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Pour instituer une réinsertion sociale sans risque : Les résultats de lÉchelle de classement par niveau de sécurité sur dix ans
Fred Luciani1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada
Nous avons lhabitude de considérer les mesures objectives ou les mesures actuarielles dévaluation du risque comme des outils dévaluation pour les agents de classification qui doivent prendre des décisions précises à propos de délinquants particuliers. Bien que ce soit là leur principale fonction, les mesures dévaluation objective servent également un certain nombre dautres objectifs qui ne sont peut-être pas souvent portés à lattention du personnel opérationnel. Elles visent notamment des questions stratégiques liées aux objectifs organisationnels ou aux macro-objectifs et permettent la normalisation des critères et des règles de décision pour lévaluation du risque, létablissement de cadres dautorisation et de responsabilisation, luniformité et léquité, ainsi que la création dune base dinformation pour valider et parfaire les outils. Les mesures objectives peuvent également servir à modeler, promouvoir et évaluer les valeurs et les objectifs de lorganisme correctionnel. Cet article porte sur ce dernier objectif. Plus précisément, il examine lÉchelle de classement par niveau de sécurité et la façon dont son adoption a influé sur les politiques et les pratiques relatives au placement initial en pénitencier, ainsi que la manière dont elle contribue à la réinsertion sociale sans risque.
Contexte
LÉchelle de classement par niveau de sécurité (ECNS) est un instrument en douze points qui évalue ladaptation au milieu carcéral et le risque pour la sécurité publique, et qui donne une cote initiale de classement selon le niveau de sécurité.2 Lapplication de lECNS comme système national a été approuvée par le Service correctionnel du Canada en 1991. LÉchelle sapplique à la fois aux admissions de nouveaux condamnés et aux réincarcérations. Les résultats de validation3 fondés sur les cinq premières années de fonctionnement ont montré que lECNS permet dattribuer des cotes de sécurité conformes aux taux réels dincidence dinfractions disciplinaires, dévasions, au type de mise en liberté et à ladaptation à la mise en liberté sous condition. De plus, on a signalé des taux de récidive et dévasion des établissements à sécurité minimale beaucoup moins élevés pour les délinquants ayant reçu une cote de sécurité minimale selon lECNS que pour les délinquants ayant obtenu une cote de sécurité moyenne mais qui étaient également placés initialement dans des établissements à sécurité minimale. Ces constatations appuient la position voulant que lECNS soit utile pour cerner les candidats au placement dans un établissement à sécurité minimale au moment de ladmission.
La législation correctionnelle moderne épouse le principe de mesures de détention « les moins restrictives possibles » par souci déquité et pour des raisons dordre pratique et économique. De plus, un certain nombre davantages accroissent le potentiel de mise en liberté discrétionnaire des délinquants placés dans des établissements à sécurité réduite. Les délinquants qui font lobjet dun examen en vue dune mise en liberté anticipée ou dune libération conditionnelle dun établissement à sécurité moyenne, et plus particulièrement dun établissement à sécurité minimale, ont de plus grandes possibilités détablir leur potentiel de mise en liberté parce quils jouissent dun accès élargi aux programmes communautaires, aux permissions de sortir, à un emploi en établissement et à des activités récréatives. Par-dessus tout, le statut de délinquant dit « à sécurité minimale » semble à lui seul accroître le potentiel de mise en liberté discrétionnaire.
Une recherche 4 a indiqué que les délinquants classés « à sécurité minimale » par lECNS et initialement placés dans un établissement à sécurité minimale faisaient beaucoup plus souvent lobjet dune mise en liberté discrétionnaire et étaient libérés beaucoup plus tôt durant leur peine que les délinquants dits « à sécurité minimale » placés dans un établissement à sécurité moyenne. Ces deux groupes de délinquants ayant obtenu une cote de sécurité minimale avaient un potentiel de réinsertion sociale plus élevé selon lÉchelle dinformation statistique sur la récidive (échelle dISR).5 De plus, les délinquants ayant obtenu une cote de sécurité moyenne qui avaient été placés dans un établissement à sécurité minimale affichaient des taux de libération beaucoup plus élevés et étaient libérés plus tôt au cours de leur peine que les délinquants ayant obtenu une cote de sécurité moyenne et placés dans des établissements à sécurité moyenne, même si ces deux groupes de délinquants classés au niveau de sécurité moyen avaient un plus faible potentiel de réinsertion sociale. En fait, les groupes ayant obtenu une cote de sécurité moyenne et placés dans des établissements à sécurité minimale étaient plus susceptibles dêtre libérés, et dêtre libérés plus tôt, que les groupes de délinquants ayant obtenu une cote de sécurité minimale et placés dans des établissements à sécurité moyenne.
Quoi quil en soit, des analyses des placements initiaux ont révélé que 43 % des délinquants classés au niveau de sécurité minimal étaient placés dans un établissement de niveau de sécurité supérieur.6 On a estimé quune meilleure concordance avec les résultats obtenus au moyen de lECNS pourrait donner lieu à une augmentation des mises en liberté et à une réduction des jours dincarcération. Les examens opérationnels montrent lutilité de lECNS pour la détermination des candidats au placement dans des établissements à sécurité minimale et illustrent la façon dont le placement initial peut influer sur la probabilité dune mise en liberté discrétionnaire et la durée de lincarcération avant la mise en liberté.
Bien que le concept dattribution du plus faible niveau de sécurité soit peu contesté, le surclassement continue de nuire à la réinsertion sociale sans risque. Ladoption déchelles de classement des délinquants7 à lévaluation initiale et à la réévaluation du niveau de sécurité a mis au jour la nature souvent conservatrice des pratiques de classification.8 La tendance à pécher par prudence, à surestimer le risque pour la sécurité et à placer (et donc à classer) les délinquants dans des établissements qui répondent à leurs besoins en matière de protection, de soins médicaux ou de programmes, plutôt que selon leur profil de dangerosité, peuvent tous contribuer au surclassement.
Stratégies visant à accroître le placement dans un établissement à niveau de sécurité inférieur
Les mesures objectives de classification par niveau de sécurité constituent les normes de classification établies et offrent une méthode pratique pour communiquer les politiques et les orientations de lorganisation. Elles sont fondées sur des critères et des règles de décision fixes, pondérés et quon peut modifier suivant des échelons distincts et identifiables, ce qui permet den suivre ou den calculer les effets. Afin de voir si lon pouvait agir sur les pratiques de classification initiale, on a réalisé une analyse9 des effets potentiels de la classification sur les taux dincident en établissement et les taux dévasion des établissements à sécurité minimale, à laide des données de lECNS réunies à des fins de validation. Cette analyse visait à déterminer leffet du déplacement des seuils dinclusion du niveau de sécurité minimale sur les taux dincident et dévasion, et à déterminer si la modification des seuils dinclusion pouvait faire augmenter les placements initiaux dans des établissements à sécurité minimale.
Des données de lECNS étaient disponibles sur 6 745 délinquants admis dans des établissements fédéraux entre 1991 et 1995. On a réuni de linformation sur les incidents en établissement et les évasions sur une période pouvant aller jusquà quatre ans après létablissement de la cote selon lECNS. Le Tableau 1 présente un résumé des effets sur les taux dincident et dévasion aux seuils dinclusion dorigine et aux seuils hypothétiques de 30 %, 35 % et 40 %.
Tableau 1
Repartition de la population carcerale au niveau de securite minimal et risultats associes a des seuils d’inclusion hypothetiques |
||||
initial |
Seuils d'inclusion hypothetiques |
|||
Resultats | 26% |
30% |
35% |
40% |
Nombre d'incidents |
288 |
329 |
420 |
497 |
Taux d'incident | 15.6 |
16.4 |
17.9 |
18.5 |
Taux d'incident pour les nouveaux candidats | - |
24.6 |
25.9 |
25.9 |
Nombre d'evasions | 78 |
86 |
102 |
115 |
Taux d'evasion | 4.2 |
4.3 |
4.3 |
4.3 |
Taux d'evasion pour les nouveaux candidats | - |
4.8 |
4.7 |
4.6 |
Bassin de candidats | 1,844 |
2,011 |
2,353 |
2,651 |
selon I'ECNS Gain | - |
167 |
509 |
807 |
Selon les seuils dinclusion initiaux de lECNS, 26 % des délinquants admis ont été classés au niveau de sécurité minimal, ce qui constituait un bassin de 1 844 candidats à la cote de sécurité minimale. Le taux dincident pour les délinquants classés au niveau de sécurité minimal sest établi à 15,6 %, tandis que le taux dévasion a été de 4,2 %. Par comparaison, le rajustement des seuils dinclusion pour produire une répartition de 35 % dans la catégorie des délinquants cotés au niveau de sécurité minimal grossit le bassin de candidats denviron 509 délinquants et donnait lieu à une légère augmentation du taux dévasion global, qui sétablissait à 4,3 %. Le taux dévasion pour les nouveaux groupes de candidats résultant des trois seuils dinclusion hypothétiques ne se distingue essentiellement pas du taux applicable au groupe initial de candidats. Le taux dincident pour les nouveaux groupes de candidats résultant des trois seuils dinclusion hypothétiques était denviron 10 % plus élevé que celui qui sappliquait au groupe initial.
Les différences dans les taux dincident sont plus évidentes et laissent entendre quil peut y avoir des distinctions entre les candidats initiaux et les nouveaux candidats; cependant, toute influence négative de ces derniers serait répartie dans lensemble des établissements à sécurité minimale.
Les résultats donnent à penser que lélargissement du bassin de candidats par le déplacement des seuils dinclusion de lECNS naurait aucun effet, ou très peu, sur le taux dévasion et ne causerait quune augmentation marginale des taux dincident en établissement. On a donc rajusté les seuils dinclusion en 1998 pour permettre une répartition de 35 % des délinquants dans les établissements à sécurité minimale. Toutefois, cette stratégie aurait des effets marginaux si le taux de concordance à lECNS demeurait inchangé. On a donc élaboré de nouvelles instructions permanentes, déployé de nouveaux efforts pour améliorer la compréhension des lignes directrices sur lECNS par les employés et encouragé une plus grande concordance. Le Tableau 2 donne une indication de linfluence de lECNS et des effets de ces mesures.
Le placement initial direct dans un établissement à sécurité minimale est la décision qui est prise dans une importante proportion des cas des délinquants classés au niveau de sécurité minimal, qui constituent environ 35 % de la population. Comme lillustre le Tableau 2, la concordance globale entre les cotes obtenues au moyen de lECNS et les décisions finales de classification initiale saméliore, étant passée de moins de 75 % à plus de 80 %. Lamélioration de la concordance globale est attribuée à laugmentation du taux de concordance en ce qui concerne les délinquants dits « à sécurité minimale », qui est passé de plus de 55 % à plus de 75 % ces dernières années.
Tableau 2
Concordance ECNS/placement et evasion des etablissements a securite minimale |
||||||||
Concordance (%) |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
Concordance (%): | ||||||||
– Globale | 63.0 |
59.0 |
56.6 |
57.1 |
57.4 |
71.5 |
79.4 |
76.7 |
– Cotes a securite minimale |
75.7 |
73.1 |
73.5 |
73.5 |
75.2 |
75.6 |
80.4 |
80.7 |
Repartition dans les etablissements a securite minimale | 12.0 |
24.4 |
27.3 |
27.0 |
25.1 |
26.6 |
32.7 |
37.5 |
Taux d'evasion des etablissements á securite minimale | 131 |
102 |
104 |
53 |
28 |
24 |
30 |
45 |
On peut observer depuis quelques années leffet de lamélioration de la concordance et des révisions des seuils dinclusion au niveau de sécurité minimal, avec une répartition dans les établissements à sécurité minimale correspondant à plus de 30 % des admissions. Enfin, le taux dévasion des établissements à sécurité minimale (exprimé en pourcentage de la population moyenne annuelle de délinquants dits « à sécurité minimale ») a chuté subitement au cours des années médianes examinées et augmente légèrement depuis quelques années. Un examen plus attentif des évadés donne à penser que laugmentation récente du taux dévasion est en bonne partie attribuable aux délinquants transférés détablissements de niveau de sécurité plus élevé, plutôt quà ceux qui ont été placés initialement dans les établissements à sécurité minimale au moment de ladmission. Le taux dévasion, bien que légèrement plus élevé depuis quelques années, demeure sous la moyenne pour 10 ans (6,8 %), tandis que la population de délinquants placés dans des établissements à sécurité minimale a doublé durant la même période. (Comme les données sur les incidents nétaient pas disponibles pour les années ultérieures, il a été impossible deffectuer des analyses semblables.)
Conclusion
Les mesures objectives de lévaluation du risque constituent un repère ou une norme utile pour lévaluation des décisions et le processus décisionnel. Elles fournissent un aperçu stratégique des pratiques correctionnelles et facilitent lélaboration et la mise en uvre de politiques.
Les examens opérationnels des dix dernières années montrent que lECNS est un outil efficace pour le placement initial selon le niveau de sécurité, qui renseigne sur le potentiel que présente la classification des détenus pour la promotion des buts généraux de lorganisme.
Dans nos analyses des cinq premières années de fonctionnement, il a été montré que les cotes de lECNS étaient plus exactes que les décisions subjectives pour prévoir les taux dincident ou dévasion détablissements à sécurité minimale. Selon des observations récentes, lécart samenuise. Nous aimerions en partie croire que ce phénomène est attribuable à une confiance croissante dans
lECNS (comme en témoignent les gains sur le plan de la concordance) et à sa contribution à lamélioration du processus dévaluation du classement. De plus, les tendances des dix dernières années dans les placements initiaux donnent à penser que la nature conservatrice des pratiques de classement satténue graduellement, sans que le taux dévasion augmente beaucoup, et peut-être grâce au soutien des normes de classement établies par lorganisation.
Le placement initial dun délinquant influe sur son potentiel de mise en liberté discrétionnaire. Le surclassement des délinquants présentant un potentiel de réinsertion sociale élevé peut miner et retarder la mise en liberté, tandis que le placement des délinquants présentant un faible potentiel de réinsertion sociale dans des établissements de niveau de sécurité inférieur ne sert pas toujours la réinsertion sociale sans risque, à long terme. Des mesures améliorant la sélection et le placement initial opportuns des délinquants dans les établissements de niveau de sécurité inférieur contribueront à maximiser la réinsertion sociale et à faire en sorte quelle soit sans risque.
2. SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA, Development of a security classification model for canadian federal offenders: A report to the Offender management division, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1987.
3. LUCIANI, F. P., MOTIUK, L. L. et NAFEKH, M. Examen opérationnel de la fiabilité, de la validité et de lutilité pratique de léchelle de classement par niveau de sécurité, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1996.
4. LUCIANI, F. P. « Examen du potentiel de réinsertion sociale : Incidences de la pratique en matière de placement initial », Forum, Recherche sur lactualité correctionnelle, vol. 10, no 1, 1998, p. 23 à 28.
5. NUFFIELD, J.La libération conditionnelle au Canada : Recherches en vue dune normalisation des décisions, Ottawa, ON, Solliciteur général du Canada, 1982.
6. LUCIANI, MOTIUK et NAFEKH, 1996.
7. BUCHANAN, R. A., WHITLOW, K. L. et AUSTIN, J. « National evaluation of objective prison classification systems: The current state of the art », Crime and Delinquency, vol. 32, no 3, 1986, p. 272 à 290.
8. AUSTIN, J., « Assessing the new generation of prison classification models », Crime and Delinquency, vol. 29, no 1, 1983, p. 561 à 577. Voir également SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA, 1987, et LUCIANI, MOTIUK et NAFEKH, 1996. Voir aussi BONTA, J. et MOTIUK, L. L. « Classification to correctional halfway houses: A quasi-experimental evaluation », Criminology, vol. 28, 1990, p. 497 à 506 et VAN VOORHIS, P. « A cross classification of five offender typologies: Issues of construct and predictive validity », Criminal Justice and Behavior, vol. 15, no 1, 1988, p. 109 à 124.
9. SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA. Effects of Adjusting the CRS Minimum Security Cut-Off Values: An Illustration of the Impact on Escape and Incident Rates, Ottawa, ON, document interne, 1998.