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Le programme Tupiq : Développement des collectivités inuites dans le cadre d’un programme en établissement

Ellen Hamilton1
Programme Tupiq, établissement de Fenbrook

Les hommes inuits sont assis en cercle en silence autour d’une qulliq allumée (lampe à huile sculptée dans la pierre). Ils arrivent au terme du programme Tupiq, après 16 semaines de thérapie et d’enseignement intensifs. Ils sont à plus de 3 000 kilomètres des côtes de l’océan Arctique du Canada où, pendant des siècles, des lampes comme celle-ci ont été synonymes de lumière, de chaleur et de survie pour les Inuits qui vivaient dans ce qui est sans doute l’un des environne-ments les plus inhospitaliers au monde. À voix basse, la guérisseuse inuite Meeka Arnakaq décrit le courage et la ténacité des Inuits, et explique que la capacité à lutter et à s’adapter font autant partie de la culture que les légendes d’autrefois, la chasse au caribou et les tentes en peau de phoque. Elle parle par métaphores, dans une des dernières langues autochtones qui existe encore sur Terre, et les hommes boivent ses paroles.

Voilà une scène typique de la dernière journée du processus de guérison des Inuits, qui est un des volets du programme Tupiq, programme correc-tionnel holistique adapté aux besoins des délin-quants inuits sous responsabilité fédérale. Depuis son lancement dans l’établissement de Fenbrook, en mars 2001, les responsables du programme Tupiq s’efforcent de faire revivre les traditions ancestrales de l’Alaska dans les forêts de Muskoka, et d’intégrer la culture inuite aux programmes correctionnels conventionnels. La caractéristique la plus distinctive du programme est le fait qu’il est offert en inuktitut (langue des Inuits) par des faciliteurs inuits d’expérience et des conseillers des collectivités inuites, qui tra-vaillent en équipe avec des cliniciens et des spécialistes de l’éducation des adultes. Intégration de la culture inuite

Integration de la culture inuite

Le terme tupiq, qui veut dire «tente» en inuktitut, symbolise le caractère holistique du programme. Les délinquants inuits sous responsabilité fédérale l’ont choisi parce qu’il représente leur tente traditionnelle en peau de phoque, réputée pour sa solidité et son adaptabilité, sa structure simple mais ingénieuse, constituée de trois piquets et renforcée par des cordes et des pierres, qui protè-gent les occupants contre les éléments. Quiconque s’aventure dans les espaces sauvages peut embal-ler le tupiq et l’emporter avec soi. On y est en sécurité, et il fait partie de l’équipement de protection contre les risques de tout chasseur inuit.

L’objectif du programme Tupiq est tout aussi clair et essentiel : proposer des interventions qui présentent le même caractère pratique, sûr et pertinent aux délinquants inuits et à leur collectivité.

La plupart des volets du programme Tupiq sont inspirés de la théorie universelle de la préven-tion de la rechute, mais ils intègrent des élé-ments de la culture inuite grâce au recours à du personnel d’exécution inuit, à la thérapie de guérison inuite et à des conseillers inuits provenant de la collectivité d’origine des délinquants. Par ailleurs, les techniques utilisées et les activi-tés réalisées dans le cadre du programme intè-grent des références à la culture inuite partout où cela est possible. Ainsi, dans la salle où se déroule le programme, il n’est pas exceptionnel d’entendre le son d’un tambour inuit durant une séance de gestion des émotions, ou de voir un ours polaire en train de chasser sur la banquise, métaphore servant à examiner les techniques de base de la résolution de problèmes.

Modèle de traitement

Programme de traitement intensif basé sur un modèle d’apprentissage social, Tupiq prévoit 255 heures de contact avec chaque délinquant, échelonnées sur 16 semaines. Ces rencontres ciblent les comportements de violence sexuelle dans un cadre holistique qui intègre les facteurs interreliés suivants : restructuration cognitive, valeurs sociales, gestion des émotions, dynamique de la violence et prévention de la violence fami-liale. Le programme, qui vise avant tout les délinquants sexuels présentant des risques allant de modérés à modérés-élevés, est inspiré de la Stratégie nationale de traitement concernant les délinquants sexuels du Service correctionnel du Canada (SCC). On peut adapter le contenu et les priorités du programme aux besoins des délin-quants ayant vécu de graves problèmes de violence familiale, en sélectionnant avec soin les membres du groupe. L’intensité des séances, auxquelles les délinquants assistent le matin et l’après-midi, est modulée par une approche à plusieurs volets axée sur la motivation, et par des processus parallèles de thérapie de groupe, d’acquisition de compétences et de counseling individuel.

Consultation des collectivités

Environ 120 délinquants inuits sont actuellement incarcérés dans des établissements du SCC à l’échelle du pays. La plus forte concentration (le tiers de cette population) se trouve à Fenbrook. En 1999, on a mis en œuvre une évaluation des besoins et un processus consultatif portant sur l’élaboration d’un programme adapté aux Inuits, afin de répondre à leurs besoins sur le plan correc-tionnel et culturel.

Plus de 500 entrevues et consultations ont été organisées avec des représentants des collectivités inuites, des défenseurs des droits des victimes, des femmes inuites, des délinquants inuits, des gou-vernements régionaux inuits et des spécialistes des services correctionnels. En particulier, une consultation publique de trois jours s’est déroulée à Iqaluit, au Nunavut, en mars 2000. Elle a réuni des représentants des collectivités inuites et des services correctionnels, qui ont établi les principes directeurs du programme Tupiq. On peut résumer ces principes comme suit :

  1. Intégrer la culture et la langue inuites au contenu du programme et confier la prestation de celui-ci à du personnel inuit.
  2. Faire participer les collectivités inuites de façon concrète et constructive.
  3. Mettre l’accent sur la modification du comportement et du mode de pensée des délinquants.

Profil des délinquants inuits

Les délinquants inuits ont très souvent des carac-téristiques et des antécédents communs. La grande majorité (plus de 90 %) sont des délinquants violents et, avant la création du programme Tupiq, la plupart ne faisaient l’objet d’aucun traitement après avoir commis une agression sexuelle. Les victimes de ces crimes sont le plus souvent des connaissances des délinquants lesquels, dans 90 % des cas, étaient sous l’empire de l’alcool ou d’une drogue au moment du crime. Le nombre d’Inuits maintenus en incarcération par la Commission nationale des libérations conditionnelles est anormalement élevé, et ceux-ci sont nombreux à être refusés par les programmes correctionnels de base ou à abandonner ces programmes en cours de route. Ils ne sont que 4 % à posséder un diplôme d’études secondaires, et plus de 90 % ont besoin de cours de rattrapage pour parvenir au niveau de la 10e année. La première langue de plus de 96 % des délinquants inuits est l’inuktitut, et 70 % de leurs parents ne parlent pas du tout anglais. Ils sont presque tous originaires d’une des 55 petites collectivités inuites dispersées dans les régions du Canada arctique, accessibles uniquement par avion à des tarifs très élevés. La majorité des délinquants inuits purgent leur peine sans recevoir de visite de membres de leur famille ou d’amis, et ont souvent du mal à communiquer avec eux par courrier ou par téléphone.

Participation des Inuits à l’élaboration et à l’exécution du programme

Dès les premières étapes de l’élaboration du programme, on a décidé de faire participer les Inuits de façon constructive, tant à la conception qu’à l’exécu-tion du programme. À cette fin, on s’est efforcé de recruter des personnes qui connaissaient les collecti-vités, la langue, les valeurs culturelles et les compé-tences des Inuits, et qui étaient respectées au sein de leur collectivité. Non seulement les co-instructeurs suivent une formation relative aux principes des programmes correctionnels et offrent le programme en inuktitut, mais ils participent également à l’élabo-ration de plans de séances et adaptent tous les contenus aux valeurs culturelles et à la réalité inuites. Un des atouts supplémentaires du programme Tupiq est qu’il contribuera au développe-ment et à l’enrichissement des ressources commu-nautaires des Inuits. On prévoit que les personnes chargées de dispenser ce programme retourneront un jour dans les collectivités inuites où elles mettront à profit l’expertise qu’elles auront acquise pour prévenir la violence au sein des collectivités.

Ressourcement inuit et thérapie conventionnelle

Le programme Tupiq propose deux principaux types de thérapie de groupe, inspirés de deux approches très différentes, qui aident les délin-quants à comprendre les causes et les consé-quences de leur comportement criminel. La maîtrise de soi est une approche thérapeutique conventionnelle offerte en anglais et en inuktitut par la directrice des services cliniques du programme et un instructeur inuit. Cette approche aide les délinquants à comprendre leurs infractions et à en assumer la responsabilité grâce à une série de présentations portant sur les élé-ments suivants : divulgation de l’intégralité des faits, autobiographie, empathie envers les victimes, modèle de comportement criminel et plan de prévention de la rechute. Par ailleurs, des séances de counseling individuel aident les participants au programme durant cette étape. L’autre approche thérapeutique, plus adaptée aux Inuits, est le groupe de guérison inuit, animé uniquement en inuktitut par deux guéris-seurs inuits qui viennent des fjords de Pangnirtung, au Nunavut, et qui ouvrent et concluent le programme par cette approche unique. Le processus de guérison inuit com-prend de la musique, des contes, de la poésie, un volet spirituel et des arts visuels destinés à faire comprendre aux délinquants l’origine de leur comportement violent.

Techniques d’éducation des adultes à volets multiples

Le «groupe des compétences» (Skills Group) propose une approche parallèle aux deux théra-pies. Il s’agit d’une approche cognitivo-comporte-mentale utilisant des techniques motivationnelles et d’autres à volets multiples, et qui est proposée dans les deux langues par deux co-instructeurs inuits. Au sein de ce groupe, on essaie de répondre aux besoins d’apprentissage des délinquants inuits, à l’aide d’activités concrètes en petits groupes, de la thérapie par l’art et de tâches individualisées. Les modules portent sur l’acquisi-tion, la mise en pratique et l’intégration de compé-tences culturelles prosociales, et leur application aux domaines suivants : respect des valeurs, établissement d’objectifs, restructuration cognitive, étude de la dynamique de la violence, gestion des émotions et prévention de la violence fami-liale. Comme c’est le cas d’autres volets du programme, on cherche à comprendre les comportements criminels et violents, et à planifier des activités de prévention de la rechute au sein des collectivités inuites.

Liens avec les collectivités

Pour intégrer la réalité inuite au programme et faire participer les collectivités à celui-ci, il faut établir des liens avec ces collectivités, en associant à chaque délinquant-participant un conseiller provenant de sa collectivité d’origine et choisi par le comité de justice local ou un groupe équivalent. Les employés inuits affectés au programme préparent le conseiller et lui expliquent la nature des liens qu’il va entretenir avec le délinquant, en lui fournissant des renseignements sur le programme et en supervisant ses appels interurbains avec le délinquant. De plus en plus souvent, l’établissement planifié de liens avec un membre de la collectivité devient plus personnel et axé sur la prévention du crime, et aboutit à la présentation par le délinquant à son conseiller de son plan de prévention de la rechute. Dans un certain nombre de cas, le conseiller a déjà communiqué avec les responsables de la collectivité et cherché à établir les services de soutien qui permettront au délin-quant de réintégrer la société en toute sécurité. Au terme de chaque programme, on organise une téléconférence avec tous les conseillers commu-nautaires afin de discuter avec eux, de mettre en commun les idées de chacun et de réviser ce volet du programme, ainsi que les modalités de participation des collectivités au programme et à la réinsertion sociale des délinquants.

Évaluation

À l’heure actuelle, l’établissement de Fenbrook en est à sa cinquième prestation du programme Tupiq, qui va faire l’objet d’une évalua-tion indépendante, coordonnée par la Direction de la recherche du Service correctionnel du Canada. Voici les objectifs mesurables qui ont été établis pour le programme : réduire le taux de récidive, réduire le taux de détention, accroître le taux de réussite de la réinsertion sociale au sein de la collectivité inuite et faire participer activement les collectivités inuites à la prévention de la rechute. Le programme a évolué, mais ses responsables continuent d’accorder la priorité au respect de la culture et de la langue inuites. Les collectivités inuites qui travaillent avec les employés affectés au programme Tupiq afin d’en améliorer le con-tenu culturel participent pleinement au processus de prévention du crime. À l’image de la tente en peau de phoque qui lui a donné son nom, le programme Tupiq vise à offrir aux délinquants inuits un moyen à la fois pratique et efficace de représenter moins de risques pour la société et de réintégrer leur collectivité en toute sécurité.

«Vous croyez peut-être que la langue n’a pas tant d’importance que cela. Mais vous devez savoir que les mots de la langue inuktitut ont le pouvoir de guérir et de faire changer une personne. Vous devez apprendre à devenir une meilleure personne (...) Ces mots en inuktitut, destinés à guérir, sont importants aux yeux des gens qui ont perdu tout sens de l’existence.»

Mariano Aupilardjuk

Aîné inuit et consultant pour le programme Tupiq


1.  Établissement de Fenbrook, C.P. 5000, Gravenhurst (Ontario) P1P 1Y2.

2.  L’équipe affectée au programme Tupiq est composée des membres suivants : Ellen Hamilton (coordonnatrice du programme); Dana Anderson (directrice des services cliniques); Pitsula Akavak, Myna Ishulutak et Leena Evic Twerdon (instructeurs); et Meeka et Abraham Arnakaq (guérisseurs inuits).