Facteurs qui contribuent à lefficacité du programme de développement des aptitudes cognitives
par David Robinson1
Recherche et développement correctionnels,
Service correctionnel du Canada
Le programme de développement des aptitudes cognitives est la composante de base des programmes dacquisition de compétences psychosociales qui ont été introduits par le Service correctionnel du Canada en 1988. Il sagit dune combinaison de plusieurs techniques de pointe qui visent à montrer aux délinquants à exercer un jugement critique leur permettant dadopter un style de vie exempt de crime.
Cet article résume une recherche qui a été effectuée récemment auprès de délinquants ayant été mis en liberté. Comme létude porte sur un échantillon assez grand de délinquants qui ont participé à des programmes, nous avons pu analyser lincidence de divers facteurs sur lefficacité de ce genre de programmes2. Les résultats de létude corroborent les conclusions dautres études sur les facteurs (y compris les caractéristiques des délinquants et les variables des programmes) qui contribuent à lefficacité des programmes.
Éléments fondamentaux du programme
Les animateurs qui dispensent le programme de développement des aptitudes cognitives doivent entreprendre un processus intensif de formation et daccréditation. Les participants sont également évalués et choisis avec soin; des méthodes fondées sur le modèle cognitivo-comportemental sont associées aux modes dapprentissage des délinquants.
Parmi les problèmes visés par le programme, mentionnons limpulsivité, labsence de perspective sociale, les aptitudes déficientes en matière de résolution de problèmes interpersonnels, linsuffisance de raisonnements concrets, des capacités de planification inadéquates et lincapacité de se fixer des objectifs3.
Méthode
Pour létude, on a eu recours à un groupe témoin composé de délinquants qui se trouvaient sur une liste dattente. Avant de pouvoir participer au programme, ces délinquants avaient subi une évaluation, puis ils avaient été placés au hasard sur la liste dattente. Léchantillon global comptait 2 125 délinquants, cest-à-dire 3794 pour le groupe témoin et 1 746 pour le groupe de participants au programme. Tous les délinquants de léchantillon ont fait lobjet dun suivi dau moins 12 mois après leur mise en liberté.
La plupart des variables démographiques (comme lâge et le statut autochtone) et des variables liées aux antécédents criminels (comme les admissions antérieures dans un établissement fédéral et le type dadmission) étaient comparables pour les deux groupes. Toutefois, le groupe témoin comptait un nombre inférieur de délinquants purgeant une peine demprisonnement à perpétuité et un taux supérieur de délinquants non violents ayant commis des infractions contre les biens et de délinquants purgeant une peine de courte durée. On a eu recours à des contrôles statistiques pour corriger les effets possibles de ces différences.
Réincarcération
Dans lensemble, 47,4 % des délinquants de léchantillon ont été réincarcérés dans un établissement fédéral au cours de lannée qui a suivi leur mise en liberté 21,9 % à la suite dune nouvelle infraction. Ce taux élevé de récidive illustre le risque relativement élevé que présentent les délinquants de léchantillon. Le programme de développement des aptitudes cognitives vise en général les délinquants qui présentent un risque élevé de récidive.
Graphique 1
En gros, 44,5 % des délinquants qui ont suivi le programme jusquà la fin ont été réincarcérés (graphique 1), comparativement à 50,1 % des délinquants du groupe témoin et à 58,2 % de ceux qui ont abandonné le programme (17,3 % de lensemble de léchantillon). La différence (p<0,05) entre les délinquants qui ont suivi le programme et ceux du groupe témoin représente une baisse de 11 % pour les délinquants qui ont terminé le programme.
La diminution du taux de réincarcération pour une nouvelle infraction est encore plus importante le taux de récidive a diminué de 20 % (p<0,03) chez les délinquants qui ont terminé le programme. Cependant, le programme ne semble pas avoir eu deffet significatif sur la réincarcération pour violation dune condition de la mise en liberté.
Toutefois, daprès les contrôles statistiques, les effets étaient moindres lorsquon prenait en considération les différences entre les variables liées aux antécédents criminels pour les deux groupes.
Ces chiffres révèlent également que le taux de récidive des délinquants qui ont abandonné le programme en cours de route était supérieur à celui des délinquants qui ont terminé le programme. Pourquoi? Peut-être les décrocheurs étaient-ils tout simplement des délinquants présentant un risque plus élevé. Environ les deux tiers de ces délinquants ont abandonné le programme par manque dintérêt ou parce quils avaient un comportement perturbateur. De plus, il se peut que les décrocheurs naient pas bénéficié pleinement du programme en raison de leur départ précoce.
Certains chercheurs pourraient soutenir quil faudrait évaluer lefficacité du programme en comparant directement le taux de récidive de lensemble des participants (y compris les décrocheurs) avec celui du groupe témoin. Les décrocheurs sont habituellement des délinquants qui présentent un risque plus élevé que les autres; par conséquent, leur élimination du groupe de participants pourrait diminuer le profil de risque de ce groupe et le rendre moins comparable au groupe témoin. Par ailleurs, dautres chercheurs pourraient soutenir que les décrocheurs ne devraient pas être inclus, étant donné que ceux-ci nont pas été pleinement exposés au programme et quils compromettent la validité interne de létude. On trouvera les deux méthodes de comparaison dans le rapport complet de cette étude. Il est vrai quen incluant les décrocheurs, les effets du programme sont dilués. Cependant, les tendances de base demeurent les mêmes.
Niveau de risque des délinquants
Même si le programme semble avoir eu un effet modéré sur le taux de récidive, il sest avéré plus efficace à légard de certains types de délinquants, mais na eu aucun effet appréciable sur dautres. À titre dexemple, les délinquants étaient divisés en deux groupes : à faible risque et à risque élevé5. Ces derniers semblent avoir peu bénéficié du programme. En revanche, chez les délinquants à faible risque, le taux de réincarcération a diminué de 20 % (p<0,04) et le taux de récidive, de 34,2 % (p<0,03). Ces données concordent avec celles dautres études révélant que les programmes sont les plus efficaces pour les délinquants à risque moyen et élevé, mais pas nécessairement pour ceux qui présentent le risque le plus élevé de récidive6.
Caractéristiques du programme
Les effets du programme semblent également avoir été différents selon quil était dispensé en établissement ou dans la collectivité. Le taux de réincarcération des délinquants ayant suivi le programme dans la collectivité a diminué de 39,1 % (p<0,001) et le taux de récidive, de 66,3 % (p<0,001). En revanche, la baisse des taux de réincarcération et de récidive chez les délinquants qui ont suivi le programme en établissement na été que de 8 et de 16,2 % respectivement (graphique 2)7. Cette disparité concorde avec les conclusions dautres études8.
Même si le taux dabandon des programmes dispensés dans la collectivité était élevé (55 décrocheurs sur un total de 186 participants), les effets du programme se sont avérés bénéfiques même lorsquon a regroupé les décrocheurs avec ceux qui ont terminé le programme (p<0,02; p<0,001). En outre, les programmes dispensés dans la collectivité semblent diminuer la récidive même chez les délinquants présentant le risque le plus élevé.
Types dinfractions
Le taux de récidive des délinquants violents, des délinquants sexuels et des délinquants ayant commis une infraction en matière de drogue qui ont terminé le programme était inférieur à celui des délinquants du groupe témoin (graphique 3). Toutefois, dans le cas des délinquants condamnés pour vol qualifié et des délinquants non violents ayant commis une infraction contre les biens (ces délinquants avaient tendance à présenter un taux de risque très élevé), le fait davoir terminé le programme na produit aucun effet statistiquement significatif.
Graphique 2
La diminution du taux dincarcération chez les délinquants sexuels, les délinquants violents et les délinquants ayant commis une infraction en matière de drogue se situait entre 18,5 et 39,4 % (p<0,02; p<0,006), tandis que la baisse du taux de récidive se situait entre 35,3 et 57,8 % (p<0,03; p<0,001). Les délinquants sexuels semblaient avoir tiré les plus grands bienfaits du programme; mentionnons cependant quenviron 30 % de ce groupe avaient reçu un traitement destiné aux délinquants sexuels avant de participer au programme de développement des aptitudes cognitives.
Analyse
Des études menées antérieurement sur les effets des programmes sur la récidive ont conclu à une réduction moyenne denviron 10 % du taux de récidive9. Cependant, il ny a pas eu beaucoup de recherches sur les effets des programmes sur les délinquants qui présentent un risque élevé comme ceux que lon trouve dans léchantillon de la présente étude. Même si le programme de développement des aptitudes cognitives na pas diminué le taux de récidive de tous les sujets de léchantillon, la baisse de ce taux chez certains groupes de délinquants a dépassé la moyenne des effets habituels des programmes. Létude actuelle fournit des évidences optimistes quant à leffet du programme auprès des délinquants présentant un risque élevé.
Graphique 3
Les résultats de létude donnent aussi à penser quil faudrait se pencher davantage sur les questions liées à la sélection des participants et à laffectation aux programmes. Il est évident que le système dexécution des programmes doit être adapté aux besoins des délinquants présentant le risque le plus élevé. À titre dexemple, on pourrait tirer parti du fait que le programme dispensé dans la collectivité peut avoir des effets plus grands. Il est peut-être préférable doffrir le programme aux délinquants présentant le risque le plus élevé durant leur incarcération, question de susciter la motivation nécessaire. Toutefois, ce programme initial pourrait être suivi dune formation supplémentaire après la mise en liberté.
La région du Pacifique a conçu un programme de développement des aptitudes cognitives « dappoint » afin de répondre aux besoins des délinquants qui devraient poursuivre le programme après leur mise en liberté. On pourrait inciter les délinquants à risque élevé à poursuivre le programme en en faisant une condition de la libération conditionnelle. Toutefois, comme les délinquants sont plus susceptibles de suivre des programmes pendant quils sont incarcérés (en raison de leur désir dobtenir la libération conditionnelle), les établissements correctionnels devraient demeurer lendroit qui permet le contact initial avec le programme.
Les recherches ultérieures mettront sans doute en lumière dautres facteurs qui augmentent lefficacité des programmes. Une série de projets visant à évaluer dautres composantes du programme dacquisition de compétences psychosociales du Service sont actuellement en cours. Parmi ces projets, mentionnons les recherches sur les programmes (comme les programmes de compétences parentales et de maîtrise de la colère et des émotions) qui sont fondés sur le modèle cognitif pour la réadaptation des délinquants.
1. 340, avenue Laurier ouest, 2(e) étage, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.
2. ROBINSON, D.,Lincidence du Programme de développement des aptitudes cognitives sur la récidive après la mise en liberté chez les délinquants sous responsabilité fédérale au Canada, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1995.
3. PORPORINO, F.J., FABIANO, E. et ROBINSON, D., Pour que la réinsertion sociale soit un succès, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1991.
4. Pour éviter de refuser laccès au programme aux délinquants admissibles, on a donné la possibilité à tous les délinquants affectés au hasard au groupe témoin de participer au programme à une période ultérieure. On les a admis en priorité dans le programme sils étaient toujours disponibles lorsque le programme a été offert de nouveau. Par conséquent, le nombre de délinquants formant le groupe témoin a diminué denviron 25 % avec le temps. Toutefois, aucun des 379 délinquants na suivi le programme avant sa mise en liberté.
5. Il serait mieux de considérer le groupe de délinquants à faible risque comme étant à risque moyen, étant donné le risque élevé que présentent les délinquants sous responsabilité fédérale qui ont des problèmes cognitifs graves. Pour déterminer le risque, on a eu recours à une échelle semblable à lÉchelle dinformation statistique sur la récidive. Voir NUFFIELD, J., La libération conditionnelle au Canada : recherches en vue dune normalisation des décisions, Ottawa, Solliciteur général du Canada, 1982.
6. ANDREWS, D.A., BONTA, J. et HOGE, R.D., «Classification for effective rehabilitation: Rediscovering psychology», Criminal Justice and Behaviour, n(o) 17, 1990, p. 19-52.
7. Étant donné quon na pu créer un groupe témoin (liste dattente) assez important pour les programmes dispensés dans la collectivité, on a utilisé le groupe témoin établi pour létude aux fins de la comparaison. Même si les participants aux programmes dispensés dans la collectivité et en établissement étaient semblables à bien des égards, on a eu recours à des contrôles statistiques pour rendre plus semblables le groupe des participants au programme dans la collectivité et le groupe témoin. Des effets statistiquement significatifs ont néanmoins persisté.
8. ANDREWS, D.A., ZINGER, I., HOGE, R.D., BONTA, J., GENDREAU, P. et CULLEN, F.T., «Does correctional treatment work? A clinically relevant and psychologically informed meta-analysis», Criminology, n(o) 28, 1990, p. 369-404. Voir aussi IZZO, R.L. et ROSS, R.R., «Meta-analysis of rehabilitation programs for juvenile delinquents: A brief report»,Criminal Justice and Behaviour, n(o) 17, 1990, p. 134-142. Voir LOSEL, F., «The efficacy of correctional treatment: A review and synthesis of meta-evaluations», What Works: Reducing Reoffending, J. McGuire, dir., Chichester, John Wiley & Sons, 1995, p. 79-111.
9. LIPSEY, M.W., «What do we learn from 400 research studies on the effectiveness of treatment with juvenile delinquent?», What Works: Reducing Reoffending, J. McGuire, dir., Chichester, John Wiley & Sons, 1995, p. 63-78.