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Vers l’exercice judicieux du pouvoir discrétionnaire en matière de suspension

Fred Luciani1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

Les changements de fond récents, les progrès accomplis dans les méthodes d’évaluation du risque et un élargissement déterminé des programmes offerts ont exercé une grande influence sur la nature de la surveillance des délinquants mis en liberté sous condition. Le Service correctionnel du Canada a pendant longtemps souscrit au principe de la « mesure de détention la moins restrictive possible », tout en tenant compte de la nécessité d’assurer la sécurité du public. L’adoption en 1992 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) a donné l’encouragement législatif et stratégique nécessaire pour améliorer l’efficacité des mesures de contrôle et de détention des délinquants.

Le Service a également introduit un certain nombre de mesures objectives basées sur des recherches empiriques d’évaluation du risque destinées à éclairer le processus décisionnel à des points critiques du plan correctionnel. On utilise régulièrement des instruments actuariels pour produire des indices de la récidive2 et du potentiel de réinsertion sociale,3 connaître l’état du risque et des besoins et tracer un profil des programmes.4 Enfin, les programmes élargis offerts5 tant en établissement que dans la collectivité aident à mieux préparer les délinquants en vue de leur retour dans la société et constituent souvent des solutions de rechange utiles à la suspension ou à la révocation de la mise en liberté sous condition. Malgré un débat public enflammé et des attaques basées sur des mobiles politiques, la réinsertion sociale en toute sécurité des délinquants demeure un pivot de la politique du Service, et l’utilisation judicieuse de la suspension de la mise en liberté sous condition est indispensable pour atteindre cet objectif.

Pouvoir de suspendre la mise en liberté sous condition

La Commission nationale des libérations condition-nelles conserve le droit exclusif de révoquer la mise en liberté sous condition tandis que le pouvoir de suspendre celle-ci, prévu par l’article 135 de la LSCMLC, est délégué à certains employés du Service correctionnel du Canada (SCC) qui travaillent dans les 118 bureaux de libération conditionnelle sectoriels ou de district et centres correctionnels communau-taires. La Loi prévoit trois critères juridiques généraux de suspension : en cas d’inobservation d’une condition de la mise en liberté, pour empêcher l’inobservation d’une condition de la mise en liberté

ou pour protéger la société. En outre, les pratiques relatives à la mise en liberté sous condition sont régies par un assortiment de règlements, de directives et d’instructions permanentes, appuyés par des applications électroniques et appliqués au moyen d’un système de vérifications, d’enquêtes, d’évaluations de programmes et de mesures d’assurance de la qualité sur place. L’introduction de mesures actuarielles d’évaluation du risque vise à promouvoir l’uniformité dans les décisions, tandis que les impératifs juridiques découlant de la Charte des droits encouragent l’équité. Néanmoins, le processus menant à la décision de suspendre la mise en liberté sous condition ou encore d’annuler ou de retirer une suspension de la mise en liberté comporte une bonne dose de pouvoir discrétionnaire. L’exercice d’un pouvoir local sur les décisions de suspension est indispensable à la gestion et au con-trôle des délinquants. Il permet l’arrestation immédiate du délinquant et, à la discrétion de la personne responsable, sa détention pendant une période maximale de trente jours durant laquelle le bureau sectoriel conserve le pouvoir d’annuler la suspension. Environ 50 %6 des suspensions résultent d’une condamnation au criminel, d’une accusation ou du fait que le délinquant s’est soustrait à l’autorité du bureau sectoriel, circonstances qui ne permettent guère l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Dans les autres cas, qui comportent, par exemple, une violation de conditions ou de directives spéciales, un défaut de respecter le calendrier des contacts avec les responsables et une non-conformité avec le plan correctionnel, la personne responsable jouit de beaucoup plus de pouvoir discrétionnaire. Il est alors plus probable qu’on envisage l’application des mesures les moins restrictives possibles et que l’utilisation efficace d’outils d’évaluation et de solutions de rechange contribue à la réinsertion sociale en toute sécurité.

Réinsertion sociale en toute sécurité et suspension

La réduction des suspensions pour favoriser la réinsertion sociale peut être une arme à deux tranchants. Le simple fait d’exiger une réduction des suspensions ou des révocations ne garantit ni la réinsertion sociale en toute sécurité des délinquants ni l’utilisation de mesures opportunes pour atteindre les objectifs de la politique. Les organismes correctionnels qui misent surtout sur la politique pour réduire les taux de révocation ont obtenu un certain succès. Dans quelques cas, les résultats sont attribuables à une tolérance croissante à l’égard des infractions ou de l’inconduite des délinquants et à une baisse des normes de surveillance.7 Mais les organismes qui ont élaboré un cadre de décision pour appuyer les objectifs de réduction de la révocation8 ont une bien meilleure chance de favoriser la réinsertion sociale en toute sécurité des délinquants. Reste à savoir comment on peut réduire le recours à la suspension sans compromettre la sécurité publique. Il faut aussi s’interroger sur les critères qui sont à la base des pratiques efficaces et fructueuses en matière de suspension.

Suspension et évaluation du risque

Une évaluation exacte et une utilisation efficace des programmes favorisent la réinsertion sociale en toute sécurité tout en appuyant les délinquants sous surveillance. L’évaluation est exacte dans la mesure où elle est prédictive. Or, la recherche a révélé qu’il était possible d’améliorer, et dans certains cas de manière significative, l’exactitude prédictive des décisions cliniques et correctionnelles au moyen d’outils actuariels.9 Un grand nombre des outils actuariels que le SCC emploie et dont les bureaux sectoriels disposent ont produit des résultats favorables, qui sont communi-qués à ces bureaux. L’Échelle d’information statistique sur la récidive Révisée 1 (ISR-R1), employée depuis le milieu des années 1980, a fait l’objet de nombre de validations10 et demeure un indice utile du risque de récidive. De même l’exactitude prédictive des profils de risque et de besoins des délinquants a été confirmée par les chercheurs qui constatent systématiquement une relation linéaire entre le risque, les cotes de besoin et les taux de réincarcération.11 L’indice du potentiel de réinsertion sociale introduit récemment combine les résultats de trois échelles du risque qui, d’après des constatations préliminaires,12 permettent de confirmer le potentiel de récidive.

La recherche de prédicteurs du risque pertinents est bien avancée,13 tandis que les méthodes qui combinent les données provenant de sources multiples offrent la possibilité d’améliorer l’exactitude.14 Ces systèmes d’information et d’autres qu’utilise actuellement le Service fournissent des données indispensables à l’élaboration d’un cadre de décision pour la suspension. Pour concevoir ce cadre de décision, il faut absolument concilier le risque que traduisent les méthodes objectives et le processus décisionnel comme tel. Il faut aussi déterminer l’éventail des solutions qui s’offrent au décideur local, compte tenu des formes caractéristiques d’inobservation des conditions de la libération conditionnelle. Cela ne signifie pas que la décision de suspendre la mise en liberté ou d’annuler une suspension peut être basée sur le résultat d’une échelle ou qu’elle devrait l’être, mais plutôt que les résultats actuariels, surtout ceux qui sont uniformes quels que soient les instruments utilisés, doivent éclairer le jugement et appuyer et justifier la décision. Les lignes directives dérivées d’une analyse objective qui traduisent un consensus parmi les praticiens et qui sont appuyées par l’organisme correctionnel constituent un moyen important d’améliorer et de garantir une pratique uniforme. Elles garantissent également au personnel sur le terrain l’appui de l’organisme, appui qui est important lorsqu’on exerce de vastes pouvoirs discrétionnaires.

Suspension et évaluation des programmes

Les solutions de rechange à la suspension et à la révocation et celles qui permettent l’annulation à l’échelon local se sont multipliées au cours de la dernière décennie dans tous les bureaux de libération conditionnelle de district. Un grand nombre de bureaux sectoriels ont désormais accès aux programmes de base du Service et aux maisons de transition privées ou aux installations du SCC qui offrent des possibilités de traitement précises. En outre, de nombreuses stratégies de surveillance traditionnelles continuent à servir de solutions de rechange à l’incarcération. Certains bureaux sectoriels explorent des initiatives de justice réparatrice,15 et la plupart ont accès à des unités de surveillance intensive. Les progrès accomplis dans le domaine des programmes communautaires visent au moins deux objectifs : s’occuper des besoins criminogènes et exercer un contrôle plus serré au moyen d’une intervention structurée. Il s’agit dans les deux cas de stratégies de réduction du risque, à condition que les besoins en matière de programmes des délinquants et leur réceptivité à ces programmes soient clairement cernés, que les délinquants et les programmes soient bien jumelés et que le potentiel de réduction du risque des programmes soit réalisé. Toutefois, les programmes les mieux intentionnés peuvent succomber à une tentative d’« élargissement du filet » résultant d’une détermination erronée ou d’une surestimation des besoins des délinquants et entraînant par voie de conséquence l’imposition d’un nombre excessif de programmes. Une évaluation récente des programmes d’intervention auprès des toxicomanes16 semble indiquer que les progrès manifestés après le traitement, comparés à l’état des participants avant celui-ci et mesurés au moyen de divers tests psychométriques, étaient marginaux en raison du niveau élevé de fonctionnement d’un grand nombre de délinquants dirigés vers les programmes de traitement. Cela voudrait donc dire que certains programmes n’ont pas grand-chose à offrir, surtout aux délinquants ayant un niveau élevé de fonctionnement, tandis que d’autres ont un effet minime ou insuffisant sur le risque. D’une manière ou d’une autre, le simple fait de diriger des délinquants vers des programmes communautaires n’est pas une garantie de réinsertion sociale en toute sécurité. Une utilisation plus judicieuse des méthodes existantes d’évaluation et d’aiguillage vers les programmes17 et une compréhension améliorée des résultats de ceux-ci18 aideront à combattre le gaspillage des ressources du Service et des délinquants. On contribue à la réinsertion sociale en toute sécurité des délinquants non seulement en veillant à ce que ceux qui présentent un risque et des besoins élevés soient dirigés vers les programmes requis, mais aussi en faisant en sorte que les délinquants à risque et à besoins moindres ne soient pas aiguillés vers un programme inefficace.

Le pouvoir de suspendre la mise en liberté sous condition est une lourde responsabilité qui exige de trouver un juste milieu entre la nécessité d’assurer la sécurité du public et la protection des droits des détenus. Le processus décisionnel comme tel et les résultats des décisions sont importants pour sauvegarder l’intégrité du pouvoir discrétionnaire. L’objectif doit être non seulement de prendre des décisions discrétionnaires judicieuses en matière de suspension, mais aussi de les prendre « correctement ».19 Les bureaux de libération conditionnelle ont aisément accès à un volume considérable de données de base sur les délinquants, y compris des évaluations descriptives et des résultats actuariels et à une foule de programmes. Une manière efficace d’utiliser cette information pourrait consister à recueillir un consensus quant aux critères fondamentaux et aux règles de décision relatives aux suspensions.


1. 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.

2. Échelle d’information statistique sur la récidive révisée (ISR-R). Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1996.

3. MOTIUK, L. L. et NAFEKH, M. « Profils de potentiel de réinsertion sociale des délinquantes sous responsabilité fédérale », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 11, no 3, 1999, p. 13 à 17. Voir aussi MOTIUK, L. L. et SERIN, R. « Évaluation du risque dans le contexte du potentiel de la réinsertion sociale », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 10, no 1, 1998, p 19 à 22.

4. MOTIUK, L. L. et PORPORINO, F. J. Essai pratique de l’Échelle d’évaluation du risque et des besoins dans la collectivité Étude des libérés sous condition, Rapport de recherche R-06, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1989.

5. Rapport sur les programmes correctionnels Rapport annuel 1996-1997, Ottawa, Ontario, Service correctionnel du Canada, 1997.

6. DITTENHOFFER, T., LEROUX, J. P. et CORMIER, R. B. La suspension et la révocation de la libération conditionnelle au Canada :étude des modalitéset des motifs de réincarcération des détenus sous responsabilité fédérale libérés sous condition, Ottawa, ON, Solliciteur général du Canada, 1986. Voir aussi LUCIANI, F., MARSHALL, W. et NAFEKH, M. A. Review of Conditional Release Suspension Practice Ontario Region: 1995/96.
Kingston, ON, Service correctionnel du Canada, 1995.

7. PRUS, R. et STRATTON, J. R. Organizational Influence on Revocation Decisions: An Exploratory Analysis, présentée à la Midwest Sociological Society, Chicago, IL, 1975.

8. STOKER, R. P.Establishing a Framework for Alternatives to Revocation The Development of Cohesive Policies Concerning Parole Violators in South Carolina. Compte rendu officiel : conmférences annuelles de l’ACA, 1989.

9. ANDREWS, D. A. « Il est possible de prévoir et d’influencer la récidive : Utiliser des outils de prédiction du risque afin de réduire la récidive »,
Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 1, no 2, 1989, p. 11 à 18. Voir aussi PALMER, W., R., T. Improving Parole Selection: Predicting Release Outcome Using Current Psychological et Behavioural Variables, A Longitudinal Criterion Measure, et Event History Analysis, Université Queen’s, Kingston, ON, 1997. Et voir QUINSEY, V. L., HARRIS, G. T., RICE, M. E. et CORMIER, C., A. Violent Offenders: Appraising et Managing Risk. Washington, DC, American Psychological Association, 1998.

10. HANN, R. G et HARMAN, W. G. Prévision du risque général de récidive lié à la mise en liberté des détenus des pénitenciers canadiens, Ottawa, ON, Solliciteur général du Canada, 1992. BONTA, J., HARMEN, W. G., HANN, R. G. et CORMIER, R. B. « The prediction of recidivism among federally sentenced offenders: A re-validation of the SIR scale », Revue canadienne de criminologie, vol. 38, 1996, p. 61 à 97.

11. GRANT, B. A., MOTIUK, L. L., BRUNET, L., LEFEBVRE, L. et COUTURIER, P. Examen du régime de semi-liberté : Éléments de prévision du résultat de la mise en liberté dans la gestion de cas, Rapport de recherche R-52, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1996. Voir aussi MOTIUK, L. L. et BROWN, S. L. Temps de survie des délinquants sexuels jusqu’à la suspension de leur libération conditionnelle, Rapport de recherche R-31, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1993. Et voir GRANT, B. A. et GILLIS, C. A. Résultat de la semi-liberté, antécédents criminels et autres éléments de prévision d’une sentence réussie, Rapport de recherche R -83, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1999.

12. MOTIUK, L. L. et BROWN, S. L. La validité du processus de détermination et d’analyse des besoins des délinquants dans la collectivité, Rapport de recherche R- 34, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1993. Voir aussi MOTIUK, L. L. L’échelle d’évaluation du risque et des besoins dans la collectivité : Un outil de surveillance efficace », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 9, no 1, 1997, p. 8 à12; « Système de classification des programmes correctionnels : Processus d’évaluation initiale des délinquants (EID) », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 9, no 1, 1997, p. 18 à 22 et « Utilisation des facteurs dynamiques pour mieux prévoir l’issue de la mise en liberté », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 10, no 3, 1998, p. 12 à 15.

13. ANDREWS, 1989. Voir aussi HANSON, K. R. et BUSSIÈRE, M. T. Les prédicteurs de la récidive chez les délinquants sexuels : une méta-analyse, Ottawa, ON, Ministère du Solliciteur général du Canada, 1996. Et voir GENDREAU, P., LITTLE, T. et GOGGIN, C. « A meta-analysis of the predictors of adult offender recidivism: What works! » Criminology, vol. 43, 1996, p. 401 à 433.

14. BONTA, J. « Enjeux et considérations d’ordre général dans le domaine de l’évaluation des délinquants », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 12, no 2, 2000, p. 14 à 18.

15.SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA. Alternatives to Revocation: Safely Sustaining Offenders in the Community, Ottawa, ON, Direction des politiques et de la planification stratégique, 1999-2000.

16. SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA. « An Outcome Evaluation of CSC Substance Abuse Programs: OSAPP, ALTO et Choices », rapport final, Ottawa, ON, T3 Associates, 1999-2000.

17. SERIN, R. « Réponse au traitement, intervention et réinsertion sociale : Un modèle théorique », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 10, no 1, 1998, p. 29 à 32. Voir aussi BONTA, J. « Le principe de la réceptivité et la réadaptation des délinquants », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 7, no 3, 1995, p. 34 à 37. Et voir ANDREWS, 1989.

18. GENDREAU, P. et GOGGIN, C. « Les principes à la base des programmes correctionnels efficaces », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 8, no 3, 1996, p. 38 à 41.

19. ALEXANDER, J. « Classification objective and practice », Crime & Delinquency, vol. 32, 1986, p. 323 à 338.