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L'emploi de la thérapie «du récit» auprès des adolescents incarcérés et de leur famille

La thérapie du récit est une des dernières innovations en matière de counseling, une solution de rechange «de la troisième vague» aux thérapies plus traditionnelles axées sur les problèmes et la résolution de ceux-ci. Elle est issue largement des travaux de deux spécialistes de la thérapie familiale particulièrement talentueux et créateurs : Michael White en Australie et David Epston en Nouvelle-Zélande. Elle vise à refaçonner la perception de soi d'une personne, ses relations et sa vie(2).

La thérapie du récit a été appliquée à une foule de problèmes comme l'agression sexuelle(3), les troubles de l'alimentation(4) et la schizophrénie(5). Elle a également été employée auprès de clients très divers, comme les enfants(6), les adolescents toxicomanes(7) et les hommes agresseurs(8).

Cet article présente les composantes de base de la thérapie du récit et examine son utilité comme moyen d'intervenir auprès d'une famille pour traiter un de ses membres, notamment un membre (dans ce cas un jeune contrevenant) ayant des démêlés avec le système judiciaire. Le récit Dans sa tentative de trouver un sens à son existence quotidienne, l'être humain organise sa vie suivant un récit. Il regroupe ses expériences selon des tendances et des séquences qui donnent un sens à sa vie.

Lorsque nous composons ce récit, nous éliminons les expériences qui ne concordent pas avec le récit principal. Elles deviennent des aspects que nous oublions ou dont nous ne tenons pas compte. Cela veut dire que nous laissons de côté une bonne part de nos expériences, qui ne peuvent donc pas façonner notre vie. Elles sont considérées simplement comme des «incidents exceptionnels»(9).

Ainsi, la personne qui se voit, dans son récit, comme un toxicomane écartera toute période où elle a réussi à triompher de sa toxicomanie en la considérant comme un simple accident qu'il faut oublier parce qu'elle n'est pas en accord avec la façon dont elle se voit.

Non seulement le récit constitue-t-il un cadre qui aide la personne à comprendre ses expériences, il sert aussi à l'aiguiller vers certaines expériences futures ou à l'en détourner. Le récit n'est donc pas simplement l'histoire d'une vie, il façonne et contribue au vécu même de la personne. Le jeune contrevenant et son récit Le récit que composent de leur vie les adolescents logés à l'Unité pour jeunes contrevenants du Centre de détention d'Ottawa-Carleton tend à être caractérisé par l'inadaptation et dominé par des actes ou des croyances antisociales. Les conduites prosociales sont par conséquent considérées comme étant de simples accidents, des conduites exceptionnelles qui n'ont pas d'incidence réelle sur leur vie. La tâche du spécialiste de la thérapie du récit consiste donc à aider ces adolescents à récrire leur vie en fonction de conduites et de croyances prosociales.

De plus, l'identité d'une personne en tant que «jeune contrevenant» ou qu'«alcoolique» n'est pas «dans» la personne, mais c'est quelque chose qui est élaboré et négocié en fonction du «milieu significatif» de la personne. Pour les adolescents, ce milieu tend à inclure la famille, les amis, des individus et des autorités qui jouent un rôle dans leur vie (comme les agents de probation, les policiers ou les enseignants).

C'est pourquoi, dans la thérapie du récit, on encourage les adolescents à inviter toutes les personnes qui jouent un rôle important dans leur vie à assister au début de la thérapie. Ces personnes assisteront ensuite à l'apparition de nouveaux comportements prosociaux ou pourront même y participer. Il est difficile pour un être humain de modifier son récit sans l'aide de ceux et celles qui participent à la formation de celui-ci, ce qui inclut ordinairement les membres de la famille. La démarche - extériorisation du problème On encourage tout d'abord le jeune contrevenant à énumérer le ou les problèmes qui le préoccupent (comme l'alcool, la colère ou la criminalité). L'adolescent (avec sa famille ou ses amis) cerne ensuite l'influence que ce problème exerce sur sa vie(10). Comme dans un roman, cette «description de l'action» englobe divers événements reliés par une intrigue centrale. À cette étape initiale, le récit des adolescents est souvent dominé par le problème. Fréquemment, le problème est si intériorisé qu'il est considéré comme une caractéristique personnelle ou un élément intrinsèque des relations familiales. Le thérapeute encourage les contrevenants à extérioriser le problème ou même à le personnifier, c'est-à-dire à le situer à l'extérieur d'eux-mêmes ou de leur famille.

Voilà une des clés de la thérapie du récit. Ce n'est pas la personne ou la famille qui constitue le problème, mais bien le problème comme tel. Pour répondre à des questions qui l'incitent à extérioriser le problème, par exemple «qu'est-ce que l'alcool vous a amené à faire à l'encontre du simple bon sens?», la personne doit se séparer du problème. C'est alors que commence le processus de la déconstruction du récit axé sur le problème qui a défini sa vie.

Les adolescents et leur famille sont également encouragés à cerner l'influence que le problème a exercée sur le «champ de signification», c'est-à-dire leurs croyances au sujet d'eux-mêmes, des autres et du problème(11). En posant des questions visant à extérioriser le problème, comme «qu'est-ce que l'alcool vous a fait croire au sujet de vos parents ou de votre fils ou votre fille?», le thérapeute aide à combattre dans la famille des sentiments d'échec, de honte ou de blâme qui contribuent à perpétuer le problème.

En s'engageant ainsi dans l'extériorisation, les adolescents et leur famille commencent à orienter leur vie et leurs relations dans un sens différent et préféré et à acquérir un sentiment accru de contrôle personnel. L'autre côté - réécrire leur vie Enfin, les adolescents et leur famille sont encouragés à récrire leur vie en construisant des récits prosociaux(12). Le point de départ de cette démarche est toute situation où la personne ou sa famille ont résisté à l'influence du problème et choisi d'agir à l'encontre de celui-ci. Les participants sont invités à donner un sens à cette conduite exceptionnelle en explorant ses origines et son incidence sur l'action (comment avez-vous pris cette mesure?) et sur le champ de signification (comment cela change-t-il votre opinion de vous-même?).

Les adolescents et leur famille sont ensuite incités à relier ces conduites exceptionnelles, à «étoffer» ce nouveau récit. Plutôt que de chercher des «tumeurs» cachées, les spécialistes de la thérapie du récit cherchent des tissus sains et des «anticorps» protecteurs(13).

Au fur et à mesure que le nouveau récit prend forme, l'adolescent et sa famille sont encouragés à lui donner un titre. Cela leur permet de faire un tri des faits et des événements survenus durant la thérapie et de les inclure soit dans le récit axé sur le problème (par exemple, l'alcool) soit dans le nouveau récit (par exemple, «prendre ma vie en main»).

L'adolescent et sa famille sont également invités à prendre des mesures pour affaiblir l'ancien récit et raffermir le nouveau. Le nouveau récit prosocial a de meilleures chances de survie si un nombre croissant de personnes peuvent être témoins des nouveaux comportements et y participer, ce qui signifie que l'adolescent et le thérapeute ont intérêt à inviter d'autres amis et membres de la famille à prendre part aux séances de thérapie.

On peut également décerner des certificats et organiser des cérémonies publiques de transition pour renégocier l'identité d'une personne(14). Ces techniques peuvent aider au développement du nouveau récit prosocial.

La thérapie du récit est également basée sur une relation thérapeute-client axée sur la collaboration et la responsabilité. Au lieu de prendre des notes (qui ne sont pas dévoilées à l'adolescent et à la famille) comme tout clinicien, le thérapeute verse souvent dans son dossier des copies de lettres envoyées à l'adolescent et aux membres de sa famille pour résumer les réunions et donner un aperçu des points à explorer la prochaine fois(15).

Des groupes de consultation (comprenant les adolescents et les parents qui sont en thérapie ou qui ont terminé une thérapie) sont invités à conseiller le thérapeute sur les effets et à suggérer des façons pour améliorer la démarche(16).

Cet article est seulement une introduction au concept de la thérapie du récit. Pour une plus grande compréhension de cette thérapie et de ses composantes, nous vous suggérons de faire d'autres lectures pertinentes dans ce domaine(17).



(1)Service d'aumônerie, Centre de détention d'Ottawa-Carleton, 2244, chemin Innes, Ottawa K1B 4C4. Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du ministère du Solliciteur général du Canada ou du ministère des Services correctionnels de 1'Ontario.
(2)O'HANLON, B. «The Third Wave», The Family Therapy Networker, 18, 6, 1994.
(3)DURRANT, M. et WHITE, C. Ideas for Therapy with Sexual Abuse, Adelaide, Dulwich Centre Publications, 1990.
(4)ZIMMERMAN, J. et DICKERSON, V. «Tales of the Body Thief: Externalizing and Deconstructing Bating Problems», Constructive Therapies, HOYT, M. dir., New York, Guilford Press, 1994.
(5)WHITE, M. «Family Therapy and Schizophrenia: Addressing the "in-the-corner" Lifestyle», Selected Papers, Adelaide, Dulwich Centre Publications, 1989.
(6)FREEMAN, J. et LOBOVITS, D. «The Turtle with Wings», The New Language of Change: Constructive Collaboration in Psychotherapy, FRIEDMAN, S., dir., New York, Guilford Press, 1993.
(7)DURRANT, M. et COLES, D. «Michael White's Cybernetic Approach», Family Therapy Approaches with Adolescent Substance Abusers, TODD, T. et SELEKMAN, M., dir., Boston, Allyn and Bacon, 1991.
(8)JENKINS, A. Invitations to Responsibility: The Therapeutic Engagement of Men Who Are Violent and Abusive, Adelaide, Dulwich Centre Publications, 1990.
(9)WHITE, M. et EPSTON, D. Narrative Means to Therapeutic Ends, New York, W. W. Norton, 1990.
(10)WHITE, M. «Negative Explanation, Restraint, and Double Description: A Template for Family Therapy», Family Process, 25, 2, 1986.
(11)WHITE, M. «The Process of Questioning: A Therapy of Literary Merit?», Dulwich Centre Newsletter, hiver, 1988.
(12)WHITE, M. «Deconstruction and Therapy», Therapeutic Conversations, GILLIGAN, S. et PRICE, R., dir., New York, W. W. Norton, 1993.
(13)WYLIE, M. «Panning for Gold», The Family Therapy Networker, 18, 6, 1994, 43.
(14)WHITE, M. et EPSTON, D. Narrative Means to Therapeutic Ends, New York, W. W. Norton, 1990.
(15)Pour une description de l'utilisation des lettres en thérapie, voir EPSTON, D., «Extending the Conversation», The Family Therapy Networker, 18, 6, 1994.
(16)Pour de plus amples renseignements sur la façon d'engager des clients en tant que consultants, voir EPSTON, D. et WHITE, M. «Consulting your consultants: The documentation of alternative knowledges», Dulwich Centre Newsletter, 4, 1990.
(17)On trouvera une introduction à la thérapie du récit dans CHANG, J. et PHILLIPS, M., «Michael White and Steve de Shazer: New Directions in Family Therapy», Therapeutic Conversations, GILLIGAN, S. et PRICE, R., dir., New York, W. W. Norton, 1993. voir aussi TOMM, K., «Externalizing the Problem and Internalizing Personal Agency», Journal of Strategic and Systemic Therapies, 8, 1, 1989. Et aussi TOMM, K., «The Courage to Protest: A Commentary on Michael White's Work», Therapeutic Conversations, GILLIGAN, S. et PRICE, R., dir., New York, W. W. Norton, 1993.