Une stratégie nationale pour la gestion des délinquants sexuels
Depuis 20 ans, le nombre de délinquants sexuels dans les pénitenciers
fédéraux du Canada ne cesse d'augmenter; il atteindrait actuellement 3 875. Ceci peut
être attribuable à divers facteurs : tendance accrue à signaler les agressions
sexuelles, formation pertinente des agents de police, qui disposent en outre de techniques de
détection et d'identification de plus en plus perfectionnées, mise en place de
procédures judiciaires qui incitent les victimes à témoigner. Les tribunaux
imposent aussi des peines de plus en plus longues pour ces agressions, et le retour des
délinquants dans la collectivité se fait plus lentement en raison d'un recours croissant
aux dispositions prévoyant leur maintien en incarcération.
Les délinquants sexuels apparaissent souvent comme des prédateurs insensibles, brutaux et
sans remords, qui réintègrent la société prêts à commettre de
nouveaux crimes sexuels dans les jours qui suivent leur mise en liberté. Mais la plupart d'entre
eux ne correspondent pas à ce stéréotype.
Il est beaucoup plus facile de croire qu'ils ne nous ressemblent pas, qu'ils ne pourraient pas
être un membre de notre famille ou de notre cercle d'amis. Pourtant, si l'on veut faire
réellement face au problème, il faut accepter le fait que la plupart des
délinquants sexuels évoluaient dans notre réseau social avant leur
incarcération et qu'ils réintégreront nos collectivités après leur
mise en liberté.
Il est aussi important de comprendre que l'évaluation et le traitement dans le système de
justice pénale ne constituent qu'une petite facette du vécu du délinquant. La
société doit s'employer à réduire l'apparition de délinquants sexuels
en son sein. En effet, il est beaucoup plus rentable de prévenir la délinquance sexuelle
que d'incarcérer et de traiter les délinquants sexuels.
Dans cet article, deux aspects complémentaires de ce problème social sont examinés
: la réaction du Service correctionnel du Canada face à l'augmentation récente du
nombre de délinquants sexuels, et la responsabilité de la société quant
à la prévention des infractions sexuelles. La recherche En 1973, les centres
psychiatriques régionaux du Service correctionnel du Canada à Kingston et à
Abbotsford ont ensemble établi des programmes de traitement pilotes à l'intention d'une
population, alors relativement faible, de délinquants sexuels. Il existait à cette
époque très peu d'écrits sur l'évaluation et le traitement de cette
catégorie de délinquants
(2).
En 1979, des recherches ont révélé qu'une thérapie comportementale
individualisée entraînait immanquablement une amélioration des résultats des
interventions de traitement auprès des délinquants sexuels
(3). Cette
constatation a exercé une influence profonde sur l'évolution des programmes de traitement
canadiens à l'intention des délinquants sexuels. En 20 ans, on en est venu à mieux
comprendre l'importance de faire correspondre le risque, les besoins et la traitabilité des
délinquants à l'intensité des traitements offerts, l'importance de l'empathie et de
la sensibilisation à la victime
(4), et les facteurs qui contribuent à
prévenir les rechutes
(5).
Plusieurs études récentes effectuées au Canada ont exploré diverses formes
de traitement des délinquants sexuels qui réduisent la récidive
(6), mais
certains chercheurs continuent à faire valoir la nécessité de mener des
études plus précises sur le plan empirique
(7). Une stratégie nationale
Le Service a décidé récemment de mettre en application une stratégie
nationale concernant les délinquants sexuels pour mieux répondre aux besoins de ce groupe
de délinquants hétérogène et qui pose des problèmes complexes.
À cette fin, il a créé, en 1994, un comité composé de
spécialistes de l'évaluation et du traitement des délinquants sexuels de toutes les
régions
(8).
Ce comité a élaboré des normes pour le traitement des délinquants sexuels
qui ont été soumises à l'examen de divers groupes intéressés, y
compris les délinquants, les services juridiques, les syndicats et les cadres du Service. Une
Directive du Commissaire sur ce sujet a été rédigée et elle a
été approuvée, en mars 1996, par le Comité de direction du Service.
Ces normes nationales énoncent les principes régissant la prestation de services aux
délinquants sexuels, définissent des lignes directrices relativement à
l'évaluation, au traitement et à la recherche, et tracent un cadre d'évaluation et
de responsabilisation.
L'évaluation des délinquants sexuels doit permettre de recueillir des renseignements
auprès de diverses sources, par divers moyens et à divers moments de la peine que purge
chaque délinquant.
Les normes décrivent une gamme de techniques de traitement. Il s'agit avant tout d'inciter le
délinquant à assumer l'entière responsabilité de ses infractions, de l'aider
à connaître son cycle criminel, de lui apprendre à faire face à ses pulsions
et fantasmes sexuels déviants et de l'amener à surmonter les obstacles à
l'établissement d'une relation valable basée sur le consentement et avec un partenaire du
bon âge. Le traitement a encore d'autres objectifs, comme apprendre à canaliser sa
colère, sa solitude et sa tristesse; apprendre à compatir avec autrui; éviter les
situations dangereuses ou savoir y faire face.
Certains problèmes peuvent être réglés au niveau cognitif, mais d'autres
exigent un traitement à composante comportementale. La thérapie de groupe est
recommandée, bien que la thérapie individuelle puisse être utile pour certains
délinquants. De plus, comme la motivation des délinquants faiblit souvent après
leur mise en liberté, il est essentiel de prévoir des programmes communautaires de
surveillance et de maintien.
Lorsqu'on évalue l'efficacité d'un programme, il importe de tenir compte du niveau de
risque des délinquants. On a constaté une corrélation entre certains facteurs de
risque et les résultats obtenus après la mise en liberté
(9). Les
délinquants qui sont jeunes au moment de leur infraction, qui ont déjà commis une
infraction sexuelle et dont la victime était un homme ou une femme adulte sont plus susceptibles
de commettre à nouveau une infraction sexuelle que les délinquants primaires plus
âgés qui ont agressé des membres de leur famille.
Il faut aussi tenir compte, lorsqu'on évalue les programmes pour délinquants sexuels, de
la durée de la période de suivi et du critère d'échec. Il semble plus
raisonnable de définir l'échec comme une nouvelle infraction avec violence, mesurée
selon sa gravité et le laps de temps écoulé jusqu'à cette infraction. Plus
elle est détaillée, plus l'analyse nous renseignera sur les réussites et les
échecs.
Enfin, la stratégie nationale est basée sur l'hypothèse que le Service embauchera
pour le programme des personnes ayant la formation et l'expérience voulues. Il faut
également prévoir une méthode de responsabilisation de façon à ce que
le contenu du programme puisse être décrit et suivi de la manière voulue.
Les sommes consacrées au traitement représentent une part minime du coût
d'incarcération d'un délinquant sexuel, qui est de 50 000 $ par année, et les
délinquants sexuels sont incarcérés en moyenne pendant quatre ans sous
responsabilité fédérale. À cela peut s'ajouter une somme minimale de 25 000
$ correspondant aux frais judiciaires, aux frais d'avocats, aux dommages-intérêts aux
victimes et aux frais d'hospitalisation. Il est impossible de déterminer le coût des
conséquences psychologiques d'une agression sexuelle, mais il faut aussi en tenir compte. Par
contre, le coût direct du traitement d'un délinquant sexuel s'élève à
environ 7 400 $ par année. Il suffirait d'empêcher à peine 40 délinquants
sexuels de récidiver chaque année pour financer la poursuite des programmes et
épargner une souffrance considérable à des victimes. Une responsabilité
sociale Notre but ultime doit être de prévenir les agressions sexuelles. Cela signifie que
la société dans son ensemble doit assumer une part de la responsabilité de
réduire les infractions sexuelles
(10).
Le premier niveau d'intervention est celui des parents. Ces derniers doivent susciter chez leurs
enfants un sentiment d'estime de soi, les sensibiliser à la sécurité, leur donner
le bon exemple et leur montrer la différence entre un «bon» et un
«mauvais» toucher. Les parents doivent également discuter avec leurs enfants de
questions, d'attitudes et de comportements sexuels. De concert avec les enseignants, ils doivent aborder
les aspects positifs et agréables de la sexualité et éviter de présenter
celle-ci comme avilissante, humiliante ou liée au pouvoir et au contrôle. Les parents
doivent également surveiller les amis, les activités et les allées et venues de
leurs enfants, ainsi que les personnes qui s'en occupent.
Les enfants doivent apprendre à respecter les règles de sécurité, et savoir
reconnaître et éviter les situations dangereuses. Les membres de la collectivité
doivent être conscients de comportements inhabituels dans les familles et dans la
société et être prêts à prendre les mesures requises. Quant aux
administrations, elles doivent continuer à appuyer les programmes de prévention de
l'agression sexuelle, les mesures d'éducation publique et les services d'écoute
téléphonique, en plus de mener des recherches sur le dépistage des
délinquants sexuels et les programmes d'intervention auprès de ces derniers. Des mesures
doivent également être prises pour filtrer tous les adultes appelés à
travailler directement auprès des enfants.
Le deuxième niveau d'intervention doit consister en une réaction prompte dès qu'un
cas de violence sexuelle est signalé. Les adultes et les enfants doivent savoir comment signaler
un cas d'exploitation sexuelle. Pour cela, ils doivent connaître les services de soutien
communautaires avec lesquels il faut communiquer et l'information dont il faut leur faire part. Les
responsables doivent mener des enquêtes précises et attentives, et assurer les services de
counseling requis aux victimes directes et indirectes, ainsi qu'aux adultes non agresseurs
concernés. Les prestataires de services doivent pouvoir reconnaître la victimisation et
intervenir efficacement.
Le troisième niveau de ce système de prévention suppose la communication de
renseignements au sujet du risque présenté par les délinquants. Les membres de la
famille des délinquants doivent établir un plan de sécurité pour les enfants
en danger et ils doivent connaître et signaler tout manquement aux conditions de la liberté
conditionnelle. Les délinquants doivent participer à des programmes de traitement et de
prévention de la rechute et suivre les plans élaborés à leur intention. Les
administrations doivent offrir des services de soutien aux délinquants, aux victimes et aux
membres non agresseurs de la famille, et intervenir promptement face à tout manquement aux
conditions de la liberté. Enfin, les collectivités doivent assurer le logement des
délinquants, accepter ces derniers sur le plan social et prévoir les niveaux voulus de
surveillance formelle. Un processus intégré La Stratégie nationale s'applique aux
délinquants sexuels purgeant une peine sous responsabilité fédérale, qui
doivent être évalués et traités de la manière la mieux
appropriée. Toutefois, pour endiguer le flot de délinquants sexuels dans les
pénitenciers fédéraux, il faut que les parents et les organismes gouvernementaux
s'emploient à produire une génération d'enfants qui aient confiance en
eux-mêmes et qui aient une attitude saine face à la sexualité et à leurs
camarades.
Réduire la récidive est le but de tous les prestataires de services de traitement.
Réduire le nombre de nouveaux délinquants sexuels devrait être celui de tous les
membres de la société. Le délinquant sexuel derrière les barreaux n'est pas
«l'un d'eux», il est «l'un de nous».
(1)Administration régionale (Ontario), 440, rue King ouest, C. P.
1174, Kingston (Ontario) K7L 4Y8.
(2)Voir FELDMAN, M. P. et MacCULLOUGH, M. J., Homosexual Behaviour, Therapy and
Assessment, New York, Pergamon Press, 1971. Voir également SALZMAN, L., «The
psychodynamic approach to sexual deviations», Sexual Behaviour, RESNICK, H. L. P. et
WOLFGANG, M. E., dir., Boston, Little Brown, 1972, p. 21-40.
(3)WILLIAMS, S. M., A Comparison of the Effectiveness of Psychotherapy and Behaviour
Therapy for Incarcerated Sex Offenders, thèse de doctorat, Université Queen, 1979.
(4)WILLIAMS, S. M. et KHANNA, A., «Empathy training for incarcerated sex
offenders», Proceedings of the Third Symposium on Violence and Aggression, Saskatchewan,
Université de la Saskatchewan et Centre psychiatrique régional (Prairies), 1990.
(5)LAWS, D. R., Relapse Prevention with Sex Offenders, New York, The Guilford Press,
1989.
(6)DAVIDSON, P. R., Behavioural Treatment for Incarcerated Sex Offenders: Post-release
Outcome, document présenté à la Conférence sur l'évaluation et le
traitement des délinquants sexuels, Kingston, 1984. Voir également MARSHALL, W. L. et
BARBAREE, H. E., «The long-term evaluation of a behavioural treatment program for child
molesters», Behaviour Research and Therapy, vol. 26, 1988, p. 499-511; et KHANNA, A. et
coll., Outcome Data on Sex Offenders Assessed and Treated at the Regional Treatment Centre
(Ontario), document présenté à la Première conférence annuelle
sur la recherche, Kingston, 1989.
(7)QUINSEY, V. L. et coll., «Assessing treatment efficacy in outcome studies of sex
offenders», Journal of Interpersonal Violence, vol. 8, no 4, 1993, p. 512-523.
(8)Comité sur la stratégie nationale concernant les délinquants sexuels
: Sharon Williams (présidente); R. Marcoux-Galarneau (région de l'Atlantique); Line
Bernier (région du Québec); Bruce Malcolm (région de l'Ontario); Roger Holden et
Gavin Sealy (région des Prairies); Carson Smiley (région du Pacifique); Larry Motiuk et
Bram Deurloo (administration centrale).
(9)HANSON, K. et BUSSIÈRE, M., «Les prédicteurs du risque chez les
délinquants sexuels : résumé des résultats de recherche», Forum
-Recherche sur l'actualité correctionnelle, vol. 8, no 2, 1996.
(10)WATERS, J., Keeping Kids Safe : A Victim-centred Approach for Managing Child Sexual
Offenders, Yukon Working Committee on Comprehensive Services for Child Sexual Offenders,
1994.