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Enquêtes sur les délinquants autochtones sous responsabilité fédérale : Un sommaire

par Joseph C. Johnston1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

Cet article présente les conclusions de deux études menées auprès de délinquants autochtones de sexe masculin purgeant une peine dans un établissement correctionnel fédéral. La première étude (1994)2 dressait le profil de près de la moitié des délinquants autochtones du Nord sous responsabilité fédérale qui étaient incarcérés dans la région des Prairies et dans les Territoires du Nord-Ouest. La deuxième étude (1997)3 portait sur un échantillon choisi de délinquants autochtones sous responsabilité fédérale. Les auteurs des deux études ont eu recours au même genre de données : dossiers de condamnation au criminel de la Gendarmerie royale du Canada, examens de dossiers de cas et entrevues individuelles. Le présent article fait ressortir certaines différences et similitudes entre les deux échantillons4.

Groupe d’Autochtones et langue maternelle

L’échantillon de délinquants autochtones du Nord (1994) se composait d’Inuits (56,3 %), de Métis (14,1 %), de Dénés (9,4 %), de Chippewyan (4,7 %), de Gwich’in (3,1 %) et de membres d’autres groupes ou de sang mêlé (12,5 %). Un peu plus de 40 % des personnes de l’échantillon ont déclaré que l’inuktitut était leur langue maternelle, tandis que 39 % ont dit que c’était l’anglais. Aucun délinquant autochtone du Nord n’a déclaré avoir le français comme langue maternelle ou langue seconde.

Dans l’étude de 1997, les délinquants autochtones ont été répartis dans des groupes selon leur première langue. Pour la majorité (48 %), l’anglais était la première langue. Parmi ceux qui ont déclaré que leur première langue était autochtone, 28 % parlaient le cri, suivis de l’inuktitut/autre langue du Nord/inuit (16 %), de l’ojibway (14 %) et de l’iroquois/mohawk (7%). Quelque 9 % des personnes visées par l’étude de 1997 ont déclaré que le français était leur première langue.

Antécédents criminels

Dans l’ensemble, les infractions contre les biens introduction par effraction, vol et recel prédominaient chez les délinquants autochtones de l’échantillon de 1997. Environ trois délinquants autochtones sur dix (31 %) étaient incarcérés pour meurtre ou homicide involontaire; 68 % avaient été condamnés pour voies de fait et 35 % purgeaient une peine d’emprisonnement pour une infraction sexuelle.

L’échantillon de délinquants autochtones du Nord visé par l’étude de 1994 présentait des condamnations pour des infractions criminelles accompagnées de violence, comme des voies de fait, de nature sexuelle ou non.

Plus de la moitié avaient déjà été condamnés au moins une fois pour une infraction sexuelle, alors qu’un peu plus de 40 % avaient été condamnés au moins trois fois pour voies de fait.

Conditions de vie dans l’enfance

On a recueilli des renseignements sur l’enfance de chaque délinquant dans les dossiers de cas. Les deux échantillons d’étude présentaient des expériences semblables vécues par les délinquants au cours de leur enfance (voir le tableau ci-dessous), comme l’abus de l’alcool et de drogues, des parents absents, la pauvreté et des problèmes de comportement. Dans les deux échantillons, des délinquants ont dit avoir été victimes de violence physique et sexuelle pendant leur enfance. Un pourcentage important d’entre eux n’ont pas été élevés par leur famille. Près de 11 % des personnes représentées dans l’échantillon de 1994 ont été élevées dans des foyers collectifs ou d’accueil. Dans l’échantillon de 1997, 28 % des délinquants ont été élevés comme pupilles, tandis que 15 % ont été envoyés en école résidentielle. Vingt et un pour cent des délinquants de l’échantillon de 1997 ont tenté de se suicider ou se sont automutilés.

Tableau 1

Information sur les conditions de vie dans l’enfance
Information sur les antécédents
Échantillon de 1997 (pourcentage)
Échantillon de 1997 (pourcentage)
Abus de l’alcool
84,4
57,9
Abus de drogues
50,0
60,4
Violence physique
50,0
45,2
Parents absents
35,9
41,4
Pauvreté
35,9
35,3
Problèmes de comportement
65,6
57,1
Problèmes d’apprentissage
15,6
36,9

Études et emploi

Près des deux tiers des délinquants de l’échantillon de 1997 éprouvaient des difficultés dans le domaine de l’emploi (63 %), et plus de la moitié d’entre eux (54 %) avaient des besoins en matière d’études, comme on avait pu le déterminer à partir des examens des dossiers de cas. Près de 60 % des délinquants de l’échantillon de 1994 avaient un niveau d’instruction inférieur à la 10e année. La plupart des répondants ont déclaré qu’ils occupaient un emploi de type semi-spécialisé (47 %) ou traditionnel (10 %), et près de 30 % ont dit qu’ils ne travaillaient que de façon occasionnelle. Il semble que les besoins en matière d’emploi des personnes de cet échantillon soient élevés, car très peu des participants à l’étude ont signalé qu’ils occupaient un emploi spécialisé et à temps plein avant d’être incarcérés.

Programmes et attitudes à l’égard du personnel de l’établissement

Programmes

Lors de l’étude de 1994, les délinquants de l’échantillon ne pouvaient pas participer à des programmes appropriés pour Autochtones pour deux raisons. Premièrement, aucun programme destiné spécifiquement aux Autochtones n’était offert dans l’établissement correctionnel où ils étaient incarcérés. Deuxièmement, aux endroits où il y avait de tels programmes, ceux-ci étaient davantage axés sur les cultures autochtones du Sud plutôt que sur celles du Nord. Certains Inuits ayant pris part à l’étude ont fait remarquer que les différences culturelles entre eux et les groupes plus au Sud, comme les Cris, étaient assez importantes. Malgré les limites des programmes pertinents, la majorité des délinquants de l’échantillon (52 %) avaient une attitude positive à l’égard des programmes mis en œuvre en établissement. Au moment où l’étude a été menée, 22 % des délinquants de l’échantillon participaient à des programmes de formation professionnelle, 16 %, à des programmes de lutte contre la toxicomanie, et 11 %, à des programmes d’études.

Les délinquants de l’échantillon de 1997 ont jugé que les programmes destinés aux Autochtones étaient plus efficaces et y participaient avec une attitude plus positive qu’aux programmes pour non-Autochtones. Voici les programmes dont les taux de participation étaient les plus élevés : lutte contre la toxicomanie (59 %), orientation personnelle/affective (43 %), études/formation (36 %), emploi (28 %) et attitudes criminelles (22 %). Il est intéressant de noter que les programmes de lutte contre la toxicomanie et d’orientation personnelle/affective étaient destinés aux Autochtones. Dans le cadre de l’étude, on a demandé aux délinquants de l’échantillon quels programmes, à leur avis, étaient les plus efficaces. Parmi ceux qui ont répondu à cette question, 11 % ont déclaré qu’il s’agissait des programmes de lutte contre la toxicomanie, et 8 %, les cercles de discussion (Northern Talking Circles) et les cérémonies de la suerie.

Attitudes à l’égard du personnel de l’établissement

Presque tous les délinquants autochtones de l’échantillon de 1994 ont rapporté que le personnel de leur établissement les traitait de façon juste et équitable, mais, en même temps, ils ont dit estimer que le personnel n’était pas à l’écoute de leurs besoins ni ne connaissait leur culture.

Les données tirées des entrevues menées dans le cadre de l’étude de 1997 démontrent clairement que les délinquants autochtones sont assez réticents à avoir des rapports directs avec le personnel correctionnel. Bien que l’on puisse probablement en dire autant de tous les détenus, les délinquants autochtones semblent être fermement convaincus que les personnes les plus dignes de confiance sont les autres Autochtones, à commencer par les chefs spirituels et les Aînés.

Spiritualité et mode de vie

Mode de vie

Bon nombre des délinquants de l’échantillon de 1994 pratiquaient une ou plusieurs activités du mode de vie traditionnel autochtone du Nord avant d’être incarcérés. Près de 38 % d’entre eux vivaient, selon les saisons, soit dans un campement, soit en ville, et seulement 5 % vivaient dans un campement à longueur d’année5. Soixante-quinze pour cent prenaient part à des activités traditionnelles (p. ex., artisanat et cérémonies autochtones spéciales). Pour ceux qui étaient incarcérés dans un établissement éloigné de leur collectivité d’origine, et en particulier ceux dont le mode de subsistance était fondé principalement sur la chasse, le milieu carcéral était considéré comme un monde totalement étranger. Beaucoup de ce que les habitants de régions autres que le Nord considèrent comme normal, soit le climat, les aliments préparés et ainsi de suite, représente pour bon nombre d’Autochtones du Nord un autre choc culturel qui vient s’ajouter à l’expérience de l’incarcération.

Spiritualité

Les participants à l’étude de 1997 ont dit qu’ils attachaient beaucoup d’importance à la spiritualité, qu’ils puisaient en particulier dans leurs traditions et leur culture. Ainsi, près de la moitié attachait beaucoup d’importance à la spiritualité et 21 % y accordaient pas mal d’importance. Ceux qui ont été interviewés ont aussi indiqué qu’ils participaient beaucoup aux activités culturelles autochtones et ont exprimé le souhait qu’il y en ait davantage. Nombre d’entre eux ont également soulevé les problèmes qui se posent lorsqu’un Aîné vient d’une culture différente de la leur.

Conclusion

Plusieurs thèmes se dégagent des deux études. Tout d’abord, il est évident que, dans l’ensemble, les détenus autochtones représentent un groupe ayant des besoins élevés. Les membres de ce groupe ont aussi largement en commun les antécédents suivants : violence physique ou sexuelle, abus précoce de l’alcool et des drogues, troubles émotifs, négligence parentale et besoins élevés en matière d’études et d’emploi.

La définition de la spiritualité, de la vie culturelle et du mode de vie des délinquants autochtones représente un autre thème pertinent. Les études de 1994 et de 1997 révèlent que les délinquants autochtones participent à divers aspects de ce qu’on appelle un mode de vie «traditionnel », lequel est primordial pour la société autochtone dans son ensemble.

Les délinquants de l’échantillon de 1994 ont fait part de sentiments plus positifs à l’égard du personnel de l’établissement que ceux de l’échantillon de 1997. Ils ont aussi dit qu’ils se sentaient beaucoup plus isolés de leur terre et de leur culture à cause de l’incarcération. Les délinquants autochtones présentent des défis spéciaux pour le personnel correctionnel. Il faut notamment tenir compte des besoins en matière de langue, de culture et de programmes pour pouvoir offrir à cette population des interventions appropriées sur le plan culturel.


1. Veuillez faire parvenir vos demandes de renseignements sur cet article à la Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada, 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.

2. JOHNSTON, J.C. Profil des délinquants autochtones du Nord sous responsabilité fédérale, Rapport R-36, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1994.

3. JOHNSTON, J.C. Enquête sur les délinquants autochtones : Examen de dossiers et entrevues, Rapport R-61, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1997.

4. Toute comparaison directe entre les deux études devrait être établie avec prudence, car des questions différentes ont été posées dans chaque enquête. Dans bien des cas, de nombreux participants n’ont pas répondu à certaines questions ou ont refusé de le faire.

5. L’expression « vivre dans un campement » désigne un mode de vie en plein air, où la chasse, la pêche, le trappage et ainsi de suite sont les moyens de subsistance.