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Utiliser le potentiel de réinsertion sociale évalué à l’admission pour déceler les meilleurs candidats à la mise en liberté

Larry Motiuk et Mark Nafekh1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

On peut favoriser la réinsertion sociale des délinquants en adaptant les programmes qu’on leur offre et les interventions correctionnelles au potentiel de réinsertion sociale qu’ils présentent au moment de leur admission ainsi qu’en augmentant l’efficacité de toutes les activités de gestion des délinquants. L’adoption du processus d’Évaluation initiale des délinquants (EID), en 1994, a permis au Service correctionnel du Canada d’établir, pour chaque délinquant admis dans le système pénitentiaire fédéral, une cote de sécurité, le risque lié à la mise en liberté et les besoins en matière de programmes. Depuis la mise en place de ce processus, plus de 25 000 évaluations complètes ont été effectuées par le personnel du Service et consignées dans le système informatisé de gestion des détenus (SGD). Grâce à ces profils, le Service connaît très tôt le niveau de sécurité qui convient aux détenus nouvellement admis en vue du placement pénitentiaire initial, leur risque de récidive lorsqu’ils seront mis en liberté dans la collectivité et les programmes qu’il faudra leur offrir pour réduire leurs probabilités de récidive après leur mise en liberté. Les délinquants qui ont le potentiel de réinsertion sociale le plus élevé et sur lesquels on devrait axer la préparation des cas en priorité sont ceux qui ont reçu la cote de sécurité minimale, ceux dont on juge qu’ils présenteront un faible risque lors de la mise en liberté et ceux qui ont de faibles besoins relativement aux facteurs criminogènes (facteurs qui contribuent à la récidive), au moment de l’admission. Dans ces groupes, les délinquants qui se voient refuser une forme discrétionnaire de mise en liberté (libération conditionnelle) ou qui se voient accorder une mise en liberté après la date d’admissibilité constituent des candidats qui pourront tirer profit autant ou davantage d’une mise en liberté sous surveillance lorsqu’ils y seront admissibles.

Les profils de potentiel de réinsertion sociale (PRS) des 8 216 détenus de sexe masculin étudiés dans cet article ont été établis d’après les résultats de trois outils de classement objectifs utilisés par le Service correctionnel du Canada. Il s’agit de l’Échelle de classement par niveau de sécurité (ECNS), de l’Échelle révisée d’information statistique sur la récidive (ISR-R1) et de l’évaluation des facteurs de risque statiques et dynamiques effectuée pour chaque délinquant durant le processus d’EID. Les résultats sur la validité prédictive donnent à penser qu’il est souhaitable de classer les délinquants de façon objective, en ce qui a trait au niveau de sécurité, au risque de récidive et aux besoins en matière de programmes, si l’on veut effectuer une gestion correctionnelle judicieuse.

Tous les délinquants purgeant une peine de ressort fédéral font l’objet d’une évaluation initiale exhaustive et intégrée au moment de leur admission.2 L’EID comporte plusieurs volets : une évaluation communautaire initiale, une évaluation préliminaire (santé physique, santé mentale, tendances suicidaires), une évaluation des facteurs de risque statiques (antécédents criminels à l’adolescence et à l’âge adulte), une évaluation des facteurs de risque dynamiques (emploi, relations conjugales et familiales, fréquentations et relations sociales, toxicomanie, comportement dans la collectivité, orientation personnelle et affective, attitude générale), une évaluation psychologique et des évaluations supplé-mentaires, une évaluation du niveau de motivation, une évaluation du risque de récidive lié à la mise en liberté à l’aide de l’Échelle d’ISR-R13, l’attribution d’une cote de sécurité au moyen de l’ECNS4, et une évaluation du potentiel de réinsertion sociale (PRS).5

Dans le Système de gestion des détenus, nous avons trouvé les résultats de l’évaluation initiale de 8 216 détenus sous responsabilité fédérale (63 % des 13 019 détenus) qui étaient incarcérés dans des établissements fédéraux le 31 décembre 1998. Soulignons que le PRS de ces délinquants a été établi en fonction des renseignements qui ont été recueillis durant l’EID. Un examen du SGD révèle qu’il existe des variations dans le nombre d’outils de classement utilisés (les dossiers des délinquants admis avant l’adoption du processus d’EID sont donc considérés comme incomplets). Les analyses qui seront effectuées plus tard porteront sur des renseignements plus complets.

Ces 8 216 détenus avaient entre 18 et 82 ans, pour une moyenne de 35 ans. Parmi eux, 884 avaient été condamnés pour un homicide, 1 631 pour une infraction sexuelle, 3 305 pour un vol qualifié, et 1 608 pour une infraction liée à la drogue. La durée moyenne des peines était de 5,2 ans (si l’on exclut les condamnés à perpétuité et les cas de révocation). Près de 55 % purgeaient une peine de 4 ans ou moins, et 11 % (921) une peine d’emprisonnement à perpétuité.

Potentiel de réinsertion sociale à l’admission

Durant l’évaluation initiale, on détermine le potentiel de réinsertion sociale des délinquants de sexe masculin en combinant les résultats obtenus au moyen de trois outils de classement objectifs : l’ECNS (cote de sécurité), l’Échelle d’ISR-R1 (risque lié à la mise en liberté), et l’évaluation des facteurs de risque statiques et dynamiques. Ainsi, un détenu qui obtient la cote « sécurité minimale » sur l’ECNS, la cote « risque faible » sur l’Échelle d’ISR-R1, et la cote « faible » pour ce qui est des facteurs statiques et dynamiques est classé comme ayant un potentiel de réinsertion sociale « élevé ». À l’opposé, un détenu ayant obtenu la cote « sécurité maximale » sur l’ECNS, la cote « risque élevé » sur l’Échelle d’ISR-R1, et la cote « élevé » pour ce qui est des facteurs statiques et dynamiques est considéré comme ayant un potentiel de réinsertion sociale « faible ». Les 27 combinaisons possibles des résultats des trois outils employés pour l’évaluation initiale permettent de classer les délinquants dans l’une des catégories de PRS : faible, moyen ou élevé.

On présente au Tableau 1 la répartition des résultats des trois mesures de classement objectives utilisées à l’admission ECNS, Échelle d’ISR-R1, évaluation des facteurs statiques et dynamiques ainsi que le PRS, selon les trimestres de l’année 1998. Comme on peut le voir, les détenus de sexe masculin, collectivement, ont un potentiel élevé de réinsertion sociale au moment de leur admission. En fait, un peu plus du tiers de la population carcérale masculine a été classé objectivement dans la catégorie « potentiel de réinsertion sociale élevé ». Il est toujours possible qu’après avoir suivi des programmes adaptés à leurs besoins, les détenus évalués comme ayant un PRS faible ou moyen soient considérés comme ayant un PRS élevé au moment de leur mise en liberté.

Tableau 1

Répartition des détenus selon les outils de classement utilisés à l’admission ( par trimestre de l’année 1998)
Outil de classement
1er
2e
3e
4e
n
(%)
n
(%)
n
(%)
n
(%)
ECNS : cote de sécurité
Minimale
1 467
(18)
1 495
(18)
1 518
(18)
1 582
(19)
Moyenne
5 931
(71)
5 946
(71)
5 844
(70)
5 678
(69)
Maximale
900
(11)
915
(11)
935
(11)
956
(12)
ISR- R1 : risque lié à la mise en liberté
Faible/ très faible
3 644
(44)
3 714
(44)
3 628
(44)
3 587
(44)
Moyen
1 286
(15)
1 315
(16)
1 306
(16)
1 281
(15)
…levé/ très élevé
3 368
(41)
3 327
(40)
3 363
(40)
3 348
(41)
Facteurs statiques et dynamiques
Faible
857
(10)
891
(11)
860
(10)
855
(10)
Moyen
2 978
(36)
2 978
(35)
2 920
(35)
2 880
(35)
… levé
4 463
(54)
4 487
(54)
4 517
(54)
4 481
(55)
Potentiel de réinsertion sociale
Faible
2 283
(27)
2 277
(27)
2 289
(28)
2 300
(28)
Moyen
3 129
(38)
3 319
(38)
3 165
(38)
3 125
(38)
… levé
2 886
(35)
2 940
(35)
2 843
(34)
2 791
(34)
Remarque : pour tous ces délinquants on avait utilisé les trois mesures de classement au moment de l’admission.

Validité prédictive

L’une des façons de déterminer la validité du PRS attribué aux détenus de sexe masculin lors de leur admission est d’examiner la relation entre, d’une part, les trois catégories de PRS et, d’autre part, l’octroi de la mise en liberté discrétionnaire (libération conditionnelle) et l’issue de la mise en liberté (réincarcération dans un pénitencier). Un suivi des 8 298 détenus effectué en décembre 1999, au moyen du profil de la fin mars 1998, (moyenne de 8 mois, soit de 1 à 19 mois) a révélé que 4 864 (58,6 %) d’entre eux avaient été mis en liberté. Parmi ces derniers, 42 % avaient été évalués comme ayant un PRS élevé au moment de leur admission, 36 % un PRS moyen, et 22 % un PRS faible (khi-deux = 0,359, fd = 2, p < 0,001).

Vingt et un pour cent des détenus évalués se sont vu accorder une forme discrétionnaire de mise en liberté. Parmi ces derniers, 60 % avaient été considérés comme ayant un PRS élevé, 30 % un PRS moyen, et 10 % un PRS faible (khi-deux = 679,7, fd = 2, p < 0,001). Le potentiel de réinsertion sociale élevé était associé de façon significative aux probabilités d’obtenir une mise en liberté discrétionnaire (r = 0,26, p < 0,0001).

Pour ce qui est de l’issue de la mise en liberté (Graphique 1), nous avons constaté que 1 523 des détenus mis en liberté (31,3 %) avaient été réincarcérés dans un pénitencier fédéral, dont 476 (10 %) après avoir commis une nouvelle infraction. Soulignons que le taux de réincarcération était plus élevé parmi les détenus au PRS faible (47 %) que parmi ceux au PRS moyen (39 %) et au PRS élevé (17 %). Le potentiel de réinsertion sociale faible était associé de façon significative à de plus fortes probabilités de réincarcération (r = 0,27, p < 0,0001) et à la réincarcération à la suite d’une nouvelle infraction (r = 0,16, p < 0,0001).

Analyse

Il est à la fois légitime et potentiellement fructueux d’incorporer des évaluations objectives et systématiques de détenus et des principes d’intervention efficace dans un cadre de réinsertion sociale. Le processus et la nature des pratiques qu’utilise le Service correctionnel du Canada pour classifier les détenus de sexe masculin sont nettement compatibles avec l’objectif de la réinsertion sociale sans risque. Fait important, le personnel de correction et les décideurs commencent à considérer plus sérieusement les questions comme l’attribution d’une cote de sécurité initiale (ECNS) et l’évaluation du risque lié à la mise en liberté (ISR-R1), les besoins en matière de programmes (facteurs statiques et dynamiques) et le potentiel de réinsertion sociale (PRS) au moment de l’admission des délinquants.

Pris collectivement, les résultats qui sont rapportés ici fournissent un appui empirique suffisant pour établir une distinction entre les niveaux de risque que présentent les délinquants en vue de l’affectation des ressources correctionnelles et du choix des interventions. La combinaison des résultats de trois outils de classement fiables et valables pour la détermination d’un PRS avec les dates d’admissibilité à une mise en liberté discrétionnaire constitue un bon instrument pour le contrôle de la conformité, l’assurance de la qualité et la mesure du rendement.

En accord avec les efforts que déploie le Service pour contribuer à la protection de la société en incitant activement et en aidant les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois, nous devons veiller à ce que les interventions et programmes correctionnels soient liés au PRS qui a été évalué au moment de l’admission puis réévalué par la suite. Pour réaliser cet objectif, il nous faudra modifier plusieurs choses dans le milieu correctionnel.

Tout d’abord, nous devons évaluer de façon régulière les programmes de base destinés aux délinquants éducation, emploi, lutte contre la toxicomanie, aptitudes cognitives, comportement, et traitement des délinquants sexuels et déterminer leur incidence sur la réussite de la réinsertion sociale. Ensuite, dans le cadre du processus d’accréditation des programmes correctionnels, nous devons faire en sorte que les programmes satisfassent à des normes élevées d’intégrité, tant sur le plan du contenu que sur celui de l’exécution. Enfin, nous devons établir un mécanisme qui permettra d’utiliser les résultats du traitement suivi par les délinquants de sexe masculin pour la réévaluation du potentiel de réinsertion sociale.


1. 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.

2. MOTIUK, L. L. « Système de classification des programmes correctionnels : Processus d’évaluation initiale des délinquants »,
Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 9, no 1, 1997, p. 18 à 22.

3. NUFFIELD, J. « La formule de Prévision statistique sur la récidive (PSR) : Comment faut-il l’appliquer ? » Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 1, no 2, 1989, p. 19 à 22. Voir aussi SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA. Rating Guidelines for the Statistical Information on recidivism Scale Revised 1, 1996. Voir aussi CORMIER, R. B. L’Échelle d’ISR : Un outil de prévision fiable, Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 9, no 1, 1997, p. 3 à 7.

4. LUCIANI, F. P., MOTIUK, L. L. et NAFEKH, M. Examen opérationnel de la fiabilité, de la validité et de l’utilité pratique de l’échelle de classement par niveau de sécurité. Rapport de recherche R-47, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1996. Et voir LUCIANI, F. P. « Un outil qui a fait ses preuves l’Échelle de classement par niveau de sécurité est encore fiable et valable », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 9, no 1, 1997, p. 13 à 18, et LUCIANI, F. P. « Examen du potentiel de réinsertion sociale : Incidences de la pratique en matière de placement initial »,Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 10, no 1, 1998, p. 23 à 28.

5. MOTIUK, L. L. et NAFEKH, M. « Profils de potentiel de réinsertion sociale des délinquantes sous responsabilité fédérale », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 11, no 3, 1999, p. 13 à 17.