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L’alcool et la drogue dans le système correctionnel fédéral : Les problèmes et les défis

Fraser McVie1
Opérations et programmes correctionnels, Service correctionnel du Canada

Les problèmes posés par la toxicomanie dans notre société sont de taille. L’envergure et la diversité des problèmes liés à la toxicomanie dans notre système correctionnel sont amplifiées par le fait que la population carcérale sous responsabilité fédérale comporte une forte concentration de personnes qui ont des problèmes de toxicomanie graves de longue date, de faibles compétences cognitives et un mode de vie criminel. Les partenaires du système de justice pénale doivent effectuer de la recherche, dialoguer et collaborer pour favoriser notre compréhension collective et, par la même occasion, notre capacité de bien régler le problème de la toxicomanie.

L’abus d’alcool et de drogues est une préoccupation majeure dans le système correctionnel fédéral. Au moment de l’admission dans un établissement fédéral, près de 70 % des délinquants sous responsabilité fédérale sont évalués comme ayant un problème de toxicomanie qui nécessite une intervention. Selon les résultats obtenus lors d’un sondage auprès des détenus, 34 % des délinquants ont admis avoir fait l’usage de drogues injectables avant d’être incarcérés et 11 % ont indiqué avoir utilisé des drogues injectables depuis qu’ils sont incarcérés. Vingt-cinq pour cent des détenus ont indiqué qu’ils subissent des pressions pour introduire illégalement de la drogue dans l’établissement.2

Les problèmes de toxicomanie sont présents d’une façon disproportionnée chez les délinquants autochtones et les délinquantes, surtout en ce qui concerne le taux des cas de toxicomanie grave et invétérée.

La hausse remarquable depuis dix ans du nombre de délinquants sous responsabilité fédérale atteints de maladies infectieuses comme le VIH et le sida (1 à 2 %) et l’hépatite C (30 à 40 %) est fortement liée aux pratiques et aux modes de vie des nombreux délinquants toxicomanes. Si cette montée reflète la hausse du taux des maladies infectieuses chez les narcomanes dans la collectivité, le problème est accentué dans la population carcérale, car c’est un milieu fermé où la concentration de toxicomanes graves augmente de façon considérable le risque de contracter une maladie.

Non seulement la demande de drogues dans la population carcérale sous responsabilité fédérale occasionne des risques importants pour la santé, mais elle mine aussi la sécurité de nos établissements, parce que les activités liées au trafic de drogues s’accompagnent bien souvent de violence. Il est extrêmement difficile d’empêcher l’introduction de drogues dans nos établissements. Tous les jours, il y a de nombreux déplacements à l’intérieur d’un établissement correctionnel, ce qui rend le dépistage de tous les objets interdits, particulièrement les drogues, très problématique. Par exemple, un de nos établissements à sécurité moyenne, logeant 650 délinquants, compte environ 1 905 personnes (visiteurs, membres du personnel, entrepreneurs, livreurs et détenus) qui franchissent ses portes toutes les semaines.

Il semble y avoir une importante relation entre les saisies de drogues à l’intérieur des établissements et la diminution du nombre de résultats positifs aux analyses d’urine subséquentes. Même si certaines observations démontrent une corrélation possible entre l’augmentation du nombre de saisies de drogues et la baisse du nombre d’incidents violents, cette question requiert plus de recherche.

Nous savons que le nombre de gangs et de groupes du crime organisé augmente dans nos collectivités et, a fortiori, dans nos établissements. Nous avons relevé au moins 49 gangs différents ou types de gangs ayant des membres dans la population carcérale. Il est bien connu qu’une grande partie du financement de ces gangs provient de leur participation à différents niveaux à la transportation et à la vente de drogues.

La toxicomanie dans la population carcérale crée une forte demande et les trafiquants s’efforceront d’assurer l’offre. Lorsque l’offre est réduite, parfois au moyen d’efforts d’interdiction efficaces, les prix augmentent et les délinquants, leurs familles et les visiteurs sont forcés d’introduire des drogues dans les établissements, ce qui perpétue un cycle économique clandestin caractérisé par les menaces, l’intimidation et trop souvent, la violence.

La lutte pour dominer cette économie clandestine crée des problèmes de sécurité car des rivaux se disputent le contrôle de la distribution de la drogue. Beaucoup d’incidents dans les établissements sont liés d’une façon ou d’une autre à l’usage et au trafic de la drogue et de l’alcool. Ces problèmes ne sont pas endémiques au Service correctionnel du Canada (SCC) uniquement. Ces problèmes sont vécus à l’échelle mondiale, à différents niveaux, dans tous les systèmes correctionnels et dans toutes les sociétés. Les problèmes de toxicomanie, les problèmes de santé connexes et la croissance du crime organisé soutenu par le commerce illégal de la drogue revêtent de plus en plus un caractère international, évoluant au rythme de la mondialisation des marchés, du commerce, des communications et des déplacements.

Bien que ce soit peut-être rassurant de savoir que nous ne sommes pas les seuls à avoir de tels problèmes, cette «bonne nouvelle» met en évidence le besoin de trouver des solutions plus complètes et complexes qui font intervenir des partenaires nationaux et internationaux, tels que des spécialistes en traitement, en élaboration de programmes, en soins de santé, en application de la loi, en formation et en recherche, pour en nommer que quelques-uns.

J’aimerais également réfuter un mythe qui est parfois évoqué lorsque nous discutons des problèmes de toxicomanie. On suggère parfois que la situation est totalement hors de contrôle et que rien n’est fait pour y remédier. En d’autres mots, il y a une mauvaise impression que tous les délinquants font librement usage d’alcool ou de drogues tout au long de leur peine et que les efforts pour régler le problème sont inefficaces.

Au contraire, même si 70 % des délinquants arrivent avec des antécédents de toxicomanie, les analyses d’urine effectuées au hasard montrent que, à tout moment, environ 12 % des délinquants ont des résultats positifs d’intoxication. De ceux-ci, environ la moitié sont intoxiqués au THC par opposition à des drogues plus fortes. Même si aucun résultat positif n’est souhaitable, et même si ces analyses au hasard pouvaient sous-estimer le problème jusqu’à un certain point, il est clair que la grande majorité des personnes qui purgent une peine fédérale ne consomment pas d’alcool ou de drogues de façon active.

Il est encourageant de constater que, parmi ses priorités actuelles, le gouvernement fédéral appuie fortement la Stratégie canadienne antidrogue, laquelle préconise une approche équilibrée et intégrée de la lutte contre la toxicomanie. Le Ministère du Solliciteur général cherche à renforcer la sécurité des collectivités au moyen d’efforts intensifiés de recherche, de traitement de la toxicomanie des délinquants, de prévention efficace et d’application de la loi, en se consacrant tout particulièrement à la lutte contre le crime organisé.

Au Service correctionnel du Canada, nous visons une approche intégrale. Nos programmes agréés de toxicomanie (PPT et Choices) se sont avérés efficaces pour ce qui est de réduire la toxicomanie et d’aider un grand nombre de délinquants à retourner dans la collectivité sans faire de rechute. Ces programmes sont appuyés par la mise sur pied d’Unités à soutien intensif dans beaucoup d’établissements, soit un milieu sans drogue, qui contribuent à la réinsertion sociale des délinquants et à la prévention de la rechute.

La recherche constitue un facteur important dans l’élaboration et l’évaluation de nos programmes, et la récente mise sur pied du Centre de recherche sur la toxicomanie, situé à Montague, Île-du-Prince-Édouard, favorisera et valorisera davantage nos efforts.

Nous avons obtenu de bons résultats avec le programme d’entretien à la méthadone et nous pourrions l’élargir au cours des prochaines années, selon l’évaluation des résultats. Des contraceptifs et des trousses de désinfection à l’eau de Javel ont été introduits pour réduire le taux de maladies transmissibles. Bien que ces mesures aient été controversées, elles font partie d’une approche équilibrée et globale de la réduction des méfaits de la toxicomanie.

Depuis de nombreuses années, nous menons un vaste programme d’analyses d’urine. Nous croyons que ce programme s’est avéré grandement efficace comme moyen de dissuasion, réduisant ainsi le nombre de délinquants faisant activement usage d’alcool ou de drogues. Lorsque le programme a été introduit, plus de 30 % des résultats de la prise d’échantillons aléatoires étaient positifs et ce taux a rapidement chuté à environ 12 % ou moins au cours des années suivantes. Les analyses d’urine sont également un mécanisme de contrôle complémentaire et utile pour surveiller les délinquants qui participent à certains programmes ou qui doivent respecter des conditions d’abstinence à leur mise en liberté.

Bien que certains détenus et groupes de l’extérieur prétendent que le programme des analyses d’urine a conduit des détenus des drogues douces aux drogues dures, cette affirmation n’a pas été confirmée par les résultats des analyses au hasard, où 49 % des résultats positifs demeurent attribuables à l’usage du THC. La deuxième drogue de choix, ce sont les opiacés (19 %), alors que les benzodiazépines (médicaments prescrits) et la cocaïne représentent 13 % et 14 % respectivement des résultats. L’usage des opiacés chez les détenus sous responsabilité fédérale est le plus prononcé dans l’Ouest du pays et va en baissant à mesure qu’on avance vers l’est.

L’année dernière, nous avons terminé la mise en œuvre de détecteurs ioniques dans tous nos établissements à sécurité maximale et moyenne. Ces appareils nous aident beaucoup à détecter la présence de drogues ou l’exposition à celles-ci. L’utilisation constante de cet équipement pour vérifier les personnes qui franchissent les portes de nos établissements est un moyen dissuasif ainsi qu’un moyen de dépister les drogues illégales qu’on tente d’y introduire. Une indication positive au détecteur ionique est combinée avec d’autres méthodes de fouille et l’évaluation de sécurité pour déterminer si on permet à la personne d’entrer, si on lui offre une visite fermée ou si on la retient en vue d’une arrestation éventuelle.

Il a été prouvé que les chiens-détecteurs de drogue sont très efficaces et fiables pour ce qui est de dépister des drogues. Nous faisons actuellement le nécessaire pour avoir des chiens-détecteurs dans tous les établissements. Le programme de chiens-détecteurs s’accompagne de la création d’un poste de coordonnateur de fouille/maître-chien pour chaque grand établissement. Cette personne gère le programme de chiens-détecteurs de drogues, en plus d’élaborer et de coordonner tous les plans de fouille de l’établissement.

Nous travaillons activement avec nos partenaires des services policiers pour élaborer des informations et des stratégies communes pour lutter contre le crime organisé et les bandes actives dans nos établissements et nos collectivités. La collectivité policière collabore actuellement de très près avec nous et elle reconnaît la valeur des informations et du soutien spécialisé fournis par le système correctionnel. Les problèmes liés au trafic de drogues et au crime organisé sont l’une des grandes priorités des policiers, et le système correctionnel est perçu comme un partenaire clé dans ce dossier.

À titre de membre du Comité des chefs de police canadiens sur la toxicomanie, le SCC peut jouer un rôle actif pour accroître la compréhension de la perspective des instances correctionnelles au sein de la collectivité policière. Il semble que les services policiers ont un point de vue très semblable au nôtre, c’est-à-dire que le problème de la toxicomanie doit être abordé d’une façon équilibrée au moyen de programmes efficaces de prévention, de formation, d’application de la loi et de traitement.

En conclusion, nous savons tous que la toxicomanie est un facteur criminogène important, une menace pour la santé, un grave problème de sécurité et, si elle n’est pas traitée efficacement, un obstacle à l’efficacité du système correctionnel et au succès de la réinsertion sociale des délinquants.

La toxicomanie fait de nombreuses victimes. Le délinquant, sa famille et ses amis, les victimes de l’acte criminel, les victimes de l’intimidation ou de la violence liées à la drogue, les membres du personnel et les délinquants exposés au risque accru de contracter une maladie, et la collectivité en général exposée au risque élevé d’une atteinte à la sécurité personnelle, d’une perte économique et d’une augmentation du nombre des demandes de soins de santé.

Le problème concerne l’offre et la demande, et les deux aspects doivent être abordés de façon globale si nous voulons obtenir des résultats à long terme. Cela ne peut être accompli qu’à l’aide de partenariats entre les principaux organismes et groupes. Le modèle d’application de la loi stricte a été mis à l’essai à de nombreuses reprises et dans de nombreux endroits, mais il ne fonctionne pas. De la même façon, déployés seuls, en l’absence de réelles mesures d’application de la loi, des efforts de prévention et de traitement ne fonctionnent pas non plus.

Qu’en est-il des politiques de tolérance zéro ? Ces politiques sont fermes et elles ont beaucoup caractérisé notre approche des drogues en Amérique du Nord depuis quelques décennies. Mais, est-ce une stratégie réaliste et permettra-t-elle de régler le problème ? Nous savons, par expérience, que, même si cet objectif est souhaitable, il est peut-être trop rigide et il n’englobe pas toutes les stratégies possibles de prévention, d’application de la loi et de traitement susceptibles de contribuer ensemble à l’atteinte de résultats significatifs. C’est pourquoi une stratégie de réduction des méfaits doit être consciencieusement explorée et élaborée, et celle-là doit se fonder sur une compréhension entière de la complexité du problème et faire l’équilibre entre la prévention, l’application de la loi, le traitement, l’entretien et la prévention de la rechute.

Nous gagnons beaucoup à élaborer des approches et des stratégies compatibles au moyen du dialogue et du partenariat. La recherche doit porter sur tous les membres de l’équation. Notre objectif devrait être d’améliorer la prévention, l’application de la loi et les programmes de traitement et d’aide destinés aux délinquants pour aider ceux-ci à résoudre leurs problèmes de toxicomanie.

Nous devons élaborer nos approches d’interdiction et de punitions non seulement pour régler la situation immédiate, mais pour qu’elles puissent également favoriser et soutenir nos stratégies de traitement et les programmes à long terme. La solution ne consiste pas à isoler des délinquants ou leurs familles indéfiniment, mais bien à trouver des moyens d’encourager le changement et d’appuyer les délinquants et leurs familles de façon à ce qu’ils puissent faire face au problème et éviter de faire une rechute après avoir été libérés.

Un fort élément de sensibilisation et de prévention est nécessaire, qui non seulement met l’accent sur le délinquant, mais qui fournit également des renseignements significatifs et en temps opportun et du soutien à la famille ou à toute autre personne importante dans la vie du délinquant.

Nous devons saisir les nombreuses possibilités qui existent de travailler avec les collectivités autochtones et les groupes de soutien des femmes afin d’élaborer des programmes précis en établissement et dans la collectivité qui ciblent les besoins spéciaux des délinquantes et des Autochtones toxicomanes.

Je suis convaincu qu’ensemble, nous pouvons apporter notre contribution aux multiples initiatives et approches qui se sont révélées très bonnes et qui sont actuellement en place. Au moyen de l’échange d’informations et de recherche, nous avons l’occasion d’améliorer notre compréhension et notre réponse au problème de la toxicomanie.


1.   340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.

2.   ALKSNIS, C. et ROBINSON, D. Sondage national de 1995 auprès des détenus : Rapport final, Rapport spécial — 2A. Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1995.