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Évaluation du risque dans le contexte potentiel de la réinsertion sociale

par Larry Motiuk et Ralph Serin1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

Au cours des dernières décennies, les chercheurs en justice pénale ont réalisé des progrès dans les techniques d’évaluation du risque, sur les plans conceptuel et méthodologique. Ils ont établis une distinction entre la prévision statistique et la prévision clinique, et entre les facteurs statiques et les facteurs dynamiques. Au cours des années 1970 et 1980, la faible valeur prédictive des instruments d’évaluation du risque alors en usage a amené les chercheurs à s’intéresser aux mauvaises décisions qui étaient prises quant au placement et à la mise en liberté de certains délinquants qui, par la suite, réussissaient pourtant à réintégrer la société sans problème (faux positifs). Vers la fin des années 1980 et au début des années 1990, en raison des progrès réalisés dans la précision des diverses échelles d’évaluation du risque, l’attention s’est déplacée vers le problème des faux négatifs, c’est-à-dire les délinquants mis en liberté prématurément qui n’arrivaient pas à se réinsérer dans la société. Ces travaux plus récents ont aussi été motivés par les préoccupations de la population au sujet de la sécurité et par de nouvelles mesures législatives prises pour régler le problème.

Aujourd’hui, en raison de la tolérance peu élevée à l’endroit des faux négatifs, les décideurs se préoccupent trop des échecs, ce qui nuit peut-être aux efforts de réinsertion sociale. Il s’avère donc nécessaire de limiter les mauvaises décisions en utilisant systématiquement des stratégies d’évaluation du risque et des besoins ainsi que des pratiques normalisées pour améliorer la prise de décision dans le domaine correctionnel. Ce genre de stratégie devrait permettre de mieux repérer les délinquants qui possèdent un bon potentiel de réinsertion sociale. On pourrait donc dire que les délinquants qui présentent un potentiel élevé de réinsertion sociale sont soit des délinquants à faible risque, soit des délinquants présentant un risque modéré qui peut être géré dans la collectivité grâce à des interventions normatives et à un degré de surveillance approprié.

Cet article définit plusieurs questions liées au potentiel de réinsertion sociale qui peuvent s’appliquer à toutes les juridictions correctionnelles. Ces questions devraient aider les décideurs à déterminer les situations où il serait possible de faire des gains judicieux sur le plan de la réinsertion sociale. Cette approche devrait aussi permettre de faire en sorte que les délinquants soient mis en liberté rapidement et sans risque pour la sécurité, en accord avec l’énoncé de mission de chacune des juridictions. Les auteurs avancent l’argument que l’évaluation du risque peut être intégrée dans le contexte des efforts de réinsertion sociale d’une manière qui minimise les erreurs de décision. Ils reconnaissent que les secteurs correctionnels n’ont pas tous le même degré de tolérance à l’égard des faux négatifs, particulièrement pour ce qui est de certains types de délinquant ou de certains types d’échec.

Réinsertion sociale

Un rapport récent du Centre canadien de la statistique juridique présente un profil descriptif des délinquants sous responsabilité fédérale ou provinciale2. Même si les systèmes provinciaux ou territoriaux et le système fédéral sont différents sur le plan du profil du risque et des besoins des délinquants et de la proportion de délinquants violents, il reste une marge suffisante pour envisager des stratégies différentielles en fonction des facteurs de risque et des besoins. La réinsertion sociale englobe une vaste de gamme de décisions visant à placer les délinquants dans le milieu le moins restrictif possible, à accorder des permissions de sortir et la mise en liberté sous condition et à suspendre ou révoquer la liberté au besoin. Pourtant, chacune de ces pratiques correctionnelles constitue aussi un indice du succès de la réinsertion sociale. Ces décisions peuvent avoir d’importantes répercussions sur le cheminement des délinquants pendant la durée de leur peine. Des chercheurs3 ont examiné des décisions relatives au placement de délinquants dans un établissement à sécurité minimale selon divers points de démarcation sur l’Échelle de classement par niveau de sécurité, un des premiers outils de ce genre utilisés par le Service correctionnel du Canada. Ils ont constaté qu’en modifiant les points de démarcation, on pouvait réduire sensiblement le nombre de jours des peines à purger sans guère augmenter le risque d’évasion. Ainsi, les délinquants placés directement dans un établissement à sécurité minimale ont passé moins de jours en détention que les délinquants places directement dans un établissement à sécurité moyenne. De plus, ceux qui ont été placés directement dans un établissement à sécurité minimale se sont vu octroyer la libération conditionnelle dans une plus grande proportion.

La {désincarcération} a été définie comme la sélection de délinquants que l’on considère aptes à bénéficier d’une mise en liberté anticipée4. Pour choisir ces délinquants, il faut se servir de critères de sélection particuliers, utiliser les échelles d’évaluation du risque et tenir compte des renseignements sur le traitement ou les programmes dans la prise de décision en matière de gestion correctionnelle et de libération conditionnelle. La mise en liberté anticipée constitue un élément central de la réinsertion sociale; cependant, d’autres facteurs peuvent influer sur la décision d’octroyer une forme discrétionnaire de mise en liberté. Motiuk et Belcourt5 ont établi, par exemple, que les délinquants à qui on a octroyé une permission de sortir ont plus de chances que les autres de bénéficier par la suite d’une libération conditionnelle. Cela donne à penser que les gains réalisés dans l’un des aspects de la réinsertion sociale peuvent produire un effet favorable dans un autre aspect.

Instruments d’évaluation du risque et de classement selon le niveau de sécurité

La plupart des administrations correctionnelles ont mis en place des stratégies d’évaluation pour mesurer le risque que représentent les délinquants. Nous ne parlerons pas ici de toutes ces stratégies, mais certains chercheurs se consacrent actuellement à cet exercice6. On trouve de fortes corrélations entre les échelles de risque utilisées systématiquement par les services correctionnels canadiens. Le choix d’un instrument donné est principalement une question opérationnelle, puisqu’aucun ne s’est avéré nettement supérieur aux autres. En fait, après une analyse exhaustive des ouvrages sur l’évaluation des délinquants, certains auteurs ont conseillé fortement de recourir à plusieurs méthodes d’évaluation plutôt qu’à une seule7.

Les autres éléments dont il faut tenir compte sont le contenu et le processus. Les outils d’évaluation ont-ils un contenu suffisant pour respecter les lignes directrices sur l’évaluation du risque?8 On a proposé d’utiliser les outils de classement objectifs comme {points d’ancrage} et de se servir davantage de l’information particulière au cas. Pour ce qui est du processus, il est important que les employés qui rédigent les rapports à l’intention des décideurs expliquent clairement de quelle façon ils ont intégré les facteurs de risque et les estimations du risque de récidive dans leur évaluation du cas. Dans plusieurs secteurs on a donné au personnel une formation complète en évaluation du risque pour que les employés apprécient les évaluations du risque à leur juste valeur, mais comprennent bien que celles-ci ne sauraient remplacer un processus décisionnel judicieux dans le domaine correctionnel.

Les évaluations du risque et des besoins ont pour objet de renseigner les employés sur les besoins des délinquants en matière de surveillance et les besoins liés aux facteurs criminogènes. Elles permettent de prendre des décisions sur les objectifs de traitement ainsi que sur le mode d’intervention et l’intensité qui conviennent au cas. Dernièrement, une approche systémique de la gestion du risque que présentent les délinquants dans la collectivité a mené à l’élaboration et à la mise en application d’outils d’évaluation du risque et des besoins comme l’Inventaire du niveau de service — Révision Ontario (INS-RO), utilisé dans la province de l’Ontario, et l’Échelle d’évaluation du risque et des besoins dans la collectivité, utilisée par le Service correctionnel du Canada. Ces outils d’évaluation du risque dynamique permettent de réévaluer à la fois le risque et les besoins des détenus. On a établi qu’il existe une corrélation entre la récidive et les résultats obtenus sur l’INS-RO et l’Échelle d’évaluation du risque et les besoins dans la collectivité. Ce genre de stratégie en matière d’évaluation peut être intégrée à des lignes directrices sur la surveillance préventive qui permettraient de réaliser des gains sur le plan de la réinsertion sociale. Ainsi, on pourrait temporairement augmenter le niveau de contrôle et de surveillance et faire davantage d’interventions pendant la période où un délinquant présenterait un risque plus élevé. Même une réduction modeste du nombre de cas de suspension et de cessation de la liberté permettrait d’augmenter le nombre de délinquants purgeant leur peine dans la collectivité sans présenter de risque.

Le dernier élément se rattachant à l’évaluation du risque que nous aborderons ici est la nécessité de diminuer les erreurs de décision. Actuellement, de nombreux décideurs ont recours à des outils d’évaluation du risque pour évaluer le risque de récidive. Cependant, on peut aussi utiliser ces échelles pour renseigner les employés sur les probabilités de certains types d’échec et la possibilité d’erreurs de décision associées à différents résultats sur l’échelle, ce qui leur permet de prendre en considération non seulement le risque de récidive, mais aussi les coûts qui y sont associés. En effet, certains actes criminels, comme la récidive d’infractions sexuelles, sont assez rares, mais entraînent des coûts élevés lorsqu’ils se produisent. Pour diminuer les erreurs de décision, on peut choisir sur l’échelle un point de démarcation qui permettra de réduire au minimum les faux positifs et les faux négatifs. Il s’avère donc crucial de bien connaître les taux de base pour différents types d’échec et de mise en liberté (mise en liberté de forme discrétionnaire, mise en liberté à l’expiration de la peine), pour différents milieux, régions et niveaux de sécurité.

Améliorations susceptibles d’optimiser le succès de la réinsertion

Plusieurs facteurs nous indiquent que l’importance qu’on attache actuellement aux faux négatifs dans les pratiques d’évaluation du risque entrave peut-être les efforts de réinsertion. Si l’on changeait la façon d’appliquer l’Échelle de classement par niveau de sécurité, on pourrait augmenter le nombre de transfèrements vers un milieu à sécurité minimale, et donc le nombre de libérations conditionnelles octroyées, sans qu’il y ait augmentation du nombre d’évasions. De cette manière, on réduirait le nombre de faux positifs (détenus incarcérés à un niveau de sécurité trop élevé) sans augmenter le nombre de faux négatifs (évasion). Un autre facteur se rapporte aux résultats de l’examen de la participation au programme des permissions de sortir et de la mise en liberté. Il semblerait que le nombre de détenus à qui on accorde des permissions de sortir a diminué de façon prononcée au cours des dernières années. On ne sait pas très bien si cette diminution est liée aux inquiétudes qu’on entretient à propos des échecs éventuels ou si elle découle de changements apportés à la politique. Si on considère qu’il existe une relation entre les permissions de sortir et l’octroi subséquent de la libération conditionnelle, on constate que la diminution du nombre de permissions accordées a une incidence négative sur l’octroi de la libération conditionnelle. On peut donc constater qu’un changement de la situation pourrait apporter des gains intéressants sur le plan de la réinsertion sociale.

Rôle des interventions

On reconnaît généralement que les interventions correctionnelles efficaces constituent une importante stratégie pour réduire le risque que posent les délinquants. Dans le même ordre d’idées, il faut s’efforcer de rattacher les interventions et programmes correctionnels aux efforts de réinsertion sociale. Pour ce faire, il faut évaluer les programmes de base de façon permanente et tenir compte des changements qui découlent de ces évaluations. Ensuite, il faut commencer à soumettre les programmes correctionnels à une accréditation de sorte qu’ils répondent à des normes, tant sur le plan du contenu que sur celui de l’exécution. Enfin, il faut mettre en place un mécanisme qui permettra de tenir compte de l’information relative au traitement lorsqu’on prendra des décisions à propos du potentiel de réinsertion9.

Application des solutions dans différents secteurs de compétence correctionnels

Bien que les secteurs correctionnels puissent appliquer de façon différente certaines approches décrites dans cet article, plusieurs thèmes méritent qu’on s’y arrête. Il faut disposer d’outils objectifs de classement selon le niveau de sécurité si l’on veut offrir une gestion correctionnelle efficace et pouvoir démontrer que les décisions qui ont été prises sont judicieuses et légitimes. En outre, le classement systématique et objectif peut contribuer à réduire les erreurs relatives à l’incarcération des délinquants à un niveau de sécurité trop élevé. Les erreurs de ce genre ne sont pas seulement coûteuses financièrement; elles limitent aussi les chances ultérieures de mise en liberté des délinquants. Dans les systèmes correctionnels, les programmes de permissions de sortir sont très étroitement liés à l’octroi subséquent d’une mise en liberté de forme discrétionnaire. En portant plus d’attention aux programmes de permission de sortir, on pourrait réaliser des progrès vers d’autres cibles de réinsertion. De la même façon, les pratiques trop rigoureuses de suspension de la liberté conditionnelle ont une incidence importante sur la croissance de la population carcérale. Même une faible réduction du nombre de suspensions ou de manquements aux conditions de la probation, grâce à une meilleure gestion dans la collectivité, pourrait permettre d’augmenter le nombre de délinquants purgeant leur peine dans la collectivité en toute sécurité. Les programmes correctionnels demeurent une importante stratégie pour réduire le risque.

Cependant, on n’a pas encore arrêté de méthode pour intégrer les renseignements sur les programmes aux décisions en matière de réinsertion. Néanmoins, nous savons que les programmes offerts dans la collectivité ont tendance à être plus efficaces, ce qui donne à penser qu’on devrait y avoir recours davantage.

Le classement des délinquants selon le niveau de sécurité ou les décisions discrétionnaires de mise en liberté qui sont fondés sur l’infraction commise ne parviendront probablement pas à réduire les erreurs de décision autant que le feront les stratégies fondées sur des statistiques et sur l’évaluation du risque et des besoins. Toutes les administrations correctionnelles doivent prendre des décisions en matière de mise en liberté avant l’expiration de la peine. Il est préférable de se fier aux résultats de la recherche (p. ex. l’INS-RO, l’Échelle d’information statistique sur la récidive). En outre, il existe des normes de pratique sur le contenu des évaluations du risque10 qui devraient être intégrées aux pratiques correctionnelles.

Résumé

Il semble donc qu’il serait légitime et probablement utile de situer les évaluations systématiques du risque et des besoins dans un cadre potentiel de réinsertion sociale. Le processus et le contenu des évaluations traditionnelles du risque et des besoins sont compatibles avec les buts de la réinsertion, mais il faudrait les modifier. La situation ne pourra changer que si le personnel correctionnel et les décideurs examinent soigneusement la question des erreurs de décision. La recherche révèle qu’on pourrait réaliser des gains dans plusieurs domaines et que ces gains seraient différentiels, c’est-à-dire que les efforts déployés dans un domaine pourraient entraîner des gains dans plusieurs autres domaines. Si tel est le cas, alors il faudrait peut-être viser seulement des gains modestes à l’étape initiale; les chercheurs pourraient ainsi évaluer les répercussions des changements qu’on aura apportés aux méthodes, aux lignes directrices et aux points de démarcation dans le but d’améliorer les efforts de réinsertion. En même temps, cette approche conviendrait également à ceux qui estiment que la réinsertion n’est pas valable pour tous les délinquants (délinquants réfractaires ou présentant un risque élevé). Ce principe de la mise en liberté des délinquants ayant un potentiel de réinsertion élevé concorde avec les dispositions législatives récentes visant les délinquants à risque élevé.


1. 340, Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.

2. PORPORINO, F., National Overview. A Snapshot Profile of All Inmates On-register in Federal and Provincia and territorial Adult Correctional Facilities on Saturday, October 5(th), 1996, disponible en anglais seulement.

3. LUCIANI, F., MOTIUK, L. et NAFEKH, M., Examen opérationnel de la fiabilité, de la validité et de l’utilité pratique de l’échelle de classement par niveau de sécurité, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1996.

4. PORPORINO,National Overview.

5. MOTIUK, L. et BELCOURT, R., La participation au programme des permissions de sortir et la mise en liberté des délinquants sous responsabilité fédérale, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1996.

6. BROWN, S. et SERIN, R., A Consumer’s Guide to Risk Assessment: A Systematic Review. Sous presse, 1998.

7. LEIS, T., MOTIUK, L. et OGLOFF, J., Psychologie médico-légale : Politique et pratiques en milieu correctionnel. Service correctionnel du Canada, 1995.

8. LEIS, T., MOTIUK, L. et OGLOFF, J., Psychologie médico-légale : Politique et pratiques en milieu correctionnel. Service correctionnel du Canada, 1995.

9. SERIN, R. et KENNEDY, S., La disponibilité et la réceptivité face au traitement et leur contribution à l’efficacité des programmes correctionnels, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1997.

10. LEIS, MOTIUK, et OGLOFF, Psychologie médico-légale.