Cette page Web a été archivée dans le Web.
Programme de contrôle au hasard déchantillons durine : Politiques, pratiques et résultats de recherche
Patricia MacPherson1
Centre de recherche en toxicomanie, Service correctionnel du Canada
Lanalyse durine permet de détecter si un délinquanta consommé des drogues récemment en relevant des traces de la substance (métabolites) dans lurine. Dans les pénitenciers fédéraux canadiens, on peut demander aux délinquants de fournir un échantillon durine lorsquun agent a des motifs raisonnables de croire que le délinquant a consommé une substance intoxicante, lorsque lanalyse est une condition de participation à un programme ou une activité nécessitant des contacts avec la collectivité ou dans le cadre dun programme de traitement de la toxicomanie ou dun programme de contrôle au hasard. Cet article décrit certains des résultats du programme de contrôle au hasard mené par le Service correctionnel du Canada (SCC).
Contexte
Dans les milieux de justice pénale, les analyses durine sont couramment utilisées pour déceler et décourager la consommation de drogues chez les délinquants, pour établir un fondement servant à lévaluation des niveaux de consommation de drogues, pour cerner les tendances en matière de consommation de drogues et pour reconnaître les délinquants qui nécessitent un traitement.2 La consommation de drogues dans les pénitenciers met en péril la sécurité des délinquants et du personnel et mine les efforts de réadaptation des délinquants. Par ailleurs, on a remarqué que la consommation chronique de drogues contribuait à laugmentation du risque de participation à des activités criminelles.3 Si ce problème nest pas traité, il peut mener à une augmentation du risque pour les collectivités dans lesquelles les délinquants sont mis en liberté.
Historique
En 1985, le Service correctionnel du Canada a introduit dans son règlement des dispositions pour permettre la prise déchantillons durine à des fins de détection de drogues. Par suite dune contestation judiciaire en 1987, il a cessé cette pratique, sauf dans le cadre des programmes de traitement. Afin de tenir compte des préoccupations juridiques liées aux prises déchantillon durine dans ce contexte, le SCC a intégré des règles et lignes directrices à ce sujet dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, adoptée en 1992, et dans le règlement connexe. En 1993, il a mis en uvre le programme de contrôle au hasard déchantillons durine dans trois unités. Ce programme a été interrompu dans la région des Prairies à la suite de contestations judiciaires. En avril 1995, le programme a été lancé partout au pays, sauf dans la région du Pacifique, où lon a repris les activités seulement en 1995 lorsque les tribunaux ont rendu leurs décisions.4
Sélection des détenus et prise déchantillons
Depuis juillet 1996, 5 % des détenus sont sélectionnés au hasard chaque mois par lAdministration centrale pour fournir des échantillons durine. Les coordonnateurs du programme danalyse durine en établissement ont alors 30 jours pour recueillir les échantillons, mais cest le personnel de létablissement qui détermine le moment pour le faire. Les activités opérationnelles (horaires de travail, déplacements des délinquants, etc.) peuvent avoir une incidence sur le calendrier de prise déchantillons, mais les échantillons doivent être pris au hasard tout au long du mois en question. Les délinquants qui perçoivent des tendances dans la répartition des tests pourraient se servir de cette information pour modifier leurs habitudes de consommation afin de ne pas être détectés. Même si les prises déchantillons sont réparties tout au long du mois, elles sont systématiquement moins nombreuses les première et dernière semaines du mois. Par ailleurs, seulement 10 % des échantillons sont pris la fin de semaine. Or, pour respecter laspect aléatoire du programme, il faudrait que 28 % des échantillons soient pris à ce moment.
Limites des analyses durine
Les analyses visant à déceler la présence de drogues ne permettent pas de relever tous les cas. La persistance des métabolites dans lurine varie selon la substance, comme le montre le Tableau 1. Par exemple, les opiacés laissent des traces dans lurine pendant une journée ou deux, tandis que le THC, le composant actif de la marijuana et du haschisch, peut être décelé jusquà 5 semaines après sa consommation chez les utilisateurs chroniques.5 De plus, il nest pas possible de déterminer, lorsque les résultats sont positifs, le moment où la drogue a été consommée, la dose prise, ni à quel point le fonctionnement du délinquant était atteint.6
Tableau 1
Persistance dans I’urine de certaines drogues |
||
Type de drogue |
Nom de la drogue |
Persistance dans I'urine |
Stimulants | Amphetamines, cocaine, methylphenidate (Ritalin) |
1-4jours |
Opiaces et derives de la morphine | Heroine, morphine, codeine, meperidine (Demerol),pentazocine (Talwin), hydrocodone (Vicodin), oxycodone (Percocet), hydromorphone (Dilaudid) |
1-2jours |
Tetrahydrocannabinol (THC) | Marijuana, haschisch, Marino |
1 jour–l 5 semaines |
Hallucinogenes | Phencyclidine (PCP) |
2-8jours |
diethylamide de l'acide lysergique (LSD) |
8 heures-3jours |
|
Depresseurs | Alcool |
6-10 heures |
Benzodiazepines (Valium, Librium, Rohypnol) |
1-6 semaines |
|
Antidepresseurs | Fluoxetine (Prozac) |
2-4jours |
Les résultats des analyses durine peuvent être faussés si les méthodes dessai ne sont pas soigneusement suivies. Il faut vérifier si les échantillons durine contiennent des contaminants ou sils sont dilués. La méthode que suivent les échantillonneurs contribue à réduire la possibilité de contamination; ceux-ci procèdent à une inspection visuelle et à un contrôle de la température et du pH (équilibre chimique) dès que léchantillon est recueilli. Les détenus peuvent diluer les échantillons en consommant une quantité excessive de fluides. Toutefois, les procédés en laboratoire permettent de déterminer si lurine est diluée et, le cas échéant, léchantillon est soumis à dautres tests.
Résultats positifs
Le délinquant dont léchantillon est positif peut être accusé davoir commis une infraction disciplinaire, celle davoir consommé une substance intoxicante. Il est passible dune ou de plusieurs des peines suivantes : avertissement ou réprimande; perte de privilèges, amende, travaux supplémentaires, isolement. De plus, il peut être tenu de fournir un échantillon durine tous les mois jusquà ce que les résultats soient négatifs trois fois daffilée. Il peut aussi faire lobjet dune sanction administrative : transfert dans un établissement de niveau de sécurité supérieur, annulation des permissions de sortir, renvoi à un programme pour toxicomanes.
Résultats
Les données utilisées pour mener lanalyse englobent toutes les prises déchantillon demandées dans le cadre du programme de contrôle au hasard déchantillons durine dans tous les établissements fédéraux de juillet 1996 à mars 2000, ce qui représente 24 776 demandes.
Taux de résultats positifs
Le taux national de résultats positifs a légèrementaugmenté, passant de 11 % en 1996 à 12 % en 2000 ( Graphique 1), mais cette augmentation n’est pas significative du point de vue statistique.
Graphique 1
Taux national de résultats positifs dans le cadre du
programme de contrçle au hasard
Depuis 1996, la région de l’Atlantique obtient le taux le plus élevé d’échantillons positifs ( 16 %). Elle est suivie des régions du Québec et de l’Ontario ( 12 %), du Pacifique ( 10 %) et des Prairies, qui a le taux le moins élevé ( 9 %). Le taux de résultats positifs a augmenté dans toutes les régions depuis 1996. ]
Par ailleurs, le taux de résultats positifs dans les établissements à sécurité maximale a légèrement diminué, passant de 9 % à 7 %. Il a augmenté de façon significative dans les établissements à sécurité minimale, allant de 6 % en 1996 à 14 % en 2000. Il est resté stable dans les établissements à sécurité moyenne ( environ 13 %).
Refus
Les délinquants peuvent refuser de fournir un échantillon d’urine. Ils sont alors traités comme s’ils avaient commis une infraction disciplinaire, et les peines prévues sont les mêmes que s’ils avaient obtenuun résultat positif. Le pourcentage de détenus ayantrefusé de fournir un échantillon d’urine dans le cadre du programme de contrçle au hasard a augmenté de façon significative, passant de 9 % pour atteindre 14 % ( Graphique 2). C’est dans la région de l’Ontario que le taux de refus a le plus augmenté, soit de 5 % en 1996 à 15 % en 2000. La région de l’Atlantique a obtenu le taux de refus le plus élevé durant la période à l’étude ( 19 %). Elle est suivie des régions du Pacifique ( 16 %), du Québec ( 13 %) et des Prairies, qui a marqué le taux de refus le plus bas ( 6 %).
Graphique 2
Taux national de refus dans le cadre du programme
de contrçle au hasard
Les établissements à sécurité maximale ont obtenu le taux de refus le plus élevé, lequel a augmenté de façon significative depuis 1996 (de 16 % à 29 %). Les établissements à sécurité minimale ont marqué le taux de refus le plus bas, soit en moyenne 2 % pour la période visée.
Il se peut que laugmentation du taux de refus dans les établissements à sécurité maximale provoque une diminution du taux de résultats positifs. Les délinquants refusent peut-être de fournir un échantillon parce quils ont consommé des drogues et ne veulent pas que cela soit détecté, ou encore pour dautres raisons nayant rien à voir avec la drogue. Pour déterminer leffet des refus sur le taux de résultats positifs, on a mené une série danalyses. Pour la première analyse, on a traité tous les cas de refus comme sils constituaient des résultats positifs. Pour la seconde, on a traité seulement la moitié des cas de refus comme des résultats positifs. Le taux de résultats positifs est demeuré à peu près le même (légère hausse) dans les établissements à sécurité minimale et moyenne. Or, dans le cas des établissements à sécurité maximale, lorsque lon traite la moitié des cas de refus comme des résultats positifs, la diminution obtenue est inversée, et le taux augmente de 17 % à 22 %. Lorsque tous les refus sont traités comme des résultats positifs, le taux passe de 25 % à 36 %.
Types de drogues
La plupart des échantillons qui se sont révélés positifs dans le cadre du programme de contrôle au hasard montraient des traces de THC, soit 9 % de tous les échantillons depuis 1996 (Graphique 3). Les opiacés sont au deuxième rang, mais à un taux de détection beaucoup moindre (1 %).
Graphique 3
Pourcentage de résultats positifs partype de drogues
( 1996- 2000)
sur 24 766 échantillons d’urine pris au hasard
Les données sur les types de drogues trouvées dans les échantillons positifs ont été examinées afin de déceler les tendances de consommation, car lon craignait que les délinquants passent des drogues «douces», comme le THC, aux drogues dures, comme lhéroïne et la cocaïne, pour éviter la détection par les analyses durine. Les délinquants auraient pu en effet décider de passer du THC aux opiacés et à la cocaïne, qui sont plus rapidement éliminés de lurine. Il y aurait évolution des tendances de consommation si le pourcentage déchantillons positifs révélant des traces dopiacés et de cocaïne durant la période à létude augmentait en faveur dune diminution du pourcentage déchantillons positifs pour le THC. Or, le taux déchantillons positifs pour les opiacés et la cocaïne na pas changé depuis 1996, et le taux déchantillons positifs pour le THC a légèrement augmenté (de 8 % à 10 %).
Le type de drogues décelées variait selon les régions. La région de lAtlantique a obtenu le taux le plus élevé déchantillons positifs pour le THC et les benzodiazépines. Le pourcentage de détection du THC diminue de façon systématique dest en ouest, passant de 13 % dans la région de lAtlantique à 7 % dans la région du Pacifique. Dautre part, la région du Pacifique a obtenu le taux le plus élevé déchantillons positifs pour les opiacés, soit 3 %. Elle était suivie des régions de lOntario et de lAtlantique (2 % et 1 % respectivement). Les régions du Québec et des Prairies ont obtenu le taux le moins élevé de détection dopiacés (inférieur à 1 % dans les deux cas). Le taux de détection de la cocaïne variait selon les régions. Il était le plus élevé dans les régions du Québec et de lOntario, se situant à 0,3 %.
Analyse
En résumé, les résultats du programme de contrôle au hasard déchantillons durine dans les établissements fédéraux montrent quil ny a pas eu daugmentation, à léchelle nationale, du pourcentage de résultats positifs, mais quil y a eu une augmentation considérable du pourcentage de refus. Le type de drogues décelées le plus souvent est le THC, suivi des opiacés, mais à un taux beaucoup moindre. Sur le plan régional, on note des différences en ce qui a trait au taux de détection, au taux de détection des différents types de drogues et au taux de refus. Enfin, le nombre de résultats positifs a augmenté de façon significative dans les établissements à sécurité minimale, mais a diminué dans les établissements à sécurité maximale. Or, on a démontré que le taux de refus pouvait expliquer en partie cette augmentation en menant à une sous-estimation de la consommation de drogues dans les établissements à sécurité maximale.
La présente analyse préliminaire souligne la nécessité détudier plus en profondeur plusieurs aspects. Des travaux en cours examinent lincidence de la répartition des tests sur les résultats du programme de contrôle au hasard. Dautres études serviront à élaborer des profils de délinquants en vue de cerner les traits caractéristiques de ceux qui obtiennent des résultats positifs, et ce dans le but de mettre au point des interventions et des programmes plus efficaces et mieux ciblés pour lutter contre le problème de la consommation de drogues dans les prisons.
2. WISH, E. D. et GROPPER, B. A. «Drug Testing by the Criminal Justice System: Methods, Research and Applications» dans M. TONRYet J. Q. WILSON, édit.,Drugs and Crime. Chicago, IL, University of Chicago Press, 1990, p. 321-391.
3. ANGLIN, M. D. et PERROCHET, B. «Drug use and crime: a historical review of research conducted by the UCLA Drug Abuse Research Center», Substance Use and Misuse, vol. 13, 1998, p. 1871-1914.
4. SERVICE CORRECTIONNELDU CANADA.Examen de la LSCMLC cinq ans plus tard : prise déchantillon durine, Ottawa, ON, 1998.
5. JOHANSSON, E., et HALLDIN, M. M. «Urinary excretion half-life of delta 1-tetrahydrocannabinol-7-oic acid in heavy marijuana users after smoking», Journal of Analytical Toxicology, vol. 13, no 4, 1989, p. 218-223. Voir CONE, E. J., WELCH, P., MITCHELL, J. M. et PAUL, B. D. «Forensic drug testing for opiates: I. Detection of 6-acetylmorphine in urine as an indicator of recent heroin exposure; drug and assay considerations and detection times», Journal of Analytical Toxicology, vol. 15, 1991, p.1-7. Voir aussi CONE, E. J., MENCHEN, S. L., PAUL, B. D., MELL, L. D., et MITCHELL, J. «Validity testing of commercial urine cocaine metabolite assays: I. Assay detection times, individual excretion patterns, and kinetics after cocaine administration to humans», Journal of Forensic Science, vol. 34, 1989, p.15-31.
6. MORGAN, J. P. «Problems of mass urine screening for misused drugs», Journal of Psychoactive Drugs, vol. 16, no 4, 1984, p.305-317.