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La violence familiale dans la vie des détenus autochtones et non autochtones
En 1992, le Service correctionnel du Canada a entrepris une étude, fondée sur des entrevues, dans le but d'en apprendre davantage sur la vie familiale des détenus. On a mené l'étude séparément auprès des détenus autochtones et des détenus non autochtones afin de tenir compte des différences culturelles entre les deux groupes.Caractéristiques démographiques
des détenus autochtones et non autochtones |
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Détenus autochtones (31) |
Détenus non autochtones (150) |
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Âge 24 ans ou moins de 25 à 34 ans de 35à 44 ans de 45 à 54 ans de 55 à 64 ans plus de 64 ans |
20,0% 50,0% 23,3% 6,7% 0 0 |
11,5% 43,9% 28,4% 10,8% 4,1% 1,4% |
Langue parlée Cri Ojibway Anglais Francçais |
48,4% 16,1% 35,5% 0 |
0 0 64,6% 25,1% |
Situation de famille A une conjointe ou une partenaire A des enfants ou des beaux-enfants |
54,8% 67,7% |
41,2% 50,8% |
Les pourcentages sont calculés
en fonction du nombre de réponses reçues |
Quant aux détenus non autochtones, 41 % avaient une conjointe ou une partenaire et 87 % d'entre
eux s'entendaient bien avec elle. Cependant, 30 % des détenus du groupe jumelé avaient
déjà frappé leur partenaire (56 % d'entre eux lui avaient fait des ecchymoses),
tandis que 50 % avaient été frappés par leur partenaire (36 % d'entre eux avaient
eu des ecchymoses). De plus, 45 % des détenus non autochtones avaient fait montre de
cruauté à l'endroit de leur partenaire, tandis que 20 % ont dit que leur partenaire avait
fait montre de cruauté à leur endroit.
Le fait que les détenus autochtones aussi bien que les détenus non autochtones ont
déclaré avoir été frappés par leur partenaire plus souvent qu'ils
n'admettaient avoir été violents envers elle soulève certaines interrogations. La
dynamique de la violence familiale suit en effet un modèle précis les femmes sont beaucoup
plus souvent victimes de violence, et les hommes, beaucoup plus souvent des agresseurs. En outre,
lorsque les femmes frappent leur partenaire, elles sont souvent en état de légitime
défense(5).
Par conséquent, nous devons interpréter ces résultats avec prudence en nous
rappelant que les femmes n'ont pas été interviewées au cours de l'étude et
qu'elles n'ont donc pu replacer dans leur contexte les déclarations de leur partenaire.
Environ 68 % des détenus autochtones ont répondu qu'ils avaient des enfants ou des
beaux-enfants et 76 % d'entre eux ont dit avoir des contacts avec ces enfants. Cependant, 41 % des
détenus autochtones ayant des enfants ont déclaré qu'ils les avaient
déjà frappés ou que leur partenaire l'avait fait.
Par comparaison, 61 % des détenus non autochtones ont répondu qu'ils avaient des enfants
ou des beaux-enfants et 62 % d'entre eux ont dit avoir des contacts avec ces enfants. Environ 40 % des
détenus non autochtones ayant des enfants ont déclaré qu'ils les avaient
déjà frappés ou que leur partenaire l'avait fait.
Les détenus non autochtones de certaines régions ont déclaré dans une plus
grande proportion avoir déjà frappé leurs enfants.
Ainsi, 67 % des détenus non autochtones de la région des Prairies qui avaient des enfants
ont déclaré qu'ils les avaient déjà frappés ou que leur partenaire
l'avait fait, compara-tivement à 50 % dans la région de l'Atlantique, 36 % dans la
région du Pacifique, 25 % dans la région du Québec et 13 % dans la région de
l'Ontario. Les écarts entre les régions sont statistiquement significatifs (p <
0,05).
Cette répartition correspond à celle qui a été établie dans
l'étude sur la violence familiale du Service correctionnel (voir l'article de D. Robinson dans le
présent numéro). Les auteurs de cette étude ont constaté que c'est dans la
région des Prairies qu'on trouvait la plus grande proportion de dossiers mentionnant des actes de
violence envers les enfants. Venaient ensuite, par ordre décroissant, les régions de
l'Atlantique, du Pacifique, du Québec et de l'Ontario(6). Que signifient ces
résultats? Il n'y a pas de données nationales sur la violence faite aux enfants au Canada;
nous ne pouvons donc pas établir de comparaison avec les données de notre étude. Il
existe toutefois des données sur la fréquence de la violence conjugale au Canada. En
effet, une enquête sur la violence envers les femmes a été menée
dernièrement; elle portait sur un échantillon de plus de 12000 femmes choisies au
hasard(7).
Cette enquête a révélé que 29 % des femmes qui ont déjà
été mariées (à un moment quelconque de leur vie) ont été
victimes de violence de la part d'un partenaire. Par conséquent, nos résultats relatifs
aux détenus non autochtones correspondent aux données canadiennes. Cependant, selon
l'étude sur la violence familiale chez les détenus, 30 % des dossiers de
détenus contenaient une mention de violence à l'égard d'une partenaire, et la
plupart des agressions avaient entraîné une condamnation au criminel. Normalement, la
fréquence de la violence familiale est de loin supérieure à celle des condamnations
au criminel. Il est donc peut-être plus réaliste de situer à plus de 30 % la
proportion de détenus non autochtones qui ont déjà été violents
envers leur partenaire.
Par ailleurs, lorsque nous comparons nos données sur les détenus autochtones et non
autochtones aux données canadiennes, il nous faut reconnaître que la vie des détenus
sous responsabilité fédérale est souvent caractérisée par la
violence(8). Ces hommes sont donc probablement plus susceptibles d'être violents envers
leur partenaire que les hommes canadiens en général.
Un dernier ensemble de résultats mérite d'être examiné. On a accordé
beaucoup d'attention dernièrement aux conséquences à long terme que pourrait
entraîner le fait d'avoir été témoin ou victime de violence pendant
l'enfance. Certaines recherches laissent penser que les enfants qui ont été témoins
ou victimes de violence risquent davantage de devenir eux-mêmes des agresseurs(9). En
fait, on a constaté au sein de la population carcérale du Canada que la violence se
transmet d'une génération à l'autre(10).
Nous avons examiné la relation entre plusieurs données pour déterminer s'il y
avait un lien entre le fait d'avoir été témoin ou victime de violence et la
perpétration ultérieure d'actes de violence. Ainsi, chez les détenus de
l'étude, la relation entre le fait d'avoir été frappé pendant l'enfance et
le fait de frapper ses propres enfants ne s'est pas avérée statistiquement
significative.
Cependant, nous avons trouvé une relation en ce qui concerne deux autres aspects. Les
détenus dont le père avait usé de violence psychologique à l'endroit de leur
mère avaient plus souvent exercé de la violence psychologique à l'égard de
leur partenaire (65 %) que ceux dont le père n'avait pas utilisé cette forme de violence
(26 %, p < 0,001). De même, les détenus dont le père avait usé de
violence physique à l'endroit de leur mère avaient beaucoup plus souvent exercé de
la violence physique à l'égard de leur propre partenaire (44 %) que ceux dont le
père n'avait pas utilisé cette forme de violence (15 %, p < 0,01).
Ces résultats témoignent de la nature cyclique des mauvais traitements et de la violence
dans la famille. Cette conclusion ainsi que l'ensemble des résultats décrits dans cet
article devraient nous sensibiliser à la nécessité d'intervenir auprès des
détenus (par des programmes de lutte contre la violence familiale) pour rompre le cycle de la
violence familiale.
(1)Cet article a été tiré de TAYLOR, J. et ALKSNIS, C.,
Models of Family Among Aboriginal and Non-Aboriginal Offenders, Ottawa, Service correctionnel du
Canada, 1995. Pour de plus amples renseignements, écrire à l'adresse suivante : Recherche
et développement correctionnels, Service correctionnel du Canada, 340, av. Laurier ouest, 2e
étage, Ottawa (Ontario) K1A 0P9. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de
l'auteur et elles n'engagent pas nécessairement le ministère de la Justice du Canada.
(2)Ces programmes d'acquisition de compétences psychosociales ont pour objet de
sensibiliser les détenus au problème de la violence familiale et de leur permettre
d'acquérir des compétences parentales.
(3)Veuillez noter que tous les pourcentages sont basés sur le nombre de
réponses reçues.
(4)DUTTON, D.G. et HART, S.D., «Risk Markers for Family violence in a Federally
Incarcerated Population», International Journal of Law and Psychiatry, n° 15, 1992, p.
101-112.
(5)DOBASH, R.P., DOBASH, R.F., WILSON, M. et DALY, M., «The Myth of Sexual Symmetry in
Marital violence», Social Problems, n° 39, 1992, p. 71-91.
(6)ROBINSON, D. et TAYLOR, J., La violence familiale chez les détenus sous
responsabilité fédérale : étude fondée sur l'examen de dossiers,
Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1994.
(7)«L'enquête sur la violence envers les femmes», Le Quotidien,
Ottawa, Statistique Canada, 18 novembre 1993, n° de catalogue 11-001F.
(8)DUTTON et HART, «Risk Markers for Family Violence in a Federally Incarcerated
Population».
(9)WIDOM, C.S., «Does Violence Beget Violence? A Critical Examination of the
Literature», Psychological Bulletin, n° 106, 1989, p. 3-28.
(10)DUTTON et HART, «Risk Markers for Family Violence in a Federally Incarcerated
Population». Voir aussi ROBINSON et TAYLOR, La violence familiale chez les détenus sous
responsabilité fédérale : étude fondée sur l'examen des
dossiers.