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La violence familiale dans la vie des détenus autochtones et non autochtones

En 1992, le Service correctionnel du Canada a entrepris une étude, fondée sur des entrevues, dans le but d'en apprendre davantage sur la vie familiale des détenus. On a mené l'étude séparément auprès des détenus autochtones et des détenus non autochtones afin de tenir compte des différences culturelles entre les deux groupes.

L'article qui suit est une analyse de certains des résultats obtenus. Nous nous intéressons surtout aux expériences vécues par les détenus dans leur famille pendant l'enfance, puis à l'âge adulte, et aux relations entre divers aspects de ces deux sortes d'expériences. Méthodologie Des intervieweurs autochtones ont rencontré 31 détenus autochtones qui avaient été choisis au hasard dans les établissements pénitentiaires de la région des Prairies. Ces intervieweurs se sont servis d'un guide d'entrevue conçu en collaboration avec des experts-conseils autochtones.

Des intervieweurs non autochtones ont utilisé un guide d'entrevue semblable pour interviewer 150 détenus non autochtones. Ces détenus avaient été choisis au hasard, mais toutes les régions du pays étaient représentées à peu près dans les mêmes proportions dans l'échantillon.

Nous avons divisé cet échantillon de détenus non autochtones en trois groupes:
  • le «groupe des participants», composé de 25 détenus qui avaient participé au programme d'acquisition de compétences parentales ou au programme «Vivre sans violence» du Service correctionnel du Canada(2);
  • le «groupe jumelé», composé de 18 détenus n'ayant participé à aucun programme lié à la famille. Ceux-ci ont été jumelés à des détenus du groupe des participants en fonction de variables comme l'âge et la peine globale;
  • le «groupe aléatoire», composé des 107 autres détenus. Ceux-ci, comme les détenus du groupe jumelé, n'avaient jamais participé à un programme lié à la famille.
Expériences vécues durant l'enfance Lorsque nous leur avons demandé de décrire leur famille d'origine, bon nombre des détenus autochtones et non autochtones nous ont parlé des expériences difficiles et douloureuses vécues durant leur enfance, nous décrivant en détail les mauvais traitements et la négligence dont ils avaient été témoins ou victimes.

Plus précisément, 79 %(3) des détenus autochtones ont déclaré avoir été frappés par leurs parents ou par les personnes qui s'occupaient d'eux (41 % d'entre eux ont dit avoir eu des ecchymoses), 58 %, avoir été négligés et 27 %, avoir été victimes d'exploitation sexuelle. En outre, 57 % des détenus autochtones ont mentionné avoir vu leur père frapper leur mère (72 % d'entre eux ont dit que leur mère avait eu des ecchymoses).

Un grand nombre des détenus non autochtones avaient aussi été témoins ou victimes de mauvais traitements ou de négligence pendant leur enfance. Environ 85 % de ces détenus avaient été frappés par leurs parents ou les personnes qui s'occupaient d'eux (56 % d'entre eux avaient eu des ecchymoses), 38 % avaient été négligés et 24 % avaient été victimes d'exploitation sexuelle. D'autres détenus avaient été témoins de violence : 44 % des détenus non autochtones ont dit avoir vu leur père se montrer «réellement méchant ou cruel» envers leur mère (nous nous sommes servis de ces termes pour définir la violence psychologique) et 38 % ont déclaré avoir vu leur père frapper leur mère (75 % d'entre eux ont dit que l'agression avait causé des ecchymoses).

Il y avait cependant plusieurs différences entre les trois groupes de détenus non autochtones. Les détenus qui avaient participé à un programme (38 %) ont plus souvent répondu avoir été victimes d'exploitation sexuelle durant l'enfance que les détenus du groupe jumelé (22 %) et ceux du groupe aléatoire (21 %).

Les détenus qui avaient participé à un programme ont aussi déclaré plus souvent (96 %) que les détenus du groupe jumelé (83 %) et ceux du groupe aléatoire (83 %) qu'ils avaient été frappés par leurs parents, et beaucoup plus souvent (83 % de ceux qui ont mentionné une agression) que l'agression avait causé des ecchymoses (les chiffres correspondants étant de 47 % et 52 % pour les deux autres groupes, p < 0,05). De même, les détenus du groupe des participants ont déclaré beaucoup plus souvent (67 %) que les détenus du groupe jumelé (27 %) et ceux du groupe aléatoire (34 %) qu'ils avaient été négligés par leurs parents (p < 0,01).

Les détenus qui avaient participé à un programme étaient également plus susceptibles d'avoir été témoins de violence pendant leur enfance : 63 % de ces détenus avaient vu leur père frapper leur mère, comparativement à 27 % des détenus du groupe jumelé et à 39 % des détenus du groupe aléatoire. Ces différences sont statistiquement significatives (p < 0,05). De même, les détenus du groupe des participants ont déclaré plus souvent (72 %) que les détenus du groupe jumelé (40 %) et ceux du groupe aléatoire (40 %) qu'ils avaient vu leur père faire montre de cruauté à l'endroit de leur mère (p < 0,01).

Ces différences entre les trois groupes pourraient être dues à la participation de certains détenus aux programmes de lutte contre la violence familiale. Ces détenus ont en effet reçu de l'information sur la dynamique de la violence et ils sont peut-être davantage en mesure de déceler la violence dans leur propre famille. De plus, il est possible que, grâce à la participation au programme, ils aient été plus à l'aise pour parler de ces questions délicates avec un intervieweur.

Il est possible par ailleurs que les écarts entre les groupes correspondent à des différences réelles entre les expériences vécues pendant l'enfance par les détenus qui ont participé à un programme et par les autres détenus. Les premiers ont peut-être été choisis pour participer à un programme de lutte contre la violence familiale parce qu'ils avaient été témoins ou victimes de mauvais traitements pendant leur enfance. La présence de ce genre d'antécédents constitue un indicateur du risque(4) de violence familiale à l'âge adulte. Le personnel du Service correctionnel est donc plus susceptible d'encourager les détenus qui ont ce type d'antécédents à participer à un programme de lutte contre la violence familiale. Vie familiale à l'âge adulte La vie familiale des détenus, à l'âge adulte, était aussi caractérisée par la violence. Environ 55 % des détenus autochtones étaient mariés ou avaient une partenaire (voir le tableau 1). De ces détenus, 90 % ont dit s'entendre bien avec leur partenaire. Malgré cette affirmation, 42 % avaient déjà frappé leur partenaire (56 % d'entre eux lui causant des ecchymoses). Par ailleurs, 52 % ont déclaré avoir été frappés par leur partenaire (20 % d'entre eux avaient eu des ecchymoses).

Tableau 1
Caractéristiques démographiques des détenus
autochtones et non autochtones
 
Détenus
autochtones (31)
Détenus
non autochtones (150)
Âge
24 ans ou moins
de 25 à 34 ans
de 35à 44 ans
de 45 à 54 ans
de 55 à 64 ans
plus de 64 ans

20,0%
50,0%
23,3%
6,7%
0
0

11,5%
43,9%
28,4%
10,8%
4,1%
1,4%
Langue parlée
Cri
Ojibway
Anglais
Francçais

48,4%
16,1%
35,5%
0

0
0
64,6%
25,1%
Situation de famille
A une conjointe ou
une partenaire
A des enfants ou
des beaux-enfants

54,8%
67,7%

41,2%
50,8%
Les pourcentages sont calculés en fonction du nombre de réponses reçues

Quant aux détenus non autochtones, 41 % avaient une conjointe ou une partenaire et 87 % d'entre eux s'entendaient bien avec elle. Cependant, 30 % des détenus du groupe jumelé avaient déjà frappé leur partenaire (56 % d'entre eux lui avaient fait des ecchymoses), tandis que 50 % avaient été frappés par leur partenaire (36 % d'entre eux avaient eu des ecchymoses). De plus, 45 % des détenus non autochtones avaient fait montre de cruauté à l'endroit de leur partenaire, tandis que 20 % ont dit que leur partenaire avait fait montre de cruauté à leur endroit.

Le fait que les détenus autochtones aussi bien que les détenus non autochtones ont déclaré avoir été frappés par leur partenaire plus souvent qu'ils n'admettaient avoir été violents envers elle soulève certaines interrogations. La dynamique de la violence familiale suit en effet un modèle précis les femmes sont beaucoup plus souvent victimes de violence, et les hommes, beaucoup plus souvent des agresseurs. En outre, lorsque les femmes frappent leur partenaire, elles sont souvent en état de légitime défense(5).

Par conséquent, nous devons interpréter ces résultats avec prudence en nous rappelant que les femmes n'ont pas été interviewées au cours de l'étude et qu'elles n'ont donc pu replacer dans leur contexte les déclarations de leur partenaire.

Environ 68 % des détenus autochtones ont répondu qu'ils avaient des enfants ou des beaux-enfants et 76 % d'entre eux ont dit avoir des contacts avec ces enfants. Cependant, 41 % des détenus autochtones ayant des enfants ont déclaré qu'ils les avaient déjà frappés ou que leur partenaire l'avait fait.

Par comparaison, 61 % des détenus non autochtones ont répondu qu'ils avaient des enfants ou des beaux-enfants et 62 % d'entre eux ont dit avoir des contacts avec ces enfants. Environ 40 % des détenus non autochtones ayant des enfants ont déclaré qu'ils les avaient déjà frappés ou que leur partenaire l'avait fait.

Les détenus non autochtones de certaines régions ont déclaré dans une plus grande proportion avoir déjà frappé leurs enfants.

Ainsi, 67 % des détenus non autochtones de la région des Prairies qui avaient des enfants ont déclaré qu'ils les avaient déjà frappés ou que leur partenaire l'avait fait, compara-tivement à 50 % dans la région de l'Atlantique, 36 % dans la région du Pacifique, 25 % dans la région du Québec et 13 % dans la région de l'Ontario. Les écarts entre les régions sont statistiquement significatifs (p < 0,05).

Cette répartition correspond à celle qui a été établie dans l'étude sur la violence familiale du Service correctionnel (voir l'article de D. Robinson dans le présent numéro). Les auteurs de cette étude ont constaté que c'est dans la région des Prairies qu'on trouvait la plus grande proportion de dossiers mentionnant des actes de violence envers les enfants. Venaient ensuite, par ordre décroissant, les régions de l'Atlantique, du Pacifique, du Québec et de l'Ontario(6). Que signifient ces résultats? Il n'y a pas de données nationales sur la violence faite aux enfants au Canada; nous ne pouvons donc pas établir de comparaison avec les données de notre étude. Il existe toutefois des données sur la fréquence de la violence conjugale au Canada. En effet, une enquête sur la violence envers les femmes a été menée dernièrement; elle portait sur un échantillon de plus de 12000 femmes choisies au hasard(7).

Cette enquête a révélé que 29 % des femmes qui ont déjà été mariées (à un moment quelconque de leur vie) ont été victimes de violence de la part d'un partenaire. Par conséquent, nos résultats relatifs aux détenus non autochtones correspondent aux données canadiennes. Cependant, selon l'étude sur la violence familiale chez les détenus, 30 % des dossiers de détenus contenaient une mention de violence à l'égard d'une partenaire, et la plupart des agressions avaient entraîné une condamnation au criminel. Normalement, la fréquence de la violence familiale est de loin supérieure à celle des condamnations au criminel. Il est donc peut-être plus réaliste de situer à plus de 30 % la proportion de détenus non autochtones qui ont déjà été violents envers leur partenaire.

Par ailleurs, lorsque nous comparons nos données sur les détenus autochtones et non autochtones aux données canadiennes, il nous faut reconnaître que la vie des détenus sous responsabilité fédérale est souvent caractérisée par la violence(8). Ces hommes sont donc probablement plus susceptibles d'être violents envers leur partenaire que les hommes canadiens en général.

Un dernier ensemble de résultats mérite d'être examiné. On a accordé beaucoup d'attention dernièrement aux conséquences à long terme que pourrait entraîner le fait d'avoir été témoin ou victime de violence pendant l'enfance. Certaines recherches laissent penser que les enfants qui ont été témoins ou victimes de violence risquent davantage de devenir eux-mêmes des agresseurs(9). En fait, on a constaté au sein de la population carcérale du Canada que la violence se transmet d'une génération à l'autre(10).

Nous avons examiné la relation entre plusieurs données pour déterminer s'il y avait un lien entre le fait d'avoir été témoin ou victime de violence et la perpétration ultérieure d'actes de violence. Ainsi, chez les détenus de l'étude, la relation entre le fait d'avoir été frappé pendant l'enfance et le fait de frapper ses propres enfants ne s'est pas avérée statistiquement significative.

Cependant, nous avons trouvé une relation en ce qui concerne deux autres aspects. Les détenus dont le père avait usé de violence psychologique à l'endroit de leur mère avaient plus souvent exercé de la violence psychologique à l'égard de leur partenaire (65 %) que ceux dont le père n'avait pas utilisé cette forme de violence (26 %, p < 0,001). De même, les détenus dont le père avait usé de violence physique à l'endroit de leur mère avaient beaucoup plus souvent exercé de la violence physique à l'égard de leur propre partenaire (44 %) que ceux dont le père n'avait pas utilisé cette forme de violence (15 %, p < 0,01).

Ces résultats témoignent de la nature cyclique des mauvais traitements et de la violence dans la famille. Cette conclusion ainsi que l'ensemble des résultats décrits dans cet article devraient nous sensibiliser à la nécessité d'intervenir auprès des détenus (par des programmes de lutte contre la violence familiale) pour rompre le cycle de la violence familiale.



(1)Cet article a été tiré de TAYLOR, J. et ALKSNIS, C., Models of Family Among Aboriginal and Non-Aboriginal Offenders, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1995. Pour de plus amples renseignements, écrire à l'adresse suivante : Recherche et développement correctionnels, Service correctionnel du Canada, 340, av. Laurier ouest, 2e étage, Ottawa (Ontario) K1A 0P9. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et elles n'engagent pas nécessairement le ministère de la Justice du Canada.
(2)Ces programmes d'acquisition de compétences psychosociales ont pour objet de sensibiliser les détenus au problème de la violence familiale et de leur permettre d'acquérir des compétences parentales.
(3)Veuillez noter que tous les pourcentages sont basés sur le nombre de réponses reçues.
(4)DUTTON, D.G. et HART, S.D., «Risk Markers for Family violence in a Federally Incarcerated Population», International Journal of Law and Psychiatry, n° 15, 1992, p. 101-112.
(5)DOBASH, R.P., DOBASH, R.F., WILSON, M. et DALY, M., «The Myth of Sexual Symmetry in Marital violence», Social Problems, n° 39, 1992, p. 71-91.
(6)ROBINSON, D. et TAYLOR, J., La violence familiale chez les détenus sous responsabilité fédérale : étude fondée sur l'examen de dossiers, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1994.
(7)«L'enquête sur la violence envers les femmes», Le Quotidien, Ottawa, Statistique Canada, 18 novembre 1993, n° de catalogue 11-001F.
(8)DUTTON et HART, «Risk Markers for Family Violence in a Federally Incarcerated Population».
(9)WIDOM, C.S., «Does Violence Beget Violence? A Critical Examination of the Literature», Psychological Bulletin, n° 106, 1989, p. 3-28.
(10)DUTTON et HART, «Risk Markers for Family Violence in a Federally Incarcerated Population». Voir aussi ROBINSON et TAYLOR, La violence familiale chez les détenus sous responsabilité fédérale : étude fondée sur l'examen des dossiers.