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Application de l'Échelle d'intervention communautaire aux délinquantes :constatations préliminaires


Craig Dowden, Ralph Serin, Kelley Blanchette

Direction de la recherche
Service correctionnel du Canada

Janvier 2001


RÉSUMÉ

La bonne gestion des délinquants en liberté sous condition est l'une des clés de la réussite de leur réinsertion sociale. Par conséquent, l'une des principales tâches des agents de probation et de libération conditionnelle est de constamment évaluer les besoins des délinquants. L'Échelle d'intervention communautaire (EIC) et l'instrument qui l'a précédée, l'Échelle d'évaluation du risque et des besoins dans la collectivité (ERBC), sont les moyens dont le Service correctionnel du Canada (SCC) se sert pour mesurer le risque et les besoins afin de répartir les ressources, pour ce qui est de la fréquence des contacts avec les délinquants sous surveillance dans la collectivité. Les recherches menées jusqu'ici n'ont toutefois pas démontré l'utilité de l'EIC dans le cas des délinquantes.

L'objet de la présente enquête a donc été de vérifier l'utilité de l'EIC en étudiant un important échantillon de délinquantes purgeant une peine fédérale (N = 725) qui bénéficiaient d'une forme quelconque de liberté sous condition. L'échantillon était composé principalement de délinquantes de race blanche à faible risque.

Cependant, comme le but premier du rapport était de voir quels étaient les besoins des délinquantes, la majorité des analyses ont porté sur cet aspect.

Les données ont montré que la vaste majorité des délinquantes éprouvent des problèmes dans chacune des catégories de besoins à l'exception de celle de l'attitude. En outre, plus le séjour dans la collectivité se prolonge, plus la proportion des délinquantes qui ont des problèmes dans ces catégories diminue. Néanmoins, la proportion des femmes qui avaient des problèmes concernant l'attitude et l'orientation personnelle et affective est restée relativement stable pendant toute la période de suivi.

L'emploi a semblé présenter des difficultés particulières pour cet échantillon de délinquantes. Fait notable, la proportion de celles qui ont eu des problèmes de toxicomanie a été très faible, si on la compare à celle observée dans d'autres catégories de besoins, ce qui est étonnant, car de nombreux chercheurs ont avancé l'idée que la toxicomanie était l'une des principales catégories de besoins pour les délinquantes.

La dernière série d'analyses visait à voir si les délinquantes qui avaient des problèmes dans une catégorie de besoins particulière présentaient des probabilités notablement accrues de récidiver par rapport à celles qui n'avaient pas ces problèmes. Chose curieuse, chacune des catégories de l'EIC, sauf celle des relations conjugales et familiales, étaient liées de façon significative au résultat postlibératoire. En outre, quatre des catégories (fréquentations, comportement dans la collectivité, orientation personnelle et affective, et toxicomanie) étaient en corrélation positive avec la récidive accompagnée de violence. Les délinquantes dont les besoins s'aggravaient pendant la surveillance dans la collectivité risquaient davantage de récidiver que celle dont les problèmes restaient constants ou s'atténuaient. Cette dernière constatation met en évidence l'apport important d'une évaluation dynamique et répétée des besoins à la gestion des délinquantes en liberté sous condition.

Les résultats de la recherche présentés ici donnent un survol relativement complet de l'évaluation des besoins des délinquantes dans la collectivité et de son rapport à la récidive.

TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES TABLEAUX

INTRODUCTION

L'évaluation des risques et des besoins des délinquants est de la plus haute importance dans l'élaboration d'un bon plan de réinsertion sociale. Il est tout aussi important de déceler les changements qui se produisent dans les diverses catégories des besoins pour garantir que les interventions sont adaptées à la situation. Tout comme l'instrument précédent, l'Échelle d'évaluation du risque et des besoins dans la collectivité (ERBC), l'Échelle d'intervention communautaire (EIC) est le moyen d'évaluation du risque et des besoins dont le Service correctionnel du Canada (SCC) se sert à cette fin. Elle fournit une méthodologie d'évaluation complète et systématique pour évaluer de façon suivie le niveau changeant des besoins des délinquants qui sont sous surveillance dans la collectivité.

L'EIC est un instrument d'évaluation validé empiriquement et fondé sur des assises théoriques qui est surtout axé sur les facteurs criminogènes des délinquants. Par définition, il s'agit des facteurs de risque dynamiques qui, quand ils sont présents, sont associés à un niveau plus élevé d'activité criminelle (Andrews et Bonta, 1998)1.

Les facteurs non criminogènes sont également dynamiques, mais les changements dans ces domaines ne sont pas liés à la récidive.

L'EIC est appliquée aux délinquants environ tous les six mois pendant toute leur période de liberté sous condition. L'EIC distingue 12 catégories de besoins : formation scolaire et professionnelle, emploi, gestion du budget, relations conjugales/familiales, fréquentations/interactions sociales, logement, comportement et vie affective, consommation d'alcool, consommation de drogue, aptitudes mentales, santé et attitude générale. Cependant, des catégories semblables, parmi ces 12, sont couramment regroupées en 7 principales catégories de besoins : fréquentations, attitudes, comportement dans la collectivité, emploi, relations conjugales/familiales, orientation personnelle et affective et toxicomanie.

Deux études distinctes ont porté sur l'utilité de ces catégories de besoins pour gérer les délinquants sous responsabilité fédérale qui sont en liberté sous condition. Motiuk et Porporino (1989) ont signalé que, dans des essais sur le terrain de l'ERBC, 10 des 12 catégories (à l'exception des aptitudes mentales et de la santé) étaient en corrélation significative avec la suspension de la liberté sous condition sur une période de six mois. Ces résultats ont été confirmés pour l'essentiel par une étude de plus grande ampleur (Motiuk, 1996) : chacune des catégories de besoins, à l'exception de la santé, était en corrélation significative avec les résultats postlibératoires. Ces études ont donné de solides preuves que les problèmes dans ces domaines étaient liés aux résultats postlibératoires. Le corollaire, c'est qu'il semble qu'une meilleure connaissance de ces facteurs devrait améliorer notre capacité de gérer les délinquants dans la collectivité.

Bien que des études antérieures aient confirmé l'importance de ces besoins pour la prédiction de la récidive, les méta-analyses sont devenues une méthode statistique de plus en plus prisée pour examiner les prédicteurs les plus sûrs de la récidive. Une méta-analyse est le regroupement statistique des résultats d'un ensemble d'études pour dégager une conclusion globale. L'avantage des techniques de méta-analyse par rapport aux recensions classiques des écrits est que les conclusions sont obtenues au moyen d'analyses statistiques quantitatives et non d'interprétations subjectives. Les données méta-analytiques recueillies jusqu'à maintenant ont montré que la majorité des domaines évalués au moyen de l'EIC sont des prédicteurs de la récidive allant de moyens à très sûrs (Brown, 1998).

Malgré cette uniformité, même pour les hommes et les femmes, il peut exister des différences entre les besoins de chacun. Plus particulièrement, des facteurs comme le soin des enfants et la grossesse, et les agressions physiques ou sexuelles ont été remarqués (Koons et al., 1997). On a aussi insisté sur l'importance de s'occuper des besoins particuliers des délinquantes et la nécessité d'évaluations et de programmes distincts pour les deux sexes (Blanchette, 1997; Chesney-Lind, 1998; Covington, 1998; Koons et al., 1997). Malgré cet appel à des traitements et à des évaluations propres à chacun des deux sexes, il reste encore à étudier l'application aux délinquantes des principes d'une pratique correctionnelle efficace (p. ex., risque, besoins, réponse) exposés dans l'ensemble des écrits sur les traitements correctionnels (Koons et al., 1997).

Certains faits donnent à penser qu'il existe un certain recoupement entre les formules «qui marchent» chez les délinquants et chez les délinquantes. Une étude réalisée par Coulson, Ilacqua, Nutbrown, Giulekas et Cudjoe (1996) a montré des degrés de risque plus élevés dans l'Inventaire du niveau de service (INS) 1 Des constatations semblables ont été faites dans les textes sur le traitement correctionnel des délinquantes. Dowden et Andrews (1999), en faisant la première méta-analyse des écrits sur le traitement correctionnel des délinquantes, ont fait état de conclusions comparables à celles des textes sur le traitement correctionnel en général. Leurs résultats montrent que les principes d'un traitement correctionnel efficace étaient suffisamment solides pour influer sur les résultats, que l'échantillon soit composé d'hommes ou de femmes. Les auteurs ont néanmoins insisté sur l'importance de la différence homme-femme comme facteur de réceptivité spécifique, signalant qu'il n'y a dans les écrits à peu près aucune recherche sur des traitements particuliers pour les deux sexes.

Dans une optique générale, cette revue porte à conclure qu'il n'est pas impossible d'utiliser avec les délinquantes les outils d'évaluation conçus pour les hommes, tout en étant conscient des limites éventuelles. La présente étude porte sur l'applicabilité de l'EIC aux délinquantes sous responsabilité fédérale qui sont sous surveillance dans la collectivité.


1 Andrews et Bonta (1995) étaient associés à une récidive accrue. Cependant, Coulson et al. (1996) ont signalé qu'il fallait définir de nouvelles catégories de risque, parce que le score moyen pour les délinquantes dans l'INS était inférieur à ceux signalés antérieurement pour les délinquants. Bien que cette étude confirme l'applicabilité aux délinquantes des échelles normalisées d'évaluation des risques, les normes variaient selon les sexes.

MÉTHODOLOGIE

Échantillon

L'échantillon utilisé dans l'étude a été extrait le 1er mai 1999 du Système de gestion des détenus du Service correctionnel du Canada, base de données informatisée.

Toutes les participantes étaient des délinquantes sous responsabilité fédérale qui :

  • avaient été admises dans un établissement fédéral et avaient fait l'objet d'une évaluation initiale complète visant à définir le risque et les besoins;
  • se trouvaient en liberté dans la collectivité au moment de l'extraction de l'échantillon;
  • avaient des dossiers au Centre d'information de la police canadienne (qui note les antécédents criminels officiels);
  • avaient été soumises aux tests de l'EIC au moins une fois pendant leur période de liberté sous condition.

Méthodes

Les douze catégories de besoins de l'EIC ont été remaniées pour en faire sept qui correspondent à ceux de l'Instrument de définition et d'analyse des facteurs dynamiques (IDAFD), instrument d'évaluation du risque et des besoins utilisé avec tous les détenus sous responsabilité fédérale à leur arrivée en établissement.

Comme la SGRBC qui l'a précédée, l'EIC donne une note générale pour chaque domaine sur une échelle de quatre points. L'échelle va de «élément de succès en vue de la réinsertion sociale» (ne s'applique pas aux catégories orientation personnelle et affective et toxicomanie) jusqu'à «besoin considérable d'amélioration». Les deux échelons intermédiaires sont «aucun besoin d'amélioration» et «un certain besoin d'amélioration».

Dans cette étude, l'échelle a été réduite, et les évaluations ont été divisées en deux pour indiquer la présence ou l'absence d'un besoin particulier. Les réponses «élément de succès en vue de la réinsertion sociale» et «aucun besoin d'amélioration» ont été regroupées pour indiquer l'absence d'un besoin particulier.

Les réponses signalant un «certain besoin» ou un «besoin considérable d'amélioration» ont indiqué la présence d'un besoin dans la catégorie.

Analyses

Les premières analyses ont porté sur les caractéristiques démographiques de l'ensemble de l'échantillon; les facteurs étudiés étant l'âge, l'origine ethnique, l'état civil et le niveau global de risque à l'admission. Ces facteurs donnent un aperçu relativement complet des délinquantes actuellement sous surveillance dans la collectivité au Canada.

Les analyses suivantes étaient consacrées aux catégories de besoins des délinquantes de l'échantillon sur une période prolongée de surveillance dans la collectivité. Quatre périodes ont été retenues dans l'échantillon (moins de 6 mois, de 6 à 12 mois, de 12 à 24 mois et plus de 24 mois). L'hypothèse de base était que plus la période passée dans la collectivité était longue, plus la proportion des délinquantes éprouvant des problèmes dans une catégorie particulière de besoins diminuerait. Cette tendance avait été observée dans des recherches antérieures portant sur les changements dans les besoins des délinquants pendant la période de surveillance dans la collectivité (Motiuk, 1997).

Enfin, une corrélation a été établie entre chacune des catégories de besoins et la récidive de façon à en établir l'utilité comme moyen de prédiction. En d'autres termes, les délinquantes ayant des besoins plus considérables dans ces catégories ont-elles un taux de récidive plus élevé que celles qui n'ont pas ces besoins?

RÉSULTATS

Renseignements démographiques

L'échantillon définitif comprenait 633 délinquantes qui bénéficiaient d'une forme quelconque de liberté sous condition et avaient été évaluées au moins une fois au moyen de l'Échelle d'intervention communautaire (ou de l'ERBC, qui l'a précédée).

Les délinquantes étaient âgées de 21 à 78 ans (âge moyen = 38,0 ans). Le Tableau 1 donne d'autres renseignements démographiques sur l'échantillon de délinquantes.

Tableau 1 Caractéristiques démographiques de l'échantillon
Facteur Fréquence
(n = 633)
Race
Blanche 381 (60,2 %)
Noire 59 (9,3 %)
Autochtone 113 (17,9 %)
Autre ou inconnue 80 (12,6 %)
État civil
Mariée/en union de fait 208 (32,9 %)
Divorcée/séparée 110 (17,4 %)
Célibataire 270 (42,7 %)
Veuve 15 (2,4 %)
État civil inconnu 30 (4,7 %)

Les niveaux de risque attribués à l'admission aux délinquantes de l'échantillon sont présentés au Tableau 2. Fait qui n'est guère étonnant, la vaste majorité des délinquantes (68 %) qui se trouvaient dans la collectivité étaient considérées comme à faible risque à l'admission. Cela découle du principe du risque dans le classement des cas (Andrews et Bonta, 1998), selon lequel les cas à faible risque doivent recevoir une intervention minimale et être placés sous surveillance dans la collectivité. Il s'agit là d'une stratégie éclairée de gestion des délinquants qui a été étayée par des recherches antérieures, tant primaires que méta-analytiques (Andrews, Dowden et Gendreau, en révision; Lipsey, 1995).

Tableau 2 Répartition du niveau de risque dans l'échantillon ( n = 633)
Facteur Fréquence
(n = 633)
Niveau de risque
Faible 431 (68,1 %)
Modéré 90 (14,2 %)
Élevé 112 (17,7 %)

Catégories de besoins de l'Échelle d'intervention communautaire

Catégories de besoins de l'Échelle d'intervention communautaire Chaque délinquante sous surveillance dans la collectivité est évaluée au moyen de l'Échelle d'intervention communautaire environ tous les six mois pendant la durée de sa liberté sous condition. Par ces évaluations périodiques, on tente d'observer les changements dans l'importance des besoins de la délinquante pour lui assurer le degré de surveillance voulu. Cette approche dynamique de l'évaluation du risque donne le maximum de souplesse pour gérer correctement la délinquante qui est sous surveillance.

Il est évident que les besoins des délinquantes changent pendant la période de leur liberté sous condition. Prenons l'exemple de la catégorie de besoins des fréquentations antisociales. Il est possible que, pendant la liberté sous condition, ce facteur devienne moins préoccupant, mais que des inquiétudes surgissent au sujet de la toxicomanie (ou l'inverse). Si les interventions communautaires prévues se fondent uniquement sur l'évaluation initiale par l'EIC, elles ne viseraient pas les facteurs criminogènes les plus importants et présents à l'heure actuelle. Grâce à un contrôle suivi de l'évolution des besoins, les agents de libération conditionnelle peuvent intervenir de façon opportune auprès des délinquantes. Par conséquent, ces stratégies de gestion dynamique des cas devraient donner aux délinquantes les meilleures chances de réussir la mise en liberté.

Changements dans les facteurs criminogènes d'une évaluation à l'autre

La section suivante présente le nombre de délinquantes qui ont éprouvé un problème dans chacune des catégories de besoins pendant les quatre périodes définies plus haut. Le Tableau 3 indique les proportions des délinquantes qui ont eu un problème dans chaque catégorie de besoins au fil du temps. Il faut signaler qu'une délinquante peut être présente dans plus d'une période. Par exemple, les délinquantes qui ont été sous surveillance dans la collectivité pendant 24 mois ou plus sont présentes dans les analyses de chacune des quatre périodes.

Tableau 3 Proportion des délinquantes qui ont éprouvé des problèmes dans chaque catégorie de besoins dans les différentes périodes
Problème dans la catégorie Période 1 Période 2 Période 3 Période 4
Fréquentations
Oui 48,4 % (263) 41,2 % (100) 31,6 % (99) 24,0 % (37)
Non 51,6 % (280) 58,8 % (143) 68,4 % (214) 76,0 % (117)
Attitudes
Oui 7,7 % (42) 5,8 % (14) 8,3 % (26) 9,7 % (15)
Non 92,3 % (501) 94,2 % (229) 91,7 % (287) 90,3 % (139)
Comportement dans la collectivité
Oui 62,4 % (339) 53,5 % (130) 51,1 % (160) 43,5 % (67)
Non 37,6 % (204) 46,5 % (113) 48,9 % (153) 56,5 % (87)
Emploi
Oui 73,7 % (400) 65,0 % (158) 53,4 % (167) 52,6 % (81)
Non 26,3 % (143) 35,0 % (85) 46,6 % (146) 47,4 % (73)
Relations conjugales/familiales
Oui 53,4 % (290 48,6 % (118 43,5 % (136 33,8 % (52
Non 46,6 % (253 51,4 % (125 56,5 % (177 66,2 % (102
Orientation personnelle affective
Oui 69,4 % (377 66,3 % (161 59,1 % (185 62,3 % (96
Non 30,6 % (166 33,7 % (82 40,9 % (128 37,7 % (58
Toxicomanie
Oui 30,2 % (164 22,6 % (55 14,7 % (46 16,2 % (25
Non 69,8 % (379 77,4 % (188 85,3 % (267 83,8 % (129

L'examen du Tableau 3 révèle que les délinquantes éprouvaient des problèmes dans bien des catégories de besoins pendant leur période de surveillance dans la collectivité (sauf dans celle des attitudes). De plus, dans la plupart des cas, la proportion de celles qui éprouvaient ces problèmes diminuait avec le temps. Cela tombe sous le sens, puisque celles dont les besoins s'accroissent risquent davantage d'avoir leur libération révoquée ou d'être réincarcérées pour d'autres raisons.

Au départ, les délinquantes avaient le plus de problèmes dans le domaine de l'emploi pendant la période d'étude de six mois. Blanchette et Dowden (1998) ont fait état de constatations semblables dans leur étude d'un échantillon plus faible de délinquantes purgeant une peine fédérale dans la collectivité (n = 297). Dans la présente étude, on a observé une diminution claire et constante dans le temps, et seulement 53 % des délinquantes estimaient avoir des problèmes de cet ordre après 24 mois passés dans la collectivité, soit une baisse de 20 %.

La majorité des femmes (62,3 %) qui étaient sous surveillance dans la collectivité pendant la période de l'étude éprouvaient des problèmes d'ordre personnel ou affectif. Fait plus important, la proportion des délinquantes ayant ces problèmes n'a pas diminué de façon appréciable dans les différentes périodes d'évaluation. Il est clair que le temps passé dans la collectivité n'atténue pas ces problèmes.

Une autre constatation mérite d'être soulignée. On a prétendu que l'un des principaux facteurs criminogènes chez les délinquantes est la toxicomanie (Bloom et Covington, 1998; Dixon, 1998; Koons et al., 1997; Peugh et Belenko, 1999; Prendergast, Wellisch et Wong, 1996). Fait étonnant, on a cependant constaté que relativement peu de femmes de ce grand échantillon avaient des problèmes de cette nature. C'est d'autant plus frappant si on fait une comparaison avec les autres catégories de besoins et si on examine les cas des femmes qui sont dans la collectivité depuis deux ans ou plus.

Il est clair que les délinquantes purgeant une peine fédérale ont des problèmes relevant de plusieurs catégories de besoins quand elles sont sous surveillance dans la collectivité, mais ces problèmes diminuent avec le temps chez celles qui restent dans la collectivité pendant une période prolongée. Par conséquent, des analyses ont été faites pour voir si les délinquantes qui avaient des problèmes dans chacune des catégories risquaient plus que les autres de récidiver.

Évaluation des besoins et récidive

Il s'agit ici de voir l'utilité des évaluations des besoins selon l'EIC pour prédire les résultats postlibératoires. La relation entre l'évaluation finale des besoins reçue par chaque délinquante et le résultat postlibératoire a été examinée au moyen de l'analyse du khi-deux. L'évaluation finale des besoins a été définie concrètement comme l'évaluation reçue avant la révocation (si la liberté de la délinquante a été révoquée) ou la plus récente évaluation reçue avant la fin de l'étude. Nous avons cru que cette définition donnait l'appréciation la plus exacte, puisqu'elle correspond à l'indice le plus proche de la situation de la délinquante.

Fait intéressant, les résultats ont révélé que le fait d'avoir un problème dans chacune des catégories de besoins (sauf dans celle des relations conjugales et familiales) était associé à des taux notablement plus élevés de réincarcération pour une raison ou l'autre. En outre, les délinquantes qui avaient des problèmes concernant leurs fréquentations, l'adaptation à la collectivité, la toxicomanie ou encore l'orientation personnelle et affective risquaient beaucoup plus que les autres de retourner en prison pour avoir commis un délit avec violence pendant leur liberté sous condition.

Tableau 4 Taux de récidive dans chacune des catégories de besoins de l'EIC
Problème dans la
catégorie
% de récidive
en général
% de récidive
avec violence
Fréquentations
Oui 19,1 %** 11,1 %***
Non 10,8 % 3,8 %
Attitudes
Oui 32,8 %*** 12,5 %
Non 12,1 % 6,2 %
Comportement dans la collectivité
Oui 18,6 %*** 9,0 %*
Non 9,3 % 4,3 %
Emploi
Oui 17,8 %*** 8,0 %
Non 8,6 % 4,9 %
Relations conjugales/familiales
Oui 15,8 % 8,1 %
Non 12,9 % 5,8 %
Orientation personnelle/affective
Oui 18,3 %*** 9,0 %**
Non 7,2 % 3,0 %
Toxicomanie
Oui 22,4 %*** 11,2 %**
Non 11,2 % 5,2 %

*p<0,05; **p<0,01; ***p<0,001

Changement maximal des besoins et récidive

La corrélation entre l'évaluation la plus récente des besoins et la récidive livrait des renseignements intéressants pour la gestion du risque des délinquantes dans la collectivité, mais cette approche ne tirait pas le profit maximal des données disponibles. Plus précisément, la nature dynamique des données nous permettait de voir si les changements dans ces catégories de besoins étaient liés à la récidive. Nous avons donc fait d'autres analyses pour voir si l'évaluation de changement maximal reçue par la délinquante pouvait prédire sérieusement les résultats postlibératoires.

La première étape consistait à attribuer une valeur numérique à chacune des évaluations des besoins reçues par chacune des délinquantes. Les valeurs suivantes ont été attribuées :

0 = Élément de succès en vue de la réinsertion sociale
1 = Aucun besoin d'amélioration
2 = Un certain besoin d'amélioration
3 = Besoin considérable d'amélioration

Pour chacune des délinquantes de l'échantillon, une note évaluant le changement a été calculée à partir des différences entre les évaluations des besoins reçues dans deux périodes consécutives dans chaque catégorie de besoins (période 2 par rapport à la période 1, période 3 par rapport à la période 2, etc.). Par conséquent, un changement de valeur positif traduisait une aggravation des problèmes d'une catégorie donnée, tandis qu'un zéro indiquait la stabilité et une valeur négative une amélioration. Une fois ces calculs effectués, la valeur de changement maximal a été établie. Le changement maximal a été défini concrètement comme le changement le plus considérable traduisant une aggravation du problème dans une catégorie donnée (c'est-à-dire la valeur de changement positif la plus élevée).

Une corrélation a ensuite été établie entre les valeurs de changement maximal et la récidive, ce qui a permis de voir si les délinquantes dont les problèmes se sont aggravés pendant leur période de liberté sous surveillance étaient plus susceptibles de récidiver.

La distribution des scores de changement maximal des délinquantes de l'échantillon allait de 0 à 2 : «aucun changement», «changement modéré» et «changement important». Le score de changement maximal avait, ce n'est guère étonnant, un impact important sur les résultats postlibératoires (c²(2) = 10,01, p<0,01), les scores élevés étant associés à de hauts niveaux de récidive.

Plus précisément, les personnes dont les évaluations des besoins n'avaient pas changé ont connu le taux de récidive le plus faible (5,1 %), suivies de celles qui ont eu des changements modérés (11,2 %) ou importants (19,7 %). Les différences étaient statistiquement significatives (c²= 9,25, p<0,005). La même tendance était observée pour la récidive avec violence.

ANALYSE

L'étude a exploré les caractéristiques des besoins des délinquantes purgeant une peine fédérale. Le fait que la majorité des délinquantes qui étaient sous surveillance communautaire soient des cas à faible risque montre que le Service applique une pratique correctionnelle efficace. Cela découle du principe de classement des cas fondé sur le plan théorique et validé par la pratique, selon lequel les cas à faible risque doivent recevoir les niveaux les plus faibles de service et de surveillance (Andrews et Bonta, 1998).

Comme l'objet principal de l'étude était d'examiner l'évolution des besoins des délinquantes pendant qu'elles se trouvent dans la collectivité, plusieurs analyses ont été faites dans ce domaine. Les résultats ont révélé que les délinquantes éprouvaient des problèmes dans un certain nombre de catégories de besoins pendant leur période de liberté conditionnelle et que, généralement, ces problèmes se dissipaient avec le temps. Comme on l'a déjà dit, cette constatation correspond passablement bien à ce qu'on pense intuitivement, et des recherches antérieures (Motiuk, 1997) ont aussi commenté cette tendance.

Les catégories de besoins de l'EIC ont aussi d'importantes conséquences sur le plan des risques que les délinquantes présentent. La vaste majorité de ces catégories évaluées par l'EIC ont également été liées aux résultats postlibératoires et trois d'entre elles (fréquentations, orientation personnelle et affective et toxicomanie) étaient reliées à la récidive accompagnée de violence. Cela montre que la connaissance des besoins des délinquants est d'une importance cruciale pour la gestion efficace des délinquants dans la collectivité.

Autre constatation intéressante, la proportion des délinquantes qui avaient des problèmes de consommation de drogues ou d'alcool était très faible, comparée à d'autres catégories de besoins. Cette observation confirme les recherches menées par Blanchette et Dowden (1998), qui ont signalé que les délinquantes purgeant une peine fédérale sous surveillance dans la collectivité n'avaient pas autant de problèmes de consommation de drogues et d'alcool que de problèmes d'emploi ou de problèmes personnels et affectifs.

Le lien solide qui existe entre les besoins des délinquantes et les résultats postlibératoires soulève une question extrêmement importante de gestion des délinquants : la bonne répartition des ressources correctionnelles dans la collectivité. Plus expressément, quelle stratégie faudrait-il appliquer pour répartir les ressources disponibles? Un exemple permettrait peut-être de mieux illustrer ce point. La présente étude a montré que, même si une forte proportion des délinquantes avaient des problèmes conjugaux et familiaux pendant leur période de surveillance communautaire, ces problèmes n'aggravaient pas leur risque de récidive. Par contre, fort peu de femmes avaient des problèmes sur le plan des attitudes, mais ces problèmes étaient fortement liés à l'échec après la libération. Le dilemme consiste donc à voir si les ressources devraient être réparties en fonction des besoins ou du risque de récidive. On peut présumer que de prévoir des interventions correctionnelles pour le nombre relativement faible de délinquantes aux prises avec des problèmes d'attitude devrait être une solution plus rentable. Il se peut que le modèle hiérarchique de répartition des ressources soit préféré parce qu'il tient compte à la fois des besoins et du risque. De toute évidence, il faut pousser les recherches, mais ce sont là des facteurs importants à prendre en compte en formulant les politiques.

Enfin, les scores de changement maximal ont été très utiles à la prédiction de la récidive. En conséquence, cette étude montre l'intérêt de l'évaluation dynamique des besoins, étant donné qu'une aggravation des besoins des délinquantes était liée à la reprise subséquente des activités criminelles. Ces types d'analyses ont été recommandés pour améliorer la qualité des écrits sur le traitement correctionnel (Andrews, Zinger, Hoge, Bonta, Gendreau et Cullen, 1990). Ce n'est que lorsque les catégories de besoins seront directement liées aux résultats postlibératoires que nous pourrons passer à la génération suivante de l'évaluation du risque.

ORIENTATIONS DES RECHERCHES À VENIR

L'étude a livré un aperçu préliminaire des caractéristiques des délinquantes purgeant une peine fédérale dans la collectivité et de la façon dont l'évaluation appropriée et uniformisée des besoins est liée aux résultats postlibératoires. Si, de façon préliminaire, l'étude a tenu compte de l'évolution des besoins, il y a d'autres questions de recherche auxquelles il faudra s'attaquer à l'avenir.

Les recherches qui suivront doivent établir une différenciation claire de l'ampleur des changements dans les niveaux des besoins. Par exemple, un délinquant qui passe de «aucun besoin d'amélioration» à «besoin considérable d'amélioration» doit être noté différemment du délinquant qui passe de «un certain besoin d'amélioration» à «besoin considérable d'amélioration». Cette différence dans la gravité des besoins pourrait être fort importante et donner de nouveaux aperçus de la relation entre les besoins et la récidive.

Autre point également important, il faudrait distinguer entre les délinquants qui n'ont aucun problème sur un certain plan (p. ex., élément de succès en vue de la réinsertion sociale ou aucun besoin d'amélioration) et commencent à en avoir, et ceux chez qui un problème existant s'aggrave. Il faut établir des liens plus nets entre l'évolution des besoins et la récidive, à partir d'observations empiriques.

Enfin, il faut observer l'évolution dans le temps des besoins des délinquants. Il est certes peu probable que les changements dans les facteurs dynamiques obéissent à un modèle prédéterminé. Il est également possible que la gravité et l'expression de certains besoins des délinquants varient avec le temps. Par exemple, la présente étude donne à penser que, alors que la majorité des besoins des délinquantes tend à s'atténuer avec le temps, les problèmes personnels et affectifs ne le font pas. Une meilleure compréhension de ces problèmes pourrait faciliter la gestion des délinquants dans la collectivité. D'après les recherches actuelles, les délinquantes dont les besoins sont évalués pour les quatre périodes pourraient faire l'objet d'une analyse distincte qui permettrait d'étudier plus minutieusement leur évolution.

CONCLUSION

L'étude a fourni un profil complet des délinquantes purgeant une peine fédérale dans la collectivité. Les observations préliminaires donnent à penser que l'EIC est un instrument valable d'évaluation du risque et des besoins pour les délinquantes et que l'évaluation dynamique des besoins est un facteur critique à prendre en compte dans la gestion des cas. On espère que les recherches futures contribueront davantage à l'évaluation dynamique des besoins, à la prédiction de la récidive et à la gestion efficace des cas.

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