Service correctionnel du Canada
Symbole du gouvernement du Canada

Liens de la barre de menu commune

FORUM - Recherche sur l'actualité correctionnelle

Avertissement Cette page Web a été archivée dans le Web.

Les détenus autochtones : tendances et projections démographiques

par Roger E. Boe1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

Depuis le début des années 1970, le Ministère du Solliciteur général du Canada se préoccupe particulièrement de la situation des autochtones puisque ceux-ci comptent pour environ 9 % des détenus sous responsabilité fédérale bien qu’ils ne représentent que 2,5 % de la population canadienne » (Groupe d’étude sur les autochtones, 1989)2.

Ce Rapport remonte à 1989, mais la situation n’a pas beaucoup changé depuis. Près d’une décennie plus tard, selon le profil instantané des détenus présenté par Statistique Canada, le nombre d’Autochtones est plus disproportionné que jamais dans les établissements correctionnels. En octobre 1996, une enquête éclair auprès de tous les établissements correctionnels pour adultes au Canada a révélé que les détenus autochtones constituaient environ 14 % de la population carcérale fédérale et environ 17 % des détenus emprisonnés dans les établissements correctionnels provinciaux et territoriaux pour adultes3. En janvier 1999, cette proportion atteignait 17,5 % des détenus sous responsabilité fédérale (voir le Tableau 1).

Au moment du recensement du Canada de 1996, les Autochtones constituaient moins de 3 % de la population canadienne. Par conséquent, la surreprésentation des Autochtones dans la population carcérale adulte a augmenté plus rapidement que leur proportion par rapport au reste de la population. En 1996, les Autochtones risquaient de 5 à 6 fois plus d’être incarcérés que leur proportion de la population ne l’aurait laissé supposer, contre un rapport d’environ 3,6 fois en 1989.

D’après les tendances démographiques actuelles, cette surreprésentation devrait se poursuivre à moins qu’il ne se produise des changements importants dans l’interaction des Autochtones avec le système de justice pénale. Cet article passe brièvement en revue certaines de ces tendances démographiques.

Les Autochtones dans le recensement de 1996

Dans le recensement de 1996, les répondants ont été classés comme Autochtones lorsqu’ils ont déclaré qu’ils appartenaient à l’un des trois groupes suivants : Indiens d’Amérique du Nord, Métis ou Inuits. Il y avait environ 799 015 Autochtones en 1996. Selon le recensement, les deux tiers environ des Autochtones ou 554 000 personnes étaient des Indiens d’Amérique du Nord, le quart ou 210 000, des Métis, et le vingtième ou 41 000, des Inuits4.

À l’échelle nationale, les Autochtones représentaient 2,8 % de la population canadienne. Cependant, comme l’indique le Tableau 1, cette population n’était pas répartie uniformément, car le nombre d’Autochtones était assez faible dans l’Est du pays (seulement 0,7 % de la population de l’Île-du-Prince-Édouard) et il était beaucoup plus élevé dans l’Ouest (62 % de la population des Territoires du Nord-Ouest).

Les Autochtones sont beaucoup plus jeunes que le reste de la population

En 1996, l’âge moyen des Autochtones s’établissait à 25,5 ans, soit 10 ans de moins que celui de l’ensemble de la population canadienne. Les enfants de moins de 15 ans constituaient 35 % de la population autochtone contre seulement 20 % de l’ensemble de la population. Les jeunes de 15 à 24 ans (18 %) étaient également plus nombreux chez les Autochtones.

En outre, il y avait 491 enfants autochtones de moins de cinq ans pour 1 000 femmes autochtones en âge de procréer en 1996, soit un rapport plus élevé d’environ 70 % que celui observé dans le reste de la population.

La population autochtone augmentera rapidement

Étant donné le nombre de jeunes enfants et le taux de natalité beaucoup plus élevé des Autochtones, on prévoit que le nombre d’Autochtones de 15 à 24 ans s’accroîtra considérablement au cours de la prochaine décennie. En 1996, il y avait environ 144 000 personnes dans ce groupe d’âge, et Statistique Canada prévoit qu’en 2006, il y en aura 181 000 (une hausse de 26 %). La hausse connexe du nombre de femmes autochtones en âge de procréer se traduira par la naissance d’un grand nombre d’enfants autochtones.

De même, pendant la décennie, d’autres segments de la population autochtone devraient connaître une augmentation sensible. Le nombre de personnes âgées de 35 à 54 ans devrait passer de 173 000 à 244 000, soit une hausse de 41 % d’ici 2006.

La vie en milieu urbain entre en ligne de compte

Non seulement la population autochtone est plus jeune et croît plus rapidement, mais il semble aussi y avoir une concentration croissante de cette population dans le centre des grandes villes (surtout dans l’Ouest). Ceci pourrait accroître considérablement le risque des Autochtones d’avoir des démêlés avec le système de justice pénale. En 1992, Carol LaPrairie a examiné les caractéristiques démographiques des détenus autochtones dans les établissements correctionnels5. Selon ses recherches, les groupes autochtones qui habitent dans le noyau des grandes villes risquent plus de commettre des crimes et d’avoir des démêlés avec la justice pénale.

Les Indiens inscrits du centre des grandes villes de l’Ouest étaient le plus à risque, tout comme les délinquants autochtones qui commettent des infractions à l’extérieur des réserves. Il y avait un autre facteur de risque dans le cas de ces délinquants autochtones, car ils se trouvaient généralement au niveau inférieur de l’échelle socio-économique et constituaient une partie disproportionnée de la catégorie sociale des « moins bien nantis ».

Caractéristiques familiales des Autochtones

On ne sait pas exactement si la migration vers les villes entraîne la poursuite des privations subies pendant l’enfance ou si elle en résulte. En 1996, Johnston a interrogé un échantillon représentant 10 % de la population de délinquants autochtones sous responsabilité fédérale au sujet de leur enfance. Il a constaté que l’abus précoce des drogues (60 %) et de l’alcool (58 %) était chose courante tout comme les problèmes de comportement pendant l’enfance (57 %).

Les autres caractéristiques les plus fréquentes observées étaient la violence physique (45 %) et sexuelle (21 %) pendant l’enfance ainsi que la pauvreté extrême (35 %) et l’absence des parents (41 %). Vingt et un pour cent de ces délinquants avaient tenté de se suicider. Selon cette étude, les détenus autochtones pourraient être considérés comme des personnes ayant beaucoup de besoins qui ont été défavorisées pendant leur enfance6.

La surreprésentation des Autochtones est omniprésente

La surreprésentation des Autochtones dans les prisons pour adultes au Canada et le système pénitentiaire est omniprésente comme en témoignent les données récentes provenant du « Profil instantané d’une journée » de la population carcérale du Canada7.

La proportion des détenus autochtones est beaucoup plus élevée dans les provinces de l’Ouest que dans l’Est du Canada (voir le Tableau 1). La proportion des Autochtones dans l’ensemble de la population a également subi une hausse d’Est en Ouest, mais pas aussi rapidement.

Au sein du système fédéral, le nombre de détenus autochtones par rapport au reste de la population variait de 4 % au Québec à un peu plus de 44 % dans la région des Prairies (voir le Tableau 2). Les Autochtones sont surreprésentés dans toutes les régions.

Tableau 1

Proportion des Autochtones au Canada (Recensement de 1996) et des détenus sous
responsabilité fédérale dans la population carcérale du SCC

Région
ou province

Population
totale au
recensement
de1996

Population
autochtones
totale

Autochtone
en % de la
population
totale

Total des
délinquants
incarcérés

Détenus
autochtone
— Est du
pays*

Autochtones
en % des
délinquants
incarcérés

Terre-Neuve

547,160

14,205

2,6%

Île-du-Prince-
É douard

132,855

950

0,7%

Nouvelle-
É cosse

899,970

12,380

1,4%

Nouveau-
Brunswick

729,630

10,250

1,4%

Atlantique

2,309,615

37,785

1,6%

1,278

91

7,1%

Québec

7,045,080

71,415

1,0%

3,378

138

4,1%

Ontario

10,642,790

141,525

1,3%

3,462

267

7,7%

Manitoba

1,100,295

128,685

11,7%

Saskatchewan

976,615

111,245

11,4%

Alberta

2,669,195

122,840

4,6%

Territoires
du N.-O.

64,1203

9,690

61,9%

Prairies

4,810,225

402,460

8,4%

3,322

1470

44,3%

Colombie-
Britanniqiue

3,689,755

139,655

3,8%

Yukon

30,655

6,175

20,1%

Pacifique

3,720,410

145,830

3,9%

1,775

3481

9,6%

Canada

28,528,120

799,015

2,8%

13,215

2,314

17,5%

Source : Statistique Canada, Population totale selon le groupe autochtone, recensement de
1996, Il convient de noter que le recensement ne comprenait pas la population du Nunavut,
qui n’existait pas alors

SGD/SIC (1999-01-10), * Le classement a été effectué selon les déclarations des intéressés
et d’autres documents sur l’évaluation initiale

Tableau 2

Profil instantané des établissements correctionnels pour adultes,
5 octobre 1996
Jurisdiction
Autochtones en %
des détenus
Autochtones en %
de la population adulte
Terre-Neuve
12
2
Île-du-Prince-Édouard
2
1
Nouvelle-Écosse
5
1
Nouveau-Brunswick
5
1
Québec
3
1
Ontario
9
1
Manitoba
61
9
Saskatchewan
76
8
Alberta
34
4
Colombie-Britannique
17
3
Territoires du Nord-Ouest
93
54
Yukon
56
18
Fédéral (SCC)
14
3
TOTAL pour le Canada
17
3
Source : CCSJ, Juristat : Profil instantané d’une journée des détenus dans les
établissements correctionnels pour adultes du Canada, vol. 18, no 8, juin 1998.

Le nombre d'Autochtones incarcérés a considérablement augmenté

Comme l’indique le Tableau 3, les provinces de l’Ouest et les Territoires ont enregistré la hausse la plus forte du nombre d’Autochtones incarcérés. Dans l’ensemble, alors que le nombre d’Autochtones incarcérés ne constituait pas une proportion plus forte du nombre de délinquants admis chaque année dans les systèmes provinciaux et territoriaux entre 1980-1981 et 1997-1998, la proportion de détenus sous responsabilité fédérale est passée de 10 à 17 % au cours de cette période. Les trois provinces des Prairies ont enregistré des hausses de plus de 10 points de pourcentage pendant cette période.

Résumé

Compte tenu des tendances antérieures, il semble peu probable que le problème de la surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels et le système de justice pénale disparaisse de lui-même. Les Autochtones sont surrreprésentés au sein des populations carcérales du Canada, et ce phénomène s’amplifie. Cette situation pose un problème surtout dans l’Ouest du Canada et dans les Territoires.

Tableau 3

Les Autochtones en pourcentage du nombre d’incarcérations
dans les établissements fédéraux, provinciaux et territoriaux
Jurisdiction
% des
admissions
en 1980/81
% des
admissions
en 1990/91
% des
admissions
en 1997/98
Variation de
1980/81
à 1997/98
Terre-Neuve
3
3
7
+4 points
Île-du-Prince-Édouard
5
4
3
-2
Nouvelle-Écosse
4
3
4
Nouveau-Brunswick
3
5
4
+1
Québec
1
2
1
Ontario
9
8
9
Manitoba
50
49
61
+11
Saskatchewan
62
68
72
+10
Alberta
26
34
39
+13
Colombie-Britannique
18
18
16
-2
Territoires du Nord-Ouest
84
91
90
+6
Yukon
56
63
77
+21
Canada
15
19
15
Fédéral (SCC)
10
12
17
+7

Parmi les raisons de cet état de fait, mentionnons la hausse croissante du nombre de jeunes Autochtones par rapport à l’ensemble de la population autochtone. De plus, la population autochtone augmente dans le centre des grandes villes et à l’extérieur des réserves. Ces deux phénomènes semblent accroître la possibilité que les Autochtones aient des démêlés avec le système de justice pénale. Par conséquent, les Autochtones continueront de risquer davantage d’être incarcérés à moins que des mesures ne soient prises pour qu’ils aient moins de démêlés avec le système de justice pénale.


1. 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.

2. Groupe d’étude sur les Autochtones au sein du régime correctionnel fédéral : Rapport final, Solliciteur général du Canada, 1989, p. 5.

3. CCSJ, Juristat, Femmes détenues, détenus autochtones et détenus condamnés à perpétuité : Un profil instantané d’une journée, Statistique Canada, vol. 19, no 5, avril 1999.

4. Ces totaux partiels dépassent également la population autochtone totale car un petit nombre, environ 6 400, ont déclaré qu’ils se considéraient comme appartenant à plus d’un groupe autochtone. Voir Statistique Canada, Le Quotidien, mardi, 13 janvier 1998, recensement de 1996, données sur les Autochtones.

5. Voir, par exemple, LaPRAIRIE, C. La surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels et les répercussions sur la prévention du crime, Solliciteur général du Canada, 1992.

6. JOHNSTON, J.C. Enquête sur les délinquants autochtones : Examen de dossiers et entrevues, Rapport R-61, septembre 1997, Service correctionnel du Canada. Il convient de noter que Johnston avait constaté des caractéristiques semblables pour les détenus autochtones du Nord : Profil des délinquants du nord sous responsabilité fédérale, Rapport R-36, septembre 1994, Service correctionnel du Canada.

7. CCSJ, Juristat, Profil instantané d’une journée des détenus dans les établissements correctionnels pour adultes du Canada, Statistique Canada, 1998, vol. 18, no 8.