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L'influence de la durée de l'incarcération et du niveau de sécurité sur l'attitude des détenus

Certains criminologues affirment que le fait d'incarcérer les délinquants pour de longues périodes contribue à réduire la criminalité. Cette affirmation est fondée sur l'idée que des individus sur le chemin de la délinquance preféreront s'abstenir plutôt que de risquer une lourde peine(2). Il s'ensuit que le système de justice pénale américain impose généralement des peines d'emprisonnement plus longues que dans le passé.

Toutefois, les taux de crime avec violence continuent de grimper(3). On pourrait donc tout aussi bien affirmer que les longues peines d'emprisonnement ne contribuent pas à réduire la criminalité. Après tout, la plupart des détenus sont libérés tôt ou tard, sans avoir purgé la totalité de leur peine.

Mais ce qui importe encore davantage, c'est cette notion de «prisonnisation» selon laquelle plus les détenus restent en prison, plus ils s'identifient aux normes et aux valeurs du monde carcéral, et plus ils ont de mal à se réadapter à la vie normale une fois libérés(4). En outre, une fois derrière les barreaux, l'individu est privé de liberté et dépossédé des biens de ce monde; il ne peut plus avoir de relations hétérosexuelles et perd son autonomie. Comme tous les détenus endurent ces privations, ils ont tendance à se serrer les coudes pour alléger leurs tourments(5).

Cet article tente de déterminer l'incidence des longues peines d'emprisonnement et des niveaux de sécurité élevés sur l'attitude des détenus, ainsi que sur leur réceptivité au traitement et sur les chances de réussite de leur mise en liberté sous condition. Méthodologie On a demandé à un échantillon de détenus quel(s) crime(s) ils pourraient commettre, une fois libérés, s'ils étaient sûrs de ne pas se faire prendre. Cet échantillon se composait de 462 détenus: 166 étaient incarcérés dans une prison à sécurité maximale, 131 dans une prison à sécurité moyenne, et 165 se trouvaient dans une prison à sécurité minimale ou dans un centre de placement à l'extérieur.

Les détenus avaient le choix entre les crimes suivants: «coucher avec votre petite amie même si elle dit non» (agression sexuelle); «voler 100000 $» (vol qualifié); «tuer quelqu'un qui vous a vraiment pris en grippe» (meurtre); «faire sa fête à quelqu'un qui ne vous revient vraiment pas» (voies de fait graves); «prendre des choses que vous n'avez pas les moyens d'acheter» (vol); «consommer des drogues et/ou de l'alcool quand ça vous plaît»; et «aucun crime». Durée de la peine Les réponses fournies à cette question indiquent que plus la peine d'emprisonnement est longue, plus la propension au crime est forte. Par exemple, seulement 9 % des détenus qui avaient passé de 5 à 24 mois en prison et 4 % des détenus qui y avaient passé de 25 à 48 mois ont répondu qu'ils pourraient commettre une agression sexuelle, tandis que 29 % des détenus incarcérés depuis 49 à 72 mois, 36 % des détenus incarcérés depuis 73 à 96 mois, et 33 % des détenus incarcérés depuis 97 à 120 mois ont dit qu'ils pourraient commettre une agression sexuelle.

Les mêmes tendances se dégagent des réponses se rapportant aux autres catégories d'infractions, telles que le vol qualifié, le meurtre et le vol (voir le tableau 1).

Tableau 1

Durée de l'incarcération et infraction projetée (462 détenus)
 
Peine purgée
Infraction
projetée
5-24
mois
25-48
mois
49-72
mois
73-96
mois
97-120
mois
121-144
mois
145-168
mois
169-216
mois
Meurtre
5%
7%
18%
16%
15%
25%
16%
0
Agression sexuelle
9%
4%
29%
36%
33%
50%
32%
22%
Vol qualifié
27%
53%
47%
48%
43%
88%
63%
56%
Voies de fait
27%
27%
38%
46%
48%
25%
32%
22%
Drogue/alcool
14%
33%
39%
45%
45%
88%
42%
67%
Vol
18%
17%
29%
35%
33%
50%
42%
33%
Aucun crime
73%
57%
50%
48%
48%
12%
26%
22%
Remarque: La somme des pourcentages par durée d'incarcération est supérieure à 100%
certains détenus ayany choisi plus d'une infraction. Toutefois, lorsqu' "aucun crime" n'a été
choisi on a fait abstraction de toutes les autres options.

Par contre, 73 % des détenus qui avaient passé de 5 à 24 mois en prison n'avaient pas l'intention de récidiver, contre 57 % des détenus qui y avaient passé de 25 à 48 mois, 50 % des détenus qui y avaient passé de 49 à 72 mois, et 22 % des détenus qui y avaient passé de 169 à 216 mois. En bref, plus les délinquants de l'échantillon avaient séjourné longtemps en prison, plus ils étaient disposés à se livrer à nouveau à des actes criminels (voir le graphique 1).

Graphique 1
Graphique 1
Le fait que les détenus les plus susceptibles de renoncer au crime soient ceux qui avaient passé le moins de temps en prison (et inversement) corrobore la thèse selon laquelle la sévérité de la peine a peu d'effet dissuasif quant à la criminalité future(6). Niveau de sécurité Les détenus incarcérés dans un établissement à sécurité minimale ou envoyés dans un centre de placement à l'extérieur étaient plus susceptibles de renoncer au crime que les détenus incarcérés dans des prisons à sécurité moyenne ou maximale.

Par exemple, 37 % des détenus se trouvant dans un établissement à sécurité maximale et 43 % des détenus se trouvant dans un établissement à sécurité moyenne ont indiqué qu'ils pourraient commettre une agression sexuelle, alors qu'aucun des détenus placés dans un établissement à sécurité minimale n'envisageait de commettre ce genre d'infraction.

Pour ce qui est du meurtre, 21 % des détenus incarcérés dans un établissement à sécurité maximale et 24 % des détenus se trouvant dans un établissement à sécurité moyenne ont affirmé qu'ils pourraient commettre un meurtre à leur sortie de prison. Là encore, aucun des détenus placés dans un établissement à sécurité minimale n'avait l'intention de commettre une telle infraction. Des tendances comparables se dégagent des réponses se rapportant aux autres catégories d'infractions (voir le tableau 2).

Tableau 2

Niveau de sécurité et infractions projetées (462 détenus)
 
Niveau de sécurité
Infraction projetée
Securité
maximale(166)
Securité
moyenne (131)
Securité
minimale (165)
Meurtre
21%
24%
0
Agression sexuelle
37%
43%
0
Vol qualifié
54%
39%
20%
Voies de fait
48%
48%
18%
Drogue/alcool

49%

54%
18%
Vol
32%
41%
14%
Aucun crime
24%
18%
98%
Remarque: La somme des pourcentages par niveau de sécurité est
supérieure à 100% certains détenus ayant choisi plus d'une infraction

Si nous supposons que les détenus placés dans un établissement à sécurité minimale étaient moins violents avant leur incarcération, ces données semblent étayer la thèse des «classes» au sein du monde pénitentiaire - fondée sur l'hypothèse que les détenus conservent en prison le comportement qu'ils avaient dans la rue(7).

Toutefois, 44 % des détenus incarcérés dans une prison à sécurité minimale avaient commis des crimes avec violence (dont le meurtre et l'agression sexuelle), et bon nombre d'entre eux provenaient des mêmes milieux que les détenus incarcérés dans des établissements à sécurité moyenne ou maximale. Délinquants violents et délinquants non violents Bien des détenus ayant déjà commis un crime avec violence avaient décidé de changer de comportement. En effet, environ 58 % des répondants ont indiqué avoir commis un crime avec violence dans le passé. Toutefois, ces détenus représentaient 46 % de ceux qui ne prévoyaient pas commettre une nouvelle infraction après leur libération (voir le tableau 3).

Tableau 3

Comportement violent antérieur et
infractions projetées (462 détenus)
 
Crime antérieur
Infraction projetée
Avec violence (266)
Sans violence(196)
Meurtre
45%
55%
Agression sexuelle
55%
45%
Vol qualifié
68%
32%
Voies de fait
58%
42%
Drogue/alcool

60%

40%
Vol
47%
53%
Aucun crime
46%
54%

Malheureusement, une partie des détenus n'ayant pas commis jusqu'ici de crime avec violence avaient, eux aussi, changé d'avis. Ainsi, ce groupe de répondants représentaient 45 % de ceux qui envisageaient la possibilité de commettre une agression sexuelle, 32 % de ceux qui envisageaient de commettre un vol qualifié, et 42 % de ceux qui envisageaient de commettre des voies de fait. Au total, ces délinquants représentaient seulement 54 % des répondants qui affirmaient leur intention de ne commettre aucun crime après leur libération.

Le phénomène de la prisonnisation peut être à l'origine de ce changement d'attitude, bien que les chiffres puissent également servir à démontrer que ce phénomène ne joue pas pour tous les détenus. Reste que plus de la moitié des délinquants (violents ou non violents) qui préféraient renoncer au crime avaient passé moins de 48 mois en prison. Une nouvelle approche... La durée de l'incarcération et le niveau de sécurité influent manifestement sur l'attitude des détenus. Ceux qui avaient été incarcérés pour des périodes plus courtes dans un établissement à sécurité minimale étaient plus enclins à renoncer au crime que ceux qui avaient passé des périodes plus longues sous étroite surveillance et ce, indépendamment des prédispositions antérieures à la violence.

Bref, la vie pénitentaire influe sur les attitudes(8). On pourrait donc affirmer que les courtes peines d'emprisonnement ont une incidence plus bénéfique sur l'attitude des détenus que les peines plus longues. En fait, bien des pays utilisent avec succès les peines d'emprisonnement de courte durée comme moyen de réduire à la fois le risque de récidive et les dépenses publiques(9).

Les longues peines de prison imposées aux délinquants non violents n'ont pas toujours l'effet escompté : elles alourdissent le coût des services correctionnels et peuvent aggraver le risque de récidive en ayant une incidence nuisible sur l'attitude des détenus. Pour lutter contre la criminalité sans violence, on devrait donc opter de préférence pour un court séjour obligatoire (de deux ans ou moins) dans un centre de placement à l'extérieur.

Cette approche serait bénéfique à plus d'un titre: non seulement les délinquants seraient plus réceptifs au traitement et plus susceptibles de ne pas récidiver, mais ils auraient également la possibilité de travailler et de conserver des liens étroits avec leur famille.



(1)102 Randolph Street, Goldsboro, NC 27534, USA.
(2)WILSON, J. Q., Thinking About Crime, New York, Basic Books, 1975.
(3)ÉTATS-UNIS. DEPARTMENT OF JUSTICE, Sourcebook of Criminal Justice Statistics - 1991, Washington, Bureau of Justice Statistics, 1992.
(4)CLEMMER, D., The Prison Community, New York, Holt Rinehart, 1958.
(5)SYKES, G., Society of Captives, New York, Atheneum, 1966.
(6)BURSIK, R., GRASMICK, H. et CHAMLIN, M., «The Effect of Longitudinal Arrest Patterns on the Development of Robbery Trends at the Neighbourhood Level», Criminology, vol. 28, n° 3, 1990, p. 431450. voir aussi PATERNOSTER, R. et IOVANNI, L., «The Deterrent Effect of Perceived Severity: A Re-examination», Social Forces, vol. 64, n° 3, 1986, p. 751-777.
(7)IRWIN, J., Prisons in Turmoil, Boston, Little Brown and Company, 1980. voir aussi JACOBS, J., Statesville: The Penitentiary in Mass Society, Chicago, The University of Chicago Press, 1977.
(8)STEVENS, D. J., «Explanations of Rape by Predatory Rapist», Journal of Police and Criminal Psychology (sous presse, 1995). voir aussi STEVENS, D. J., Regime and Inmate Attitudes Towards Compliance. Exposé présenté à une conférence de l'Academy of Criminal Justice Sciences, Boston, mars 1995. Et aussi STEVENS, D. J., «The Depth of Imprisonment and Prisonization: Levels of Security and Prisoners' Anticipation of Future violence», Howard Journal of Criminal Justice, vol. 33, n° 2, 1994, p. 137-157.
(9)GRAPENDAAL, M., «The Inmate Sub-culture in Dutch Prisons», British Journal of Criminology, n° 30, 1990, p. 341-356.