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Les jeunes contrevenants dans la perspective de la politique correctionnelle

LaLoi sur les jeunes contrevenants est fondée sur le principe que les adolescents doivent être tenus responsables de leurs délits, mais qu'ils ont des besoins spéciaux en raison de leur degré de développement et de maturité. C'est pourquoi elle établit pour eux un système de justice distinct de celui des adultes.

Pour répondre aux critiques sévères portées récemment contre cette loi, le ministre de la Justice a lancé une stratégie en deux étapes. La première a consisté, en juin 1994, à déposer un projet de loi visant à modifier la
Loi sur les jeunes contrevenants. Durant la seconde étape, un comité parlementaire et un groupe de travail fédéral-provincial-territorial examineront l'ensemble des questions touchant la criminalité chez les adolescents.

Dans cet article, nous examinerons quelles pourraient être les incidences majeures des trois principales modifications proposées, c'est-à-dire le renvoi systématique de jeunes contrevenants devant un tribunal pour adultes, l'augmentation des peines maximales que les tribunaux pour adolescents peuvent imposer aux jeunes contrevenants déclarés coupables de meurtre et l'accès accru aux dossiers des jeunes contrevenants, dans la perspective de la politique correctionnelle.
Renvoi systématique devant un tribunal pour adultes Le renvoi d'un jeune contrevenant devant un tribunal pour adultes signifie tout simplement que l'adolescent n'est plus assujetti à la Loi sur les jeunes contrevenants et qu'il est traité comme un adulte. Cependant, le jeune reste assujetti à la Loi en ce qui concerne la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle dans le cas d'une condamnation à perpétuité pour meurtre, et le juge décide si la peine sera purgée dans un établissement pour adolescents ou dans un établissement fédéral ou provincial pour adultes.

Les modifications proposées changeraient radicalement cette partie de la Loi. On ne supposera plus que les adolescents doivent demeurer au sein du système de justice pour adolescents. On présumera plutôt que les jeunes contrevenants ayant commis une infraction comportant des sévices graves à la personne (meurtre, tentative de meurtre, homicide involontaire coupable, agression sexuelle grave et voies de fait graves) doivent être jugés par un tribunal pour adultes, sauf si le contrevenant peut faire la preuve que le système de justice pour adolescents répond à ses besoins et est à même de juger l'infraction présumée.

Cette modification pourrait avoir des effets importants sur le nombre de jeunes contrevenants qui se retrouveraient dans le système correctionnel pour adultes. Après l'entrée en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants, le nombre de jeunes de 16 et 17 ans dans les établissements correctionnels pour adultes a diminué considérablement, étant donné que ces jeunes contrevenants étaient désormais assujettis au système de justice pour adolescents (voir l'article de R. Boe dans le présent numéro). En outre, bien qu'il ne se soit pas écoulé suffisamment de temps depuis que des modifications ont été apportées à la Loi(2), en 1992, pour qu'on puisse évaluer l'incidence de l'augmentation de la durée des peines pour meurtre imposées par les tribunaux pour adolescents et du raccourcissement de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour les jeunes contrevenants condamnés par un tribunal pour adultes, on s'attendait à ce qu'un plus grand nombre de jeunes contrevenants demeurent dans le système de justice pour adolescents, puisque l'écart entre les peines infligées aux adolescents et les peines infligées aux adultes s'était rétréci.

Bien qu'il soit difficile de déterminer avec certitude quels seront les effets des renvois devant un tribunal pour adultes, il est inévitable qu'un plus grand nombre de jeunes contrevenants se retrouveront dans le système pour adultes et purgeront leur peine dans un établissement correctionnel pour adultes.

Comment s'occupera-t-on de cette population carcérale particulière?

La création d'unités ou d'établissements spéciaux pour jeunes contrevenants aurait un effet négatif sur ces derniers, puisqu'ils ne seraient pas placés nécessairement dans un établissement situé près de leur collectivité et offrant le niveau de sécurité approprié et les programmes nécessaires.

En outre, en raison du surpeuplement des établissements et des compressions budgétaires continuelles, il est peu probable que l'on puisse offrir aux jeunes contrevenants un traitement spécial au sein des établissements pour adultes. Il faudra pourtant que les instruments d'évaluation et les choix de programmes répondent aux besoins de cette nouvelle population.

La Loi pourrait aussi être appliquée différemment d'une région à l'autre, les provinces se fondant sur des normes de preuve différentes pour démontrer qu'un jeune contrevenant devrait demeurer dans le système de justice pour adolescents. Ainsi, le Québec a fait connaître publiquement son désaccord face à la politique de renvoi systématique et a déclaré que la plupart des adolescents de la province demeureraient au sein du système pour adolescents.

En revanche, d'autres provinces adopteront l'approche contraire et renverront plus de jeunes contrevenants devant les tribunaux pour adultes. Il importera particulièrement de surveiller l'application des dispositions de renvoi dans le cas des Autochtones, des contrevenants appartenant à une minorité visible et des contrevenantes. Augmentation de la durée des peines pour meurtre Augmenter la durée des peines maximales pour meurtre imposées par les tribunaux pour adolescents en la fixant à 10 ans pour les meurtres au premier degré et à sept ans pour les meurtres au second degré peut aussi entraîner certains problèmes. Ainsi, un adolescent reconnu coupable de meurtre à l'âge de 17 ans pourrait encore être considéré comme un jeune contrevenant à l'âge de 27 ans. Certes, la Loi sur les jeunes contrevenants permet de transférer un jeune contrevenant dans un établissement correctionnel provincial pour adultes lorsqu'il atteint l'âge de 18 ans, mais dans ce cas, des peines de longue durée seraient purgées dans des prisons provinciales qui reçoivent normalement des délinquants purgeant des peines de deux ans ou moins.

Cette situation pourrait par conséquent obliger le législateur à apporter d'autres modifications à la Loi afin de permettre le transfèrement de ces jeunes contrevenants dans des établissements correctionnels fédéraux. Compte tenu des initiatives prises actuellement par les provinces pour réduire leur déficit et du plafonnement des paiements de transfèrement du gouvernement fédéral aux provinces, une telle solution est susceptible d'obtenir un appui considérable. Cela aurait évidemment des répercussions sérieuses sur les ressources et la gestion des établissements correctionnels fédéraux.

Le transfèrement de contrevenants d'établissements pour adolescents à des établissements pour adultes et d'établissements provinciaux à des établissements fédéraux pourrait nuire énormément à la continuité des programmes. Il pourrait également s'avérer difficile de motiver les jeunes contrevenants à participer aux programmes. Par ailleurs, ces adolescents pourraient demander à être transférés dans des établissements pour adultes le plus tôt possible s'ils estimaient avoir ainsi un meilleur accès à certains programmes.

En outre, les peines infligées par le tribunal pour adolescents sont gérées différemment des peines infligées aux adultes. La libération conditionnelle n'existe pas dans le système de justice pour adolescents. Le tribunal pour adolescents ne fait qu'examiner régulièrement le dossier du contrevenant; si celui-ci est mis en liberté, il est placé en probation pour le reste de sa peine.

Contrairement au jeune contrevenant, le délinquant adulte est admissible à divers programmes de mise en liberté sous condition. En raison de cette disparité entre les deux systèmes, certains choisiront de passer dans le système pour adultes, le jugeant moins sévère.

Cependant, du point de vue de la politique correctionnelle, la libération conditionnelle est préférable à la probation. La surveillance des libérés conditionnels est généralement plus intense, en grande partie en raison du nombre moins élevé de cas. En outre, des interventions sont possibles si le risque que pose le délinquant s'accroît; le délinquant est toujours sous la menace d'une réincarcération. Un délinquant en probation ne peut être réincarcéré que s'il est accusé d'avoir manqué aux conditions de la probation en commettant une infraction au Code criminel, et il faut habituellement beaucoup de temps avant que ces cas ne soient entendus par les tribunaux.

De plus, les modifications proposées augmentent la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour les jeunes contrevenants qui sont condamnés à l'emprisonnement à perpétuité par un tribunal pour adultes. Cela posera un autre problème aux établissements correctionnels pour adultes, qui sont déjà surpeuplés. Le passage de périodes d'inadmissibilité à la libération conditionnelle fixées par le juge (entre cinq et 10 ans) à une période obligatoire de sept ans pour les meurtres au second degré et une période de 10 ans pour les meurtres au premier degré prolongera la durée des peines de façon générale. Accès accru aux dossiers des jeunes contrevenants Dans les modifications proposées, il est également question de prolonger la période durant laquelle les dossiers des jeunes contrevenants sont à la disposition des autorités. Si un jeune contrevenant est condamné pour une autre infraction, la période d'accès à son dossier sera prolongée. Par conséquent, son dossier sera détruit après la période fixée seulement s'il n'a pas été condamné de nouveau pour une nouvelle infraction soit en tant qu'adolescent soit en tant qu'adulte.

Il s'agit que le dossier des récidivistes les suive après l'âge de 18 ans. Le dossier des jeunes contrevenants qui ne commettent pas d'autres crimes sera détruit.

L'accès aux dossiers facilitera les enquêtes policières et permettra au personnel correctionnel de mieux comprendre le risque que présente le délinquant ainsi que ses besoins. Un accès accru aux dossiers des jeunes contrevenants permettra également de repérer les récidivistes et les délinquants violents afin qu'ils ne soient pas traités comme des délinquants primaires au sein du système de justice pour adultes, ce qui améliorera de façon importante la protection du public. Perspective d'avenir Le climat actuel est tel qu'un durcissement de la Loi sur les jeunes contrevenants est presque inévitable, étant donné que le public réclame des mesures concrètes pour faire échec au crime et à la violence dans la société. Néanmoins, il est nécessaire de trouver un équilibre entre les deux objectifs consistant à traiter un grand nombre de jeunes contrevenants comme des adultes et à trouver des solutions à la criminalité chez les jeunes dans un contexte social plus large.

Les décideurs publics doivent réfléchir sérieusement à ce qui s ensuivra si l'on rend plus floue la démarcation entre un système de justice pour adolescents capable de traiter tous les crimes commis par les adolescents et un système qui traite systématiquement certains adolescents comme des adultes.



(1)Service correctionnel du Canada, 340, avenue Laurier ouest, pièce 4E, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.
(2)Avant les modifications apportées à la Loi en 1992, la peine maximale imposée par un tribunal pour adolescents pour un meurtre au premier degré était de trois ans, tandis que pour la même infraction, les adultes étaient condamnés à l'emprisonnement à perpétuité (sans être admissibles à la libération conditionnelle avant 25 ans).