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Le Programme d’intervention pour délinquantes toxicomanes : résultats provisoires

April Furlong et Brian A. Grant1
Centre de recherche en toxicomanie, Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

En 2001, comme les délinquantes sous responsabilité fédérale continuaient d’éprouver de graves problèmes de toxicomanie, le Service correctionnel du Canada (SCC) a entrepris l’élaboration d’un nouveau programme d’intervention pour délinquantes toxicomanes. Selon une étude effectuée sur le terrain et un groupe d’experts, il faut concevoir un modèle multidimensionnel tenant compte de la spécificité des sexes qui comprend à la fois l’intervention et l’environnement. Le produit de cette étude est un programme qui prévoit une gamme d’interventions adaptées aux délinquantes, depuis l’admission jusqu’à l’expiration du mandat, pour leur offrir des choix de modes de vie sains.

En 2003, le Programme d’intervention pour délinquantes toxicomanes (PIDT) a été mis en oeuvre à titre de projet pilote, et la période de démonstration de deux ans s’est terminée en mai 2005. Selon les résultats de l’étude préliminaire de la première année, les taux d’achèvement étaient élevés, les participantes ont acquis des connaissances et des compétences et elles étaient satisfaites. Une évaluation du résultat final du PIDT se poursuit actuellement.

Mise en oeuvre du PIDT

Le Programme d’intervention pour délinquantes toxicomanes (PIDT) a été conçu pour répondre aux besoins de toutes les délinquantes toxicomanes. Il prévoit des interventions officielles en plus de la constitution d’un groupe de soutien en milieu carcéral afin de permettre l’établissement de relations fonctionnelles saines2. Le programme compte trois modules: 1) engagement et éducation (E & E) - offert à toutes les délinquantes de l’établissement, quel que soit leur problème de toxicomanie; 2) traitement thérapeutique intensif (TTI) - pour les délinquantes toxicomanes ayant des besoins modérés ou élevés; 3) prévention de la rechute et suivi (PRS) - offert en établissement et dans la collectivité pour faire face aux comportements problématiques liés au crime, dont la toxicomanie. De plus, des initiatives de développement d’un sentiment d’appartenance à une collectivité et un groupe de soutien par les pairs pour les délinquantes ayant des besoins en matière de toxicomanie offrent un environnement propice à un changement sain3.

La première séance nationale de formation concernant le PIDT a eu lieu en mai 2003 et a été suivie de la mise en oeuvre du programme dans quatre établissements fédéraux pour femmes ainsi qu’au Centre correctionnel pour femmes de Burnaby et au Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci. Depuis 2003, le PIDT a été introduit dans 22 établissements communautaires, et il y a eu deux autres séances de formation à l’échelle nationale. Pendant la mise en oeuvre, les intervenants du programme ont reçu un appui dans le cadre de téléconférences nationales régulières et le personnel de l’administration centrale leur a rendu visite et a communiqué directement avec eux. À la suite de la rétroaction des participantes et des intervenants du programme, deux séries de révisions ont été apportées au manuel et aux lignes de directrices en matière de mise en oeuvre du programme, ce qui a donné lieu à un programme uniformisé, mais dynamique, qui répond aux besoins particuliers de chaqueétablissement.

Évaluation provisoire

L’évaluation provisoire du programme a porté sur les sept premiers mois après la mise en oeuvre du PIDT, soit du 1er juin 2003 au 1er janvier 20044. Trois groupes d’étude ont été comparés : 1) un groupe de l’engagement et de l’éducation (E & E) constitué de 148 délinquantes qui n’ont participé qu’au module E & E; 2) un groupe du traitement thérapeutique intensif (TTI) formé de 45 délinquantes; 3) un groupe de référence, représentant la population générale et constitué de 269 femmes incarcérées dans un établissement fédéral le 1er mai 2003, mais qui n’ont pas participé au PIDT5.

Les données sur les délinquantes provenaient du Système de gestion des délinquants. Les mesures du changement résultant de la participation au programme ont été établies d’après les documents d’évaluation prétest et post-test. Enfin, les renseignements auto-évalués ont été recueillis au moyen d’une entrevue semi-structurée qui a eu lieu avant la participation au traitement thérapeutique intensif.

Résultats provisoires

Les trois groupes d’étude se ressemblaient sur le plan de l’âge, de la race et de l’état matrimonial. Les délinquantes des groupes E & E, TTI et de référence avaient en moyenne 35, 36 et 37 ans respectivement. Près de la moitié des délinquantes des deux modules étaient mariées ou avaient un conjoint de fait. Tout comme la population générale des délinquantes, la plupart des femmes (les deux tiers) des deux modulesétaient de race blanche. Les délinquantes autochtones constituaient entre 23 % (E & E) et 31 % (TTI) des participantes au programme, soit la même proportion que les délinquantes autochtones dans la population carcérale (29 %).

Selon les mesures de la gravité de la toxicomanie, les délinquantes appropriées ont été affectées et ont participé au module TTI, 95 % ayant étéévaluées comme ayant un problème de toxicomanie modéré ou grave. Dans l’ensemble, les femmes qui avaient un problème de drogue (80 %) étaient plus nombreuses que celles qui avaient un problème d’alcool (50 %). D’après les résultats, la plupart des délinquantes avaient besoin d’un traitement pour résoudre leur problème de toxicomanie, 75 % du groupe E & E (à noter que le module E & E est offert à toutes les délinquantes) et 71 % du groupe de référence (délinquantes non traitées) ayant été évaluées comme ayant un problème modéré ou grave.

La gravité de la toxicomanie auto-évaluée par les participantes au module TTI qui ont participé à l’entrevue semi-structurée correspondait tout à fait à celle évaluée, ce qui donne à penser que les délinquantes avait une bonne idée de leur propre problème en matière de drogue et d’alcool. Un pourcentage élevé de ces participantes ont indiqué qu’elles éprouvaient des problèmes avec les drogues les plus toxicomanogènes : cocaïne (68 %), opiacées (56 %), crack (51 %) ou héroïne (46 %). Par contre, alors que la plupart des délinquantes ont dit qu’elles avaient déjà consommé de la marijuana ou du hachisch, seulement 16 % ont indiqué que leur consommation de ces substances avait entraîné des problèmes de dépendance.

Bien des délinquantes ont commencé à consommer des substances intoxicantes à un âge précoce, et elles ont commencé par consommer de l’alcool. Toutefois, il s’est écoulé moins de temps avant que la consommation de drogue devienne régulière (2,8 ans) que dans le cas de la consommation régulière d’alcool (4,6 ans).

Les taux d’achèvement élevés du module E & E (93 %) indiquent que presque toutes les délinquantes ont pu terminer le module, ce qui leur a permis d’acquérir des connaissances sur l’incidence de la consommation de drogue et d’alcool dans leur vie et la vie des femmes qui les entourent. Les délinquantes dont le niveau de toxicomanie était plus élevé ont ensuite participé au module TTI, ce qui donne à penser que le programme attire les participantes pour lesquelles il a été conçu et, compte tenu d’un taux d’achèvement de 82 %, il réussit dans une grande mesure à maintenir la participation de ces délinquantes. Le degré très élevé de satisfaction des participantes concernant tous les aspects mesurés apporte un autre argument en faveur du recours aux deux modules (voir le tableau 1).

Tableau 1 : Scores moyens pour le questionnaire d'évaluation du programme (QEP)
Sous-sections E & E
Score moyen
TTI
Score moyen
Impression générale a 3,4 3,7
Contenu et méthodes du programme a 3,5 3,7
Durée du programme b 2,9 3,3
Expérience de groupe a 3,6 3,7
     
Nombre total de cas 180 40
     
a Les scores du niveau de satisfaction passent de 1 à 4.
b Les scores vont de 1 (programme considéré comme trop bref) à 5 (programme considéré comme trop long).


Les résultats de l’évaluation prétest et post-test indiquent que le programme a une incidence positive sur les délinquantes dans plusieurs domaines. En général, dans tous les domaines évalués dans la présente étude, nous avons constaté des changements positifs. Les participantes du groupe E & E avaient une meilleure connaissance de l’incidence de la toxicomanie dans plusieurs aspects de la vie mesurés par le Questionnaire sur l’éducation sur la toxicomanie6 et l’Échelle sur l’importance de l’alcool et des drogues7 (voir le tableau 2), même si l’augmentation pour cette dernière échelle n’était pas statistiquement fiable. Elles étaient également plus disposées à changer (voir le tableau 3) comme l’indique le Questionnaire sur la disposition à changer8.

Tableau 2 : Scores moyens prétest et post-test pour les mesures des connaissances du groupe E & E
Mesures Prétest
Score moyen
Post-test
Score moyen
Questionnaire sur l’éducation sur la toxicomanie 63,8 66,5****
Échelle sur l’importance de l’alcool et des drogues 61,2 62,1
     
Nombre total de cas 189 176
     
N. B. Variation souhaitée dans tous les scores du prétest au post-test : hausse.
**** p < ,0001.

 

Tableau 3 : Stade de changement des participantes des groupes E & E et TTI
Stade E & E
Prétest %
E & E
Post-test %
TTI
Prétest %
TTI
Post-test %
Précontemplation 2,0 2,1 2,3 0,0
Contemplation 2,6 1,0 2,3 0,0
Préparation 25,0 11,3 29,6 11,4
Action 14,7 19,0 20,4 14,3
Maintien 55,8 66,9 45,4 74,3
         
Nombre total de cas 156 142 44 35

Les participantes du groupe TTI ont obtenu des résultats semblables; elles avaient plus de connaissances sur la capacité d’adaptation nécessaire pour prévenir les rechutes ainsi qu’une auto-efficacité et une estime de soi supérieures, ce qui indique que le programme a contribué à rendre les femmes plus confiantes en leur capacité de faire face aux défis de la toxicomanie. Les résultats de l’évaluation sont résumés au tableau 4 pour les questionnaires suivants : Questionnaire sur le programme thérapeutique intensif9, Questionnaire sur les attitudes et connaissances en matière de rechutes10, Inventaire des stratégies d’adaptation11, Questionnaire sur l’estime de soi de Rosenberg12, Échelle d’auto-efficacité en matière d’abstinence d’alcool et de drogues13.

Tableau 4 : Scores moyens prétest et post-test pour les mesures des connaissances du groupe TTI
Mesures
Prétest
Score moyen
Post-test
Score moyen
Sous-échelle du questionnaire sur le TTI a    
 Émotions
49,5 51,7
 Spiritualité 41,6 45,2**
 Relations 35,9 38,4*
 Sexualité 37,2 40,1**
 Soi 36,1 39,8**
Questionnaire sur les attitudes et connaissances en matière de rechutes a 80,3 86,8**
Inventaire des stratégies d’adaptation b 63,9 33,4****
Questionnaire sur l’estime de soi de Rosenberg a 28,4 31,5*
Échelle d’auto-efficacité en matière d’abstinence d’alcool et de drogues    
Sous-échelles du domaine de la tentation b    
 Affect négatif 19,6 10,4****
 Préoccupations sociales/positives 18,4 9,5****
 Préoccupations matérielles et autres 15,6 8,4****
 Sevrage et fortes envies 17,0 10,0****
Sous-échelles du domaine de la confiance a    
 Affect négatif 11,0 18,3****
 Préoccupations sociales/positives 11,4 19,2****
 Préoccupations matérielles et autres 12,3 19,6****
 Sevrage et fortes envies 11,4 18,8****
Nombre total de cas 45 35
     

a Variation souhaitée dans tous les scores du prétest au post-test de la sous-échelle : hausse.

b Variation souhaitée dans les scores du prétest au post-test : baisse.
* p < ,05; ** p < ,01; **** p < ,0001.

Relations

La majorité des participantes du groupe TTI ont indiqué que leur consommation d’alcool ou de drogues avait eu un effet négatif sur leurs relations avec leur famille, leurs amis, leurs partenaires et leurs enfants. De plus, bon nombre des femmes semblaient entretenir des relations avec d’autres personnes toxicomanes, le quart des délinquantes ayant dit que leur partenaire consommait actuellement de l’alcool ou des drogues, et 69 % qu’au moins un membre de leur famille avait un problème de toxicomanie.

Ces constatations sont conformes à la théorie relationnelle féministe actuelle qui explique la toxicomanie dans le contexte des relations des femmes. Selon la théorie relationnelle, les femmes acquièrent un sentiment d’identité et conservent leur santé psychologique dans le cadre de relations qui se renforcent mutuellement et de rapports aux autres14. L’absence de telles relations peut se traduire par une vulnérabilité accrue à la consommation d’alcool ou de drogues. Les femmes peuvent aussi consommer des substances intoxicantes pour maintenir les liens avec un partenaire toxicomane15. Les résultats de la présente étude provisoire constituent une preuve empirique de cette théorie et corroborent la nécessité de mettre l’accent sur l’établissement et le maintien de relations saines dans le cadre d’un programme d’intervention pour toxicomanes - volet qui fait partie du contenu et de la structure du PIDT.

Traumatismes

Il existe depuis longtemps un consensus dans la littérature sur l’association entre l’expérience de traumatismes antérieurs et la toxicomanie chez les femmes. Dans la présente étude, toutes les délinquantes qui ont participé à l’entrevue sur les traumatismes ont dit qu’elles avaient subi un traumatisme par le passé. De plus, la majorité des délinquantes qui ont participé au module TTI ont admis qu’elles consommaient de l’alcool ou des drogues pour faire face à leur traumatisme. Elles font souvent état de leur dépression et de leur anxiété et de la consommation de drogues et d’alcool pour faire face à ces états psychologiques.

Le PIDT porte sur le premier stade du rétablissement après un traumatisme, la création de la sécurité, au cours duquel on enseigne aux délinquantes des stratégies d’adaptation pour qu’elles puissent faire face aux émotions négatives associées à leur traumatisme. Les résultats de l’étude donnent à penser que les délinquantes peuvent bénéficier d’autres programmes de traitement des traumatismes ou du travail en groupe (offerts dans certains établissements) qui leur permettent d’accéder aux stades suivants afin de traiter leurs traumatismes, d’établir des liens nouveaux et plus sains et de finir par rompre les liens entre leur toxicomanie et leur traumatisme.

Crime

L’association entre le crime et la consommation de substances intoxicantes est également bien documentée et la présente analyse provisoire en témoigne. Presque toutes les délinquantes (91 %) ont indiqué qu’elles avaient consommé des drogues et(ou) de l’alcool au moment de leur infraction la plus récente. Le nombre de femmes qui ont indiqué qu’elles avaient consommé des drogues était plus élevé que celui des femmes ayant consommé de l’alcool ou une combinaison des deux. Parmi les délinquantes qui ont dit avoir consommé des drogues, 72 % ont indiqué que cela avait contribué à la perpétration de leur crime. Ce pourcentage s’établissait à 46 % dans le cas des femmes qui avaient consommé de l’alcool.

Conclusion

Pour que les délinquantes puissent apporter des changements positifs concernant leur toxicomanie, elles doivent avoir le soutien, les connaissances, les compétences et la motivation qui leur fourniront la base à partir de laquelle elles pourront apporter des changements. Selon les résultats préliminaires du PIDT pilote, les délinquantes font des progrès dans ces domaines après avoir participé aux modules E & E et TTI. Le prochain stade d’évaluation déterminera si cette base se traduira par une baisse soutenue de la consommation de drogues détectée en milieu carcéral et une réduction de la récidive dans la collectivité.


1 23, rue Brook, Montague (Île-du-Prince-Édouard), C0A 1R0.
2 Pour de plus amples renseignements sur le contexte de l’élaboration du PIDT, y compris la conception des recherches, de la politique et du programme, voir Hume, L. et Grant, B. [2001], Programme de traitement de la toxicomanie - structure proposée, rapport de recherche no R-120, Ottawa (Ont.), Service correctionnel du Canada.
3 Pour de plus amples renseignements sur le contenu du programme, voir Hume, L. [2004]. Un programme de traitement de la toxicomanie spécialement conçu pour les femmes purgeant une peine fédérale, Forum - Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 6, no 1, p. 40-41.
4 Pour des renseignements complets sur l’évaluation provisoire, voir Grant, B.A., Furlong, A., Hume, L. et White, T. (en préparation), Le Programme d’intervention pour délinquantes toxicomanes : évaluation provisoire, rapport de recherche, Ottawa (Ont.), Service correctionnel du Canada.
5 Le module sur la prévention de la rechute et le suivi n’a pas étéévalué dans le présent rapport.
6 Centre de recherche en toxicomanie. (2003). Questionnaire sur l’éducation sur la toxicomanie, Ottawa (Ont.), Service correctionnel du Canada.
7 Millson, W.A., Weekes, J.R. et Lightfoot, L.O. (1995). Le Programme prélibératoire pour toxicomanes : Analyse des résultats intermédiaires et postlibératoires, rapport de recherche n° R-40, Ottawa (Ont.), Service correctionnel du Canada.
8 Heather, N., Luce, A., Peck, D. et Dunbar, B. (1996). Development of the Readiness to Change Questionnaire (Treatment Version), Report to the Northern and Yorkshire R & D Directorate.
9 Centre de recherche en toxicomanie (2003). Questionnaire sur le programme thérapeutique intensif, Ottawa (Ont.), Service correctionnel du Canada.
10 Millson et coll. (1995), Le Programme prélibératoire pour toxicomanes.
11 Litman, G.K., Stapleton, J., Oppenheim, A.N., Peleg, M. et Jackson, P. (1983). An instrument for measuring coping behaviours in hospitalized alcoholics: Implications for relapse prevention treatment, British Journal of Addiction, vol. 78, p. 269-276. (Original adapté pour faire état de la consommation de drogue et d’alcool.)
12 Rosenberg, M. (1965). Society and the adolescent self-image, Princeton (NJ), Princeton University Press.
13 DiClemente, C.C., Carbonari, J.P., Montgomery, R.P.G. et Hughes, S.O. (1994). The Alcohol Abstinence Self-Efficacy Scale, Journal of Studies in Alcohol, vol. 55, p. 141-148. (Original adapté pour faireétat de la consommation de drogue et d’alcool.)
14 Miller, J. B. (1987). Toward a new psychology of women, Boston, Beacon Press.
15 Covington, S. S. et Surrey, J. (2000). The relational model of women’s psychological development: Implications for substance abuse, Work in Progress, no 91, Wellesley (MA), Stone Center, Working Paper Series.