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Augmenter la motivation des délinquants à l’égard des programmes

Lynn Stewart et Janice Cripps Picheca1
Programmes d’acquisition de compétences psychosociales et de prévention de la violence familiale, Service correctionnel du Canada

Au Service correctionnel du Canada, l’exécution des programmes correctionnels repose sur les principes des services correctionnels efficaces énoncés par Andrews et al.2 La planification correctionnelle s’appuie sur les principes du risque et du besoin. En effet, on évalue systématiquement les niveaux de risque et de besoins du délinquant lors de son admission, et on formule un plan correctionnel axé sur les facteurs liés au comportement criminel (principe du besoin) pour les délinquants qui présentent un risque élevé de récidive (principe du risque). Toutefois, nous avons commencé récemment à essayer de mieux comprendre la nature et l’influence du principe de la réceptivité. Pour être en mesure de tenir compte de ce principe, les concepteurs et les animateurs de programmes doivent savoir quels genres de contenu et de mode d’exécution produisent les meilleurs résultats pour divers groupes ou individus.

Les clients potentiels ne sont pas tous pareillement disposés à apporter des changements dans leur vie. Pourtant, dans la plupart des interventions, on suppose que tous les participants sont motivés et bien disposés. Les études sur la psychothérapie générale montrent que l’absence de motivation des clients est l’un des motifs le plus souvent cités pour expliquer l’abandon, le défaut de se conformer, la rechute et les autres résultats négatifs du traitement.3 Le manque de motivation n’est pas un trait psychologique immuable; il est possible d’augmenter la motivation des délinquants. Des initiatives récentes nous indiquent comment appliquer systématiquement des techniques qui peuvent augmenter la motivation des clients et susciter leur intérêt à l’égard du changement. Dans cet article, la motivation désigne la volonté d’un individu de changer ses comportements nuisibles. Dans le domaine correctionnel, cette notion désigne plus précisément la volonté du délinquant de supprimer les facteurs qui ont contribué à son comportement criminel. Une étude sur des délinquants en liberté sous condition dans la collectivité a révélé que même lorsque le délinquant n’est que faiblement motivé à combler les besoins qu’on a identifiés dans son plan correctionnel, il existe une corrélation significative entre sa motivation et la réussite de la mise en liberté.4 On a demandé à des agents de libération conditionnelle d’évaluer, sur une échelle de trois points motivation faible, modérée ou élevée dans quelle mesure les délinquants étaient disposés à régler les problèmes qui étaient associés à leur comportement criminel. Les délinquants les plus motivés avaient le taux de récidive le plus bas.

Dans une étude sur les délinquants ayant abandonné le programme de développement des aptitudes cognitives et le programme de maîtrise de la colère et des autres émotions,5 on a montré encore une fois que le degré de motivation des délinquants à atténuer les besoins liés à leurs facteurs criminogènes est lié à la réussite ou à l’échec de la mise en liberté. Le niveau de risque des décrocheurs n’était pas plus élevé que celui des autres participants aux programmes. Par ailleurs, dans leur étude sur les programmes de maîtrise de la colère et des autres émotions, Dowden et Serin6 ont constaté que les décrocheurs avaient un taux de récidive huit fois plus élevé que les délinquants qui avaient terminé le programme. Ils ont créé une variable, qu’ils ont définie par rapport au rendement des délinquants dans les programmes de base. Cette variable était fortement associée à la réduction de la récidive (r = 0,32), encore plus que la cote obtenue sur l’Échelle d’information statistique sur la récidive, l’âge, l’ethnie, les antécédents criminels et les antécédents carcéraux. Il apparaît que les décrocheurs sont particulièrement enclins à la récidive et que les facteurs de risque qui contribuent à l’échec de la mise en liberté ne sont pas entièrement liés aux antécédents, mais peuvent aussi être liés à des facteurs groupés dans la catégorie de la motivation. Ainsi, les délinquants qui terminent les programmes de base connaissent une diminution cumulative de la récidive, qui est supérieure à ce qu’on aurait prévu d’après leurs niveaux de risque et de besoins. Si l’augmentation de la motivation des délinquants à changer leur comportement est un facteur important dans la réduction de la récidive, il nous faut maintenant déterminer quels facteurs influencent la motivation. Pour ce faire, nous pouvons nous appuyer sur de nombreuses années de recherche sur les résultats de la thérapie générale et du traitement de la toxicomanie.7 On peut classer dans quelques domaines clés les facteurs qui ont été étudiés : caractéristiques des clients, caractéristiques du thérapeute, rapports entre le thérapeute et les clients, appariement du service et des clients quant au mode de prestation, soutiens du milieu ou de l’organisme. Nous examine-rons seulement les facteurs dynamiques ou modifiables.

Parmi les caractéristiques dynamiques des clients qui sont associées à la motivation, mentionnons la reconnaissance par le client de l’ampleur de la gravité du problème, et l’auto-efficacité. Les thérapeutes qui sont sympathiques, expérimentés, compétents et attentionnés, qui donnent des conseils et déclarent s’attendre à des résultats positifs sont toujours associés à des résultats positifs. Les méthodes thérapeutiques qui permettent au thérapeute de travailler avec le client à l’atteinte de buts fixés d’un commun accord contribuent à l’amélioration des résultats.8 L’appa-riement des clients et du service, l’adaptation du niveau de complexité à la capacité du client, et l’adoption d’une méthode progressive d’acquisition de compétences favorisent l’augmentation de l’auto-efficacité et la réduction de la surabondance d’information. Enfin, les aspects organisationnels du traitement, comme l’absence de liste d’attente, la continuité des programmes et le nombre de programmes de traitement offerts, influencent positivement la motivation des clients.9 Les renseignements que l’on trouve dans les ouvrages généraux sur la façon d’augmenter la motivation des délinquants et le respect des conditions associées au traitement peuvent s’appliquer à la prestation de services aux délinquants. Au Tableau 1, on verra comment les constatations des ouvrages sur la psychothérapie générale s’adaptent aux interventions correctionnelles.

Tableau 1

Facteurs de motivation Interventions correctionnelles ou prestation de services correctionnels
Caractéristiques des clients( gravité du problème, confiance qu’ils peuvent changer leur comportement et gérer les rechutes) Interventions individuelles ou de groupe qui amènent les délinquants à reconnaitre les répercussions de leurs problèmes, qui les aident à prendre confiance en eux et qui leur enseignent à prévenir la rechute.
Caractéristiques du thérapeute ( et du personnel) Recruter et former des agents de programme qui possèdent les caractéristiques des intervenants efficaces : enthousiastes, compétents, encouragent l’auto- efficacité, empathiques, donnent l’exemple de valeurs prosociales.
Relations entre le thérapeute et les délinquants Établir des buts d’un commun accord. Le thérapeute doit Ítre coopératif, mais directif.
Appariement des clients et du service Offrir des programmes qui sont bien structurés, axés sur l’acquisition de compétences, progressifs, et qui ne sont pas trop complexes sur le plan cognitif.
Soutiens du milieu

Créer un milieu propice au changement : souligner et encourager les efforts, suggérer d’autres sources de soutien, faciliter l’accès à diverses ressources pouvant favoriser le changement.

Il existe des approches ou des interventions qui intègrent plusieurs de ces recommandations. Miller 10 a examiné diverses stratégies utilisées pour des interventions de courte durée qui se sont avérées efficaces. Ces stratégies sont résumées au Tableau 2. La technique d’entrevue motivationnelle, est l’une des méthodes qui est fondée sur les principes du Tableau 2.11 Elle a été appliquée dans le domaine du traitement de la toxicomanie, mais elle n’a eu que des applications limitées dans le secteur correctionnel jusqu’à maintenant. Ginsberg l’a utilisée brièvement avec des délinquants qui faisaient une consommation excessive d’alcool;12 d’autres l’ont utilisée, dans une moindre mesure, avec des délinquants sexuels.13 La thérapie de l’augmentation de la motivation est une approche qui consiste en 4 séances données sur une période de 12 semaines. De façon générale, les thérapeutes font des observations personnalisées à propos des conséquences négatives de la consommation d’alcool, aident le client à établir un plan bien défini pour le changement, examinent les sentiments ambivalents à propos du changement de comportement, résument les progrès et élaborent de nouveaux plans.14 Habituellement, les cliniciens qui utilisent cette approche ont recours à la technique d’entrevue motivationnelle.

Tableau 2

Rétroaction Donner une rétroaction pour amener le délinquant à mieux comprendre sa situation et à voir comment son comportement est nuisible.
Responsabilité Souligner que c’est le délinquant qui doit prendre la décision de changer de comportement.
Conseils Donner des conseils pour aider le délinquant à cerner les problèmes, et parler de la nécessité de changer.
Menu Suggérer un éventail de stratégies qui favorisent le changement.
Empathie Montrer qu’on accepte et qu’on comprend le délinquant.
Auto-efficacité Convaincre le délinquant qu’il est capable d’appliquer une stratégie de changement.

Le modèle transthéorique de changement a été appliqué à de nombreux domaines d’intervention : désaccoutumance au tabac, traitement de la toxico-manie, soulagement de la douleur, violence familiale, poursuite du traitement jusqu’au bout. Prochaska et Di Clemente15 ont défini cinq étapes en fonction de la volonté des individus de changer leurs comportements nuisibles. À l’étape de la précontemplation, les individus ne sont pas motivés à changer; à l’étape de la contemplation, ils songent à changer; à l’étape de la préparation, ils planifient le changement; à l’étape de l’action, ils sont engagés activement dans le changement; enfin, à l’étape du maintien, ils ont fait des changements, mais ils reconnaissent qu’ils doivent demeurer vigilants en cas de rechute.

Prochaska et Di Clemente décrivent les procédés expérientiels et comportementaux qui soutiennent les individus à chacune de ces étapes. Dans les deux premières étapes, on les aide à faire une prise de conscience et à réévaluer leur environnement pour les amener à comprendre les répercussions de leurs comportements malsains sur eux-mêmes et sur les autres et de les aider à voir qu’un changement de comportement peut constituer un élément important d’une nouvelle identité. À l’étape de la préparation, on utilise des stratégies d’intervention qui renforcent l’auto-efficacité, c’est-à-dire la capacité des individus de choisir de changer et de s’engager à le faire. Aux étapes de l’action et du maintien, on se sert de techniques comme la gestion du renforcement, on encourage les individus à rechercher et à utiliser l’aide de soutiens sociaux, on utilise le contre-conditionnement pour qu’ils adoptent des cognitions et des comportements plus sains, ainsi que le contrôle des stimuli pour supprimer les signaux qui les poussent à s’engager dans des comportements malsains.

Initiatives récentes qui intègrent les techniques d’augmentation de la motivation

Récemment, le Service correctionnel du Canada a lancé plusieurs projets qui combinent les interventions associées à la technique d’entrevue motivationnelle et les interventions recommandées par le modèle transthéorique de changement. On a conçu des modules de trois jours, de deux jours et d’une demi-journée pour donner au personnel une formation sur la technique d’entrevue motivationnelle. On a formé des moniteurs régionaux, qui ont formé à leur tour des agents de programme, des agents de libération conditionnelle, des surveillants d’atelier et des agents de correction. Tous les nouveaux programmes (p. ex. prévention de la violence familiale et prévention de la violence) comportent maintenant un module d’augmentation de la motivation, qui est donné au tout début. Tous les délinquants qui sont dirigés vers le programme de développement des aptitudes cognitives, le programme de maîtrise de la colère et des autres émotions, et le programme Counterpoint participent d’abord à une entrevue qui est structurée selon les principes de l’entrevue motivationnelle. Enfin, en collaboration avec des spécialistes du laboratoire

Prochange Behaviour Systems, nous préparons une introduction au traitement à l’intention des délinquants qui satisfont aux critères d’admissibilité du programme de prévention de la violence familiale, mais qui refusent d’y participer. Ces initiatives, qui visent à augmenter la réceptivité des délinquants en augmentant leur motivation à supprimer les facteurs criminogènes, permettront de réduire le nombre de délinquants qui refusent de participer aux programmes ou qui les abandonnent et, à long terme, de réduire la récidive et d’améliorer la réinsertion sociale.


1. 330, rue Keele, Toronto (Ontario) M6P 2K7.

2. ANDREWS, D., ZINGER, I., HOGE, R., BONTA, J., GENDREAU, P. et CULLEN, F. « Does correctional treatment work? A clinically relevant and psychologically informed meta-analysis », Criminology, vol. 28, no 3, 1990, p. 369 à 404.

3. RYAN, R., PLANT, R. et O’MALLEY, S. « Initial motivations for alcohol treatment: Relations with patient characteristics, treatment involvement, and dropout », Addictive behaviors, vol. 20, no 3, 1995, p. 279 à 297.

4. STEWART, L. et MILLSON, B. « La motivation des délinquants à l’égard du traitement comme facteur de réceptivité », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 7, no 3, 1995, p. 5 à 7.

5. STEWART, L. et MONTPLAISIR, G. Drop out in the Cognitive Skills and Anger and Other Emotions Management Programs. Program report to Accreditation Panel. Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, mai 1999.

6. DOWDEN, C et SERIN R. Anger management programming for federal male inmates: The impact of dropouts and other program performance variables on recidivism. Ottawa, ON, Rapport de la Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada (pas encore publié).

7. MILLER, W. « Motivation for treatment: A review with special emphasis on alcoholism », Psychological Bulletin, vol. 98, no 1, 1995, p. 84 à 107. Voir aussi LUBORSKY, L., McLELLAN, T., WOODY, G., O’BRIEN, C. et AUERBACH, A. « Therapist success and its determinants »,Archives of General Psychiatry, vol. 42, no 6, 1985, p. 602 à 611. Et voir NAJAVITS, L. et WEISS, R. « Variations in therapist effectiveness in the treatment of patients with substance use disorders: An empirical review », Addiction, vol. 89, no 6, 1994, p. 679 à 688.

8. KERNS, R., BAYER, L. et FINDLEY, J. « Motivation and adherence in the management of chronic pain » dans A. Block, E. Kremer et E. Fernandex (éd.). Handbook of pain syndromes: Biopsychosocial perspectives, 1999, p. 99 à 121, Mahwah, NY, Lawrence Erlbaum Associates, Publishers.

9. PFEIFFER, W., FEUELEIR, W. et BRENK-SCHULTE, E. « The motivation of alcohol dependents to undergo treatment », Drug and Alcohol Dependence, vol. 29, no 1, 1991, p. 87 à 95.

10. MILLER, W. « Motivational interviewing: Research, practice and puzzles »,Addictive Behaviors, vol. 21, no 6, 1996, p. 835 à 842.

11. ROLLNICK, S. et MILLER, W. « What is motivational interviewing? » Behavioural and Cognitive Psychotherapy, vol. 23, no 4, 1995, p. 325 à 334.

12. GINSBURG, J. Using motivational interviewing to enhance treatment readiness in offenders with symptoms of alcohol dependence. Thèse de doctorat non publiée. Ottawa, ON, Université Carleton, 2000.

13. MANN, R. et ROLLNICK, S. « Motivational interviewing with a sex offender who believed he was innocent », Behavioural and Cognitive Psychotherapy, vol. 24, no 2, 1996, p. 127 à 134.

14. DiCLEMENTE, C. C., BELLINO, L. et NEAVINS, T. « Motivation for change and alcoholism treatment », Alcohol Research and Health, vol. 23, no 2, 1999, p. 86 à 92.

15. PROCHASKA, J.O. et Di CLEMENTE, C.C. « Toward a Comprehensive Model of Change » dans Treating Addictive Behaviors: Processes of Change, W.E. Miller et N. Heather (Éds.), New York, NY, Plenum Press (1986).