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L'application du principe du risque au traitement des délinquants sexuels
De nombreuses administrations correctionnelles incluent une composante de traitement dans leur plan de gestion du risque des délinquants sexuels. Malheureusement, seules quelques études ont démontré que le traitement pouvait faire baisser le risque de récidive(2). Certaines administrations tirent argument de la pénurie de preuves à cet égard pour réclamer l'imposition de peines de plus en plus sévères (et très coûteuses) aux délinquants sexuels et éliminer les programmes de traitement. C'est pourquoi les chercheurs doivent démontrer l'intérêt qu'il y a à traiter cette population, qui pose des problèmes délicats sur le plan politique.Tableau 1
Résultats postibératoires
pour l'échantillon du programme de Clearwater (257 délinquants) et l'échantillon national (1 164 délinquants) |
|||
Résultat |
Échantillon de Clearwater |
Échantillon national |
Valeur p |
Nouvelle condamnation pour une infraction sexuelle |
4,7% |
6,2% |
0,18 |
Nouvelle condamnation pour une autre infraction |
7,8% |
13,6% |
0,006 |
Révocation de la liberté sous condition |
23,3% |
11,3% |
0,000 |
Pas de réincarcération |
64,2% |
68,8 |
0,078 |
Les délinquants traités (dans le cadre du projet de Clearwater) étaient moins
susceptibles d'avoir été reconnus coupables d'infractions non sexuelles mais plus
susceptibles d'avoir vu leur liberté sous condition révoquée. Le taux de nouvelles
condamnations pour infractions sexuelles était faible dans les deux groupes; il était plus
bas pour les délinquants traités, mais la différence n'était pas
statistiquement significative.
Toutefois, l'application du principe du risque produit des résultats différents.
Étaient considérés comme des délinquants à risque élevé
ceux qui avaient déjà été reconnus coupables d'une infraction sexuelle
(parce que les données au sujet de l'échantillon national permettaient seulement de
définir le risque en fonction des infractions sexuelles antérieures). En utilisant cette
définition, on a constaté que les délinquants traités à risque
élevé avaient un taux beaucoup plus faible de récidive sexuelle et un taux
passablement plus faible de récidive non sexuelle, et qu'ils étaient moins susceptibles
d'être réincarcérés pour quelque raison que ce soit (voir le tableau 2).
Tableau 2
Résultats postlibératoires
des délinquants à risque élevé |
|||
Résultats |
Échantillon de Clearwater (80 délinquants) |
Échantillon national (116 délinquants) |
Valeur p |
Récidive sexuelle |
6.0% |
14.6% |
0.022 |
Récidive non sexuelle |
8.6% |
14.6% |
0.093 |
Revocation de la liberté sous condition |
20.7% |
21.9% |
0.43 |
Pas de réincarcération |
64.7% |
48.8% |
0.013 |
Les délinquants n'étaient pas également susceptibles d'être de nouveau
condamnés pour une infraction sexuelle. Dans l'échantillon de Clearwater, les
pédophiles (9,5 %) étaient plus susceptibles de commettre de nouvelles infractions
sexuelles que les violeurs (5 %), les agresseurs d'adultes et d'enfants (2,2 %) et les incestueux (0 %).
Par contre, les violeurs (10,2 %) et les délinquants qui avaient agressé tant des adultes
que des enfants (10,9 %) étaient plus susceptibles d'être reconnus coupables d'une
infraction non sexuelle que les agresseurs d'enfants (0 %). Malheureusement, on n'a pas distingué
de sous-catégories de délinquants dans l'échantillon national, de sorte qu'il est
impossible de compléter les comparaisons de groupes.
Les définitions de la récidive et du risque employées pour cette comparaison sont
certes restreintes. De nouvelles analyses aideront à définir d'autres mesures et
dimensions des résultats qui sont en corrélation avec des résultats positifs du
traitement. Ces données semblent toutefois révéler qu'un programme de traitement
cognitivo-comportemental structuré peut contribuer à réduire la récidive
sexuelle et que l'application du principe du risque peut optimiser l'incidence du traitement.
Application du principe du risque Une stratégie qui peut être employée pour
appliquer le principe du risque consiste à n'offrir le traitement qu'aux délinquants
présentant le niveau de risque le plus élevé. D'après les données du
programme de Clearwater, cela signifierait que les délinquants incestueux ne recevraient pas de
traitement durant leur incarcération.
Cette stratégie présente toutefois plusieurs inconvénients. Premièrement,
il se peut que le traitement procure aux délinquants à faible risque des avantages dont ne
rendent pas nécessairement compte les données sur la récidive, comme une
réintégration harmonieuse dans leur famille. De plus, certaines victimes (surtout les
victimes d'inceste) peuvent être moins portées à signaler les infractions et
à aider à poursuivre les délinquants si elles savent que ces derniers ne recevront
pas de traitement. Enfin, un clinicien peut ne détecter des tendances à la
pédophilie chez un délinquant incestueux à risque apparemment faible
qu'après une période de traitement. Il serait peut-être préférable
d'améliorer l'efficacité des interventions en appliquant le principe du risque dans le
cadre d'une politique consistant à offrir le traitement à tous les délinquants qui
sont disposés à le suivre.
Il existe plusieurs modèles d'une approche de ce genre. Les établissements peuvent par
exemple se spécialiser dans la prestation d'un traitement plus ou moins intensif à
différents types de délinquants sexuels. Le Service a précisément
adopté cette stratégie et il offre les programmes de traitement les plus intensifs aux
délinquants à risque élevé dans les centres psychiatriques, tout en offrant
un traitement moins intensif dans les établissements à sécurité moyenne et
minimale.
Au Twin Rivers Corrections Center de l'État de Washington, par contre, on offre des programmes
de traitement de divers niveaux d'intensité dans un même établissement de 200 lits.
En 1994, le temps mis à achever le traitement était de 28 % moins élevé pour
les délinquants incestueux que pour les délinquants qui avaient agressé
sexuellement des enfants ne faisant pas partie de leur famille.
Enfin, l'État de Washington a aussi élaboré une solution de rechange à
l'incarcération très efficace pour les délinquants sexuels primaires à
faible risque qui reconnaissent leur culpabilité(6). Au lieu d'être
incarcérés, les délinquants admissibles peuvent être condamnés
à suivre un programme de traitement dans la collectivité, en consultants externes, pendant
plusieurs années, ce qui est une solution moins coûteuse. Le choix entre un éventail
de peines et de traitements devrait permettre de faire correspondre le risque et les besoins des
délinquants au traitement indiqué et le plus rentable, tout en protégeant la
collectivité. Considérations d'ordre pratique Il peut être difficile de traiter les
délinquants sexuels à risque élevé. Ils sont beaucoup plus endurcis dans
leur déviance sexuelle, plus susceptibles de minimiser et de défendre leur comportement et
plus récalcitrants à voir le monde du point de vue du thérapeute. La plupart ne
satisfont pas aux attentes des thérapeutes sur les plans de la capacité de s'exprimer, de
la coopération et de la motivation. C'est pourquoi ils sont souvent rejetés des programmes
de traitement.
D'après des recherches récentes, le non-achèvement d'un programme de traitement
pourrait être un important prédicteur de la récidive. Ainsi, les 13 % de
participants qui n'avaient pas achevé le programme de traitement de Clearwater étaient 50
% plus susceptibles d'être reconnus coupables d'une nouvelle infraction sexuelle. Pour leur part,
les pédophiles n'ayant pas achevé le traitement étaient deux fois plus susceptibles
de récidiver. Les thérapeutes doivent donc faire preuve de persévérance en
ce qui concerne les cas difficiles. Cela exige de leur part une plus grande résolution et des
qualités de leadership supérieures.
Le traitement des clients à risque élevé peut aussi comporter un coût
d'ordre politique. Même si le traitement est susceptible de réduire la récidive chez
ces délinquants, leur niveau de risque signifie qu'un certain nombre d'entre eux
récidiveront quand même. Malheureusement, des données statistiquement significatives
sur l'incidence du traitement n'impressionnent guère le public et les médias quand des
délinquants pourtant traités récidivent. C'est pourquoi beaucoup de prestataires de
services de traitement dans la collectivité et certains responsables de programmes en
établissement refusent les délinquants à risque élevé.
Comment choisir entre la prestation de services ayant des chances d'être efficaces, mais qui
peuvent en définitive entraîner l'élimination d'un programme à cause de la
réaction de la société face à la récidive de certains
délinquants sexuels à risque élevé, et la prestation de services moins
intensifs à des délinquants sexuels à faible risque qui, comme groupe,
récidivent moins souvent? En tant que cliniciens professionnels ou fonctionnaires, nous avons le
devoir de fournir les services qui auront le plus d'effet sur les délinquants,
c'est-à-dire les services de traitement destinés aux délinquants sexuels à
risque élevé. En amenant le public et les médias à avoir des attentes plus
réalistes, il sera plus facile, espérons-nous, de faire ce choix.