent à confusion. Trouver des solutions Les améliorations d'aujourd'hui
seront les critères de base de demain. Les concepteurs devraient par conséquent aborder
leur mission de transformation des établissements actuels en y voyant la possibilité de
trouver des solutions créatives à des contraintes parfois contradictoires
d'accessibilité et de sécurité. En effet, qu'il transforme un établissement
existant ou en conçoive un nouveau, le concepteur a la possibilité d'améliorer
véritablement le bâtiment de façon que chacun s'y trouve plus à l'aise et
c'est là l'important
(8).
Les contraintes de conception doivent être précisées dans un cahier des charges
établi par les autorités carcérales définissant les besoins, les fonctions,
les buts, la politique et la méthodologie. La rédaction devrait en être
confiée à une équipe de conception - regroupant des architectes, des membres du
personnel correctionnel ainsi que des détenus n'ayant aucune déficience et ceux ayant une
déficience. Munis d'un énoncé clair des objectifs, les concepteurs seront mieux en
mesure de créer un environnement fonctionnel, sûr et pratique qui facilite la
réadaptation.
Les caractéristiques spéciales indispensables à l'accessibilité ne
devraient pas être considérées comme des concessions à une population
minoritaire, mais plutôt comme des éléments architecturaux qui contribuent à
répondre aux besoins globaux du groupe.
La participation des détenus à la vie quotidienne est un objectif correctionnel de base.
S'il est possible de le réaliser en permettant à
tous les détenus de
participer le plus pleinement possible à la vie carcérale, tout le monde en tirera
profit.
(1)Travis Gee, Direction de la recherche et des statistiques, Service
correctionnel du Canada, 340, avenue Laurier ouest, pièce 4B, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.
(2)HABER, G. et BLANK, T.O. (éd.), Building Design for Handicapped and Aged
Persons, Tall Buildings and Environment Series, New York, McGraw-Hill, 1992, p. 50.
(3)HABER et BLANK, Building Design for Handicapped and Aged Persons, p. 51.
(4)BAYES, K. Designing for the Handicapped, London, George Godwin Ltd., 1971, p.
12.
(5)HABER et BLANK, Building Design for Handicapped and Aged Persons, p. 52.
(6)Travaux publics Canada, Aménagement pour accès facile : Accès facile
aux immeubles et leur utilisation par les personnes handicapées, Direction du service des
relations publiques et de l'information, 1985, p. 3.
(7)SORENSEN, R. Design for Accessibility, New York, Mcgraw-Hill, 1979, p. 20.
(8)HEFFERLIN, J. et REDDEN, M. New Directions for Higher Education: Assuring Access for
the Handicapped, San Francisco, Jossey-Bass Inc., 1979,p.62.