Faire participer la communauté au service correctionnel communautaire
L'amphithéâtre d'une école de Toronto est rempli de 500 à 700 citoyens
intéressés, prêts à «discuter» de l'ouverture proposée
d'un nouveau centre correctionnel communautaire dans leur voisinage.
À l'avant, une table a été dressée pour un groupe de trois ou quatre
représentants du Service correctionnel du Canada. La tâche qu'ils assument ce soir requiert
bien du courage. Il leur faut prendre note des préoccupations de ces membres de la
collectivité et, dans un même temps, essayer de les convaincre que cette ouverture sera une
bonne chose pour les délinquants et pour la collectivité.
Dès le début de la discussion, les choses s'enveniment. Les accusations fusent, des
phrases qui n'étaient au début que des chuchotements comme «dehors! nous ne voulons
pas de vous dans notre voisinage» se répercutent de bouche en bouche. Les émotions -
crainte, peur, frustrations - atteignent un paroxysme.
Si quelques membres de la collectivité sont venus pour écouter le pour et le contre de
l'établissement envisagé, maintenant submergés par le nombre, ils se taisent. La
réunion prend fin. Certains s'en vont avec le sentiment d'avoir gagné la bataille. Mais
qu'en est-il? Pour ceux d'entre nous qui travaillent dans les services correctionnels communautaires, ce
scénario n'a plus rien de nouveau. Tous ceux qui ont déjà participé à
ce genre d'assemblée conviennent que ce n'est pas une manière efficace d'échanger
de l'information ou de solliciter des commentaires constructifs de la part du public. Pourquoi est-ce
que ça ne fonctionne pas?
Pour répondre à cette question, il nous faut évaluer comment le Service
correctionnel du Canada a communiqué avec le public, les besoins croissants et changeants de ce
public et les moyens de surmonter ces difficultés. Une perception négative de la part du
public La grande priorité du Service correctionnel du Canada est la protection de la
société. Dans la collectivité, le Service accomplit cette tâche en
surveillant étroitement les détenus et en favorisant leur réinsertion sociale - on
les aide à trouver un emploi, à améliorer leur niveau de scolarité, à
régler leurs problèmes familiaux ou à faire face à leurs problèmes de
toxicomanie.
Pour atteindre ces objectifs, le Service ne peut se passer de la coopération de la
collectivité. Toutefois, bien que des campagnes d'information aient été
organisées dans le passé, leur effet a été de courte durée en raison
du manque de temps et de ressources. La communication du Service correctionnel du Canada avec le public
doit par conséquent être décrite comme étant essentiellement réactive
- le Service répond à des demandes individuelles et à des situations.
Du coup, le public s'est forgé l'image d'un organisme fermé et inaccessible. Mais plus
grave encore - le Service apparaît même souvent comme réticent à partager
l'information ou peu intéressé à connaître l'opinion publique.
Parallèlement, la critique du système de justice pénale a considérablement
augmenté dans la société. Pourquoi? La principale cause en est que de nombreuses
personnes pensent qu'on assiste à une véritable explosion de la criminalité. Il
suffit de prendre n'importe quel quotidien de Toronto pour y lire un article alléguant que les
taux de criminalité montent en flèche et que nos villes ne sont pas sûres. Les
citoyens se sentent démunis face à cette menace et ils ragent contre l'incapacité
ou l'impuissance des pouvoirs publics à mettre sous les verrous les individus responsables de
cette vague de crimes. Si l'on ajoute à cela la confusion générale du public et son
manque de connaissance de la justice pénale, il n'est guère étonnant que la
collectivité adopte une position agressive à l'égard des services correctionnels.
Les impératifs immédiats Le premier et le plus important de ces impératifs est de
changer la
façon dont le Service communique avec le public. Ce n'est pas une tâche
facile, mais c'est réalisable.
La société a besoin de plus d'information sur les politiques et procédures
correctionnelles; elle s'attend à ce que le Service cherche à connaître l'opinion
publique d'une façon plus structurée et tienne compte de cette opinion lorsqu'il formule
de nouveaux programmes ou politiques. Le Service doit par conséquent établir des liaisons
de communication avec les collectivités pour satisfaire leur exigence de dialogue.
Les médias, les forces de l'ordre, les services correctionnels provinciaux, les procureurs de la
Couronne des provinces, les magistrats, les groupes de victimes et les groupes sociaux minoritaires sont
tous des groupes importants à inclure lorsqu'on amorce un «dialogue public pour indiquer ce
qui est possible plutôt que ce qui est mauvais»
(2). Comment s'y prendre Le
Service doit passer d'une stratégie de communication réactive à une
stratégie proactive. On a utilisé la consultation publique comme tactique de communication
pendant de nombreuses années, mais son efficacité a été remise en question.
Dans le passé, on avait d'ailleurs souvent recours à la consultation une fois que les
décisions étaient prises et en réponse à des protestations de la
collectivité. Or, la véritable consultation publique n'est efficace que si elle est
entreprise de bonne foi pour ouvrir le débat avec la collectivité.
À cette fin, deux représentants du Service correctionnel du Canada viennent de passer un
an et demi en consultations publiques avec 35 représentants d'une collectivité de Toronto
concernant le projet de réouverture d'un centre correctionnel communautaire. Même si le
centre n'a pas été rouvert, les participants (y compris ceux qui s'opposaient à la
réouverture) ont convenu que le processus de consultation a été extrêmement
valable et devait être repris à l'avenir. Comme l'un des participants l'a indiqué,
«c'était la première fois que nous nous sentions véritablement
intégrés à un processus où nos opinions étaient prises au
sérieux par le personnel correctionnel».
Le fruit de cette consultation, qui constituera un précédent, a été un
contrat en bonne et due forme signé par les représentants de la collectivité et du
Service. Le contrat établit la façon dont se dérouleront les consultations
publiques futures dans ce secteur. Les mandats, les rôles, les responsabilités et, plus
important encore, les comptes à rendre, ont été minutieusement définis. Ce
type de résultat aide énormément à reconstruire les relations entre les
collectivités locales et les services correctionnels. L'initiative de Toronto En 1989, le groupe
27 de Toronto (constitué de représentants de la collectivité, d'organisations
bénévoles, des services correctionnels fédéraux et provinciaux, des
Commissions nationale et provinciale de libération conditionnelle et de la police) a reçu
comme mandat de faire connaître le système de justice pénale à la
collectivité.
Depuis cette époque, le groupe a créé de nombreux projets, dont le plus
apprécié est Reels for Justice, un projet original d'une journée sur la
justice pénale en cassette vidéo destiné à la jeunesse. En plus de
présenter des cassettes vidéo, des invités animent un débat sur les bandes
de rue, la conduite en état d'ébriété, la prostitution, la violence dans les
fréquentations et la liberté d'expression.
Quatre jours de visionnement ont été organisés pour la région
métropolitaine du grand Toronto et plus de 2 000 élèves de il' et de 12e
année y ont participé. Ce type de programme de prévention de la criminalité
et de sensibilisation à la question est 51 populaire que le groupe prépare maintenant un
guide pratique pour les enseignants qui désirent organiser des événements analogues
dans leur école. Aller de l'avant Le système correctionnel n'est pas la création de
quelques personnes triées sur le volet. C'est un système qui a évolué en
fonction des courants sociaux; c'est pourquoi il est crucial que la collectivité continue
à participer à l'élaboration et à la mise en oeuvre de politiques et de
procédures. Les services correctionnels communautaires doivent continuer à aller de
l'avant en favorisant l'instauration de relations de travail plus constructives avec le public, en
commençant par l'éducation et une véritable consultation. Il ne faut pas oublier
que «communautaire» est le mot clé dans l'expression «services correctionnels
communautaires».
(1)District du Centre de l'Ontario, Service correctionnel du Canada, 330, rue
Keele, rez-de-chaussée, Toronto (Ontario)
(2)THEMAN, D. A Proposed Regional Consultation Strategy, Kingston, Service
correctionnel du Canada, région de l'Ontario, 1993.