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Prévoir la récidive chez les délinquants sexuels

Des recherches récentes(2) ont permis d'établir un modèle actuariel pour la prévision de la récidive d'ordre sexuel. Le Guide d'évaluation du risque chez les délinquants sexuels a démontré qu'il était relativement efficace quant à la prédiction de la récidive d'ordre sexuel et de la récidive en général.

Ceci est très encourageant étant donné que le comportement dangereux a toujours été difficile à prévoir. Toutefois, l'instrument de prévision a quelque peu été critiqué. Comme l'échantillon comprenait uniquement des délinquants sexuels évalués et traités dans un établissement psychiatrique, des doutes ont été exprimés quant à l'utilité du guide dans le cas des délinquants sexuels pris en charge par le système de justice pénale.

Cet article résume un test préliminaire entrepris pour vérifier la validité prédictive de l'instrument en ce qui concerne les délinquants condamnés. Une étude de suivi a été menée auprès de délinquants sexuels sortis d'établissements du Service correctionnel du Canada. Méthodologie Le Guide d'évaluation du risque chez les délinquants sexuels a été élaboré à partir d'une étude de suivi portant sur 178 délinquants sexuels libérés d'un établissement psychiatrique à sécurité maximale. Après une période de suivi moyenne de 59 mois, 27,5 % des délinquants sexuels avaient commis de nouvelles infractions d'ordre sexuel et 40,4 % avaient été arrêtés, condamnés ou réincarcérés dans l'établissement psychiatrique pour avoir commis une infraction avec violence.

Des analyses de régression ont révélé l'existence de corrélations entre la récidive et diverses variables prédictives, y compris les scores obtenus sur l'Échelle de la psychopathie de Hare, les antécédents criminels (d'ordre sexuel et non sexuel) et une mesure physiologique de l'excitation sexuelle.

Une combinaison de ces variables prédictives a permis de construire le Guide d'évaluation du risque chez les délinquants sexuels(3). On a constaté l'existence d'une forte corrélation entre les résultats obtenus au moyen de celui-ci et la récidive tant sexuelle que non sexuelle (0,45 et 0,46 respectivement). Le guide a aussi permis d'identifier correctement 72 % des délinquants violents et 77 % des délinquants sexuels.

Pour effectuer le test préliminaire en vue de vérifier la validité prédictive du guide auprès des délinquants sexuels pris en charge par le système de justice pénale, nous avons choisi un échantillon de 57 délinquants sexuels incarcérés dans des établissements fédéraux à sécurité minimale, moyenne ou maximale de la région du Québec qui avaient été mis en liberté entre le 1er janvier 1991 et le 31 janvier 1993.

Les délinquants ont tous été dirigés vers une maison de transition et ont été tenus de participer à un programme communautaire de traitement pour délinquants sexuels. Aucun d'eux n'avait reçu de traitement en établissement.

L'âge moyen des délinquants de cet échantillon au moment de leur incarcération était de 34,3 ans (la gamme allant de 21 à 55 ans). En ce qui concerne la nature des infractions, on relevait que 21 délinquants avaient agressé des femmes adultes, tandis que 36 avaient agressé des enfants âgés de moins de 14 ans.

Les données employées pour le Guide d'evaluation du risque chez les delinquants sexuels ont été tirées des dossiers des établissements et d'interviews cliniques. On a également obtenu pour chaque délinquant les résultats d'une évaluation physiologique de l'excitation sexuelle.

Pour estimer le coefficient d'objectivité, 23 des 57 dossiers ont été choisis au hasard et ont été codés par deux évaluateurs. Les évaluateurs étaient d'accord pour 94,7 % des cas, et les désaccords ont été réglés par l'intervention d'un troisième évaluateur.

Le suivi a été assuré de la mise en liberté des détenus jusqu'à l'expiration de leur peine. La récidive était définie comme une accusation de nouvelle infraction sexuelle, une accusation de nouvelle infraction d'ordre non sexuel ou une violation des conditions de la mise en liberté suffisamment grave pour justifier la réincarcération dans un établissement fédéral. Les données relatives à l'arrestation, à la condamnation et à la violation des conditions de la mise en liberté sous condition ont été tirées des rapports de police ou obtenues auprès de l'équipe de gestion des cas de la maison de transition et des thérapeutes s'occupant du programme de traitement dans la collectivité.

Vu la petite taille de l'échantillon, les lecteurs ne devraient pas généraliser les résultats au-delà de la portée de cette étude. Toutefois, les résultats positifs semblent suggérer qu'une étude plus poussée du guide serait justifiable. Résultats Parmi les 57 délinquants sexuels, 43,9 % ont été réincarcérés dans un établissement fédéral dans les 40 semaines suivant leur mise en liberté (voir le tableau 1). Environ 29,8 % ont été arrêtés pour avoir commis soit une infraction sexuelle soit une autre infraction, tandis que 14 % ont été réincarcérés pour avoir violé une condition de leur mise en liberté.

Tableau 1

Récidive chez les délinquants sexuels et catégorie d'infraction
Type d'infraction à
l'origine de la récidive
Proportion de
délinquants
Infraction d'ordre sexuel
19,3%
Infraction autre que sexuelle
10,5%
Violation d'une condition de la liberté
14,0%
Total
43,9%

Une corrélation bisériale de point a révélé l'existence d'une relation linéaire significative entre les scores obtenus selon le Guide d'évaluation du risque chez les délinquants sexuels et la récidive (p < 0,01).

Pour mieux vérifier la validité de l'instrument, on a eu recours à une simulation informatique afin de déterminer la justesse des prévisions pour les scores correspondant à chacune des catégories du Guide d'évaluation du risque chez les délinquants sexuels, et donc le bien-fondé des décisions de mise en liberté s'appuyant sur elles.

Le guide comporte neuf catégories de prévision, pour lesquelles la probabilité de récidive avec violence va de 0,0 à 1,0. Pour chaque catégorie de prévision, la méthode de simulation a permis de calculer le pourcentage de récidivistes correctement dépistés par l'instrument dans l'échantillon, le pourcentage de faux négatifs (les délinquants pour lesquels on avait prévu la réussite mais qui ont récidivé) et le pourcentage de faux positifs (les délinquants qui ont bien réintégré la société alors qu'on avait prévu un échec).

Cela signifie par exemple que si le guide avait fait prévoir l'échec, quant à la réinsertion sociale, de tous les détenus, 43,9 % de l'échantillon (les récidivistes) auraient été bien dépistés, mais 56,1 % seraient demeurés incarcérés inutilement.

L'exactitude des prévisions et les types d'erreurs produits par le modèle variaient selon les neuf catégories de prévision (voir le tableau 2).

Tableau 2

Résultats d'une simulation informatique des décisions de mise en liberté à
l'aide du Guide d'evaluation du risque chez les délinquants sexuels
Catégorie de
prévision
Délinquants
correctement
dépistés
Faux négatifs
(prévu la réussite, mais
le délinquants a récidivé)
Faux positifs
(prévu un échec, mais
le délinquants n'a récidivé)
0,00
43,9%
0,0%
56,1%
0,08
43,9%
0,0%
56,1%
0,12
43,9%
0,0%
56,1%
0,17
54,4%
0,0%
45,6%
0,35
70,2%
7,0%
22,8%
0,44
71,9%
14,0%
14,0%
0,55
75,4%
19,3%
5,3%
0,76
63,2%
35,1%
1,7%
1,00
57,9%
42,1%
0,0%

Les catégories de prévision allant de 0,00 à 1,00 ont produit différents niveaux d'exactitude, le pourcentage de l'échantillon dépisté correctement étant de 75,4 % au maximum (pour la catégorie 0,55).

L'exactitude globale du modèle pour chaque catégorie de prévision revêt un intérêt théorique et empirique considérable, mais les résultats de la simulation informatique semblent indiquer que toute tentative de maximiser l'exactitude globale ne fait pas entrer en ligne de compte les coûts relatifs des erreurs de prévision.

Si l'on choisissait par exemple pour limite la capacité de prévision maximale du modèle (exactitude dans 75,4 % des cas), cela voudrait dire qu'environ 24,6 % des membres de l'échantillon seraient mal classés, la plupart des erreurs consistant en des faux négatifs (libérer des délinquants qui devraient être maintenus en incarcération). L'abaissement de la limite au score de 0,35 diminuerait la proportion de prévisions exactes (qui passerait à 70,2 %), mais ferait aussi tomber les faux négatifs de 19,3 % à 7,0 %. Il faut manifestement, dans le contexte de la prévision du risque, faire la part des coûts de la récidive et de ceux d'un maintien en incarcération.

Il va sans dire que la meilleure façon de réduire les coûts tant de la récidive que du maintien en incarcération consiste à offrir un traitement efficace aux délinquants sexuels. Le Guide d'évaluation du risque chez les délinquants sexuels peut être utile pour déterminer les besoins de traitement et la forme de traitement adaptée.

Ainsi, les délinquants à faible risque (qui obtiennent un score maximal de 0,17 sur l'instrument) pourraient bénéficier de programmes à faible intensité ou même ne recevoir aucun traitement. Les délinquants à risque élevé (qui obtiennent un score d'au moins 0,35) pourraient être aiguillés vers des programmes de traitement prélibératoires et faire l'objet, après leur mise en liberté, d'une surveillance étroite.



(1)C. P. 6128, succursale Centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3J7. Les auteurs tiennent à remercier V. L. Quinsey et M. Lalumière de leurs commentaires au sujet d'une version antérieure de cet article.
(2)QUINSEY, V. L., RICE, M. E. et HARRIS, G. T., «Actuarial prediction of sexual recidivism», The Journal of Interpersonal Violence, vol. 10, 1995, p. 85-105.
(3)HARRIS, G. T., communication personnelle. Le lecteur trouvera une description du Risk Appraisal Guide, qui ressemble beaucoup à cet instrument, dans WEBSTER, C. D. et coll., The Violence Prediction Scheme: Assessing Dangerousness in High Risk Men, Toronto, Centre of Criminology, 1994.