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Les expériences vécues durant l’enfance influent sur le comportement des délinquants autochtones

Shelley Trevethan et John-Patrick Moore1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada
Sarah Auger2
Native Counselling Services of Alberta
Michael MacDonald3
Anciennement avec le Ministère de la Justice du Canada
Jennifer Sinclair4
Assemblée des Premières nations

Les raisons expliquant la surreprésentation des Autochtones au sein du système de justice pénale sont à la fois complexes et très diverses. On omet souvent de s’intéresser aux effets que peuvent avoir les expériences vécues durant l’enfance sur le comportement criminel. Plus précisément, il faut se demander dans quelle mesure le manque d’attachement et de stabilité durant l’enfance influe sur le comportement criminel et sur les futures relations d’une personne.

Les études relatives aux liens familiaux révè-lent généralement que le manque d’attache-ment conduit souvent à des comportements mésadaptés et antisociaux chez les enfants et les adolescents5. En outre, d’autres études ont démontré que les problèmes familiaux dus au placement dans une famille d’accueil ou un foyer de groupe peuvent avoir des effets néga-tifs sur les enfants et les adolescents6. Les études relatives à l’adoption ont mis en lumière certains de ces mêmes effets négatifs, bien qu’ils ne soient pas aussi prononcés7. Les effets négatifs peuvent prendre diverses formes, par exemple : problèmes comportementaux, carences du fonctionnement intellectuel et mauvais résultats scolaires, et tendance à l’introversion.

On manque d’information sur l’attachement et les liens familiaux des Autochtones. La présente étude portait sur les conditions de vie des délin-quants autochtones durant leurs jeunes années (y compris en famille adoptive, en famille d’accueil ou en foyer de groupe). Deux sources de données ont été utilisées : des entrevues personnelles structurées et les dossiers des délinquants. Les entrevues ont été menées auprès de 175 délin-quants autochtones et 148 délinquants non autoch-tones de 7 établissements des Prairies : Stony Mountain (Manitoba); pénitencier de la Saskatchewan – sécurité minimale, pénitencier de la Saskatchewan – sécurité maximale et pavillon de ressourcement pour femmes Okimaw Ohci (Saskatchewan); établissement de Drumheller, établissement d’Edmonton et établissement d’Edmonton pour femmes (Alberta).

Intervention des services de protection de l’enfance

Comme l’illustre le Graphique 1, les délinquants autochtones sont beaucoup plus nombreux à avoir bénéficié des services de protection de l’enfance. Globalement, 63 % des délinquants autochtones déclarent avoir été adoptés ou placés dans une famille d’accueil ou un foyer de groupe à un moment donné durant leur enfance, contre 36 % des délinquants non autochtones.

Graphique 1

Intervention des services de protection de l’enfance

Les délinquants autochtones sont aussi plus nombreux à avoir été placés dans une famille d’accueil (49 % contre 24 %) ou donnés en adoption (16 % contre 6 %). Même s’ils sont également plus nombreux que les non Autochtones à avoir été placés dans des foyers de groupe (34 % et 27 %, respectivement), les différences observées ne sont pas statistiquement significatives.

Les conclusions de cette étude sont similaires à celles d’autres études – un pourcentage élevé de délinquants ont été bénéficiaires des services de protection de l’enfance8. En outre, en comparaison du pourcentage des bénéficiaires de ces services parmi la population n’ayant jamais eu de démêlés avec la justice, la proportion des délinquants aussi bien autochtones que non autochtones qui en a bénéficié est nettement supérieure9. Toutefois, puisque environ les deux tiers des délinquants autochtones ont été bénéfi-ciaires des services de protection de l’enfance, il s’agit là d’une question importante qu’il con-vient d’examiner.

Stabilité durant l’enfance

Autre question importante : les délinquants autochtones ont-ils vécu une enfance plus instable que les délinquants non autochtones ? Comme l’indique le Graphique 2, ils sont plus nombreux à déclarer avoir eu une enfance instable (36 % contre 26 %). Cette différence est particulièrement marquée durant l’adolescence (50 % des délinquants autochtones déclarent avoir connu une adolescence instable, contre 32 % des délinquants non autochtones). On n’observe aucune différence notable en ce qui concerne la perception de la stabilité durant la petite enfance – 30 % des délinquants autochto-nes et 25 % des délinquants non autochtones déclarent avoir eu une petite enfance instable.

Graphique 2

Stabilite durant I’enfance

On a également examiné d’autres indicateurs de stabilité. Les délinquants autochtones sont beaucoup plus nombreux à avoir connu des problèmes de violence familiale et de drogue ou d’alcool à la maison, à avoir eu des problèmes financiers et à compter d’autres délinquants parmi les membres de leur famille.

Ces résultats indiquent que les délinquants autochtones ont eu plus souvent affaire au système de justice pénale et ont vécu une jeunesse moins stable; néanmoins, cela s’applique davantage à l’adolescence qu’à l’enfance.

Lorsqu’on étudie uniquement le cas des délin-quants qui ont bénéficié des services de protection de l’enfance, les différences de stabilité durant l’enfance entre Autochtones et non Autochtones disparaissent. Les délinquants, autochtones ou non, qui ont bénéficié des services de protection de l’enfance sont beau-coup plus nombreux à avoir eu une enfance instable que ceux qui n’ont pas bénéficié de ces services (Autochtones : 43 % contre 25 %; non Autochtones : 40 % contre 18 %).

Ces analyses semblent démontrer qu’il existe un lien entre le fait de bénéficier des services de protection de l’enfance et l’instabilité durant l’enfance et l’adolescence. C’est le cas pour les délinquants autochtones et non autochtones. Étant donné que les délinquants autochtones sont plus nombreux à avoir bénéficié des services de protection de l’enfance, cela semble expliquer l’écart entre délinquants autochtones et non autochtones quant à la stabilité durant l’enfance. Toutefois, il est important de noter qu’on ne sait pas vraiment si le placement dans un environnement contrôlé par les organismes de protection de l’enfance a causé cette instabi-lité ou s’il a découlé d’autres facteurs présents à la maison ou de démêlés avec le système de justice pénale.

Attachement durant l’enfance

La plupart des délinquants disent que le parent-substitut était un de leurs parents. Mais c’est le cas pour un plus grand nombre de non Autoch-tones (80 %) que d’Autochtones (50 %). Ces derniers sont beaucoup plus nombreux que les délinquants non autochtones à avoir été élevés par d’autres membres de leur famille (29 % contre 9 %), par exemple leur grand-mère.

Les délinquants autochtones et non autochtones déclarent avoir été très attachés à la personne qui s’occupait d’eux durant l’enfance (90 % et 91 %, respectivement). Par contre, comme l’indique le Graphique 3, ceux qui disent avoir vécu une enfance instable étaient moins attachés à ce parent-substitut que ceux qui disent avoir eu une enfance stable. C’est le cas aussi bien des Autochtones (82 % contre 94 %) que des non Autochtones (71 % contre 98 %).

Aucune différence significative n’a été constatée sur le plan de l’attachement envers le parent-substitut entre les délinquants qui ont bénéficié des services de protection de l’enfance et ceux qui n’en ont pas bénéficié.

Graphique 3

Attachement des delinquants au parent-substitut – Enfance instable ou stable

Relations actuelles avec la famille

Il ne semble pas que les expériences vécues durant la petite enfance aient une incidence sur les relations qu’entretiennent aujourd’hui les délinquants avec leur conjoint(e) ou leurs enfants, mais elles en ont une sur les relations qu’ils entretiennent avec leur famille d’origine. En ce qui concerne les contacts avec un conjoint/partenaire ou l’attachement à celui-ci, on n’observe aucune différence marquée entre les délinquants qui disent avoir vécu une adolescence stable et ceux qui parlent d’une adolescence instable. C’est le cas aussi bien des délin-quants autochtones que des délinquants non autochtones. La stabilité durant l’adolescence ne semble pas non plus avoir influé sur les liens qu’ils entretiennent aujourd’hui avec leurs enfants. On observe quand même des différen-ces entre les délinquants autochtones en ce qui concerne les rapports qu’ils ont avec leurs enfants. Les délinquants autochtones qui ont connu une adolescence instable disent avoir beaucoup moins de rapports avec leurs enfants que ceux dont l’adolescence a été stable (52 % contre 71 %).

Les délinquants ayant vécu une adolescence instable entretiennent généralement des relations moins harmonieuses avec leurs parents et leurs frères et sœurs. C’est le cas à la fois des Autochtones et des non Autochtones. Les délinquants autochtones qui ont connu une adolescence instable sont beaucoup moins nombreux à avoir des rapports réguliers avec leur père biologique que ceux qui ont eu une adolescence stable (28 % contre 50 %). Il est intéressant de noter que les délinquants ayant eu une adolescence instable déclarent avoir plus de rapports réguliers avec leur grand- mère que ceux dont l’adolescence a été stable ( 63 % contre 36 %). Cela peut être dû au fait qu’ils ont vécu avec leur grand- mère durant leur enfance et maintenu des relations avec elle au fil des ans. Ceux qui ont vécu une adolescence instable disent être moins attachés à leur mère biologique ( 67 % contre 92 %) et à leur père biologique ( 46 % contre 66 %).

Attachement à la culture autochtone

Un grand nombre de délinquants autochtones sont actuellement attachés à la culture autochtone et participent à des activités liées à cette culture. Près des trois quarts de ces délinquants ( 74 %) disent être attachés à cette culture qui, à leurs yeux, fait partie de leur vie quotidienne et à l’égard de laquelle ils ont un sentiment d’appartenance. En outre, 80 % d’entre eux disent participer à des activités liées à la culture autochtone, par exemple des cercles ou des cérémonies diverses, comme la suerie ou la purification par la fumée.

On a examiné l’attachement que vouent les Autochtones à leur culture afin de déterminer si ceux qui ont vécu de faibles sentiments d’atta-chement ou une enfance instable s’intéressent moins à cette culture que ceux qui ont vécu de forts sentiments d’attachement ou qui ont eu une enfance stable. Il est intéressant de noter que l’attachement des délinquants à la personne qui s’est le plus occupée d’eux durant leur enfance semble influer sur l’attachement qu’ils vouent aujourd’hui à la culture autochtone. Ce n’est peut-être pas l’attachement en soi qui détermine l’intérêt pour la culture, mais plutôt les personnes avec qui le délinquant vivait à l’époque. S’il vivait dans un foyer où il ne pouvait pratiquer aucune activité traditionnelle, il se peut qu’il soit moins attaché à la culture autochtone. Étant donné qu’un grand nombre des délinquants autochtones ont été confiés à des familles non autochtones, ils n’ont peut-être pas eu accès à la culture autochtone.

On n’a observé aucune différence marquée quant à la compréhension ou la pratique d’une langue autochtone, l’attachement actuel à la culture autochtone, ou la participation à des activités liées à cette culture entre les personnes qui ont vécu une enfance stable et celles dont l’enfance a été instable. Par contre, celles qui ont vécu une enfance instable sont beaucoup moins nombreuses à dire qu’elles ont participé à des activités traditionnelles pendant leur enfance (38 % contre 59 %). Il semble que la participation à des activités autochtones et l’attachement à cette culture aient pu être stimulées par l’admis-sion des délinquants dans un établissement correctionnel.

Conclusion

Cette étude a permis de constater que les délin-quants autochtones ont en général vécu une enfance instable, au cours de laquelle les services de protection de l’enfance ont souvent eu à intervenir. Ce facteur est d’ailleurs associé à l’instabilité. On ne sait cependant pas vraiment si l’intervention des services de protection de l’enfance est la cause ou le résultat de cette instabilité.

L’étude révèle également que les délinquants ayant vécu une enfance instable sont moins attachés à la personne qui s’est le plus occupée d’eux durant leur enfance, et sont moins atta-chés aujourd’hui à leurs parents et à leurs frères et sœurs. Cela concerne aussi bien les Autochto-nes que les non Autochtones.

Il est clair que l’attachement à la culture autoch-tone est assez fort chez les délinquants autoch-tones. Mais il semble que cet attachement se développe durant leur période d’incarcération.

Cette étude démontre que les programmes correctionnels doivent mettre l’accent sur les expériences vécues durant la petite enfance, et qu’il faut intégrer la culture autochtone aux programmes correctionnels et la faire connaître grâce aux Aînés.


1.  340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9. Ce projet est le fruit d’un partenariat entre le Service correctionnel du Canada, Justice Canada, l’Assemblée des Premières nations et les Native Counselling Services de l’Alberta.

2.  12527, 129e rue, Edmonton (Alberta) T5L 1H7.

3.  284, rue Wellington, Ottawa (Ontario) K1A 0H8.

4.  1, rue Nicholas, Ottawa (Ontario) K1N 7B7.

5.  CERNKOVICH, S. A. et GIORDANO, P. C. «Family relationships and delinquency», Criminology, vol. 25, no 2, 1987, p.295-321; voir aussi SIM, H. O. et VUCHINICH, S. «The declining effects of family stressors on antisocial behavior from childhood to adolescence and early adulthood», Journal of Family Issues, vol. 17, no 3, 1996, p. 408-427.

6.  BLOME, W. W. «What happens to foster kids: Educational experiences of a random sample of foster care youth and a matched group of non-foster care youth», Child and Adolescent Social Work Journal, vol. 14, no 1, 1997, p. 41-53. Voir aussi BRAND, A. E. et BRINICH, P. M. «Behavior problems and mental health contacts in adopted, foster, and non adopted children», Journal of Child Psychology and Psychiatry, vol. 40, no 8, 1999, p. 1221-1229; et ROY, P., RUTTER, M. et PICKLES, A. «Institutional Care: Risk from Family Background or Pattern of Rearing?», Journal of Child Psychology and Psychiatry, vol. 41, no 2, 2000, p. 139-148.

7.  Op. cit. BRAND et BRINICH, 1999.

8.  JOHNSTON, J. C. Enquête sur les délinquants autochtones : examen des dossiers et entrevue. Rapport de recherche R-61, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1997. Voir aussi MACDONALD, M. «Perceptions of Racism in Youth Corrections: The British Columbia Experience», The Canadian Journal of Native Studies, vol. 17, no 2, 1997, p. 329-350.

9.  Selon certaines études effectuées dans les années 1980 (p. ex., Hepworth, 1980; Loucks et Timothy, 1981; Comité spécial sur l’autonomie politique des Indiens, 1983), environ 1 % de tous les enfants canadiens et environ 4 % des enfants autochtones bénéficient des services de protection de l’enfance.