Amélioration de l'accès au système de justice pénale par des changements
législatifs
Le ministère de la Justice examine actuellement le
Code criminel et la Loi sur la
preuve au Canada de façon à améliorer l'accès des personnes ayant une
déficience au système de justice pénale.
En mai 1993 le Ministère a diffusé à cette fin un document de consultation
analysant les domaines où la législation pourrait être améliorée. Cet
article résume quelques-unes des propositions de réforme législative.
Le Ministère a bénéficié de la participation de nombreux groupes
représentant les personnes ayant une déficience, en particulier le conseil canadien des
droits des personnes handicapées. Le Conseil est un organisme communautaire cadre auquel sont
rattachés plus de 25 groupes communautaires. Créé par les personnes ayant une
déficience pour promouvoir leurs droits à l'égalité, le Conseil coordonne
les réactions des personnes ayant une déficience, où qu'elles soient au pays,
à cet examen de la législation fédérale.
Cependant, le ministère de la Justice cherche à obtenir d'autres points de vue de
personnes ayant une déficience et d'autres groupes intéressés (comme la police, les
avocats de la défense et les procureurs généraux des provinces) sur les questions
soulevées par le document de consultation.
On peut se procurer le document complet en s'adressant au ministère de la Justice
(2)
- sous forme d'imprimé en caractères ordinaires ou en gros caractères ou sous forme
d'enregistrement sonore. Un point de départ... En 1990, le Comité permanent des droits
de la personne et de la condition des personnes handicapées a demandé au gouvernement
fédéral de revoir et, au besoin, de modifier la législation pour garantir aux
personnes ayant une déficience une pleine participation au système de justice
pénale.
En 1991, le gouvernement fédéral a donc annoncé une stratégie de cinq ans
pour promouvoir les droits des personnes ayant une déficience. La première étape de
la Stratégie nationale pour l'intégration des personnes handicapées a
été l'adoption du projet de loi C-783, portant exclusivement sur les questions
intéressant les personnes ayant une déficience. Les dispositions du projet de loi
C-78
(3) visent à améliorer entre autres l'accès au système de
transport national du Canada, aux documents gouvernementaux et à l'information personnelle
(grâce à leur transmission sur d'autres supports comme les enregistrements sonores) ainsi
qu'aux tribunaux. Les principales dispositions du projet de loi sont entrées en vigueur en juin
1992. Le document de consultation du ministère de la Justice Le projet de loi C-78 ne contenait
qu'une modification au Code criminel se rapportant au paragraphe 486 (2.1) permettant, dans le
cas de certaines infractions sexuelles, que le plaignant témoigne à l'extérieur de
la salle d'audience ou derrière un écran lorsque cette personne éprouve de la
difficulté à le faire en raison d'une déficience mentale ou physique, qui s'ajoute
au traumatisme du témoignage.
Cependant, le ministère de la Justice envisage d'autres changements législatifs pour
améliorer l'accès des personnes ayant une déficience au système de justice
pénale et a rédigé un document de consultation analysant plusieurs changements
éventuels. Ouï-dire La déposition par ouï-dire est un témoignage devant
le tribunal fondé sur ce qu'a dit une autre personne, plutôt que sur une connaissance
originale du témoin. La preuve par ouï-dire n'est généralement pas admise en
cour. Mais un arrêt de la Cour suprême du Canada de 1990, dans l'affaire R. c.
Khan
(4) a atténué légèrement les réserves à
l'égard du témoignage par ouï-dire en permettant aux témoins de
répéter ce qu'un enfant leur a communiqué lorsque l'enfant est incapable (pour
diverses raisons) de témoigner. Cette forme de témoignage n'est cependant admise que
lorsqu'elle est absolument nécessaire et que l'information est jugée fiable.
Dans le document de consultation, les juristes se demandent s'il serait pertinent de
généraliser cette exception aux adultes ayant une déficience lorsque c'est la seule
façon de communiquer fidèlement l'information au tribunal. Des adultes vulnérables
peuvent être confrontés aux mêmes difficultés que les enfants lorsqu'ils
s'efforcent de communiquer dans l'ambiance souvent intimidante d'une salle d'audience. Identification de
l'accusé Le Ministère se demande également s'il est pertinent de modifier la
législation pour tenir compte des difficultés que connaissent les victimes ayant une
déficience lorsqu'il leur faut identifier l'accusé. De nombreuses personnes ayant une
déficience ont le sentiment que les policiers et les procureurs de la Couronne décident
parfois de ne pas inculper des délinquants présumés parce qu'une victime ayant une
déficience peut avoir des difficultés à identifier l'accusé de la
manière «habituelle».
Il pourrait être utile que la loi autorise d'autres méthodes d'identification d'un
délinquant présumé, comme l'identification de la voix ou des fréquences
vocales, lorsque des témoins sont des personnes ayant une déficience visuelle ou ont une
vision extrêmement médiocre et sont tout simplement incapables de reconnaître
formellement l'accusé. Témoignage sur bande magnétoscopique Le paragraphe 715.1 du
Code criminel renferme l'un des changements législatifs récents les plus importants
concernant le témoignage des enfants. Cet article permet, lorsqu'on présume qu'il y a abus
sexuel à l'égard d'un enfant, d'utiliser le témoignage de cet enfant sur bande
magnétoscopique. Peu après l'infraction alléguée, on réalise une
vidéocassette où l'enfant décrit les actes donnant lieu à la
déposition d'une plainte. Ce nouveau mode de déposition aide l'enfant à se souvenir
de ce qui s'est passé jusqu'au déroulement du procès.
L'hypothèse voulant que les enfants n'ont qu'un souvenir limité et inexact des
événements rend souvent leur témoignage vulnérable aux arguments de la
partie défenderesse, si bien que la sauvegarde du témoignage sur vidéocassette
à une date rapprochée de l'époque de l'incident améliore les
possibilités pour le tribunal de juger le témoignage crédible, fiable et utile. Le
document de consultation suggère qu'on adopte la solution du témoignage sur
vidéocassette pour les personnes ayant une déficience qui affecte leur aptitude à
se souvenir. On peut également se demander si cette possibilité ne devrait pas être
offerte à tout témoin qui, pour une raison ou une autre, est vulnérable face au
système de justice pénale. Récusation de jurés La procédure par jury
repose sur l'idée que les jurés représentent la collectivité. Pourtant, les
groupes communautaires représentant les personnes ayant une déficience font valoir que ces
personnes sont systématiquement récusées lorsqu'elles devraient faire partie d'un
jury On ne saurait donc dire que les jurés sont complètement représentatifs de la
collectivité.
Le document de consultation précise un certain nombre d'avenues de réforme possibles
à cet égard. Par exemple, certains groupes ont demandé l'addition d'une
déclaration de principe au Code criminel, analogue à la déclaration
déjà annexée concernant la discrimination en raison du sexe, pour interdire la
récusation de jurés en raison d'une déficience.
Une autre solution pourrait être de modifier l'alinéa 638
(1) du Code
criminel qui permet la récusation d'un juré motivée par le procureur de la
Couronne ou par l'avocat de la défense lorsque ce juré «est physiquement incapable
de remplir d'une manière convenable les fonctions de juré». Est-ce que cet
alinéa devrait être modifié pour empêcher que l'incapacité soit
suffisante en soi pour motiver la récusation d'un juré? Est-ce que la disposition devrait
garantir qu'avec de l'aide, les personnes ayant une déficience puissent faire partie d'un jury et
que la déficience ne soit pas un motif de récusation? La réforme législative
Le ministère de la Justice ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si la
réforme législative est la seule ou même la meilleure voie pour rendre le
système de justice pénale plus accessible aux personnes ayant une déficience. Le
changement peut souvent être plus rapide par d'autres voies. Par exemple, l'arrêt rendu dans
l'affaire R. c. Khan pourrait simplement être interprété au sens large par
les tribunaux pour que les personnes ayant une déficience soient incluses dans l'exception
à la règle du ouï-dire.
De toute évidence, la réforme législative n'est pas un remède absolu aux
problèmes d'accessibilité au système de justice pénale. Mais elle est l'une
des avenues qui permettra le changement.
(1)Carole Théberge, conseillère juridique, Section de la
politique - Droit pénal, Ministère de la Justice, 239, rue Wellington, Ottawa (Ontario)
K1A 0H8.
(2)Ministère de la Justice, Direction des communications et de la consultation, 239,
rue Wellington, Ottawa (Ontario) K1A 0H8.
(3)Loi modifiant certaines lois relativement aux personnes handicapées.
(4)(1990) 2 R.C.S. 531.