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La validité de l’Échelle de classement par niveau de sécurité pour le classement initial des délinquantes autochtones

Paul VerbruggeetKelley Blanchette1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

O n a constaté que les délinquantes autochtones incarcé-rées dans les établissements correctionnels fédéraux étaient souvent classées à des niveaux de sécurité plus élevés que les délinquantes non autochtones. Cette constatation a, certes, suscité des inquiétudes quant à l’équité des procédures de classement par niveau de sécurité utilisées dans le cas des délinquantes autochtones, mais il reste à vérifier s’il s’agit là d’une manifestation systématique de la partialité. Cet article analyse une composante du processus de classement par niveau de sécurité au sein du système correctionnel fédéral, soit l’application de l’Échelle de classement par niveau de sécurité aux fins de placement de sécurité initial.

Évaluation initiale des délinquants

Conformément à l’article 30 de laLoi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, tous les délinquants doivent se faire assigner une cote de sécurité maximale, moyenne ou minimale. Selon l’un des plus importants principes établis par la LSCMLC à l’alinéa 4d), le Service correctionnel du Canada (SCC) doit avoir recours aux mesures le moins restrictives possible nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants. Dans le même ordre d’idées, l’article 18 duRèglement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition dispose que la cote assignée au délinquant doit correspondre au niveau de surveillance et de contrôle nécessaires au maintien du délinquant en incarcération sans qu’il mette en péril la sécurité d’autrui. Toutefois, l’article 17 cite les facteurs dont on doit tenir compte au moment d’assigner la cote de sécurité, notam-ment la gravité de l’infraction commise par le détenu et ses antécédents sociaux et criminels.

Échelle de classement par niveau de sécurité

L’Échelle de classement par niveau de sécurité (ECNS) est un instrument objectif de classification qui utilise certains des critères imposés par la loi en matière de classement des détenus selon le niveau de sécurité, conformément à l’article 17 du RSCMLC. L’ECNS est administrée aussi bien aux délinquants qu’aux délinquantes, au moment de l’admission à un établissement correctionnel fédéral. Elle est compo-sée de deux sous-échelles distinctes : l’adaptation au milieu carcéral (AMC) et le risque pour la sécurité (RS). L’AMC tient compte de cinq facteurs associés à l’inconduite en établissement : incidents en établisse-ment, tentatives d’évasion, stabilité avant l’incarcération, consommation d’alcool et usage de drogues, et l’âge. La composante RS s’appuie sur sept facteurs associés au risque de récidive : nombre de condam-nations antérieures, accusation en instance la plus grave, gravité de l’infraction à l’origine de la peine actuelle, durée de la peine, stabilité avant l’incarcéra-tion, libération conditionnelle ou d’office antérieure, et l’âge. Il est à noter qu’on attache un poids différent à chaque élément des deux échelles. Par conséquent, certains éléments ont une plus grande importance que d’autres dans le processus d’assignation d’une cote. Chacune des deux échelles fournit une cote de sécurité initiale de niveau maximal, moyen ou minimal.

Examen par les agents chargés des cas

L’ECNS est administrée par des agents chargés des cas (agents de libération conditionnelle) au moment de l’admission. Cependant, toutes les cotes de sécurité assignées en fonction des résultats de l’ECNS sont réexaminées par des agents chargés des cas en établissement. Si l’agent réexaminant la cote assignée est d’avis que le délinquantne peut pas être géré en toute sécurité au niveau de sécurité recom-mandé, il est autorisé à assigner au délinquant une cote de sécurité plus élevée. De même, si l’agent croit que le délinquantpeut être géré en toute sécurité à un niveau de sécurité plus bas, il peut assigner une cote moins élevée que celle recommandée d’après les résultats de l’ECNS. Par conséquent, le pouvoir conféré à l’agent examinant peut, indépendamment des cotes de sécurité assignées en fonction de l’ECNS, contribuer à la surreprésentation des délinquantes autochtones à des niveaux de sécurité plus élevés.

Échantillon

L’échantillon étudié se composait de 334 délinquan-tes sous responsabilité fédérale qui avaient été incarcérées dans un pénitencier canadien fédéral entre janvier 1997 et janvier 1999. Plus de la moitié de ces délinquantes étaient de race blanche (53 %), 21 % étaient des Autochtones (<1 % Inuits, 6 % Métis, 15 % Premières nations), 15 % étaient de race noire et 10 % constituaient des délinquantes d’autres groupes ethniques. Aux fins d’analyse, les délin-quantes autochtones (n= 68) ont été comparées aux délinquantes non autochtones (n = 266). Il n’y avait pas de différence importante entre la moyenne d’âge des délinquantes autochtones (32 ans,ET = 8,4) et celle des délinquantes non autochtones (33,4 ans,ET = 9,9).

Résultats

Niveau de sécurité initial

En tant que groupe, les délinquantes autochtones étaient plus susceptibles de se voir placer à des niveaux de sécurité plus élevés. Le Graphique 1 montre claire-ment qu’un nombre plus faible de délinquantes autoch-tones ont été placées dans un établissement à sécurité minimale en comparaison avec les délinquantes non autochtones (29 % contre 55 %). D’autre part, un plus grand nombre de délinquantes autochtones se sont vu assigner une cote de sécurité moyenne (60 % contre 42 %) et maximale (10 % contre 3 %). De façon générale, au moment de l’admission, les délinquantes autochto-nes sous responsabilité fédérale ont été considérées comme exigeant des niveaux de garde et de contrôle plus élevés.

Graphique 1

Niveau de sécurité initial

Cotes de sécurit assignées selon l’Èchelle de classement par niveau de sécurité

Les délinquantes autochtones, en tant que groupe, ont obtenu des cotes plus élevées sur l’ECNS que les délinquantes non autochtones. Comme le montre le Graphique 2, les délinquantes du premier groupe se sont vu moins souvent assigner une cote de sécurité minimale que les délinquantes du deuxième groupe (21 % contre 55 %), et elles obtenaient plus souvent la cote de sécurité moyenne (71 % contre 43 %) ou maximale (9 % contre 2 %). Les résultats obtenus sont compatibles avec les niveaux de sécurité auxquels ces délinquantes sont réellement placées.

Sous-échelles de l’ECNS

En moyenne, les délinquantes autochtones ont obtenu des cotes plus élevées sur la sous-échelle AMC (M = 48,56,ET = 29,43) que les délinquantes non autochtones (M = 29,72,ET = 20,54). De même,

Graphique 2

Cotes de sécurité assignées en fonction de l’ECNS

pour ce qui est de la sous-échelle RS, le premier groupe a obtenu des cotes plus élevées (M = 70,24,ET = 17,18) que le deuxième (M = 58,74,ET = 24,92). Il est à noter que, sur la sous-échelle AMC, beaucoup plus de délinquantes autochtones se sont vu assigner une cote de sécurité maximale que les délinquantes non autochtones (9 % contre 1 %). Toutefois, pour ce qui est des résultats obtenus sur la sous-échelle RS, les délinquantes du premier groupe étaient plus susceptibles de se faire assigner une cote de sécurité moyenne que celles du deuxième groupe (76 % contre 44 %) et moins susceptibles de recevoir la cote de sécurité minimale (23 % contre 56 %).

Les cotes de sécurité assignées en fonction de l’ECNS sont fondées sur l’interaction des résultats obtenus sur les deux sous-échelles. La cote plus élevée obtenue sur l’une des sous-échelles détermine la cote globale qui sera assignée à un délinquant. Le modèle des résultats obtenus par les délinquantes autochto-nes montre clairement le fonctionnement de chaque sous-échelle. Parmi les résultats de la sous-échelle RS, on constate un grand nombre de cotes de sécu-rité moyenne mais presque aucune cote de sécurité maximale. Quant aux résultats obtenus sur la sous-échelle AMC, il y avait relativement moins de cotes de sécurité moyenne, mais un nombre considérable de cotes de sécurité maximale. Le modèle des résultats obtenus nous permet de déduire que les cotes de sécurité moyenne ont été assignées en fonction des cotes obtenues sur la sous-échelle RS, tandis que celles de sécurité maximale ont été dictées par les résultats de la sous-échelle AMC.

Comme l’indique le modèle, les éléments particuliers faisant partie des sous-échelles AMC et RS constituent les principales sources d’information pour l’ECNS. Les Graphiques 3 et 4 illustrent les contrastes entre les différents éléments de l’ECNS pour les délinquantes autochtones et non autochtones. Les pourcentages représentent la proportion des délin-quantes de chaque groupe, qui ont obtenu les cotes supérieures à la médiane globale.

Graphique 3

Pourcentage de delinquantes considerees comme
presentant un risque eleve selon la sous-echelle «Adaptation au milieu carceral»

Pour ce qui est des éléments composant la sous-échelle AMC, les délinquantes autochtones ont obtenu des résultats beaucoup plus élevés relativement à trois facteurs : incidents en établissement, stabilité avant l’incarcération et toxicomanie. Quant à la sous-échelle RS, les délinquantes autochtones ont également obtenu des résultats beaucoup plus élevés relativement aux trois éléments suivants : gravité de l’infraction à l’origine de la peine actuelle, nombre de condamnations antérieures et stabilité avant l’incarcération.

Graphique 4

Pourcentage de delinquantes considerees comme
presentant un risque eleve selon la sous-echelle «Risque pour la securite»

 

Examen par les agents chargés des cas

De façon générale, les interventions du personnel concernant les cotes assignées selon les résultats de l’ECNS n’ont pas contribué aux disproportions en matière d’assignation des cotes de sécurité aux délinquantes autochtones. Les taux de ces interventions ont été examinés pour les deux groupes de délinquantes susmentionnés. Le pourcentage des cotes de sécurité modifiées au sein du groupe de délinquantes autochtones (19 %) n’était pas significativement différent de celui constaté au sein du groupe de délinquantes non autochtones (13 %).

De plus, aucune différence n’a été constatée quant au caractère des décisions prises par les personnes examinant les cotes (surclassement ou déclassement) entre les deux groupes de délinquantes. Dans le cas des délinquantes autochtones, le surclassement par rapport à la cote de sécurité assignée d’après les résultats de l’ECNS a eu lieu dans 6 % des cas, et le déclassement, dans 13 % des cas. En revanche, 7 % des délinquantes non autochtones se sont vu placer à un niveau de sécurité plus élevé que celui indiqué par l’ECNS, et 6 % ont vu leur niveau de sécurité déclassé.

Résumé

L’un des avantages de l’utilisation d’un instrument objectif de classification est de pouvoir observer la façon dont les décisions en matière d’assignation de cotes de sécurité sont prises. De toute évidence, le pouvoir discrétionnaire des agents chargés des cas, qui peuvent assigner à des délinquantes autochtones une cote de sécurité trop élevée, n’entre pas en jeu. En effet, les résultats de la présente étude autorisent à penser que la surreprésentation des délinquantes autochtones à des niveaux de sécurité initiaux plus élevés est attribuable principalement aux différences concernant un certain nombre de considérations importantes liées à la garde des détenues, qui existent entre les groupes étudiés. Au moment de l’admission, les délinquantes autochtones, en comparaison avec les délinquantes non autochtones, étaient plus susceptibles d’avoir des antécédents d’un plus grand nombre d’incidents en établisse-ment, d’un moindre degré de stabilité avant l’incar-cération et de la consommation d’alcool et de l’usage de drogues plus fréquents. Elles avaient également à leur compte un plus grand nombre de condamna-tions antérieures, elles purgeaient une peine pour des infractions plus graves et leur âge à l’admission était plus bas. Dans les ouvrages de criminologie, les caractéristiques susmentionnées constituent les prédicteurs et les corrélats les mieux établisd’une mauvaise adaptation au milieu carcéral et de la récidive après la mise en liberté. Il n’est donc pas étonnant de constater que l’ECNS, un instrument conçu précisément dans le but de tenir compte de ces préoccupations, recommande d’assigner beaucoup plus souvent des cotes de sécurité initiales d’un niveau plus élevé aux délinquantes faisant partie d’un groupe qui possède de telles caractéristiques.


1.  340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.

2.  BLANCHETTE, K.Évaluation du risque et des besoins chez les délinquantes sous responsabilité fédérale : comparaison des détenues dites à sécurité minimale, moyenne et maximale,Rapport de recherche R-58, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1997.