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Les jeunes délinquants sexuels: comparaison avec un groupe témoin

Il existe très peu d'études sur les actes d'agression sexuelle commis par les adolescents. En effet, d'après une récente analyse des recherches(2), cinq seulement auraient exploré ce sujet en présentant des comparaisons statistiques avec des groupes témoins formés de personnes non coupables d'agression sexuelle. La pénurie d'études scientifiques contrôlées a certes de quoi étonner, compte tenu de l'envergure du problème et du fait que la plupart des délinquants sexuels adultes ont commencé à manifester leur comportement déviant à l'adolescence(3).

Les adolescents de sexe masculin sont les auteurs d'environ 20 % des agressions sexuelles contre des adolescents et des adultes, et de 30 à 50 % des agressions de cette nature contre des enfants(4). Ce que l'on considère souvent comme une manifestation du besoin d'«explorer» ou que l'on excuse en disant qu'«il faut que jeunesse se passe» constitue en réalité un comportement criminel aux conséquences traumatisantes pour les victimes(5). En outre, on peut s'attendre à ce qu'un jeune homme sexuellement agressif qui ne reçoit aucun traitement commette en moyenne 380 crimes de nature sexuelle durant sa vie(6).

On constate non seulement un manque décevant de recherches contrôlées sur les jeunes délinquants sexuels, mais aussi l'indigence des théories à leur sujet. Les spécialistes viennent tout juste de proposer des modèles théoriques et des systèmes de classification élémentaires, qui commencent à peine à être appuyés par des résultats empiriques.

Cet article contribue à les appuyer en présentant une mise à l'essai empirique d'une récente théorie de l'agression sexuelle chez les adolescents.

Les facteurs de risque de Becker et Kaplan

Becker et Kaplan(7) ont proposé une théorie de l'agression sexuelle chez les adolescents qu'il conviendrait peut-être davantage d'appeler un cadre de facteurs de risque proposés. D'après ces auteurs, certains facteurs de risque prédisposent un adolescent à adopter un comportement d'agression sexuelle, notamment:
  • le fait d'avoir été victime de mauvais traitements et d'exploitation sexuelle;
  • la dépression;
  • de mauvais résultats scolaires;
  • des antécédents de comportement antisocial autre que de nature sexuelle;
  • de piètres relations familiales;
  • l'isolement social (se manifestant par exemple par l'incapacité de nouer et d'entretenir des relations étroites avec des jeunes du même âge);
  • un manque de compétences sociales et d'affirmation de soi;
  • l'incapacité de maîtriser ses impulsions et sa colère;
  • une éducation sexuelle insuffisante;
  • le fait d'avoir été témoin de violence familiale.
Les résultats publiés appuient jusqu'à un certain point le modèle de Becker et Kaplan, mais les recherches effectuées jusqu'à présent étaient caractérisées par l'absence de groupes témoins et la petite taille des échantillons (moins de 20 jeunes délinquants sexuels). Soucieux de ne pas se laisser enfermer dans de pareilles limites, les auteurs de cette étude ont comparé 52 jeunes délinquants sexuels à 800 jeunes contrevenants coupables d'infractions de nature non sexuelle.

Méthode

L'échantillon consistait en 852 adolescents admis consécutivement (au cours d'une période de sept ans) à l'unité des jeunes contrevenants d'un centre de détention régional. Les jeunes étaient incarcérés parce qu'ils avaient commis une ou plusieurs infractions criminelles ou parce qu'ils étaient en instance de jugement pour des infractions qu'ils auraient commises à l'âge de 16 ou 17 ans.

Chaque délinquant a été interviewé et soumis à une batterie de tests sur le risque et les besoins. Ces tests incluaient l'inventaire des niveaux de services pour jeunes délinquants(8), l'Échelle de sentiments criminels(9), l'Échelle de la fierté d'être délinquant(10), l'Échelle de neutralisation(11) et la Liste de contrôle des symptômes de traumatisme(12).

Comme nous l'avons déjà signalé, 52 (6,1 %) des 852 sujets avaient été reconnus coupables d'une infraction sexuelle. L'âge moyen des délinquants sexuels était de 17,3 ans, et tous sauf un étaient de sexe masculin. Quant aux 800 jeunes coupables d'infractions non sexuelles, ils étaient âgés en moyenne de 17,2 ans et 722 (91 %) d'entre eux étaient de sexe masculin.

Tous les délinquants sexuels avaient été reconnus coupables d'infractions «avec toucher» (telles que caresses, agression sexuelle ou tentative d'agression sexuelle), mais on ne disposait d'aucune donnée sur l'âge de la victime, la relation entre l'agresseur et la victime et le degré de violence exercé au cours de l'infraction.

Confirmation des facteurs de risque de Becker et Kaplan

La comparaison entre les jeunes délinquants sexuels et les auteurs d'infractions non sexuelles a été menée par rapport à 10 variables liées au modèle de Becker et Kaplan (voir le tableau 1), même si, faute de données pertinentes, il était impossible de vérifier toutes les variables. Les résultats obtenus appuient la thèse de Becker et Kaplan selon laquelle les jeunes délinquants sexuels sont caractérisés par une expérience d'exploitation sexuelle, un état dépressif, de mauvais résultats scolaires et un comportement antisocial sur les plans autres que sexuel.

Tableau 1

Comparison entre les jeunes délinquants sexuels et les jeunes
autres d'infraction non sexuelles
 
Délinquants
sexuels
Auteurs
d'infractions
non sexuelles
Différence
statistique
(test t)
Victime d'exploitation sexuelle
31%
10%
4,74***
Cote de la depressiont
9,1%
5,9%
2,10*
Redoublement d'une année scolaire
69%
50%
2,71**
Deux condamnations antérieures ou plus
50%
57%
,92
Mauvais comportement en classe
39%
42%
,50
Renvoi temporaire ou permanent de l'école
81%
84%
,66
Victime de mauvais traiements
58%
55%
,45
Piétres relations avec les membres de sa famille
31%
26%
,77
Piétres relations avec les éléves du même âge
23%
19%
,75
Amis plus vieux ou plus jeunes
10%
13%
,66
t Cote obtenus d'apres la Liste contrôle des symptoms de traumatisme
(*=p<,05, **=p<,01, ***=p<,0001

Les délinquants sexuels étaient plus susceptibles de dire qu'ils avaient été victimes d'exploitation sexuelle. Cette constatation concorde avec la notion qu'une personne peut acquérir un comportement sexuel déviant en étant exposée à certains modèles, attitudes et informations durant son développement. Des chercheurs ont notamment fait valoir qu'une personne apprenait un comportement sexuel déviant en étant elle-même victime de certains actes ou en rencontrant des attitudes malsaines ou étranges au sein de sa famille(13).

Un autre résultat appuie le modèle de Becker et Kaplan : les jeunes délinquants sexuels ont obtenu des cotes plus élevées que les jeunes auteurs d'infractions non sexuelles pour la variable de la dépression sur la Liste de contrôle des symptômes de traumatisme. Ce résultat renforce les constatations d'une étude récente selon laquelle les jeunes délinquants sexuels qui ont été victimes de violence obtiennent une cote plus élevée selon l'Inventaire de dépression de Beck(14) qu'un groupe témoin composé d'adolescents n'ayant commis aucune infraction.

La constatation que les délinquants sexuels sont plus nombreux que les jeunes auteurs d'infractions non sexuelles à avoir redoublé une année scolaire concorde aussi avec la thèse selon laquelle les jeunes délinquants sexuels sont caractérisés par de mauvais résultats scolaires.

Enfin, la constatation que les jeunes délinquants sexuels sont aussi susceptibles que les jeunes auteurs d'infractions non sexuelles d'avoir déjà été condamnés deux fois ou plus, d'avoir un mauvais comportement en classe et d'avoir été renvoyés temporairement ou définitivement de l'école est compatible avec l'affirmation de Becker et Kaplan voulant que les jeunes délinquants sexuels aient un comportement antisocial même sur les plans non sexuels.

Résultats contraires

Les résultats de l'étude n'ont toutefois pas confirmé quatre des facteurs de risque de Becker et Kaplan. En effet, nous avons constaté que les jeunes délinquants sexuels n'étaient pas plus susceptibles que ceux du groupe témoin d'avoir subi des mauvais traitements, d'entretenir de piètres relations avec les membres de leur famille, d'être isolés socialement ou d'avoir des amis plus jeunes ou plus vieux qu'eux-mêmes.

L'étape suivante

Nous manquions de données relativement à un certain nombre des facteurs de risque de Becker et Kaplan (par exemple, l'affirmation de soi, la capacité de maîtriser sa colère et ses impulsions, l'éducation sexuelle et le fait d'avoir été témoin de violence familiale). Faute de renseignements sur les types d'infractions sexuelles commises, nous n'avons pas non plus été en mesure d'examiner des sous-groupes de jeunes délinquants sexuels (par exemple, des sous-groupes distingués selon que les victimes des infractions sexuelles étaient des enfants, des membres de la famille ou des jeunes du même âge).

Il était aussi difficile de savoir si les jeunes délinquants sexuels se distinguaient des jeunes auteurs d'infractions non sexuelles avant leur incarcération. L'incarcération n'influe normalement pas sur des variables historiques (par exemple, avoir redoublé une année scolaire), mais pourrait avoir une incidence sur des variables comme le degré de dépression. Comme les autres détenus tendent à avoir une mauvaise opinion des délinquants sexuels, ces derniers ont souvent plus de difficulté à s'adapter à la vie carcérale et seraient par conséquent plus susceptibles d'être déprimés.

Cette étude contrôlée des jeunes délinquants sexuels n'est que la sixième a être publiée. L'envergure même du problème justifie de multiplier considérablement les recherches empiriques. En outre, pour utiles que soient des modèles comme celui proposé par Becker et Kaplan, il existe un réel besoin de théories de l'agression sexuelle chez les adolescents qui pourraient orienter la recherche sur ce grave problème social, ainsi que sa définition et son traitement.



(1)Veuillez adresser toute correspondance à M. Ian Shields, Service de psychologie, Centre de détention d'Ottawa-Carleton, 2244, chemin Innes, Ottawa (Ontario) K1B 4C4. Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et n'engagent pas nécessairement le ministère du Solliciteur général et des Services correctionnels de l'Ontario.
(2)BECKER, J. V., HARRIS, C. D. et SALES, B.D. «Juveniles Who Commit Sexual Offenses: A Critical Review of Research», dans HALL, G. C. N., HIRSCHMAN, R., GRAHAM, J. R. et ZARAGOZA, M.S. (dir.), Sexual Agression: Issues in Etiology, Assessment, and Treatment, Washington, Taylor and Francis, 1993.
(3)ABEL, G. G., MITTELMAN, M. M. et BECKER, J. V. «Sex Offenders: Results of Assessment and Recommendations for Treatment», dans BEN-ARON, M. H., HUCKER, S. J. et WEBSTER, C. D. (dir.), Clinical Criminology: The Assessment and Treatment of Criminal Behavior, Toronto, M & M Graphics, 1985.
(4)BARBAREE, H. E., HUDSON, S. M. et SETO, M. C. «Sexual Assault in Society: The Role of the Juvenile Offender», dans BARBAREE, H. E., MARSHALL, W. L. et HUDSON, S. M. (dir.), The Juvenile Sex Offender, New York, The Guilford Press, 1993.
(5)BARBAREE, HUDSON et SETO. «Sexual Assault in Society: The Role of the juvenile Offender».
(6)ABEL, G. G., BECKER, J. V., CUNNINGHAM-RATHNER, J., ROULEAU, J., KAPLAN, M. et REICH, J. Treatment Manual: The Treatment of Child Molesters, Tuscaloosa, Emory University Clinic, Department of Psychiatry, 1984.
(7)BECKER, J.V. et KAPLAN, M.S. «The Assessment of Adolescent Sexual Offenders», Advances in Behavioral Assessment of Children and Families, n° 4, 1988, p. 97-118.
(8)SHIELDS, I. W. «The Use of the Young Offender-Level of Service Inventory with Adolescents», The IARCA Journal on Community Corrections, n° 5, 1993, p. 10-26. Voir également SHIELDS, I. W. et SIMOURD, D. J. «Predicting Predatory Behavior in a Population of Incarcerated Young Offenders», Criminal Justice and Behavior, n° 21, 1991, p. 180-194.
(9)ANDRES, D. A. «Notes on a Battery of Paper-and-Pencil Instruments: Part I - Assessments of Attitudes and Personality in Corrections». Manuscrit inédit, Département de psychologie, Université Carleton, 1985. Voir également ANDREWS, D. A., WORMITH, J. S. et KIESSLING, J. J. «Évaluation introspective de la propension au crime et du comportement criminel». Rapport pour spécialistes de la Direction des programmes, Ottawa, Solliciteur général du Canada, 1985.
(10)SHIELDS, I. W. et WHITEHALL, G. C. «The Pride in Delinquency Scale». Exposé présenté à la Conférence annuelle d'hiver de l'American Association of Correctional Psychologists (région de l'est), Ottawa (Ontario), 1991.
(11)SHIELDS, I. W. et WHITEHALL, G. C. «Neutralization and Delinquency Among Teenagers», Criminal Justice and Behavior, n° 21, 1994, p. 223-235.
(12)RUNTZ, M. «The Trauma Symptom Checklist (TSC-33): Early Data on a New Scale», Journal of Interpersonal Violence, n° 4, 1989, p. 151-163.
(13)RYAN, G., LANE, S., DAVIS, J. et ISAAC, C. «Juvenile Sex Offenders: Development and Correction», Child Abuse and Neglect, n° 11, 1987, p. 385-395.
(14)BECKER, J. V., KAPLAN, M. S., TENKE, C. E. et TARTAGLINI, A. «The Incidence of Depressive Symptomatology in juvenile Sex Offenders with a History of Abuse», Child Abuse and Neglect, n° 15, 1991, p. 531-536.