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L'infection par le VIH et le SIDA dans les établissements correctionnels, un juste châtiment?

Les hommes et les femmes incarcérés dans des établissements correctionnels constituent l'une des populations à plus haut risque pour l'infection par le VIH et le SIDA. Par conséquent, le personnel correctionnel (les professionnels de la santé, les conseillers, les enseignants et les agents de correction), puisqu'il est en contact avec les délinquants, court également des risques(2).

Diverses stratégies ont été mises en oeuvre pour prévenir et maîtriser l'infection par le VIH et le SIDA dans la population carcérale. Toutefois, le débat se poursuit sur la nécessité et l'efficacité de ces stratégies, quelles qu'elles soient. En fait, certains représentants du gouvernement et administrateurs du Service correctionnel du Canada affirment qu'«il n'y a pas de problème», qu'on a exagéré «considérablement le problème de l'infection par le VIH dans les établissements correctionnels» et que «Si la situation était si grave, pourquoi n'y aurait-il pas plus de délinquants atteints du SIDA dans les établissements correctionnels?»

Malheureusement, il y a même des gens qui pensent que les délinquants méritent tous les malheurs qui peuvent bien leur arriver(3).

Nous analysons brièvement ici les principales stratégies qui ont été proposées ou mises en oeuvre pour prévenir et limiter l'infection par le VIH et le SIDA dans la population carcérale d'Amérique du Nord et évaluons leur efficacité. Une telle évaluation est cruciale pour les services correctionnels communautaires étant donné que la grande majorité des détenus réintégreront un jour la collectivité. Le problème Des cas de SIDA ont été signalés dans les établissements correctionnels d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord depuis le début des années 1980. En fait, les taux de séropositivité signalés chez les délinquants sont extrêmement élevés par rapport à ceux de la population générale(4).

On reconnaît maintenant de plus en plus que les établissements correctionnels renferment l'une des concentrations les plus élevées de population à risque ou déjà atteinte de l'infection par le VIF' ou du SIDA(5). Le SIDA est actuellement la principale cause de décès parlai les détenus de nombreux pays(6) et ce nombre continue à grimper(7). On prévoit que cette maladie sera la principale cause de décès des détenus en Amérique du Nord d'ici l'an 2000(8).

Pourquoi?

Le taux croissant de séropositifs chez les délinquants, qui dépasse de beaucoup celui de la population générale, est principalement le résultat de comportements à haut risque comme la pratique du coït anal, l'échange d'aiguilles, les tatouages et le perçage de trous dans les oreilles, le nez, le nombril et les mamelons pour le port d'anneaux. Pour diverses raisons, les détenus adoptent ces comportements à haut risque en plus grand nombre et avec une plus grande fréquence que les personnes de la population générale(9). Le risque est encore multiplié par le fait que les détenus sont emprisonnés avec d'autres détenus, qui sont eux-mêmes à plus haut risque.

Pour s'attaquer à ce problème de plus en plus grave, plusieurs établissements correctionnels ont mis en oeuvre un certain nombre de stratégies particulières. Nous analysons ci-dessous cinq stratégies principales qui ont été recommandées ou mises en oeuvre pour essayer d'enrayer l'incidence accrue de l'infection par le VIF' et du SIDA dans les établissements correctionnels. Distribution de préservatifs aux délinquants Les relations homosexuelles ne sont pas rares parmi la population carcérale de sexe masculin(10). Or, l'on sait que la pratique du coït anal est couramment considérée comme le comportement sexuel le plus dangereux pour la transmission de l'infection par le VIF'; par conséquent, plusieurs programmes de prévention du SIDA ont recommandé la remise de préservatifs aux délinquants dans le but d'atténuer le risque de transmission du virus(11). Cependant, il y a un certain nombre de problèmes concernant l'efficacité des préservatifs pour la prévention de la transmission du virus. Les préservatifs font souvent défaut à cause de fuites, d'une déchirure ou d'un glissement au cours des rapports sexuels(12).

L'utilisation elle-même de préservatifs présente également des difficultés en milieu correctionnel. Il est extrêmement peu réaliste de penser que la pratique du coït anal, qui fait partie de la psychologie sociale de la domination mâle au sein des établissements correctionnels (viol collectif ou contrainte exercée à l'égard d'un nouveau détenu ou d'un détenu physiquement plus faible pour qu'il soit la «petite amie» d'un détenu plus fort ou d'un groupe de détenus)(13), puisse s'accompagner de l'utilisation d'un préservatif(14) L'utilisation d'un préservatif pourrait être considérée comme un signe de faiblesse (indiquant la peur du SIDA) ou comme un signe de préoccupation mal venu pour la «petite amie». Par conséquent, pour ces deux raisons, la distribution de préservatifs aux détenus n'apparaît pas comme une stratégie efficace de prévention de l'infection par le VIH. Fourniture de seringues stériles La fourniture de seringues stériles a été largement utilisée dans les collectivités de toute l'Europe et des programmes d'échange d'aiguilles ou de seringues ont été mis en oeuvre dans plusieurs agglomérations urbaines à haut risque du Canada et des États-Unis (y compris à Edmonton, Montréal et New York) avec certains résultats préliminaires prometteurs(15). Toutefois, ces programmes ont également suscité une forte opposition, et leur efficacité globale a été sérieusement mise en doute(16).

L'absorption de drogues par voie intraveineuse est une pratique courante parmi les détenus de nombreux établissements correctionnels(17). Il faudrait donc envisager sérieusement de mettre en oeuvre des programmes visant à mettre un frein à l'absorption de drogues par voie intraveineuse dans les établissements correctionnels et à fournir éventuellement à titre provisoire des aiguilles et des seringues stériles aux délinquants qui absorbent des drogues de cette façon.

Toutefois, tant qu'il n'existe pas de mécanisme de protection adéquat empêchant les détenus d'utiliser les aiguilles comme monnaie d'échange ou comme arme, l'instauration de programmes d'échange d'aiguilles en établissement correctionnel n'est pas recommandée. Entre temps, des programmes pertinents d'éducation, de désintoxication et de traitement s'imposent et devraient être proposés aux détenus qui aimeraient mettre un terme à l'absorption de drogues par voie intraveineuse. Il conviendrait d'assurer la continuité de ces programmes en établissement correctionnel et dans la collectivité. Précautions universelles L'application de précautions universelles signifie qu'il faut traiter tous les délinquants comme s'ils étaient séropositifs et prendre des mesures appropriées (comme l'utilisation de gants lorsqu'il peut y avoir contact avec les liquides organiques d'une autre personne) afin d'éviter la transmission accidentelle du virus au personnel correctionnel. Toutefois, même les précautions universelles ne peuvent assurer une protection complète contre l'infection par le VIH. Il arrive que les gens soient contaminés accidentellement ou délibérément par une aiguille contaminée.(18) Dépistage obligatoire du VIH Au minimum, il devrait y avoir un dépistage obligatoire du virus chez tous les délinquants écroués. Les détenus devraient subir un deuxième test après trois mois (pour vérifier l'exactitude du premier test) et être testés chaque fois qu'on a de bonnes raisons de penser qu'il y a pu y avoir contamination (comme la présence de symptômes physiques ou la preuve qu'un partenaire sexuel antérieur ou un toxicomane avec lequel il y a eu échange d'aiguilles est devenu séropositif). Les détenus nouvellement écroués doivent être séparés des autres pendant les trois premiers mois afin qu'on puisse s'assurer qu'ils ne se livrent pas à des activités à risque élevé (qui pourraient contaminer d'autres personnes ou eux-mêmes).

Maintenant qu'il est possible d'avoir recours à des analyses de salive sécuritaires et fiables pour la détection du VIH, l'inconfort et le léger risque associés à l'obtention de prélèvements sanguins pour le dépistage du VIH ont été entièrement supprimés(19). Isolement des détenus séropositifs La mise à l'écart de la population carcérale générale ou la quarantaine pour raisons médicales des détenus séropositifs est une mesure qui a été appliquée dans plusieurs établissements correctionnels des États-Unis et du Canada (cette quarantaine peut également signifier l'interruption des visites conjugales pour empêcher la propagation de l'infection par le VIH à la collectivité)(20).

Cependant, la quarantaine entre gravement en conflit avec le respect des droits fondamentaux de la personne. C'est donc une mesure qui ne peut être adoptée, même dans les établissements correctionnels, qu'après une étude attentive des droits du détenu en question ainsi que des risques et des avantages potentiels pour les autres.

Et même alors, qui faut-il mettre en quarantaine? Tous les délinquants séropositifs? Tous les délinquants ayant le SIDA? Tous les délinquants séropositifs ou ayant le SIDA qui affichent un comportement «irresponsable» et présentent une grave menace de transmission du virus aux autres?

En plus des préoccupations relatives aux droits de la personne, la quarantaine pose des problèmes de répartition de l'espace de l'établissement, de personnel et d'ordre financier.

Ceci étant dit, nous n'en insistons pas moins sur le fait que bien qu'elle puisse sembler draconienne pour certains(21), la mise en quarantaine des détenus contaminés par le VIH est la politique qui offre les meilleures possibilités de maîtriser l'épidémie dans les établissements correctionnels. La mise en quarantaine s'impose absolument si l'on veut enrayer la propagation du VIH parmi les détenus, ainsi que dans les familles, aux amis et aux autres membres de la collectivité qu'ils côtoient.

L'isolement répond d'ailleurs mieux aux besoins des détenus atteints du VIH en permettant leur installation dans un établissement où l'on est mieux apte à répondre à leurs besoins physiques et psychologiques. Cette mesure est également des plus utiles pour les détenus non contaminés qu'elle protège de l'infection par le VIH au cours de leur incarcération. Enfin, elle est celle qui sert le mieux les intérêts du personnel correctionnel en limitant le nombre d'employés ayant des contacts directs avec les détenus contaminés à ceux qui sont au courant du risque et qui ont la formation nécessaire pour prendre les précautions qui s'imposent. Enfin, la mise en quarantaine est la mesure la plus utile pour la collectivité puisqu'elle contribue à prévenir la contamination des détenus avant leur mise en liberté conditionnelle ou définitive. Recommandations La méthode que nous préconisons pour prévenir la propagation du VIH et du SIDA dans les établissements correctionnels comprend les éléments suivants:
  • prestation de programmes d'éducation pertinents sur la nature, la transmission et la prévention de l'infection par le VIH et du SIDA à l'intention des détenus, de leur famille, des personnes qu'ils côtoient dans la collectivité et du personnel correctionnel;
  • analyse obligatoire de la salive aux fins du dépistage du VIH pour tous les délinquants écroués;
  • utilisation des formes pertinentes d'isolement ou de quarantaine pour protéger les détenus et le personnel correctionnel de la contamination par des détenus séropositifs.
Bien que ces mesures soient loin d'être une solution définitive au problème de la séropositivité et du SIDA dans les établissements correctionnels, leur mise en oeuvre n'en est pas moins un bon point de départ.

Ignorer le problème de la séropositivité et du SIDA dans les établissements correctionnels canadiens relèverait à la fois de la négligence et de l'insensibilité. Le manque d'attention immédiate et adéquate à cette menace extrêmement concrète et grave entraînerait un châtiment injuste pour de nombreux détenus, leur famille, leurs amis, les autres personnes de la collectivité avec lesquelles ils sont en contact ainsi que pour un certain nombre d'employés du Service correctionnel.



(1)Substance Abusology Research Unit, Université de l'Alberta, 500 University Extension Centre, 8303-112th Street, Edmonton (Alberta) T6G 2T4.
(2)PAGLIARO, L. et PAGLIARO, A. «Sentenced to Death? HIV Infection and AIDS in Prison - Current and Future Concerns», Revue canadienne de criminologie, no 34, 1992, p. 201-214. Voir également PAGLIARO, L. «The Straight Dope: Focus on Prisons», Psynopsis, n° 13, 1991, p. 8.
(3)PAGLIARO et PAGLIARO, «Sentenced to Death? HIV Infection and AIDS in Prisons - Current and Future Concerns». Voir également PAGLIARO, L. «The Straight Dope: Focus on Prisons».
(4)COATES, L. «Coming to Grips with Substance Abuse in the Federal Prison Systems», CCSA Action, n° 2, 1991, p. 6-9. Voir aussi FALKENRODT, A., SCHWARTZ, G., NORTH, G. et al. «Explorations biologiques et recherches de déficits immunitaires chez les donneurs de sang en milieu carcéral», Revue française de transfusion et immuno-hématologie, n° 27, 1984, p. 525-529. Voir également GOLDSMITH, M. «Inescapable Problem: Aids in Prison [News]», Journal of the American Medical Association, n° 258, 1987, p. 3215; WORMSER, G., DUNCANSON, F., KRUPP, L. et al. «Acquired Immune Deficiency Syndrome (AIDS) in Prison Inmates - New York, New Jersey», Morbidity and Mortality Weekly Report, n° 31, 1983, p. 700-701.
(5)SHORE, R. «HIV/AIDS on the Inside», Canadian AIDS News: The New Facts of Life, n° 5, 1992, p. 7-16. voir aussi PAGLIARO, «The Straight Dope: Focus on Prisons».
(6)MORSE, D., TRUMAN, B., MIKL, J. et al. «The Epidemiology of AIDS Among New York State Prison Inmates», résumé, International Conference on AIDS, n° 5, 1989, p. 761.
(7)BREWER, T. et DERRICKSON, J. «AIDS in Prison: A Review of Epidemiology and Preventive Policy», AIDS, n° 6, 1992, p. 623-628.
(8)PAGLIARO, L. The Straight Dope on HIV Infection and AIDS in Prisons, Alberta Sollicitor General Provincial Corrections Conference, Edmonton (Alberta), mai 1991. Voir également PAGLIARO et PAGLIARO, «Sentenced to Death? HIV Infection and AIDS in Prisons - Current and Future Concerns». Et voir PAGLIARO, L. «The Straight Dope: Focus on Prisons».
(9)PAGLIARO, «The Straight Dope on HIV Infection and AIDS in Prisons». voir également PAGLIARO, A., PAGLIARO, L., THAUBERGER, P. et al. «Knowledge, Behaviors, and Risk Perceptions of Intravenous Drug Users in Relation to HIV Infection and AIDS: The PIARG Projects», Advances in Medical Psychotherapy, n° 6, 1993, p. 1-28.
(10)NACCI, P. et KANE, T. «The Incidence of Sex and Sexual Aggression In Federal Prisons», Federal Probation, n° 47, 1983, p. 31-36. Voir également WOODEN, W. et PARKER, J. Men Behind Bars: Sexual Exploitation in Prison, New York, Plenum, 1992.
(11)GREIG, J. SIDA : Ce que tout Canadien responsable doit savoir, Ottawa, Association canadienne de santé publique, 1987. Voir aussi McMILLAN, A. «HIV in Prisons: Action, Research, and Condoms Needed», British Medical Journal, n° 297, 1988, p. 873-874. Et voir McCASKILL, D. et THRASHER, M. Joint Committee on Aboriginal AIDS Education and Prevention: Final Report on AIDS and Aboriginal Prison Populations, Indian River (Ontario), Thrasher Consultants, 1993.
(12)FISCHI, M. «Prevention of Transmission of AIDS During Sexual Intercourse», AIDS: Etiology, Diagnosis, Treatment, and Prevention, 2e éd., sous la direction de V. DeVita, S. Helîman et S. Rosenberg, Philadelphie, J.P. Lippincott, 1988. Voir également PAGLIARO, L. et PAGLIARO, A. Results of the PIARG Major Study, sous presse.
(13)CHONCO, N. «Sexual Assaults Among Male Inmate: A Descriptive Study», The Prison Journal, n° 69, p. 72-82. Voir également EIGENBERG, H. «Male Rape: An Empirical Examination of Correctional Officers' Attitudes Toward Rape in Prison», The Prison Journal, n° 69, 1989, p. 39-56; SMITH, N. et BATIUK, M. «Sexual Victimization and Inmate Social Interaction», The Prison Journal, n° 69, 1989, p. 29-38.
(14)JURGENS, R. HIV/AIDS in Prisons: A Working Paper of the Expert Committee on AIDS and Prisons, annexe 1, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1993.
(15)FOURNIS, K. «Montreal AIDS/IV-Use Hot Spot», The Journal, vol. 1, avril 1991.
(16)PAGLIARO, PAGLIARO, THAUBERGER et al. «Knowledge, Behaviors, and Risk Perceptions of Intravenous Drug Users in Relation to HIV Infection and AIDS: The PIARG Projects».
(17)GORE, S. et BIRD, A. «No Escape: HIV Transmission in Jail», British Medical Journal, n° 307, 1993, p. 147-148. Voir également GAUGHWIN, M., DOUGLAS, R, LIEW, C. et al. «HIV Prevalence and Risk Behaviours for HIV Transmission in South Australian Prisons», AIDS, n° 5, 1991, p. 845-851. Et voir BIRD, A., GORE, S., BURNS, S. et al. «Study of Infection with HIV and Related Risk Factors in Young Offenders' Institution», British Medical Journal, n° 307, 1993, p. 228-231.
(18)MICHAELSON, L. «N.Y. Shouldn't Contesta Court's Decision for a Nurse with AIDS», RN, no 55, novembre 1992, p. 8. Voir également JONES, P. «HIV Transmission by Stabbing Despite Zidovudine Prophylaxis», The Lancet, n° 338, 1991, p. 884.
(19)VAN DEN AKKER, R., VANDEN HOEK, J., VAN DEN AKKER, W. et al. «Detection of HIV Antibodies in Saliva as a Tool for Epidemiological Studies», AIDS, n° 6, 1992, p. 953-957.
(20)CLEMENTS, C. «AIDS and Offender Classification: Implication for Management of HIV-Positive Prisoners», The Prison Journal, n° 69, 1989, p. 19-28. Voir également The Canadian Press, «Inmate on Hunger Strike over Segregation for HIV», The Edmonton Journal, 19 juillet 1992.
(21)JURGENS, E., Le VIH/SIDA en milieu carcéral : Rapport final du Comité d'experts sur le SIDA et les prisons, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1994. Voir également McCASKILL et THRASHER, Joint Committee on Aboriginal AIDS Education and Prevention: Final Report on AIDS and Aboriginal Prison Populations.