Les délinquants apprennent à être de meilleurs parents
Depuis 1988, le Service correctionnel du Canada s'emploie à mettre en oeuvre, dans les
pénitenciers et les établissements communautaires, une série de programmes de
développement personnel basés sur une approche cognitive. Le Programme des
compétences familiales et parentales vise à aider les participants à faire face aux
tensions dont l'incarcération est source quant aux relations familiales.
Le programme de 16 séances (32 heures) est destiné aux délinquants masculins
qui veulent apprendre à traiter plus efficacement avec les membres de leur famille en
général et leurs enfants en particulier. Il a pour but d'aider les délinquants
à acquérir et à améliorer les compétences nécessaires pour
entretenir des relations positives avec les membres de leur famille. Basé sur un modèle
cognitif de développement, il vise à améliorer le fonctionnement cognitif des
délinquants tout en leur faisant acquérir des compétences parentales.
Cet article décrit brièvement les buts, l'orientation et les composantes du programme, et
donne une idée des résultats obtenus jusqu'ici. Il importe toutefois de signaler
d'emblée que le programme n'est pas basé sur la famille traditionnelle. Il englobe une
vaste gamme de structures familiales, comme les familles monoparentales et les familles
reconstituées. Étant donné l'évolution de la famille, dont témoigne
la situation de beaucoup de délinquants, il ne peut en être autrement. Démarche
Le Programme des compétences familiales et parentales a été mis en place en 1991,
dans le cadre de l'initiative fédérale de lutte contre la violence familiale. Il s'inscrit
dans une série de six programmes d'acquisition de compétences psychosociales. Jusqu'ici,
60 agents de toutes les régions ont reçu la formation nécessaire à son
exécution.
Le programme gravite autour des huit problèmes cognitifs que connaissent couramment les
délinquants
(2) et qui nuisent à leur capacité d'entretenir des relations
saines avec leur famille:
-
l'impulsivité;
-
la tendance à rejeter la responsabilité de leurs actions sur d'autres personnes et
à croire qu'ils n'exercent aucun contrôle sur leur vie;
-
la rigidité et l'intolérance;
-
l'incapacité de régler des problèmes interpersonnels;
-
l'égocentrisme;
-
un système de valeurs mal développé;
-
la difficulté à porter des jugements critiques.
Ces lacunes suscitent l'apparition d'un certain nombre de problèmes dans l'exercice des
responsabilités parentales: difficulté à communiquer; manque d'uniformité,
de pertinence ou d'efficacité de la discipline imposée aux enfants; incapacité
d'appliquer des techniques de résolution de problèmes dans le contexte des relations
familiales ou de transmettre ces techniques aux enfants, etc.
Ces lacunes peuvent aussi empêcher le parent de reconnaître et de montrer que tout acte a
des conséquences et de donner l'exemple d'un comportement approprié et de valeurs
prosociales.
Ce programme vise à aider les participants à régler ces problèmes tant
directement qu'en «recyclant» des notions utiles pendant toute la durée du cours, au
moyen d'exemples et de travaux pratiques.
En général, le programme gravite autour de trois grands thèmes : comprendre la
tâche du parent dans la famille, être conscient des responsabilités qu'entraîne
le fait d'être parent et des conséquences de l'action ou de l'inaction d'un parent. Groupe
cible Le Programme des compétences familiales et parentales est destiné aux
délinquants de sexe masculin qui ont des problèmes familiaux en raison d'un manque de
compétences parentales. Ces problèmes vont d'une ignorance du développement de
l'enfant à l'incapacité de communiquer efficacement avec les enfants en passant par le
recours à des méthodes de discipline inappropriées.
Les délinquants qui connaissent mal le dévelop-pement de l'enfant ou dont les
compétences parentales laissent à désirer (et qui sont ou seront appelés
à assumer des responsabilités comme parents ou tuteurs) peuvent mettre en danger les
enfants dont ils ont la charge.
Ils risquent, par exemple, d'utiliser des méthodes sévères ou peu indiquées
qui les amènent à négliger les besoins fondamentaux de l'enfant ou à faire
subir à celui-ci une violence psychologique ou physique. Le programme vise à combattre ces
comportements en faisant acquérir aux délinquants les connaissances et les
compétences de base que doit posséder tout parent.
Il ne s'agit pas d'un programme de psychothérapie conçu pour s'attaquer directement aux
problèmes émotifs des délinquants. Il n'est destiné ni aux
délinquants reconnus coupables de violence à l'égard des enfants ou d'inceste
(à moins qu'ils aient déjà participé à des séances intensives
de counseling et de thérapie), ni aux délinquants dont les relations familiales sont
très instables, ni aux délinquantes
(3).
Signalons enfin qu'il ne s'agit pas d'un programme de traitement à l'intention des
délinquants qui ont des problèmes de violence familiale. Structure Le programme comporte
quatre volets principaux
(4): la famille, les relations interpersonnelles, comment prendre
soin de sa famille et le développement de ses habiletés. Chaque thème est
exploré au cours de quatre séances de deux heures où les participants
acquièrent les connaissances et les compétences de base qui leur permettront de faire face
aux problèmes liés au thème à l'étude.
Ainsi, au cours des séances sur la famille, les animateurs présentent aux participants
des renseignements de base sur les besoins de l'enfant en matière d'alimentation, de logement et
de sécurité, ils examinent le développement émotif, physique et cognitif de
l'enfant et ils explorent la place de l'empathie, de la rigidité et des soins dans le contexte
familial.
Diverses techniques sont utilisées : activités de groupe, jeux de rôles,
improvisation, jeux de réflexion, «résolution» de problèmes et de
dilemmes moraux et études de cas. Toutes ces activités portent sur l'art d'être
parent, mais l'objectif est de stimuler la créativité des délinquants et
d'accroître leur capacité d'empathie, qui est généralement faible. Le
programme est-il efficace? Le Programme des compétences familiales et parentales comprend une
composante de recherche qui permet d'évaluer les changements survenus, sur les plans des
connaissances et des attitudes, chez les délinquants qui ont achevé le
programme
(5). Une batterie de tests est employée pour mesurer les changements survenus
sur des plans bien précis. Bien que les simples changements survenus au cours du programme ne
constituent pas des mesures directes de l'amélioration des compétences parentales, ils
donnent une idée des résultats du programme. Ils peuvent aussi traduire
l'efficacité avec laquelle celui-ci permet de remédier aux lacunes que présentent
les délinquants dans leurs rôles et leurs comportements comme parents.
Les résultats de la dernière analyse du programme sont généralement
encourageants
(6). Il faudra attendre encore un certain temps avant d'en voir les effets
ultimes, mais les résultats préliminaires (basés sur un échantillon de 68
délinquants) indiquent que les participants en ont retiré quelque chose et qu'ils sont
maintenant plus conscients des questions relatives à la famille et au soin des enfants. Bref, les
délinquants qui ont participé au programme auraient acquis des connaissances nouvelles au
sujet des responsabilités parentales et auraient modifié leur attitude face à
celles-ci. Cela devrait avoir une incidence positive sur leur exercice des responsabilités
parentales et leurs relations avec leurs enfants.
Ce programme, espérons-nous, contribuera à briser le cycle de la criminalité,
c'est-à-dire la transmission de celle-ci des parents à l'enfant.
(1)Recherche et développement correctionnels, Service correctionnel du
Canada, 340, avenue Laurier ouest, 2e étage, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.
(2)ROSS, R. R. et FABIANO, E. Time To Think: A Cognitive Model of Delinquency Prevention
and Offender Rehabilitation, Johnson City, Tennessee, Institute of Social Sciences and Arts Inc.,
1985.
(3)Le Service correctionnel du Canada élabore actuellement des lignes directrices
pour les programmes de compétences parentales qui seront mis en oeuvre dans les nouveaux
établissements fédéraux pour femmes.
(4)Manuel du Programme des compétences familiales et parentales, Ottawa, Service
correctionnel du Canada, 1990.
(5) et (6) WEEKES, J. R., MILLSON, W. A. et GEE, T. The Parenting Skills Program:
Evaluation of Intermediate Program Measures, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1994.