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Les Aînés et les guérisseurs : Une collaboration prometteuse

par Joseph E. Couture
Département de psychologie, Athabasca University

La présence d’Aînés et d’agents de liaison autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux remonte à il y a une vingtaine d’années. Dans les établissements, les avis sont partagés quant à l’opportunité, à l’utilité et au potentiel du recours aux Aînés et aux agents de liaisons autochtones dans le cadre des programmes correctionnels destinés aux Autochtones. Les Aînés et les autres travailleurs autochtones, quant à eux, ont une opinion plus positive de leur travail et de leur rôle au sein du système correctionnel fédéral. Cet article expose l’orientation et la stratégie des Aînés qui travaillent dans les établissements du Service correctionnel du Canada dans la région des Prairies. Il s’appuie sur un de mes documents inédits intitulé Aboriginal Offenders and Programs that Work. Elements of Promise.

Le Service correctionnel du Canada continue d’élaborer des stratégies en vue d’offrir des services et des soins adaptés à la culture des délinquants autochtones qui relèvent de sa compétence. Ainsi, en améliorant l’évaluation des besoins et l’exécution de programmes par les Aînés et les agents de liaisons autochtones, le Service correctionnel du Canada cherche à répondre aux besoins des détenus autochtones grâce à l’influence positive des méthodes traditionnelles de guérison.

Les Aînés sont des personnes reconnues par une collectivité autochtone comme ayant une connaissance et une compréhension de la culture traditionnelle de cette collectivité, y compris les manifestations concrètes de la culture et des traditions spirituelles et sociales des gens. La connaissance et la sagesse, jumelées à la reconnaissance et au respect des membres de la collectivité, sont les caractéristiques essentielles des Aînés. Certains Aînés peuvent avoir d’autres attributs, notamment ceux d’un guérisseur traditionnel. Les Aînés peuvent être reconnus comme tels par les collectivités autochtones seulement2.

Les agents de liaison autochtones appuient les Aînés et les aident à guider les délinquants autochtones et à leur donner des enseignements, des séances de sensibilisation à la culture autochtone, du counseling et des services généraux.

L’histoire et les traditions autochtones

La place des croyances et des méthodes traditionnelles dans la vie autochtone contemporaine repose sur une compréhension profonde de l’histoire culturelle et de la situation actuelle des peuples autochtones. Au Canada, les Aînés sont les témoins de l’histoire autochtone qu’ils transmettent par la tradition orale. Celle-ci réside essentiellement dans l’acquisition de connaissances et de compétences par la pratique. La tradition orale englobe tous les aspects de la vie.

Les traditions autochtones reflètent un humanisme salutaire et une sensibilisation toujours plus grande à toute chose. Ces traditions, d’où les méthodes de guérison et leur signification tirent leur origine, sont la source des critères et des normes qui orientent les interventions. Les traditions proposent un modèle opérationnel équilibré, qui s’articule autour de priorités culturelles façonnées par l’histoire. Elles servent de repères pour mettre en valeur les atouts du client et composer avec ses faiblesses et ses troubles profonds. Les Aînés s’en inspirent pour expliquer les comportements et attitudes des Autochtones. L’histoire et les traditions représentent le fondement de l’intervention des Aînés.

Une approche holistique

La stratégie traditionnelle de guérison est à proprement parler holistique; elle vise tous les aspects de la personnalité, sans se limiter à la médiation verbale et à la méthode didactique, bien qu’elle fasse souvent appel aux contes. Le guérisseur propose plutôt au client des expériences multiples telles que l’écoute, l’observation, le toucher, les sensations, la réflexion, la parole, la chanson, la danse, la prière et le jeûne.

Le diagnostic et le traitement du guérisseur transposent le caractère unique et insaisissable de la personnalité du client dans un cadre séculaire, propice au développement et à l’évolution. En d’autres termes, les méthodes traditionnelles s’adressent au client dans son intégralité. Rassemblant en un tout cohérent ce qui semble être des fragments d’une vie brisée et des bribes de vérités personnelles, elles donnent au client un sentiment d’identité renouvelé, l’impression de savoir où il s’en va.

Parmi les notions fondamentales, qui découlent directement des principes traditionnels de guérison, on relève celles d’appartenance et de symbiose. Ces notions sont considérées comme des variables cruciales dans la formation de l’identité socio-centrique individuelle et collective, indissociables de la responsabilité personnelle et sociale.

Le diagnostic

Le diagnostic amène le détenu à faire face à ses problèmes de restructuration sociale, de distorsion et de manipulation cognitives ainsi qu’à sa colère et à sa douleur, en vue d’approfondir et de renverser les influences antisociales de la famille, de l’entourage, de la collectivité et de la culture carcérale.

Qu’elles relèvent du personnel autochtone ou non autochtone, la détermination et la description des comportements ainsi que la sélection des programmes à offrir s’imposent à plusieurs étapes du système de justice pénale. Elles soulèvent constamment des difficultés car la méprise est toujours possible, et se produit effectivement, à cause surtout d’une tendance à mal interpréter les situations. Ce problème semble procéder d’une méconnaissance de l’influence profonde de la culture. Ainsi, il arrive que les intervenants interprètent incorrectement les comportements autochtones et leur attribuent des significations erronées, ce qui peut avoir des conséquences décourageantes et pénibles, voire tragiques, pour le détenu.

La compétence culturelle

Il existe d’importantes différences au plan des comportements et des attitudes parmi les divers groupes autochtones du pays et entre ces groupes, en raison de facteurs tels que l’éloignement, la langue, l’histoire régionale et locale et les répercussions des contacts avec les Européens.

Au Canada, la compétence culturelle représente un élément central de la compétence clinique globale. La compétence interculturelle s’exprime par un mode de prestation des services qui, pour le client et la collectivité, apparaît crédible, généreux et efficace et inspire confiance. Dans un contexte autochtone, l’évaluation doit s’appuyer sur les connaissances, les attentes et l’influence de la collectivité. Les services peuvent ainsi être fournis conformément aux normes culturelles et traditionnelles fondamentales.

Les programmes

En règle générale, les programmes adaptés à la culture autochtone sont offerts exclusivement par des Autochtones connaissant les usages traditionnels. Les activités d’apprentissage reposent sur des cérémonies et des enseignements variés : cercles de discussion ou de guérison (y compris le counseling individuel), port des peintures traditionnelles, cérémonies du calumet, cérémonies de la suerie, jeûnes, danse du soleil, audiences avec l’aide d’un Aîné et audiences communautaires. L’Aîné consacre la plus grande partie de son temps à des échanges, le plus souvent informels, qui visent à motiver les délinquants, à favoriser chez eux une prise de conscience et à leur montrer comment se prendre en main.

Généralement, le guérisseur cherche avant tout à établir une relation de confiance avec le client et à déterminer où il en est dans sa quête d’identité. Il peut ainsi cerner les besoins précis du client et y répondre. Le guérisseur peut adapter les activités traditionnelles aux besoins précis du client. Motivé par un optimisme indéfectible, il considère les actes criminels comme des erreurs, des écarts de comportement qu’il faut chercher à guérir.

L’« évaluation » traditionnelle du comportement et de l’attitude repose sur le sens aigu de l’observation, et la capacité de déceler les besoins du client et d’être à l’écoute de ceux-ci selon une méthode s’appuyant à la fois sur l’expérience et sur une intuition consciemment aiguisée. Pour nombre de personnes, ces techniques sont empreintes de subjectivité. Cependant, il faut des années d’apprentissage pour les acquérir et les développer. Il n’existe pas de régime officiel d’accréditation des guérisseurs, dont le statut dépend de leur réputation dans leur collectivité et d’un examen attentif de leurs capacités et de leur volonté de prêcher par l’exemple.

Les techniques traditionnelles d’évaluation ne font pas l’objet de critères et de normes, et il s’agit là d’un problème auquel il faut faire face. Les normes d’accréditation que le Service correctionnel du Canada met de l’avant pour assurer la qualité des programmes seront, espérons-le, assez souples pour s’adapter à la richesse de même qu’aux strictes exigences des valeurs et usages traditionnels.

Le travail des guérisseurs présente en outre un important potentiel d’innovation qui demeure inexploité. Souvent, on ne fait pas appel à tout l’éventail de leurs compétences, et on ne leur laisse pas le temps nécessaire pour fournir leurs services. Les établissements, à juste titre, hésitent à donner aux guérisseurs tout le temps et l’espace dont ils ont besoin pour se livrer sans contrainte à leurs activités de guérison, mais ce faisant, ils risquent d’étouffer leur créativité. Les méthodes traditionnelles, fondées sur les procédés de guérison autochtones, pourraient se traduire par des économies de temps.


1. Athabasca University, 1 University Drive, Athabasca (Alberta) T9S 3A3.

2. Directive du Commissaire sur les Programmes autochtones, Définition 2.