Ateliers industriels des prisons et emploi des détenus: les nouveaux partenariats avec le secteur
privé
Depuis le début des années 1980, on enregistre une croissance sans précédent
des populations carcérales. Par exemple, le nombre de détenus incarcérés
dans les prisons fédérales américaines a triplé en dix ans, passant de 32
000 en 1984 à 90 000 en 1995.
De ce fait, les administrateurs des services correctionnels regardent comme indispensables les ateliers
industriels, qui leur permettent à la fois de maintenir l'ordre dans des établissements
surpeuplés et d'assurer un emploi rémunéré aux délinquants. Les
tribunaux ont aussi rendu des ordonnances stipulant que les détenus obtiennent un travail
significatif lorsque le système correctionnel contrevient au Huitième Amendement (punition
cruelle et insolite).
Toutefois, plusieurs difficultés font obstacle à l'expansion des ateliers industriels
dans les prisons, notamment le manque de fonds disponibles ou accessibles et la nécessité
de faire des recherches sur les nouveaux produits et marchés à exploiter. L'un des moyens
choisis pour surmonter ces difficultés consiste à faire appel à l'entreprise
privée.
Cet article décrit le rôle que le secteur privé est appelé à jouer
dans les ateliers industriels des prisons, ainsi que les avantages et les risques associés
à un tel partenariat. Mais avant tout, il indique quelles sont les clés de la
réussite pour la planification et la réalisation de cette «fusion».
Rôle du secteur privé Le secteur privé peut intervenir à plusieurs niveaux
dans les ateliers industriels correctionnels. Tout d'abord, les organismes gouvernementaux s'efforcent
depuis longtemps de modeler leurs activités sur celles du secteur privé et de faire appel
à ses compétences.
Les responsables des ateliers industriels des prisons ont donc reçu les moyens
nécessaires pour rationaliser leurs opérations-pouvoir d'emprunter des capitaux, latitude
voulue pour les acquisitions, marge de manoeuvré pour l'embauche et la rémunération
du personnel. Ils ont également commencé à recruter dans les milieux industriels
(tant au palier de la direction qu'à celui des unités de production) et à faire
davantage appel à des spécialistes de l'extérieur.
Aux États-Unis, le secteur privé joue un rôle plus direct, en ce sens que la
direction et la gestion de nombreux projets de valorisation d'ateliers industriels dans les prisons
approuvés par le U.S. Department of Justice sont confiées à des
entreprises(2). Ainsi, l'État de la Floride autorise (depuis 1984) une
société quasi-indépendante à gérer les ateliers industriels dans les
prisons de cet État.
Les ententes de partenariat entre ateliers industriels des prisons et entreprises privées
constituent une autre variation sur le même thème. Ces partenariats consistent à
combiner l'apport en main-d'oeuvre et l'accès au marché des organismes gouvernementaux
qu'offrent les ateliers correctionnels avec les compétences spécialisées
d'entreprises privées.
Les avantages et les risques du partenariat Ce genre de partenariat peut être avantageux à
plus d'un titre pour les ateliers industriels des prisons, en leur permettant notamment:
-
d'accroître leur potentiel de vente et, par le fait même, les possibilités de
création d'emplois pour les détenus;
-
de faire travailler les détenus dans les mêmes conditions que dans l'entreprise
privée;
-
de réduire leur risque financier;
-
d'avoir un meilleur accès à des compétences spécialisées (p.
ex., en ingénierie et en marketing);
-
d'améliorer leur image de marque grâce à leur collaboration avec le secteur
privé;
-
d'innover dans leurs opérations;
-
d'améliorer l'image de marque de leurs produits.
Un tel arrangement profite également aux entreprises privées en leur permettant de
réduire les coûts salariaux et d'accéder aux marchés gouvernementaux,
à une main-d'oeuvre disponible pour les équipes de nuit et à des installations de
production prêtes à l'emploi. Bref, les deux parties peuvent sortir gagnantes d'un tel
arrangement.
Toutefois, les partenariats avec le secteur privé posent bien des défis dont on ne doit
pas sous-estimer l'importance. Les organismes correctionnels risquent notamment:
-
de devoir investir beaucoup de temps, d'énergie et de ressources dans la planification d'un
tel arrangement;
-
de devoir céder, en partie du moins, les commandes des ateliers industriels dans les
prisons;
-
d'échouer dans cette entreprise;
-
de tomber sur un partenaire qui n'est pas digne de confiance;
-
d'être la cible de plaintes d'entreprises qui n'ont pas été choisies pour le
partenariat.
Les paramètres d'un bon partenariat Pour assurer la réussite d'un partenariat avec le
secteur privé, il est primordial de bien comprendre les responsabilités et les obligations
qui incombent aux deux parties.
D'où la nécessité d'établir un plan de marketing détaillé,
particulièrement en cas de partage des responsabilités entre l'organisme correctionnel et
l'entreprise privée relativement à la mise en marché du produit. Ce plan doit
prévoir qui est responsable de la participation aux salons professionnels et de
l'élaboration de la documentation sur le produit, et indiquer si les représentants
commerciaux recevront une formation particulière.
Sauf dans le cas des commandes existantes, c'est toujours au nom, et à titre de
représentant commercial, des ateliers industriels correctionnels que le partenaire du secteur
privé doit prendre contact avec les organismes gouvernementaux clients. Ce faisant, il doit
toutefois éviter de présenter les ateliers comme étant la source
d'approvisionnement imposée aux organismes gouvernementaux. Mieux vaut faire valoir le fait que
les clients s'approvisionnent chez nous par choix-à cause des prix, de la qualité du
produit et du service-et non par obligation.
Il importe de bien clarifier les modalités de partage des coûts de la main-d'oeuvre, des
matières premières, des frais de marketing et de formation et des frais
généraux. De même, les modalités de partage des bénéfices
doivent être précisées, que l'on opte pour des honoraires fixes ou pour l'octroi
d'un pourcentage des profits.
On doit également établir au préalable les modalités de partage des
dépenses d'équipement, en fonction du produit choisi, des risques assumés par
chacune des parties et des prévisions de résultats.
Il faut s'attendre à essuyer des pertes financières, du moins dans les premiers temps.
Or, la plupart des entrepreneurs du secteur privé ne sont pas disposés à
éponger bien longtemps un déficit. C'est pourquoi la réussite à long terme
d'un tel partenariat repose souvent sur le choix d'un entrepreneur qui est prêt à assumer
les frais de démarrage et à tolérer un certain degré d'incertitude
financière.
On doit déterminer clairement qui est responsable de l'embauche des détenus, des
licenciements et des heures de travail, ainsi que les voies hiérarchiques et les obligations de
rendre compte. Les entrepreneurs devraient également être tenus de rémunérer
les détenus selon les taux en vigueur dans les ateliers industriels correctionnels et de
satisfaire à toutes les exigences en matière de rapport dans ce domaine.
En ce qui concerne la gestion sur place, rien ne s'oppose à ce que l'entrepreneur fournisse des
contremaîtres, ce qui réduira le travail des surveillants d'ateliers correctionnels.
Toutefois, ces contremaîtres devront se soumettre à une enquête sur les
antécédents et à un test de dépistage des drogues, et devront suivre un
stage de familiarisation avec le milieu carcéral.
Enfin, la question des niveaux de production doit être négociée avec soin,
particulièrement dans le cas où le produit est fabriqué dans une autre usine. Les
organismes correctionnels doivent se garder de faire des comparaisons ou de vouloir rivaliser avec les
autres installations ou produits de leur partenaire du secteur privé.
Le modèle des prisons fédérales américaines
Federal Prison Industries
Inc. et ses partenaires ont un même objectif: livrer aux clients, dans les délais
convenus, des produits de qualité à des prix concurrentiels. Les deux parties partagent
à la fois les bénéfices et les risques de leur entreprise commune.
Pour sa part,
Federal Prison Industries négocie des contrats à long terme, assure
un niveau d'activité minimal et fait appel à ses partenaires avant tout pour la
création de nouveaux produits.
En échange, ses partenaires s'engagent à contribuer au succès de son groupe de
produits en fournissant les services de recherche et développement nécessaires à la
conception de nouveaux produits connexes, et en offrant leur assistance technique. Ils aident
Federal
Prison Industries à concevoir des composantes de produits en lui fournissant des dessins
techniques et en mettant leurs connaissances spécialisées et leur technologie à sa
disposition; et à faire face à la concurrence dans ses créneaux de marché en
modernisant et en valorisant constamment ses lignes de produits, en modifant les prix au besoin et en
lui communiquant de l'information sur les coûts. Ils l'aident aussi à maintenir les stocks
au niveau minimal qui convient pour respecter des délais d'exécution de plus en plus
courts.
Dans l'ensemble, les deux parties s'engagent à demeurer constamment en communication à
tous les paliers, en échangeant tous les renseignements se rapportant aux éléments
ou au programme faisant l'objet du contrat.
Federal Prison Industries a connu, à ce jour, certains succès dans ses
partenariats avec le secteur privé, notamment dans le domaine de la fabrication de panneaux
architecturaux et de cartouches d'encre pour imprimantes laser. Il y a également eu des
échecs. Dans un cas, un projet de traitement de données dans une prison
fédérale du New Jersey a tourné court, faute d'un plan de marketing bien
pensé. Dans un autre, une offre de partenariat en vue de la production d'enveloppes n'a pas
trouvé preneur à cause du degré élevé de risque financier à
assumer.
Principaux domaines de planification Dans le processus de planification d'une entente de partenariat,
les dix points suivants sont primordiaux:
-
déterminer la nature du produit et le lieu de sa production;
-
désigner un point de contact principal;
-
déterminer quelles ressources peuvent être mises à la disposition de
l'entreprise privée;
-
évaluer avec soin les entreprises candidates;
-
établir des relations de travail avec l'entreprise partenaire et faire en sorte que chacun
comprenne les besoins de l'autre partie;
-
toujours être de bonne foi;
-
élaborer un plan bien pensé et détaillé avant la signature du
contrat;
-
établir un calendrier de mise en oeuvre;
-
définir des paramètres précis (moyens et résultats) et établir
des ententes par écrit;
-
prévoir la fin du contrat en y incluant une clause de retrait graduel, et même une
clause de renonciation dans l'éventualité où les deux parties concluraient
à l'échec du partenariat.
Une autre question primordiale à prendre en compte dans la négociation d'un tel contrat
est celle de la solidité financière de l'entreprise partenaire. Il est essentiel que
celle-ci ait les reins assez solides pour investir les ressources nécessaires au démarrage
sans que sa trésorerie ne s'en ressente.
Quelles sont les perspectives d'avenir? Il est clair qu'à l'avenir, les ateliers industriels des
prisons continueront de jouer un rôle majeur dans la gestion sûre et efficace
d'établissements correctionnels surpeuplés. Il est tout aussi évident qu'ils feront
de plus en plus appel au secteur privé pour les aider à trouver des solutions favorisant
leur expansion. Le partenariat avec le secteur privé n'est sans doute pas la solution miracle aux
problèmes auxquels font face les administrateurs des ateliers industriels dans les prisons, mais
il apporte certainement des éléments de réponse. Il faut surmonter beaucoup
d'obstacles, et investir beaucoup d'efforts et de ressources pour établir un partenariat
satisfaisant, mais le jeu en vaut la chandelle.
(1)320 First St. N.W., Washington, D.C. 20534. Les opinions exprimées
dans cet article n'engagent que l'auteur et ne traduisent pas nécessairement les opinions du
U.S. Federal Bureau of Prisons ou du
U.S. Department of Justice.
(2)Les dispositions législatives adoptées en 1977 autorisent le
U.S.
Department of Justice à approuver jusqu'à 50 projets de valorisation des ateliers
industriels dans les prisons. Les ateliers visés ne sont alors plus assujettis aux lois
interdisant le commerce entre États de biens fabriqués dans les Prisons.