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L'application du principe du risque au traitement des délinquants sexuels

De nombreuses administrations correctionnelles incluent une composante de traitement dans leur plan de gestion du risque des délinquants sexuels. Malheureusement, seules quelques études ont démontré que le traitement pouvait faire baisser le risque de récidive(2). Certaines administrations tirent argument de la pénurie de preuves à cet égard pour réclamer l'imposition de peines de plus en plus sévères (et très coûteuses) aux délinquants sexuels et éliminer les programmes de traitement. C'est pourquoi les chercheurs doivent démontrer l'intérêt qu'il y a à traiter cette population, qui pose des problèmes délicats sur le plan politique.

Il se peut que les méthodes actuelles d'utilisation et d'évaluation des programmes de traitement ne permettent pas d'en apprécier correctement les effets. Ainsi, malgré la diversité reconnue de la population de délinquants sexuels, de nombreux programmes prévoient les mêmes interventions pour tous. En outre, les évaluations servent ordinairement à déterminer l'influence du programme de traitement sur les résultats obtenus après la mise en liberté pour l'ensemble du groupe. Or, il semble que des interventions puissent réduire la récidive chez certains délinquants, mais pas nécessairement chez tous.

Des conclusions récentes au sujet des mesures de traitement qui se révèlent efficaces à l'égard des populations criminelles générales pourraient nous fournir un cadre utile pour améliorer les démarches de traitement et d'évaluation des délinquants sexuels. C'est par exemple chez les délinquants à risque élevé(3) que des programmes de traitement appropriés semblent réduire le plus la récidive. Dans cet article, on examine des données récentes sur les résultats des programmes de traitement pour délinquants sexuels4 qui illustrent justement le principe du risque. Le programme de Clearwater Le programme de traitement des délinquants sexuels de Clearwater a commencé à être appliqué au Centre psychiatrique régional (Prairies) du Service correctionnel du Canada en 1981. Basé sur une approche cognitivo-comportementale structurée, ce programme a de plus en plus été adopté comme moyen de traitement et de prévention de la rechute.

Les auteurs d'une étude récente ont exploré les résultats postlibératoires de 257 délinquants sexuels qui ont achevé le programme de traitement de Clearwater entre 1981 et 1994 et qui ont été suivis pendant une période moyenne de 5,2 ans. Parmi ces délinquants, 55 % étaient des violeurs, 16 %, des pédophiles et 11 %, des incestueux, tandis que 18 % avaient agressé tant des adultes que des enfants.

Nous comparons dans cet article les résultats postlibératoires de ces délinquants à ceux d'un échantillon national de 1 164 délinquants sexuels5 relevant du Service (voir le tableau 1). Cet échantillon national comprenait tous les délinquants sexuels ayant été libérés d'établissements du Service en 1988 (et qui ont été suivis pendant une période de trois ans). Pour assurer la conformité avec les données nationales, on a retenu comme résultat, dans l'étude du programme de Clearwater, le premier incident postlibératoire entraînant la réincarcération du délinquant.

Tableau 1

Résultats postibératoires pour l'échantillon du programme de Clearwater
(257 délinquants) et l'échantillon national (1 164 délinquants)
Résultat
Échantillon de
Clearwater
Échantillon
national
Valeur p
Nouvelle condamnation pour
une infraction sexuelle
4,7%
6,2%
0,18
Nouvelle condamnation pour
une autre infraction
7,8%
13,6%
0,006
Révocation de la
liberté sous condition
23,3%
11,3%
0,000
Pas de réincarcération
64,2%
68,8
0,078

Les délinquants traités (dans le cadre du projet de Clearwater) étaient moins susceptibles d'avoir été reconnus coupables d'infractions non sexuelles mais plus susceptibles d'avoir vu leur liberté sous condition révoquée. Le taux de nouvelles condamnations pour infractions sexuelles était faible dans les deux groupes; il était plus bas pour les délinquants traités, mais la différence n'était pas statistiquement significative.

Toutefois, l'application du principe du risque produit des résultats différents. Étaient considérés comme des délinquants à risque élevé ceux qui avaient déjà été reconnus coupables d'une infraction sexuelle (parce que les données au sujet de l'échantillon national permettaient seulement de définir le risque en fonction des infractions sexuelles antérieures). En utilisant cette définition, on a constaté que les délinquants traités à risque élevé avaient un taux beaucoup plus faible de récidive sexuelle et un taux passablement plus faible de récidive non sexuelle, et qu'ils étaient moins susceptibles d'être réincarcérés pour quelque raison que ce soit (voir le tableau 2).

Tableau 2

Résultats postlibératoires des délinquants à risque élevé
Résultats
Échantillon de
Clearwater
(80 délinquants)
Échantillon
national
(116 délinquants)
Valeur p
Récidive sexuelle
6.0%
14.6%
0.022
Récidive non sexuelle
8.6%
14.6%
0.093
Revocation de la liberté sous condition
20.7%
21.9%
0.43
Pas de réincarcération
64.7%
48.8%
0.013

Les délinquants n'étaient pas également susceptibles d'être de nouveau condamnés pour une infraction sexuelle. Dans l'échantillon de Clearwater, les pédophiles (9,5 %) étaient plus susceptibles de commettre de nouvelles infractions sexuelles que les violeurs (5 %), les agresseurs d'adultes et d'enfants (2,2 %) et les incestueux (0 %). Par contre, les violeurs (10,2 %) et les délinquants qui avaient agressé tant des adultes que des enfants (10,9 %) étaient plus susceptibles d'être reconnus coupables d'une infraction non sexuelle que les agresseurs d'enfants (0 %). Malheureusement, on n'a pas distingué de sous-catégories de délinquants dans l'échantillon national, de sorte qu'il est impossible de compléter les comparaisons de groupes.

Les définitions de la récidive et du risque employées pour cette comparaison sont certes restreintes. De nouvelles analyses aideront à définir d'autres mesures et dimensions des résultats qui sont en corrélation avec des résultats positifs du traitement. Ces données semblent toutefois révéler qu'un programme de traitement cognitivo-comportemental structuré peut contribuer à réduire la récidive sexuelle et que l'application du principe du risque peut optimiser l'incidence du traitement. Application du principe du risque Une stratégie qui peut être employée pour appliquer le principe du risque consiste à n'offrir le traitement qu'aux délinquants présentant le niveau de risque le plus élevé. D'après les données du programme de Clearwater, cela signifierait que les délinquants incestueux ne recevraient pas de traitement durant leur incarcération.

Cette stratégie présente toutefois plusieurs inconvénients. Premièrement, il se peut que le traitement procure aux délinquants à faible risque des avantages dont ne rendent pas nécessairement compte les données sur la récidive, comme une réintégration harmonieuse dans leur famille. De plus, certaines victimes (surtout les victimes d'inceste) peuvent être moins portées à signaler les infractions et à aider à poursuivre les délinquants si elles savent que ces derniers ne recevront pas de traitement. Enfin, un clinicien peut ne détecter des tendances à la pédophilie chez un délinquant incestueux à risque apparemment faible qu'après une période de traitement. Il serait peut-être préférable d'améliorer l'efficacité des interventions en appliquant le principe du risque dans le cadre d'une politique consistant à offrir le traitement à tous les délinquants qui sont disposés à le suivre.

Il existe plusieurs modèles d'une approche de ce genre. Les établissements peuvent par exemple se spécialiser dans la prestation d'un traitement plus ou moins intensif à différents types de délinquants sexuels. Le Service a précisément adopté cette stratégie et il offre les programmes de traitement les plus intensifs aux délinquants à risque élevé dans les centres psychiatriques, tout en offrant un traitement moins intensif dans les établissements à sécurité moyenne et minimale.

Au Twin Rivers Corrections Center de l'État de Washington, par contre, on offre des programmes de traitement de divers niveaux d'intensité dans un même établissement de 200 lits. En 1994, le temps mis à achever le traitement était de 28 % moins élevé pour les délinquants incestueux que pour les délinquants qui avaient agressé sexuellement des enfants ne faisant pas partie de leur famille.

Enfin, l'État de Washington a aussi élaboré une solution de rechange à l'incarcération très efficace pour les délinquants sexuels primaires à faible risque qui reconnaissent leur culpabilité(6). Au lieu d'être incarcérés, les délinquants admissibles peuvent être condamnés à suivre un programme de traitement dans la collectivité, en consultants externes, pendant plusieurs années, ce qui est une solution moins coûteuse. Le choix entre un éventail de peines et de traitements devrait permettre de faire correspondre le risque et les besoins des délinquants au traitement indiqué et le plus rentable, tout en protégeant la collectivité. Considérations d'ordre pratique Il peut être difficile de traiter les délinquants sexuels à risque élevé. Ils sont beaucoup plus endurcis dans leur déviance sexuelle, plus susceptibles de minimiser et de défendre leur comportement et plus récalcitrants à voir le monde du point de vue du thérapeute. La plupart ne satisfont pas aux attentes des thérapeutes sur les plans de la capacité de s'exprimer, de la coopération et de la motivation. C'est pourquoi ils sont souvent rejetés des programmes de traitement.

D'après des recherches récentes, le non-achèvement d'un programme de traitement pourrait être un important prédicteur de la récidive. Ainsi, les 13 % de participants qui n'avaient pas achevé le programme de traitement de Clearwater étaient 50 % plus susceptibles d'être reconnus coupables d'une nouvelle infraction sexuelle. Pour leur part, les pédophiles n'ayant pas achevé le traitement étaient deux fois plus susceptibles de récidiver. Les thérapeutes doivent donc faire preuve de persévérance en ce qui concerne les cas difficiles. Cela exige de leur part une plus grande résolution et des qualités de leadership supérieures.

Le traitement des clients à risque élevé peut aussi comporter un coût d'ordre politique. Même si le traitement est susceptible de réduire la récidive chez ces délinquants, leur niveau de risque signifie qu'un certain nombre d'entre eux récidiveront quand même. Malheureusement, des données statistiquement significatives sur l'incidence du traitement n'impressionnent guère le public et les médias quand des délinquants pourtant traités récidivent. C'est pourquoi beaucoup de prestataires de services de traitement dans la collectivité et certains responsables de programmes en établissement refusent les délinquants à risque élevé.

Comment choisir entre la prestation de services ayant des chances d'être efficaces, mais qui peuvent en définitive entraîner l'élimination d'un programme à cause de la réaction de la société face à la récidive de certains délinquants sexuels à risque élevé, et la prestation de services moins intensifs à des délinquants sexuels à faible risque qui, comme groupe, récidivent moins souvent? En tant que cliniciens professionnels ou fonctionnaires, nous avons le devoir de fournir les services qui auront le plus d'effet sur les délinquants, c'est-à-dire les services de traitement destinés aux délinquants sexuels à risque élevé. En amenant le public et les médias à avoir des attentes plus réalistes, il sera plus facile, espérons-nous, de faire ce choix.



(1)C. P. 888, Monroe, Washington 98272.
(2)MARSHALL, W. L. et BARBAREE, H. E., «The long-term evaluation of a behavioural treatment program for child molesters», Behaviour Research and Therapy, vol. 26, 1988, p. 499-511.
(3)ANDREWS, D. et coll., «Does correctional treatment work? A clinically relevant and psychologically informed meta-analysis», Criminology, vol. 28, no 3, 1990, p. 369-404.
(4)NICHOLAICHUK, T. et GORDON, A., Outcome of the Clearwater Sex Offender Treatment Program, document présentéà la 14e Association for the Treatment of Sexual Abusers Research and Treatment Conference, Nouvelle-Orléans, 1995.
(5)GORDON, A. et PORPORINO, F., Le traitement des délinquants sexuels : L'approche du Canada, B-05, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1991.
(6)BERLINER, L., SCHRAM, D., MILLER, L. et MILLOY, C. D., «A sentencing alternative for sexual offenders: A study of decision making and recidivism», Journal of Interpersonal Violence, vol. 10, no 4, 1995, p. 487-502.