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Justice réparatrice et services correctionnels

Amey Bell et Shelley Trevethan1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

Le fondement de la notion de justice réparatrice se trouve dans les valeurs fondamentales et les principes directeurs du Service correctionnel du Canada (SCC), qui soulignent l’importance de la dignité et du respect des individus et reconnaissent le potentiel des délinquants de vivre en tant que citoyens respectueux des lois, ainsi que sur les valeurs et principes qui reconnaissent l’importance des rapports et des partenariats avec la collectivité. La justice réparatrice est une notion enracinée depuis longtemps déjà à la Division des questions autochto-nes et à la Division de l’aumônerie du SCC. En 1996, le SCC a créé l’Unité de la justice réparatrice et du règlement des différends, un organisme distinct chargé d’examiner les nouvelles tendances et initiatives dans le domaine de la justice réparatrice. On trouve aussi au SCC d’autres initiatives dans ce domaine, comme la Semaine de la justice réparatrice, le Prix de la justice réparatrice Ron Wiebe et le Fonds pour le règlement des conflits. Cet article traite de l’application des principes de la justice réparatrice en milieu correctionnel.

Justice réparatrice et services correctionnels

Jusqu’à maintenant, la plupart des travaux de recherche sur la justice réparatrice se sont intéressés à son application aux premiers stades du système de justice, soit notamment les services de police et les programmes de déjudiciarisation. De plus, un grand nombre de ces travaux ont porté plus particulièrement sur les jeunes contre-venants au moment de leur arrestation. Cepen-dant, les programmes de justice réparatrice sont de plus en plus offerts en milieu correctionnel. Généralement, leur objectif n’est pas de procurer des avantages aux délinquants, comme la libéra-tion anticipée, la libération conditionnelle ou des ententes de dédommagement. Ces programmes permettent plutôt aux victimes de rencontrer les délinquants pour mieux comprendre ce qui est arrivé, de surmonter leur peur ou leur colère et de favoriser leur rétablissement. Les programmes de justice réparatrice destinés aux délinquants adultes incarcérés portent sur la médiation entre victime et délinquant, les groupes de discussion entre victimes et délinquants non liés, les régimes d’arbitrage entre détenus, les stratégies de réinser-tion sociale au stade prélibératoire, les conférences communautaires et les services communautaires pour les libérés conditionnels.

L’objectif commun de la médiation entre victime et délinquant consiste à réunir la victime et le délin-quant pour qu’ils rétablissent leur relation, expri-ment leurs sentiments au sujet du crime et discu-tent des questions liées à la revictimisation. Grâce à la collaboration de la famille, de la victime et des autorités, certains programmes permettent de préparer un plan de réinsertion sociale avant la mise en liberté du délinquant. Les programmes de médiation entre victime et délinquant diffèrent selon le nombre de participants aux rencontres, la nature du crime et le stade de la peine d’incarcéra-tion auquel a lieu la médiation.

Les groupes de discussion entre victimes et délinquants non liés réunissent des délinquants et des victimes sélectionnées ou choisies au hasard, qui se rencontrent pour discuter ouvertement d’un crime en termes généraux. Des citoyens, des défenseurs des droits des victimes et des membres des familles peuvent aussi assister à ces séances de discussion. Le contenu des rencontres varie, mais il peut comprendre des discussions, des exerci-ces, des jeux de rôles, des lettres d’excuses et, dans de rares cas, des rencontres en personne avec les victimes. Ces groupes incitent les délinquants à rendre des comptes et permettent de sensibiliser les participants, de faire valoir les droits des victimes et de prévenir les effets à long terme du crime.

Certains établissements ont adopté des régimes d’arbitrage entre détenus qui s’appuient sur les principes de la justice réparatrice et qui visent à améliorer les relations entre les délinquants. On s’emploie pendant ces ateliers à élaborer des stratégies de règlement des différends et de communication efficace. L’objectif consiste aussi à atténuer les attitudes hostiles et l’évitement social et à accroître l’estime de soi des délinquants et leur capacité de raisonnement.

Les programmes de réinsertion sociale axés sur la justice réparatrice visent à réduire le risque de récidive et à faciliter l’intégration des délinquants dans la collectivité. Ces programmes favorisent la participation et la consultation de la collectivité, la planification de la mise en liberté des délinquants et l’interaction personnelle avec les victimes, lorsque c’est possible. Ces programmes prennent place avant la mise en liberté sous condition.

La justice réparatrice dans la collectivité

Il existe aussi au Canada un programme de justice réparatrice destiné aux délinquants sous responsa-bilité fédérale, qui leur est offert après leur incar-cération. Le programme Restorative Options to Parole Suspension (Solutions de rechange à la suspension de la libération conditionnelle faisant appel à la justice réparatrice) propose une confé-rence communautaire aux libérés conditionnels jugés susceptibles de récidiver ou de violer les conditions de la libération conditionnelle. Ces conférences réunissent l’agent de libération conditionnelle, le délinquant, la victime, les membres de la famille, des conseillers et des membres de la collectivité, qui discutent du comportement actuel du délinquant, préparent pour lui un plan détaillé et l’aident à réintégrer la collectivité2.

Un examen de ce programme a révélé que sur huit conférences tenues à cette époque, seulement deux délinquants sont restés dans la collectivité sans récidiver ni violer les conditions de leur libération conditionnelle. Il semble toutefois que ces confé-rences aient d’autres résultats positifs, comme la modification du comportement des délinquants et des perceptions des victimes. Cet examen a aussi montré que certains éléments du programme devaient être améliorés. Par exemple, le soutien de la collectivité est absolument nécessaire à l’exécu-tion du programme, le cadre des conférences doit être plus souple, la préparation des cas est essen-tielle au succès et les conférences doivent avoir lieu immédiatement après la mise en liberté des délinquants3. Le ministère du Solliciteur général du Canada effectue actuellement une évaluation officielle de ce programme.

Les lacunes de la recherche

L’une des principales lacunes de la recherche réside dans le manque de travaux de recherche sur les programmes de justice réparatrice offerts dans les établissements et après la mise en liberté. Le manque d’évaluations officielles des programmes existants est un problème particu-lièrement aigu. La plupart des travaux de recherche réalisés jusqu’à maintenant sont des descriptions des programmes plutôt que des évaluations de leurs résultats. L’absence de mesures normalisées fait aussi ressortir la nécessité d’élaborer un ensemble d’indicateurs qui permettraient de mesurer de façon uniforme les taux de réussite selon les programmes et les régions. Les évaluations doivent aussi compren-dre des mesures autres que l’habituel taux de récidive, axé sur le délinquant. Il faut prévoir des échantillons vastes et aléatoires, des groupes de traitement et des groupes témoins, ou du moins des échantillons appariés. Enfin, il faut effectuer des analyses longitudinales pour connaître les tendances de récidive à long terme, les effets à long terme sur les différents stades du système de justice pénale et les effets sur les délinquants purgeant une peine de longue durée de leur participation à ces programmes.

Le peu d’information que l’on possède sur la composante communautaire de la justice répara-trice est une autre lacune de la recherche. Beau-coup d’effets à court terme et à long terme sur la collectivité nécessitent un examen. Par exemple, les ressources limitées, l’adhésion du public, le sentiment de sécurité, la crainte du crime, les perceptions du système de justice pénale et la participation des membres de la collectivité sont autant de questions importantes qui doivent encore être étudiées. De plus, pour assurer la mise en place et l’exécution efficace de ces programmes, il est absolument essentiel d’éta-blir des partenariats durables avec la collecti-vité, d’obtenir sa collaboration et d’engager sa responsabilité. À ce sujet, Griffiths et Patenaude (1990) affirment que [TRADUCTION] «les stratégies correctionnelles communautaires ne peuvent être efficaces que si elles sont intégrées à un cadre global de services correctionnels décentra-lisés»4. La diversité raciale et ethnique des collectivités a aussi une incidence sur le succès de ces programmes, en raison de la manière dont les différentes communautés culturelles peuvent interpréter ces programmes, les ap-puyer et y participer.

Plusieurs raisons justifient l’importance d’appro-fondir les recherches sur les programmes de justice réparatrice dans les services correctionnels. Tout d’abord, il est primordial de recueillir des données empiriques pour soutenir la multiplication de ces programmes et prévenir la mise en place de programmes qui ne seraient pas efficaces. Ensuite, la population canadienne souhaite savoir si ces programmes parviennent bien à diminuer la criminalité et contribuent vraiment à la réinsertion sociale des délinquants. Finalement, il faut étudier les programmes individuellement pour détermi-ner quels facteurs font qu’un programme est plus fructueux qu’un autre. Ces facteurs peuvent être, par exemple, la collaboration de la collectivité, l’acceptation de la part du délinquant et le consentement de la victime quant au recours à des solutions réparatrices.

Les priorités de la recherche dans les services correctionnels fédéraux

Les critères examinés ci-dessous sont des éléments importants dont il faudra tenir compte dans les futurs travaux de recherche et dans la pratique en milieu correctionnel, aussi bien dans les établis-sements que dans la collectivité. Ces critères essentiels peuvent constituer un cadre de travail susceptible d’orienter les recherches futures dans le domaine de la justice réparatrice.

Mise en œuvre

L’intégration et la mise en œuvre de la justice réparatrice dans les programmes correctionnels offerts dans les établissements et la collectivité sont un objectif prioritaire pour le SCC. Il faut examiner comment les pratiques de la justice réparatrice ont été mises en œuvre et comment nous pouvons parvenir à multiplier ces programmes. De plus, la multiplication des programmes actuels nécessite des consultations auprès des principaux responsables du SCC et des organis-mes externes. Mais surtout, il est important de déterminer si nous pouvons mettre en application les principes de la justice réparatrice dans les prisons et dans le régime de la libération condi-tionnelle, tout en continuant de fournir de «bons services correctionnels».

Faisabilité

La pertinence de la justice réparatrice en milieu correctionnel est une préoccupation légitime pour les personnes concernées. La nature et la gravité des cas qui peuvent faire l’objet d’une intervention de la justice réparatrice demeurent toujours une préoccupation de premier plan. De plus, il est primordial de déterminer si les interventions «de fin de parcours» peuvent être considérées comme des interventions de nature réparatrice. Quand on considère, par exemple, le caractère punitif du milieu carcéral, la culture des détenus et les questions liées à la gestion, on peut se demander si les prisons peuvent assurer aux participants une communication sûre et constructive.

Questions de politique

Il est important de déterminer et de résoudre toutes les questions se rapportant à la politique et à la pratique. Il faut aussi examiner davantage l’influence que les initiatives de justice réparatrice exercent sur la législation correctionnelle (c.-à-d. la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition) et le mandat des organismes correc-tionnels (c.-à-d. la Commission nationale des libérations conditionnelles). Il est essentiel de reconnaître les limites de la justice réparatrice dans ce contexte législatif et de trouver un juste équilibre entre le système de justice traditionnel et un système de justice réparatrice.

Évaluation des programmes

L’évaluation des programmes est aussi une question d’une importance critique. Les programmes en milieu correctionnel sont très peu nom-breux et les évaluations de ces programmes sont encore plus rares. La principale difficulté est de déterminer la manière dont les programmes offerts dans les établissements doivent être éva-lués. À cause du milieu, certains facteurs très particuliers peuvent avoir une incidence sur les résultats des programmes et sur leur évaluation. Parmi les difficultés susceptibles de se poser, il y a la participation forcée, le manque d’intérêt, des horaires incommodes, des conflits de programmes, le manque de locaux et l’indisponibilité du personnel. Il faut aussi déterminer les moyens servant à mesurer les résultats et les différences qui les distinguent des autres évaluations réalisées à divers stades. Mesurer un programme en fonc-tion de sa nature réparatrice et déterminer s’il correspond bien à un modèle de justice réparatrice est une tâche difficile.

Résultats

Il peut être utile de mesurer les différences entre les résultats obtenus au moyen d’un programme appliqué au début du système de justice et ceux d’un programme appliqué à la fin du système. Il serait important aussi de déterminer à quel stade du système de justice l’application d’un programme de justice réparatrice est susceptible de donner les meilleurs résultats. Par exemple, une confrontation directe est-elle plus susceptible de provoquer un changement d’attitude chez le délinquant peu de temps après son arrestation ou après le prononcé de la sentence ? Encore une fois, il est nécessaire de déterminer dans quelle mesure la gravité de l’infraction et le milieu où est exécuté le programme exercent une influence sur le processus et son résultat. Comme nous l’avons mentionné, outre la mesure habituelle de la récidive, il faut aussi évaluer un certain nombre de résultats différents.

Opinion publique

Il peut être difficile de mesurer à quel point le public est favorable aux initiatives de justice réparatrice, mais il s’agit d’une condition néces-saire à la viabilité des programmes. Il y a probablement des divergences de vues considérables sur la pertinence des pratiques de justice répara-trice et sur la qualité des résultats. La représentation des membres de la collectivité et l’établissement de consensus sont des facteurs dont il faut absolument tenir compte. Pour comprendre les problèmes susceptibles de se poser, il faudra que le débat entre la réparation et le châtiment se situe dans l’optique des programmes de justice répara-trice offerts dans les établissements. De plus, le SCC devra s’employer activement à faire connaître au public les principes de la justice réparatrice et à susciter la discussion sur cette question.

Potentiel de réinsertion sociale

Les initiatives de justice réparatrice exécutées après l’incarcération permettent aux délinquants de se pencher sur leurs émotions et de corriger leur comportement dans un contexte dépourvu d’affrontements. Les aptitudes acquises à ce stade peuvent exercer une influence fondamentale sur la manière dont l’individu percevra et maîtrisera les situations de la vie courante après sa mise en liberté. La participation des délinquants aux programmes de justice réparatrice pendant qu’ils sont sous surveillance dans la collectivité peut faciliter le processus de leur réinsertion sociale en leur offrant de l’aide et de l’encouragement, en maintenant des réseaux de communication sains et en rétablissant le contact avec la collectivité.

Collaboration de la collectivité

La participation de la collectivité aux programmes de justice réparatrice est un facteur essentiel à leur efficacité. Les définitions de la collectivité peuvent être révisées en raison de la nature du milieu carcéral. La participation peut aussi être plus difficile à obtenir dans ce milieu particulier en raison des obstacles physiques, des stéréotypes entretenus par le public et de l’atmosphère tendue. La participation des victimes, de la collectivité et des spécialistes de la justice réparatrice est aussi un facteur essentiel au succès d’un programme. D’autre part, le rôle du personnel correctionnel dans le domaine de la médiation et de la facilitation est appelé à changer.

Délinquants autochtones

Comme dans les autres domaines de la recherche correctionnelle, il est primordial de tenir compte de la perspective des peuples autochtones. Les programmes de justice réparatrice actuellement offerts aux délinquants autochtones dans les établissements et les collectivités doivent être révisés. Les recherches réalisées jusqu’à maintenant ont fait ressortir un problème inhérent à ces programmes, soit les définitions et pratiques différentes en ce qui concerne la honte et la réin-sertion dans la culture autochtone. Il faut tenir compte du fait que les collectivités autochtones se caractérisent par des systèmes de socialisation et d’autorité différents, et donc que la mise en place et l’exécution des programmes doivent respecter ces différences. Une fois de plus, nous devons apprécier à sa juste valeur le rôle du droit coutu-mier et de la tradition. Il est aussi possible que l’on doive s’y prendre autrement pour obtenir le soutien et la participation des collectivités autoch-tones, comparativement aux collectivités tradition-nelles.

Obstacles

Finalement, il faut prendre en considération les avantages et inconvénients possibles des initiatives de justice réparatrice dans les établissements correctionnels. Par exemple, les programmes de justice réparatrice sont-ils une solution à la surpo-pulation des prisons ou un obstacle à la mise en liberté ? Certains craignent que les responsables des décisions en matière de libération condition-nelle soient davantage portés à accorder la libéra-tion conditionnelle aux délinquants qui auront participé à un programme prélibératoire de justice réparatrice. Il faudra examiner ces facteurs avant d’aller plus loin.

Conclusion

La justice réparatrice offre aux délinquants incar-cérés un moyen de faire le point sur leurs relations externes et internes. L’extension de ces pratiques après la mise en liberté peut contribuer à faciliter leur réinsertion sociale et les aider à tisser des liens avec la collectivité. Comme nous l’avons souligné toutefois, il faudra poursuivre les recherches afin de combler les lacunes de nos connaissances sur l’application de la justice réparatrice dans le système correctionnel.


1.  340, avenue Laurier ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.

2.  MCWHINNIE, A. Restorative justice options to parole suspension project: Interim report, May 11th 2000. Rapport préparé pour le Service correctionnel du Canada. Bureau de libération conditionnelle de Victoria, CB, 2000.

3.  Idem.

4.  GRIFFITHS, C. T. et PATENAUDE, A. «The use of restitution and community service sentencing in the Canadian north: The prospects and problems of localized corrections» dans Criminal justice, restitution and reconciliation, sous la direction de B. Galaway et J..Hudson, (p. 145-154), NewYork, NY, Willow Tree Press Inc., 1990.