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Problèmes d'apprentissage et traitement correctionnel

Il se peut que les délinquants dont le cheminement scolaire a été jalonné de graves difficultés ne puissent tirer pleinement parti des programmes de traitement qui supposent chez les participants l'aptitude aux études. Par conséquent, lorsque les programmes de traitement offerts aux détenus ne donnent pas les résultats escomptés, cela peut être attribuable à une constellation de difficultés connues sous le nom de problèmes d'apprentissage.

Il importe de rappeler que la capacité d'apprendre ou d'assimiler des connaissances ne se résume pas à des habiletés purement mécaniques. Par exemple, pour savoir lire, il faut pouvoir faire le lien entre des symboles écrits et des sons, puis pouvoir relier ces symboles à des mots et, enfin, pouvoir comprendre le sens du texte. Si on éprouve de la difficulté à exécuter l'une ou l'autre de ces tâches, cela peut provenir d'un problème d'apprentissage.

Par ailleurs, si les problèmes d'apprentissage se répercutent principalement sur la réussite scolaire, ils s'accompagnent souvent aussi de piètres aptitudes sociales, d'une difficulté à maîtriser ses impulsions, de problèmes de l'attention, d'une hyperactivité ou d'une agitation extrême.

Cet article definit les problèmes d'apprentissage et indique comment les déceler. Il décrit la fréquence de ces problèmes dans la population carcérale et explique enfin - et surtout - comment adapter le traitement ou les programmes offerts dans les pénitenciers aux besoins particuliers des détenus qui ont des problèmes d'apprentissage. Définition des problèmes d'apprentissage Les problèmes d'apprentissage peuvent être décrits comme un ensemble de difficultés résultant de perturbations dans la réception de l'information et sa transmission au cerveau. Les problèmes d'apprentissage sont déjà présents à la naissance, même s'ils ne deviennent souvent évidents que lorsque l'enfant commence à aller à l'école. Il faut savoir, aussi, que les problèmes d'apprentissage ne disparaissent pas à l'âge adulte, mais perdurent généralement pendant toute la vie.

On dit souvent des problèmes d'apprentissage que ce sont des déficiences «invisibles», car les personnes qui en sont affligées semblent fonctionner normalement dans la plupart des sphères de la vie et ont une intelligence moyenne ou Supérieure à la moyenne. En fait, l'existence d'une disparité marquée entre les aptitudes intellectuelles et la réussite scolaire est un des indices de l'existence d'un problème d'apprentissage.

Ces problèmes affectent les différents modes sensoriels qui interviennent dans le traitement de l'information. Le processus menant de la réception à la communication d'information peut être subdivisé en quatre étapes(2):
  • perception (l'information est captée par les sens);
  • intégration (l'information est organisée et comprise);
  • mémorisation (l'information est emmagasinée et extraite);
  • expression (l'information est communiquée oralement ou par écrit).
Les problèmes d'apprentissage peuvent perturber n'importe laquelle de ces étapes. Par exemple, une personne qui a du mal à suivre des instructions éprouve peut-être de la difficulté au niveau de la perception auditive, parce qu'elle est incapable de fixer son attention.

Par ailleurs, la difficulté à s'exprimer verbalement peut dénoter des problèmes de mémoire ou d'expression. Les personnes qui s'expriment lentement en «cherchant leurs mots» ont souvent du mal à trouver les mots emmagasinés dans leur mémoire pour transformer leurs idées en paroles ou en écrits. Il est possible, aussi, qu'elles n'aient pas développé de mécanisme de «discours intérieur» leur permettant de préparer mentalement ce qu'elles vont dire.

Les problèmes d'apprentissage ne nuisent pas seulement au rendement scolaire. Ils entravent aussi l'apprentissage non intentionnel, c'est-à-dire l'apprentissage qui se fait machinalement, simplement parce qu'on prend conscience de l'environnement (par exemple, apprendre à parler). Les problèmes d'apprentissage qui nuisent à l'assimilation des connaissances scolaires sont qualifiés de primaires, tandis que ceux qui affectent les comportements d'autorégulation (par exemple, la capacité de fixer son attention sur quelque chose ou de maîtriser ses impulsions) sont considérés comme des problèmes secondaires. Effets des problèmes d'apprentissage Chez l'adulte, les problèmes d'apprentissage peuvent se manifester de différentes façons :
  • Le sujet s'exprime très bien verbalement, mais est incapable de mettre ses idées sur papier.
  • Le sujet a des aptitudes mécaniques, mais la lecture, l'écriture ou l'orthographe lui posent des difficultés.
  • Le sujet apprend vite lorsqu'on lui montre quoi faire, mais il est incapable de suivre des instructions écrites ou verbales.
  • Le sujet est incapable d'organiser ses affaires, son temps, ses activités ou ses responsabilités.
  • Le sujet a accumulé les échecs scolaires.
  • Le sujet donne souvent des prétextes pour éviter de lire (par exemple, «Je n'ai pas mes lunettes»).
  • Le sujet évite de poser des questions de peur d'avoir l'air stupide.
D'autres signes peuvent dénoter l'existence d'un problème d'apprentissage : incapacité de se faire des amis ou d'entretenir des relations avec autrui, anxiété constante, image dévalorisée de soi, incapacité de se concentrer ou agitation extrême.

Il faut cependant préciser que beaucoup de gens présentent un ou plusieurs de ces symptômes sans pour autant avoir de problème d'apprentissage. Ce n'est que lorsque plusieurs de ces symptômes se manifestent de façon marquée qu'on peut soupçonner l'existence d'un problème. Une évaluation en bonne et due forme par un psychologue ou un psychiatre ayant reçu une formation spécialisée permet d'établir si le sujet présente ou non un problème d'apprentissage. Les problèmes d'apprentissage dans la population carcérale Selon des données très sérieuses, les problèmes d'apprentissage seraient sensiblement plus fréquents chez les détenus que dans l'ensemble de la population. Alors que la proportion de gens atteints de problèmes d'apprentissage varie de 5 % à 10 % dans la société en général, elle oscille entre 7 % et 77 % chez les détenus.

Deux études menées au Canada ont révélé un taux d'incidence de 7 % à 25 % dans les établissements fédéraux(3), mais les études faites aux États-Unis signalent des taux allant de 8 % à 77 %(4). Divers facteurs peuvent expliquer cet écart : définitions différentes des problèmes d'apprentissage, seuils ou valeurs-limites différents pour certaines mesures ou utilisation de versions abrégées des tests de dépistage. Dépistage des problèmes d'apprentissage chez les détenus Les instruments psychométriques utilisés pour dépister les problèmes d'apprentissage comprennent généralement une batterie de tests visant à évaluer les aptitudes intellectuelles et la réussite scolaire, de même que les points forts et les lacunes du développement intellectuel et psychosocial(5).

L'administration de tests psychométriques prend beaucoup de temps et coûte cher. Même une estimation prudente (25 % par exemple) de l'incidence des problèmes d'apprentissage chez les détenus nous force à conclure que les tests ne pourraient être administrés qu'aux cas les plus graves. Il faut donc trouver d'autres moyens de dépister les problèmes d'apprentissage chez les délinquants.

Au moment d'être pris en charge par le système correctionnel, les détenus passent des tests administrés en groupe. Ces tests servent a déterminer leur niveau scolaire et leur bagage de connaissances. Idéalement, il faudrait diagnostiquer les problèmes d'apprentissage à ce moment-là pour pouvoir en tenir compte dans le plan correctionnel du délinquant.

On pourrait aussi évaluer les aptitudes intellectuelles et le niveau scolaire des détenus à l'aide de tests informatisés. Par la suite, on administrerait de courts tests d'évaluation des aptitudes intellectuelles aux délinquants dont les résultats initiaux laisseraient soupçonner l'existence d'un problème d'apprentissage.

L'administration de tests informatisés permettrait une évaluation individualisée sans qu'on doive y consacrer le temps et l'argent que supposent les entrevues individuelles. L'ordinateur peut générer immédiatement le profil du détenu indiquant ses points forts, ses lacunes, ses aptitudes intellectuelles et le niveau de scolarité auquel correspondent ses connaissances. Il peut aussi indiquer le temps que le sujet a pris pour répondre aux questions, analyser les configurations d'erreurs et faire des corrélations entre les résultats de différents tests.

Des auxiliaires pourraient administrer la deuxième série de courts tests qui seraient conçus en fonction des besoins de chaque établissement (par exemple, les établissements pour jeunes contrevenants).

Le fait que les tests soient administrés au moment de l'admission pourrait cependant compromettre la fiabilité des résultats. Il arrive qu'au début de leur incarcération, les délinquants soient encore désorientés, qu'ils éprouvent des problèmes d'adaptation ou qu'ils ressentent les effets résiduels de leur consommation de drogue. Il serait donc souhaitable de faire repasser les tests au moins trois mois après l'arrivée du détenu, pour confirmer la justesse des évaluations devant servir de base au plan correctionnel. Adaptation des traitements ou des programmes Le dépistage des problèmes d'apprentissage chez les adultes est récent. On a longtemps cru que les problèmes décelés chez l'enfant disparaissaient d'eux-mêmes à l'âge adulte. On sait maintenant qu'il n'en est rien: les problèmes d'apprentissage ne disparaissent jamais complètement, même si l'adulte apprend parfois à compenser ses difficultés.

Divers types d'interventions sont conçues pour répondre aux besoins des adultes ayant des problèmes d'apprentissage : groupes d'entraide, groupes de soutien mutuel, psychothérapies individuelles et collectives. Cependant, on commence à peine à évaluer l'efficacité de ces approches(6). En définitive, tous les traitements ou les programmes offerts doivent tenir compte des questions fondamentales que posent les problèmes d'apprentissage, afin de permettre aux détenus qui sont aux prises avec de telles difficultés d'intégrer de nouveaux éléments d'information dans leur répertoire de comportements(7).

Par exemple, pour adapter un programme aux besoins des détenus ayant des problèmes d'apprentissage, on peut leur permettre d'utiliser un magnétophone ou un ordinateur. Les aides électroniques peuvent améliorer grandement leur capacité de retenir l'information, et les programmes de traitement de texte (comprenant des correcteurs d'orthographe et de grammaire) peuvent aider les détenus qui ont du mal à écrire parce qu'ils éprouvent des difficultés sur le plan de la motricité fine. Une autre solution serait d'allouer plus de temps à ces détenus pour passer les tests ou accomplir des tâches. On pourrait aussi leur permettre d'enregistrer leurs réponses. Quant aux délinquants qui sont impulsifs ou qui se laissent distraire facilement, on pourrait leur fournir un magnétophone portatif ou leur conseiller de garder sur eux un calepin et un crayon pour pouvoir soit enregistrer, soit écrire leurs idées au fur et à mesure qu'elles leur viennent.

Dans les séances de groupe, les délinquants incapables d'organiser rapidement leurs idées risquent d'interrompre constamment les autres ou au contraire de s'enfermer dans un mutisme complet. Les animateurs doivent donc prévoir des séances relativement structurées, poser des questions directives et surveiller constamment les échanges pour faire participer ces délinquants et pour les empêcher de s'écarter du sujet. On pourrait aussi aider les détenus qui ont des problèmes d'apprentissage en leur suggérant des moyens concrets de s'organiser, par exemple en leur montrant comment établir un emploi du temps ou tenir un journal. Pour développer leur aptitude à l'autonomie, on pourrait les encourager à dresser chaque jour la liste des choses qu'ils doivent faire (cours ou tâches diverses). Enfin, les enseignants et les animateurs devraient prendre l'habitude d'inviter les délinquants ayant des problèmes d'apprentissage à répéter dans leur propres mots ce qu'ils ont appris pendant la séance. L'intervenant obtient ainsi une rétroaction et il peut alors corriger les perceptions erronées du délinquant ou renforcer la matière présentée.

Les problèmes d'apprentissage entravent le décodage de l'information verbale ou écrite. Les programmes thérapeutiques doivent donc, pour être efficaces, répondre aux besoins particuliers des détenus qui ont du mal à assimiler l'information. Le but ultime des programmes de formation et de traitement offerts en milieu carcéral est de réduire les taux de récidive. Des programmes adaptés aux besoins des délinquants atteints de problèmes d'apprentissage favorisent davantage l'atteinte de ce but, puisqu'ils sont efficaces auprès d'un plus grand nombre de détenus.



(1)1201, Bordeau Grove, Gloucester (Ontario) K1C 2M6.
(2)SILVER, L., The Misunderstood Child: A Guide for Parents of Learning Disabled Children, New York, McGraw-Hill, 1984. LYSAKOWSKI, B., Incidence of Learning Disabilities in an Inmate Population in British Columbia, thèse de maîtrise, Université de la Colombie-Britannique, 1980. voir aussi FOLSOM, J., Psychopathy and Learning Disability in a Male Prison Population, thèse de doctorat, 1993.
(3)LYSAKOWSKI, B., Incidence of Learning Disabilities in an Inmate Population in British Columbia, thèse de maîtrise, Université de la Colombie-Britannique, 1980. Voir aussi FOLSOM, J., Psychopathy and Learning Disability in a Male Prison Population, thèse de doctorat, 1993.
(4)DOWLING, W. M., «Learning Disabilities Among Incarcerated Males», Journal of Correctional Education, vol. 42, n° 4, 1991, p. 180-185. voir aussi KEILITZ, I., ZAREMBA, B. A. et BRODER, P. K., «The Link Between Learning Disabilities and Juvenile Delinquency: Some Issues and Answers», Learning Disability Quarterly, n° 2, 1979, p. 2-11.
(5)Le Wechsler Intelligence Scale for Adults et le Woodcock Johnson Test of Cognitive Abilities sont les tests les plus souvent utilisés auprès des détenus.
(6)VOGEL, S. A. et FORNESS, S. R., «Social Functioning in Adults with Learning Disabilities», School Psychology Review, vol. 21, n° 3, 1993, p. 375-386.
(7)WEINSTEIN, C. S., «Cognitive Remediation Strategies : An Adjunct to the Psychotherapy of Adults with Attention-deficit Hyperactivity Disorder», The Journal of Psychotherapy Practice and Research, vol. 3, n° 44, 1994, p. 44-57. voir aussi HALLOWELL, N. et RATEY, J., Driven to Distraction, New York, Pantheon Press, 1994.