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Incidence du traitement d’entretien à la méthadone en milieu carcéral sur l’issue de la mise en liberté

Sara L. Johnson1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

En janvier 1998, le Service correctionnel du Canada a mis en œuvre la phase 1 d’un programme national de traitement d’entretien à la méthadone (TEM) en établissement pour les délinquants sous responsabilité fédérale souffrant d’une toxicomanie à l’héroïne ou aux opiacées. La phase 1 visait la poursuite du traitement à la méthadone commencé dans la collectivité. Pour être admissible, un délinquant devait avoir pris partrécemment à un TEM communautaire. Elle a ensuite été modifiée pour permettre d’offrir le TEM aux délinquants dans des circonstances exceptionnelles, lorsque tous les autres programmes et traitements avaient échoué, que la santé du délinquant demeurait sérieusement compromise par la toxicomanie et qu’une intervention immédiate s’imposait de toute urgence. Le programme national de TEM vise la réduction des méfaits, c’est-à-dire la réduction autant que possible des répercussions physiques, psychologiques, sociales et criminelles de la consommation d’opiacés.2 Dans cet article, nous présentons les résultats d’une étude de l’incidence sur l’issue de la mise en liberté de la participation à un programme de TEM en milieu carcéral.

L’héroïnomanie est extrêmement dommageable pour la personne qui en souffre, en plus d’avoir des conséquences nuisibles sur les collectivités. Elle peut contribuer à la détérioration des relations, à une dépendance à l’égard d’un mode de vie criminel comme moyen d’entretenir l’accoutumance et à de graves problèmes de santé, y compris le VIH et le sida résultant du partage d’aiguilles. Il est donc indispensable de traiter les personnes touchées. Le traitement d’entretien à la méthadone (TEM) est un des moyens les plus prometteurs de traiter l’héroïnomanie; il permet de réduire les symptômes de sevrage et de stabiliser le comportement. Il agit sur les mêmes récepteurs d’opiacés que l’héroïne, réduisant ou éliminant ainsi les symptômes de sevrage, tout en ayant une action de plus longue durée que cette substance (24 à 36 heures contre 4 à 6 heures) et en ne produisant pas les effets sédatifs ou d’euphorie de l’héroïne.3 Par conséquent, après que la dose d’entretien voulue a été établie, une personne peut fonctionner normalement et participer à des activités productives, comme des programmes de traitement, de formation et d’emploi.

On a constaté une relation entre l’utilisation du TEM contre l’héroïnomanie et une diminution de la consommation intraveineuse de drogues, du partage d’aiguilles, des comportements créant un risque de VIH et d’activité criminelle, ainsi qu’un accroissement des activités productives et de la probabilité de poursuivre le traitement dans la collectivité après la mise en liberté.4

L’étude décrite dans cet article porte sur l’issue de la mise en liberté de délinquants ayant participé à la phase 1 du TEM durant leur incarcération comparativement à d’autres délinquants héroïnomanes n’ayant pas participé au TEM. L’issue, pour les besoins de cette étude, est définie en fonction de la réincarcération après la mise en liberté.

Présente étude

Groupe traité

Le groupe traité est composé de 303 délinquants ayant suivi un programme de TEM dans un établissement fédéral entre novembre 1996 et octobre 1999. Parmi eux, 62 % (187) de ces délinquants ont été libérés avant le 15 mai 2000 et ont été inclus dans des analyses de suivi. Ces délinquants étaient âgés en moyenne de 38 ans au moment de leur mise en liberté; 10 % (17) étaient autochtones et 3 % (6) étaient des femmes.

Groupe témoin

Le groupe témoin englobait tous les délinquants chez qui l’on avait décelé une dépendance à l’égard des drogues et qui avaient obtenu au moins un résultat positif à une analyse d’urine servant à dépister la présence d’opiacés ou d’opiacés A (métabolites d’héroïne) et effectuée durant des tests de dépistage aléatoires et systématiques entre janvier 1998 et octobre 1999. La présence d’une dépendance a été confirmée par un examen des dossiers de l’établissement. Ce groupe était composé de 215 délinquants, dont environ 52 % (112) ont été libérés avant le 15 mai 2000. Ces derniers étaient âgés en moyenne de 34 ans à leur mise en liberté; 20 % (22) étaient autochtones et 6 % (7) étaient des femmes.

On a examiné les mesures de l’issue, y compris la réincarcération sous responsabilité fédérale, le type de révocation et la récidive. Comme le révèle le Graphique 1, il y avait de grandes différences entre les groupes quant aux courbes de survie jusqu’à la réincarcération. Dans l’ensemble, les membres du groupe traité ont été réincarcérés sous garde fédérale à un taux inférieur et moins rapidement que ceux du groupe témoin. Après une douzaine de mois, par exemple, 59 % d’entre eux n’avaient pas été réincarcérés, alors que le taux correspondant pour les membres du groupe témoin était de seulement 42 % (voir le Graphique 1).

Le Tableau 1 présente les résultats après la mise en liberté sous un angle légèrement différent. Le type d’issue pour une période fixe de 6 mois est présenté pour les 92 délinquants membres du groupe témoin et les 154 délinquants traités qui ont été libérés et qui disposaient ensuite d’une période de 6 mois durant laquelle ils risquaient d’être réincarcérés. Comme on peut le voir, après 6 mois, les membres du groupe traité étaient plus susceptibles de ne pas être réincarcérés (71 % contre 56 %) et moins susceptibles de voir leur liberté révoquée pour une raison autre qu’une récidive (17 % contre 22 %). Ils étaient aussi moins portés à être réincarcérés pour récidive (12 %* contre 22 %; ceci inclut les pourcentages des délinquants avec révocation pour récidive et pour nouvelle condamnation). Ces tendances générales ont également été observées lorsqu’on a examiné les résultats après une période fixe de 12 mois. Ces constatations indiquent que les délinquants traités ont moins tendance à être réincarcérés; lorsqu’ils le sont, cela est dû à une révocation sans nouvelle infraction plutôt qu’à la perpétration d’une nouvelle infraction.

Tableau 1

Résultats pour une période fixe de six mois
 
Groupe traité
Groupe témoin
X2
%
( n)
%
( n)
Pas de réincarcération
71
(109)
56
(52)
 
Révocation sans récidive
17
(26)
22
(20)
7,96 *
Révocation avecrécidiv
8
(12)
9
(8)
 
Nouvelle condamnation
4
(7)
13
(12)
 
Nombre de cas
154
92
 
* p < 0,05
1. Réadmission dans un établissement fédéral en raison d’une nouvelle infraction après qu’une peine antérieure a été purgée sous responsabilité fédérale.

Au Tableau 2, les motifs de la révocation de la mise en liberté sous condition sont comparés pour les deux groupes. Les sujets du groupe témoin étaient de manière significative plus susceptibles que ceux du groupe traité d’avoir manqué à une condition d’abstinence en consommant de l’alcool (9 % contre 2 %)ou d’avoir été illégalement en liberté (22 % contre 9 %). En outre, bien que ce résultat ne soit pas statistiquement fiable, les membres du groupe témoin étaient plus susceptibles que ceux du groupe traité d’avoir manqué à leur condition d’abstinence en consommant des drogues (20 % contre 14 %). En général, les raisons de la révocation étaient plus graves,par exemple violation des conditions d’abstinence ou fait de se trouver illégalement en liberté, dans le groupe témoin que dans le groupe traité.

Tableau 2

Pourcentage des délinquants en liberté selon la raison de la révocation
Raison
Groupe traité
Groupe témoin
X2
%
( n)
%
( n)
Violation d’une condition d’abstinence (alcool)
2
(3)
9
(10)
9.04**
Violation d’une condition d’abstinence (drogue)
14
(26)
20
(23)
2,25
Illégalement en liberté
9
(16)
22
(25)
11.22***
Violation de la consigne concernant les heures de rentrée
2
(4)
3
(3)
0.09
Dégradation du comportement
3
(6)
4
(4)
0.03
Autre manquement
5
(9)
5
(6)
0.04
Nombre de cas
187
112
 
* p < 0.05 ** p < 0.01 *** p < 0.001

En ce qui concerne la récidive, les résultats présentés au Graphique 2 semblent indiquer une différence dans les taux d’échec attribuable à une nouvelle infraction, bien que cette différence ne soit pas statistiquement fiable. Une douzaine de mois après leur mise en liberté, 76 % des membres du groupe témoin et 82 % de ceux du groupe traité n’avaient pas récidivé. D’autres analyses ont révélé qu’il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes quant au nombre et au type de nouvelles infractions commises après la mise en liberté (voir le Graphique 2 ).

Conclusion

Les résultats de la présente étude montrent que les délinquants héroïnomanes qui ont participé à un programme de TEM en établissement avaient des taux de réincarcération plus faibles et plus graduels que ceux qui n’ont pas participé à ce traitement. De plus, les premiers étaient moins portés à être réincarcérés à cause d’un manquement à une conditiond’abstinence ou parce qu’ils étaient illégalement en liberté. Toutefois, les résultats ne traduisent pas de différences significatives quant au taux de récidive entre les deux groupes. Il y a aussi lieu de signaler une limitation de l’étude; en effet, on n’a pas suivi les délinquants dans la collectivité pour déterminer s’ils avaient poursuivi leur TEM. Il se peut que l’abandon du TEM soit lié à un accroissement du risque de récidive, mais il faudra examiner cette relation dans le cadre d’un projet futur.

Dans cette étude, les résultats obtenus ont été examinés en fonction de la réincarcération, mais on pourrait dans l’avenir se pencher sur d’autres mesures prélibératoires ou postlibératoires. Celles-ci pourraient inclure le degré de consommation de drogues par intraveineuse ou d’autres moyens, la participation au traitement, l’état de santé, les activités productives (c.-à-d., emploi, études) et le comportement criminel. On a également entrepris de déterminer l’opportunité de modifier les critères de participation au TEM pour y rendre admissibles les délinquants n’ayant jamais suivi un traitement de ce genre. Cette modification augmenterait le nombre de délinquants admissibles au TEM et nécessiterait l’exécution de recherches supplémentaires visant à déterminer la mesure dans laquelle la participation au TEM en milieu carcéral procure des avantages à ces délinquants et à ceux qui satisfont aux critères de la phase 1, qui ont fait l’objet de la présente étude.


1.  340, avenue Laurier ouest, Ottawa (Ontario) K1A0P9.

2.  SERVICE CORRECTIONNELDU CANADA.Programme national de traitement d’entretien à la méthadone — Phase 1. Trousse documentaire et d’information, Ottawa, ON, 1999.

3.  O’BRIEN, R., COHEN, S., EVANS, G. et FINE, J. The encyclopedia of drug abuse (2e éd.), New York, NY, Facts on File, 1992.

4.  COID, J., CARVELL, A., KITTLER, Z., HEALEY, A. et HENDERSON, J.
Opiates, Criminal Behaviour, and Methadone Treatment. Internet : http://www.homeoffice.gov.uk/rds/index.htm; voir également DOLAN, K. A., WODAK, A. D. et HALL, W. D. «Methadone maintenance treatment reduces heroin injection in New South Wales prisons»,Drug and Alcohol Review, vol. 17, 1998, p. 153-158; FISCHER, B., GLIKSMAN, L., REHM, J., DANIEL, N. et MEDVED, W. «Comparing opiate users in methadone treatment with untreated opiate users: Results of a follow-up study with a Toronto opiate user cohort», Canadian Journal of Public Health, vol. 90, 1999, p. 299-303; MADDUX, J. F. et DESMOND, D. P. «Outcomes of methadone maintenance 1 year after admission», Journal of Drug Issues, vol. 27, 1997, p. 225-238; MAGURA, S., ROSENBLUM, A., LEWIS, C. et JOSEPH, H. «The effectiveness of in-jail methadone maintenance», The Journal of Drug Issues, vol. 23, 1993, p. 75-99; et voir MARSCH, L. A. «The efficacy of methadone maintenance interventions in reducing illicit opiate use, HIV risk behavior and criminality: Ameta-analysis», Addiction, vol. 93, 1998, p. 515-532.