Évaluation du rendement

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L'OPINION PUBLIQUE ET LE SYSTÈME CORRECTIONNEL :

RECHERCHES RÉCENTES AU CANADA

Julian V. Roberts,

Université d'Ottawa

Rapport soumis au Service correctionnel du Canada

  L e 31 mars 2005

Le Service correctionnel du Canada ne représente pas ou ne confirme pas l'exactitude ou la fiabilité de l'information ou opinion contenues dans ce document, ni la qualité d'aucune information présentée par une personne suite à en avoir obtenu une copie. Le contenu du rapport ne représente pas nécessairement les vues du Service correctionnel du Canada, du Secteur de l'évaluation du rendement ou de la Direction d'évaluation et revue.

Sommaire

Objet du rapport

Le présent rapport résume les recherches existantes sur les connaissances du public et les attitudes de la population à l'égard du système correctionnel canadien. L'analyse s'applique à tous les sondages, publiés ou non, dont on a pu avoir connaissance. Nous avons accordé une importance particulière aux résultats des sondages représentatifs du public, bien que des études qualitatives basées, par exemple, sur des groupes de discussion aient aussi été prises en compte. Dans la mesure du possible et lorsque la chose a été jugée souhaitable, nous avons comparé les attitudes des populations au Canada et dans d'autres pays.

Connaissances du système correctionnel au sein de la population

Les résultats de plusieurs études qualitatives et quantitatives convergent sur un même constat : la plupart des gens connaissent très peu de choses sur la nature et le fonctionnement du système correctionnel. Un sondage demandait aux Canadiens en 2004 d'évaluer leurs connaissances du système correctionnel fédéral. Ayant quatre réponses possibles, « très », « assez », « pas très » ou « pas du tout » informé, seulement 7 % des participants se sont jugés très informés, et 40 % ont dit être « assez informés ». Les mêmes tendances ressortent de sondages réalisés dans d'autres pays.

Une recherche qualitative (groupes de discussion), réalisée pour le compte du ministère du Solliciteur général en 1996, constatait que « les gens ignorent tout de la libération d'office et en savent très peu sur la libération conditionnelle ». Les participants n'étaient pas non plus très au courant de la semi-liberté, des maisons de transition ou de toute autre question relative au système correctionnel. La plus récente recherche qualitative réalisée à l'intention de Sécurité publique et Protection civile Canada et du Service correctionnel du Canada (SCC) concluait que : « La plupart des participants reconnaissaient ne pas avoir une véritable idée du déroulement des journées des détenus dans les prisons. la plupart des participants admettaient ne pouvoir qu'imaginer ce que faisaient les détenus de toutes leurs journées pendant leur incarcération ».

En 1998, un sondage réalisé pour le compte du ministère du Solliciteur général du Canada visait à connaître l'opinion des Canadiens au sujet du recours à l'incarcération. On demandait aux répondants si « par rapport aux autres pays » le taux d'incarcération au Canada était beaucoup ou plutôt plus élevé, à peu près similaire, plutôt ou beaucoup moins élevé. La réponse correcte était que le taux d'incarcération au Canada était beaucoup ou plutôt plus élevé que dans les autres pays (en fonction du pays comparé); pourtant, seulement 14 % de l'échantillon a opté pour l'une de ces deux réponses.

Perceptions de la vie carcérale

Une des conclusions la mieux étayée en la matière est que la vie carcérale est généralement considérée comme facile par la population. Plusieurs sondages représentatifs et études qualitatives réalisés au Canada, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, entre autres, aboutissent tous à la même constatation : la population considère que les conditions carcérales sont trop clémentes. Le plus récent sondage sur la question des conditions carcérales confirme ce stéréotype. On a demandé aux Canadiens si les conditions dans les pénitenciers étaient trop rigoureuses, convenables ou trop confortables. Au moins 50 % des répondants étaient d'avis que les conditions étaient trop confortables; moins d'un tiers jugeaient que ces conditions étaient convenables. L'origine de ces perceptions peut être directement retracée à la principale source d'information de la population sur les services correctionnels, à savoir, les médias d'information.

Confiance dans le système correctionnel

Le public a le plus confiance dans la police et le moins confiance dans le système carcéral. Au moins 88 % des répondants ont déclaré avoir très ou assez confiance dans la GRC; moins de la moitié de l'échantillon a exprimé un tel niveau de confiance à l'égard du système carcéral. Les plus faibles niveaux de confiance concernaient la liberté conditionnelle : environ un tiers des répondants ont exprimé ce degré de confiance envers le régime de libération conditionnelle. Cette hiérarchie de confiance ressort de sondages réalisés dans tous les pays occidentaux.

Plusieurs explications peuvent justifier cette hiérarchie universelle des degrés de confiance à l'égard des diverses composantes de la justice pénale. En premier lieu, la population est favorable à un modèle de justice basé plutôt sur le contrôle de la criminalité que sur l'application régulière de la loi, et la police est perçue comme étant « du côté du contrôle de la criminalité ». Deuxièmement, la police est beaucoup plus visible que les autres professionnels de la justice pénale, par exemple les agents de correction.

Un nombre limité d'indices montre que la confiance à l'égard du système correctionnel est en hausse. Le pourcentage des répondants ayant manifesté un degré raisonnable de confiance envers le système carcéral et le régime de libération conditionnelle était plus élevé en 2002 qu'en 1997, même si les degrés de confiance restaient stables ou étaient plus élevés dans le cas des autres composantes de la justice pénale.

Les évaluations par la population des diverses fonctions correctionnelles varient considérablement. Les évaluations sont nettement plus positives en ce qui concerne le maintien de la sécurité qu'en ce qui touche la promotion de la réadaptation. Au Canada, par exemple, l'Enquête sociale générale de 1999 (ESG) constatait que 58 % des répondants se disaient très ou assez confiants que le système carcéral donnait de bons résultats en matière de sécurité, mais seulement 46 % des répondants avait cette opinion en ce qui concernait la capacité des prisons à promouvoir la réadaptation.

Opinions relatives au but des services correctionnels

Le public, au Canada et ailleurs, ne donne pas au système correctionnel un but unique. Les gens accordent plutôt à ce système un rôle important pour ce qui est de sanctionner les délinquants que pour les réadapter et favoriser leur réinsertion sociale. Cette constatation ressort de plusieurs sondages et recherches qualitatives qui se sont intéressés à la question. En 2002, Léger Marketing a demandé aux Canadiens d'indiquer quelle était « la priorité première du système correctionnel canadien ». Les répondants avaient le choix entre : sanction, dissuasion et réinsertion sociale. Le sondage a révélé une préférence presque équivalente pour la sanction et la réinsertion sociale : en termes de « mentions totales », 36 % des répondants ont choisi la sanction, 34 %, la réinsertion et 27 %, la dissuasion.

Appui continu des Canadiens à l'égard de la réadaptation

Plusieurs sondages démontrent une tendance persistante parmi les Canadiens à croire en la réinsertion sociale. Ainsi, un sondage national effectué en 2002 a permis de constater que plus de quatre répondants sur cinq estimaient que : « Un grand nombre de délinquants peuvent devenir des citoyens respectueux des lois grâce à des programmes, une éducation et d'autres mesures de soutien ». Cette solide confiance des Canadiens dans la doctrine correctionnelle est également mise en évidence par les résultats d'un autre récent sondage (2004). On a demandé aux répondants d'indiquer laquelle des deux affirmations suivantes correspondait le mieux à leur opinion : « La plupart des délinquants peuvent être réadaptés et devenir des citoyens respectueux des lois »; « La plupart des délinquants ne peuvent pas être réadaptés » .

Près des deux tiers des répondants ont choisi l'énoncé positif (8 % ont indiqué « Cela dépend » ou « Sans opinion »). Toutefois, la tendance s'est inversée dans les réponses à la question suivante : « Pour ce qui est des détenus qui ont commis des crimes violents ou des infractions sexuelles, pensez-vous que la plupart d'entre eux peuvent ou ne peuvent pas être réadaptés? » Près des trois quarts des répondants étaient d'avis que, pour ces détenus, la réadaptation n'était pas possible.

Connaissance et attitudes à l'égard de la libération conditionnelle

La population a une piètre connaissance de la libération conditionnelle. La plupart des gens surestiment le taux d'octroi des libérations conditionnelles ainsi que le nombre des libérations conditionnelles qui se soldent par une révocation à cause d'une nouvelle infraction. Ces fausses perceptions ont été documentées au Canada et dans d'autres pays depuis maintenant une vingtaine d'années.

En dépit de cette « base de connaissances », les Canadiens appuient toujours le régime de libération conditionnelle. Les répondants à un sondage effectué en 1998 avaient le choix entre deux politiques claires. On leur a demandé de dire s'ils préféraient un système où « les détenus demeurent en prison jusqu'à la fin de leur peine » (donc un système de « prison ferme », sans possibilité de libération conditionnelle) ou un système permettant de remettre certains détenus en liberté sous surveillance dans la collectivité, avant la fin de leur peine (le statu quo au Canada). Les résultats ont démontré que le public était en faveur du statu quo, par rapport à un système sans libération conditionnelle, dans une proportion de 3 contre 1.

Lors d'un sondage plus récent, on a demandé à des Québécois et à des Ontariens de dire s'ils étaient d'accord ou pas avec l'affirmation suivante : « Il est plus sûr de réinsérer graduellement les délinquants dans la société, tout en continuant de les contrôler et de les surveiller, que de les libérer sans condition à la fin de leur peine. » Quatre-vingt-quatre pour cent des répondants se sont dits d'accord, alors que seulement 14 % d'entre eux n'étaient pas d'accord. Ces résultats ont été confirmés par des groupes de discussion organisés en 2004 : lorsqu'on a demandé aux participants ce qui se passerait s'il n'y avait pas de libération conditionnelle et si les détenus purgeaient leur peine jusqu'au bout avant d'être libérés sans supervision, « l'opinion consensuelle était que ce serait catastrophique » (Environics Research Group, 2004b, p. 14).

Ces résultats ne signifient pas que les Canadiens sont en faveur de la libération conditionnelle de tous les délinquants, quel que soit leur profil. Moins d'un quart des personnes interrogées sont d'accord pour dire que : « On devrait considérer la possibilité de faire bénéficier tous les délinquants de la libération conditionnelle » (Léger Marketing, 2002). Les Canadiens se posent encore des questions à propos de la mise en liberté anticipée des délinquants purgeant des peines pour crimes violents : plus de la moitié des répondants à un sondage mené en 2002 à l'échelle du Canada se sont déclarés en faveur de l'abolition de la libération conditionnelle pour « tous les criminels violents » (Léger Marketing, 2002b). Cependant, encore une fois, il faut mettre ce résultat en contexte, c'est-à-dire l'image que conjure l'expression « criminel violent » dans l'esprit des gens. L'image que les gens ont des délinquants, particulièrement des délinquants violents, a tendance à être bien pire que la réalité : pour la plupart d'entre eux, il s'agit d'un délinquant qui a été reconnu coupable d'un crime violent très grave, à quoi se rattache toute une série de condamnations précédentes. La réalité est bien différente; les délinquants qui ont ce profil représentent un pourcentage relativement faible de la population carcérale.

Il apparaît clair que, même si le public critique fréquemment le système de libération conditionnelle, il n'est pas favorable à l'abolition de cette mesure. À cet égard, les choses ont peu évolué : les résultats d'un sondage publiés en 1988 indiquaient que seulement un quart des répondants était en faveur de l'abolition de la libération conditionnelle.

Effets de l'information : les opinions d'un public averti

Plusieurs études effectuées au Canada et dans d'autres pays occidentaux ont comparé les réactions de répondants informés et de répondants non informés. La conclusion générale, en ce qui concerne la notion de sanction, est que le public devient favorable à une action moins répressive lorsqu'on lui fournit plus de renseignements sur le système de justice, ainsi que sur l'infraction et le délinquant en cause.

Conclusions

Il semble évident que si les Canadiens connaissaient mieux le système correctionnel, leurs attitudes seraient plus positives. Toutefois, un malaise persistera probablement au sujet des questions à propos desquelles il existe une différence fondamentale entre l'opinion publique et la pratique correctionnelle. Une de ces questions est sans doute celle de la libération d'office; même si la population appuie clairement une forme de mise en liberté conditionnelle, les quelques recherches dont on dispose sur la libération d'office font croire qu'il n'existe pas de soutien comparable pour ce programme.

Introduction1

Un grand nombre de recherches ont été menées récemment sur les attitudes de la population à l'égard de la justice pénale. Ce rapport de recherche passe en revue les études sur les attitudes vis-à-vis des services correctionnels au Canada. Nous avons effectué des recherches manuelles et électroniques dans les ressources documentaires et les bases de données de plusieurs bibliothèques et notre analyse s'applique à tous les sondages, publiés ou non, dont nous avons pu ainsi avoir connaissance. Nous avons accordé une importance particulière aux résultats des sondages représentatifs du public, bien que des études qualitatives basées, par exemple, sur des groupes de discussion aient aussi été prises en compte. Dans la mesure du possible et lorsque la chose a été jugée souhaitable, nous avons comparé les attitudes des populations au Canada et dans d'autres pays. Le présent rapport analyse les sondages, publiés ou non, portant sur diverses questions relatives au système correctionnel pendant les 20 dernières années (1985-2005).

Le présent rapport est conçu pour répondre à plusieurs objectifs : premièrement, procéder à une revue concise de vingt ans de sondages au sujet du système correctionnel canadien. Beaucoup de sondages ont été menés au cours de cette période, mais généralement, les résultats d'un seul d'entre eux sont publiés. Deuxièmement, nous avons voulu mettre en contexte les principales conclusions sur le sujet. Par exemple, une des constatations qui ressort est que le public manifeste moins de confiance dans les services correctionnels que dans les autres composantes de la justice pénale. Plutôt que de simplement rapporter ce fait, nous tentons de comprendre pourquoi il en est ainsi. Enfin, le rapport se veut utile aux chercheurs et aux décideurs en leur fournissant une synthèse des principales découvertes dans le domaine. Notre travail part d'une analyse approfondie des attitudes du public à l'égard des services correctionnels, qui a été réalisée à la fin de 2004 par Environics Research Group (Environics Research Group, 2004a).

Les questions suivantes (entre autres) sont examinées :

  • Que savent les Canadiens du système correctionnel?
  • Quel est le degré de confiance des Canadiens à l'égard du système correctionnel, et notamment de la libération conditionnelle?
  • Où se situe le plus fort (et le plus faible) soutien du système correctionnel?
  • Que sait-on de l'évolution des attitudes de la population eu égard aux services correctionnels?

Après examen des résultats des recherches menées au cours des 20 dernières années, le rapport termine par une évaluation des études dans lesquelles les chercheurs ont tenté de modifier les attitudes du public en améliorant le niveau de ses connaissances.

Constatations

1. Connaissance du système correctionnel au sein de la population

La connaissance du système correctionnel au sein de la population est généralement médiocre

Avant de procéder à une revue des recherches qui ont examiné les attitudes du public, il est nécessaire de comprendre la base de connaissance sur laquelle se fonde la population. Les résultats de plusieurs études qualitatives et quantitatives convergent vers un même constat : la plupart des gens connaissent très peu de choses sur la nature et le fonctionnement du système correctionnel. Bien que peu de sondages canadiens aient posé des questions mettant à l'épreuve la connaissance du système correctionnel ou demandant aux répondants d'évaluer leur niveau de connaissance, la démarche a été entreprise dans d'autres pays. Un récent sondage britannique (MORI, 2003) demandait aux répondants d'indiquer leur degré de connaissance des diverses composantes de la justice pénale. Comme le montre le tableau 1, les Britanniques affirment en savoir moins sur le milieu carcéral qu'à propos des autres grands secteurs de la justice pénale. Ainsi, environ les trois quarts des sondés ont déclaré posséder une excellente connaissance ou une bonne connaissance de la police, mais moins d'un tiers faisaient état de ce même niveau de familiarité avec les prisons.

Tableau 1
Auto-évaluation du niveau de connaissance sur la justice pénale en Grande-Bretagne

 

Excellente/bonne connaissance

Peu de connaissances

Très peu/aucune connaissance

Police

74 %

19 %

7 %

Tribunaux

51 %

32 %

17 %

Prisons

30 %

38 %

31 %

Service de probation

23 %

40 %

37 %

Service des poursuites de la Couronne

27 %

41 %

33 %

Tribunaux pour adolescents

18 %

38 %

45 %

Source : MORI (2003); Question : « Que savez-vous, le cas échéant, sur chacun des secteurs suivants... »

Les Canadiens ne sont pas mieux informés des questions correctionnelles que les habitants des autres pays

Comment se comparent ces niveaux de connaissance déclarés par rapport au Canada? Le sondage de 2004 d'Environics demandait aux Canadiens d'évaluer leur connaissance du système correctionnel fédéral. Ayant quatre options - « très », « assez », « pas très » ou « pas du tout » informés, seuls 7 % des répondants se sont dits très informés, 40 % se disant « assez informés » (Environics Research Group, 2004a). L'imprécision de la question et les réponses suggérées fait qu'il est difficile de tirer des conclusions catégoriques sur le niveau de connaissance de la population canadienne, mais il semble peu probable que la population canadienne soit mieux informée de ces questions que les habitants des États-Unis ou du Royaume-Uni.

Une des rares investigations de la connaissance du système correctionnel au sein de la population a été effectuée pour le Service correctionnel du Québec (Soucy, 1997). Les répondants québécois devaient répondre à une série de questions précises concernant le système correctionnel. Les niveaux de connaissance fluctuaient en fonction des questions, mais ils n'étaient pas très élevés. Par exemple, à peine la moitié de l'échantillon savait que les peines inférieures à deux ans étaient purgées dans des établissements provinciaux. Nettement moins de la moitié (41 %) de l'échantillon savait que les détenus sous responsabilité provinciale purgeaient, selon toute probabilité, des peines pour des infractions non violentes.

Il s'agit d'une découverte significative; elle porte à croire que les gens présument que la plupart des détenus purgent des peines pour des crimes de violence, et qu'ils constituent par conséquent un risque plus élevé pour la société. Quatre répondants sur cinq savaient que les détenus provinciaux pouvaient travailler ou participer à des activités formatrices. Il n'était toutefois pas très difficile de trouver la bonne réponse à cette dernière question. Enfin, le sondage réalisé en 1987 pour l'Association canadienne de justice pénale constatait que seuls deux répondants sur dix étaient capables d'estimer correctement les coûts de l'incarcération des délinquants ou de leur surveillance quand ils étaient en liberté conditionnelle (Association canadienne de justice pénale, 1988).

Les habitants de Kingston, que l'on pourrait croire mieux informés de la problématique correctionnelle à cause du nombre d'établissements fédéraux dans la région, n'ont pas beaucoup mieux réussi lorsqu'on les a interrogés sur le système correctionnel. Un sondage effectué pour le compte du Service correctionnel du Canada en 2000 constatait qu'environ les deux tiers des sondés répondaient « ne sais pas » quand ils étaient priés d'indiquer la principale différence entre les systèmes correctionnels fédéral et provinciaux (Environics Research Group, 2000). Moins d'un répondant sur dix était au courant du fait que la durée de la peine - plus de deux ans/deux ans ou moins -déterminait la répartition des détenus dans des établissements sous responsabilité fédérale ou provinciale.\

Une recherche qualitative (groupes de discussion), réalisée pour le compte du ministère du Solliciteur général en 1996, constatait que « les gens ne savent rien sur la libération d'office, et en savent très peu sur la libération conditionnelle » (Angus Reid Group, Inc., 1996). Les participants n'étaient pas non plus très au fait de la semi-liberté, des maisons de transition ou des autres questions relatives au système correctionnel. La recherche qualitative la plus récente produite à l'intention de Sécurité publique et Protection civile Canada concluait que : « La plupart des participants reconnaissaient ne pas savoir vraiment comment se déroulent les journées dans les prisons. la plupart des participants admettaient ne pouvoir qu'imaginer ce que faisaient les détenus de leurs journées pendant leur incarcération » (Environics Research Group, 2004b, pp. 7-8). Cependant, comme on le verra dans la section suivante, cela n'empêche pas les gens d'avoir des opinions assez tranchées sur la nature de la vie carcérale.

La plupart des Canadiens ne sont pas au courant du recours relativement fréquent à l'incarcération

En 1998, un sondage réalisé pour le compte du ministère du Solliciteur général du Canada a interrogé les Canadiens au sujet de l'incarcération. On demandait aux répondants si « par rapport aux autres pays » le taux d'incarcération au Canada était beaucoup ou plutôt plus élevé, à peu près similaire, plutôt ou beaucoup moins élevé. La réponse correcte était que le taux d'incarcération au Canada était beaucoup ou plutôt plus élevé que dans les autres pays (en fonction du pays comparé); pourtant, seulement 14 % de l'échantillon a opté pour l'une de ces deux réponses (Roberts, Nuffield et Hann, 2000). Approximativement la moitié de l'échantillon (49 %) pensait que le taux d'incarcération au Canada était inférieur à celui des autres pays; 28 % pensaient qu'il était à peu près identique (Roberts et coll., 2000).

Cette perception erronée est probablement due à une attitude généralisée dans la population voulant que la justice soit généralement trop laxiste. Lorsqu'ils sont interrogés sur les tendances en matière de détermination de la peine, par exemple, la plupart des Canadiens répondent que les peines imposées sont trop clémentes. Il en est ainsi depuis plus d'une génération (voir Doob et Roberts, 1983; Sanders et Roberts, 2005). Les gens concluent sans doute que le taux d'incarcération est moins élevé ici, parce que le système de justice apparaît tellement clément. Cette constatation peut fort bien être un exemple du fait que les attitudes influent parfois sur la connaissance plutôt que l'inverse.

Conditions carcérales 

Les gens savent peu de choses sur la vie en prison et présument qu'elle est trop facile

Une des conclusions les mieux documentées en la matière est que partout dans le monde, les gens considèrent généralement que la vie en prison est facile. Plusieurs sondages représentatifs et études qualitatives réalisés au Canada, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, entre autres, aboutissent toutes à la même constatation : les gens considèrent que les conditions carcérales sont trop clémentes (voir Roberts et Hough, 2005a, pour un examen des résultats internationaux). Par exemple, des groupes de discussion organisés au Canada en 1996 ont permis de dégager ceci : « Une des critiques fondamentales de la justice dans son ensemble concernait les conditions de détention, telles qu'elles sont perçues. Les participants étaient prompts à avancer des exemples dans le but de démontrer que les détenus étaient bien traités - machines à écrire de 5 000 $, la télévision par satellite, les téléviseurs couleur, trois repas complets par jour, les possibilités de s'instruire, les visites conjugales, etc. Les gens pensaient que d'une manière générale, les détenus étaient bien traités et que les délinquants n'étaient pas suffisamment punis » (Angus Reid, 1997, p. 14). 

Le plus récent sondage sur la question des conditions carcérales confirme ce stéréotype. On a demandé aux Canadiens si les conditions dans les pénitenciers étaient trop rigoureuses, convenables ou trop confortables. Au moins 50 % des répondants étaient d'avis que les conditions étaient trop confortables; moins d'un tiers jugeaient que les conditions étaient à peu près satisfaisantes (Environics Canada, 2004a). Quinze pour cent reconnaissaient qu'ils ne connaissaient pas les conditions de vie dans les prisons, et 3 % pensaient qu'elles étaient trop dures. Une autre question du même sondage incitait les répondants à souscrire à l'une de deux descriptions (fausses) des prisons canadiennes : «  Les prisons sont des lieux surpeuplés, sombres, violents et angoissants  » ou «  Les prisons canadiennes sont de véritables lieux de villégiature avec piscines, gymnases et salons  ». Il est assez curieux, compte tenu des réponses à la première question, que les répondants se soient montrés également partagés dans leur appui de ces deux affirmations : 39 % appuyaient la première affirmation, et 37 % la seconde. Les 11 % restants déclaraient que ni l'une ni l'autre de ces deux descriptions ne correspondait à leur opinion sur les prisons (8 % ayant répondu « ne sais pas »).

Il est dommage que le sondage n'ait pas demandé aux répondants s'ils avaient déjà pénétré dans une prison et, dans l'affirmative, à quel titre. Peu de gens sont en fait entrés dans une prison. En 1996, le sondage britannique sur la criminalité (1996 British Crime Survey) constatait que quatre répondants sur cinq n'avaient jamais mis les pieds dans une prison (Hough et Roberts, 1998). Il est probable qu'un même pourcentage de la population canadienne a la même expérience directe des établissements correctionnels. Même les gens qui ont rendu visite à un détenu n'ont eu accès qu'au parloir et n'ont qu'une connaissance indirecte de la vie quotidienne dans les ailes et cellules des prisons2.

En résumé, que l'on demande aux gens d'évaluer leur connaissance du système correctionnel ou qu'on leur pose des questions factuelles et précises, le résultat est le même : on constate un niveau relativement faible de connaissance du public.

Les médias constituent la principale source d'information de la population

Dans la ligne des résultats de précédents sondages, la plupart des Canadiens citent les médias comme source d'information sur le système correctionnel. Quand on leur a demandé d'identifier leur principale source d'information sur le système correctionnel, les réponses étaient uniformément divisées entre la presse écrite et les informations télévisées. Cela pourrait fort bien expliquer les nombreuses perceptions erronées ou les stéréotypes répandus dans la population. La mention des services correctionnels aux informations est généralement synonyme de mauvaise nouvelle. Comme on le verra plus loin dans ce rapport, peu de Canadiens comprennent la vraie nature de la vie carcérale. Les gens, toutefois, savent reconnaître les mauvaises nouvelles ou les nouvelles controversées. Ainsi, la majorité des participants aux groupes de discussion organisés en 2004, étaient au courant des circonstances entourant l'incarcération de Karla Homolka (Environics Research Group, 2004b).

Les perceptions (correctes ou erronées) concernant la population et les conditions carcérales posent problème pour les responsables du système correctionnel. Les gens croient (i) que toutes les prisons, qu'elles soient provinciales ou fédérales, sont peuplées de détenus violents (c'est-à-dire dangereux) et (ii) que ces individus ont la vie facile à l'intérieur. Cet amalgame de deux stéréotypes alimente le cynisme à l'égard du système de justice et mine probablement la confiance du public dans le système correctionnel. C'est cette question que nous allons maintenant examiner.

2. Confiance dans le système correctionnel 

Un sondage récent est le point de départ d'une discussion sur la confiance des Canadiens dans le système correctionnel. La figure 1 récapitule les cotes de confiance du public à l'égard des différentes composantes du système de justice pénale. Un sondage Ipsos-Reid de 2002 demandait aux répondants quel était leur degré de confiance à l'égard des principaux organes de la justice pénale. La figure 1 révèle que la population a le plus confiance dans la police et le moins confiance dans le système carcéral. Au moins 88 % des répondants ont déclaré avoir très ou assez confiance dans la GRC; moins de la moitié de l'échantillon a exprimé un niveau de confiance similaire dans le système carcéral. Les plus bas niveaux de confiance concernaient la libération conditionnelle : environ un tiers des répondants ont manifesté ce degré de confiance à l'égard du régime de libération conditionnelle (voir figure 1).

Cette hiérarchie de la confiance perdure depuis de nombreuses années : en 1996, 86 % des répondants à un sondage national déclaraient avoir très ou assez confiance dans la police, contre 42 % qui exprimaient un même degré de confiance à l'égard du système carcéral, et 25 % qui exprimaient ce degré de confiance dans le régime de libération conditionnelle (Angus Reid, 1997). De même, 37 % des gens disaient avoir très confiance dans le travail de la police, alors que seulement 3 % manifestaient le même degré de confiance à l'égard du régime de libération conditionnelle (Angus Reid, 1997).

Confiance de la population dans les composantes de la justice pénale (2002)

Le tableau 2 fournit des renseignements additionnels sur la confiance du public à l'égard des différentes composantes du système canadien de justice pénale. Ce tableau rend possible une analyse « vérificatrice » des divers degrés de confiance. Comme on peut le constater, il y a un bilan positif pour toutes les composantes du système de justice, exception faite du système carcéral et du régime de libération conditionnelle, ce dernier enregistrant le plus fort déficit de confiance.

Tableau 2
Confiance dans les composantes du système de justice (2002)

 

% très ou assez

confiant

% pas très ou aucunement confiant

GRC

88 %

9 %

Police locale

83 %

12 %

Cour suprême

78 %

18 %

Procureurs

71 %

24 %

Tribunaux

62 %

36 %

Système carcéral

49 %

48 %

Rég. lib. cond.

36 %

61 %

Nota : Malheureusement, le rapport remis au gouvernement par Ipsos-Reid fusionnait les réponses en deux catégories, bien que quatre options aient été proposées aux répondants.

L'éventail des cotes de confiance entre les composantes du système de justice se manifeste aussi lorsqu'on étudie les réponses qui démontrent le moins de confiance. Ainsi, moins d'un répondant sur dix déclarait avoir « pas très » ou « aucunement » confiance dans la GRC, comparé aux presque deux tiers de l'échantillon qui avaient cette opinion du régime de libération conditionnelle. Cette logique des résultats - en vertu de laquelle les corps de police bénéficient des cotes les plus positives, et les tribunaux et le système carcéral des cotes les plus négatives - se retrouve dans tous les pays où des sondages systématiques de l'opinion publique ont été effectués (voir Hough et Roberts, 2004).

Par exemple, un récent sondage (2003) réalisé au Royaume-Uni a montré que plus des trois quarts des répondants disaient avoir confiance dans la police, alors que moins de la moitié de l'échantillon avait confiance dans le système carcéral (MORI, 2003). Le tableau 3 propose une hiérarchie des composantes de la justice pénale en Grande-Bretagne et donne le pourcentage des répondants qui jugent que telle ou telle composante fait du bon ou de l'excellent travail. Comme on le voit, la police génère plus d'évaluations positives que toutes les autres composantes, y compris le système carcéral.

Tableau 3
Évaluation des composantes de justice pénale en Grande-Bretagne 

 

% des répondants qui jugent les réalisations bonnes ou excellentes

Police

48 %

Magistrats / juges

26 %

Prisons

25 %

Service de probation

24 %

Service des poursuites de la Couronne

23 %

Tribunaux pour adolescents

14 %

Source : Nicholas et Walker (2004); Question: « Nous voudrions connaître votre évaluation du fonctionnement de chacun des groupes de professionnels qui composent le système de justice pénale. Veuillez donner votre réponse à l'aide de cette carte. Comment évaluez-vous la qualité du travail de [nom de l'organisme]? »

Un nombre limité d'observations3 montrent que la confiance des Canadiens dans le système correctionnel est en hausse. Le tableau 4 fournit une comparaison des degrés de confiance qui ressortent de sondages réalisés en 1997 et en 2002. Comme on peut le constater, le pourcentage de répondants ayant exprimé une confiance raisonnable à l'égard du système carcéral et du régime de libération conditionnelle était plus élevé en 2002 qu'en 1997, même si les cotes de confiance restaient stables ou étaient supérieures pour les autres composantes de la justice pénale.  

Tableau 4
Pourcentage de répondants qui soutenaient avoir très ou assez confiance dans les composantes de la justice pénale 

 

2002

1997

Police locale

88 %

86 %

GRC

83 %

83 %

Tribunaux

62 %

52 %

Système carcéral

49 %

42 %

Rég. lib. cond.

36 %

25 %

Sources: Angus Reid (1997); Ipsos Reid (2002)

Le tableau 5 résume les résultats de sondages effectués dans trois pays : les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni. Ce tableau confirme la hiérarchie des degrés de confiance auquel on a fait référence précédemment. La police inspire plus confiance que les autres composantes de la justice pénale. Ce tableau suggère, par ailleurs, que la confiance dans le système carcéral est plutôt moindre au Canada qu'aux États-Unis (voir le tableau 5.)

Tableau 5
Confiance dans les composantes de la justice :
Pourcentage de répondant ayant extrêmement, très ou assez confiance

 

E.-U.

(1999)

Canada

(2002)

R.-U.

(2003)

Cour suprême

85 %

78 %

SO

Police locale

90 %

83 %

76 %

Tribunaux

77 %

62 %

51 %

Système carcéral

71 %

49 %

48 %

Sources : ABA (1999); Ipsos-Reid (2002); MORI (2003)

Explication de la fluctuation des degrés de confiance dans les diverses composantes de la justice pénale

Comment se fait-il que le public déclare avoir moins confiance dans le système correctionnel? Plusieurs explications viennent à l'esprit pour expliquer cette hiérarchie universelle de la confiance à l'égard des diverses composantes de la justice pénale. La diversité des missions des organismes joue manifestement un rôle. Packer (1968) a identifié deux modèles concurrents de justice pénale : le premier est fondé sur le contrôle de la criminalité, le second sur l'application régulière de la loi. La population est clairement plus en faveur du contrôle de la criminalité que de l'application régulière de la loi. Cet appui se révèle dans les résultats de plusieurs sondages.

Un sondage britannique a récemment mis en lumière que quatre répondants sur cinq approuvaient la modification de la loi afin de permettre à l'État de juger à nouveau les individus qui n'ont pas été déclarés coupables (Observer, 2003). Un sondage américain a fait ressortir que près de la moitié des sondés pensaient que le système de justice pénale traitait mieux les accusés que les victimes (National Crime Center, 1991). De la même façon, un sondage de 1996 demandait aux Américains d'évaluer l'importance des diverses fonctions du système de justice pénale : « le respect des droits constitutionnels des accusés » était appuyé par nettement moins de répondants que « le traitement efficace des affaires » (Sourcebook of Criminal Justice Statistics, 2004).

Aucun sondage canadien n'a directement examiné la position de la population à l'égard des deux modèles de justice pénale. Il n'y a toutefois pas de raison de croire que les Canadiens répondraient d'une autre façon. Plusieurs sondages éclairent quelque peu l'attitude des Canadiens à l'égard de la dichotomie « contrôle de la criminalité/application régulière de la loi ». Dans les années 80, le rapport Goldfarb avait demandé aux Canadiens d'identifier « les changements sociaux qui seraient les bienvenus ». Lorsqu'on a mentionné la possibilité d'accorder « une plus grande importance au maintien de l'ordre » - une autre façon d'exprimer la notion de contrôle de la criminalité - plus des trois quarts de la population déclaraient qu'il s'agirait d'un changement social souhaitable4. Un pourcentage équivalent souhaitait que l'on accorde « plus de pouvoirs à la police afin d'enrayer la criminalité » (Commission nationale des libérations conditionnelles, 1988). Enfin, le sondage le plus récent demandait aux Canadiens d'identifier les facteurs ayant un impact sur la criminalité au Canada. Soixante pour cent de l'échantillon a mentionné le système de justice pénale comme responsable de l'augmentation du taux de criminalité (Ekos Research Associates, 2004a). Le système mis en place pour lutter contre la criminalité est donc perçu comme une de ses causes. La perception d'un système de justice pénale biaisé en faveur de la protection des coupables et se montrant compréhensif à l'égard de délinquants semble être générale dans les pays occidentaux.

La population ne tolère pas non plus les obstacles à la poursuite (et condamnation) des accusés. L'aphorisme voulant qu'il vaille mieux acquitter dix personnes coupables que de laisser un innocent se faire condamner est profondément ancré dans l'idéologie juridique. Le désir de garantir que les innocents sont acquittés explique les nombreuses procédures pénales qui ont été élaborées pour éviter les erreurs judiciaires. La population semble toutefois être moins préoccupée par le risque de condamnation erronée. Un sondage britannique sur les attitudes demandait aux répondants s'il valait mieux condamner un innocent ou acquitter un coupable. Près de la moitié (42 %) du public considérait qu'il était pire d'acquitter un coupable (Dowds, 1995, Tableau B.3). Ce résultat traduit le penchant de la population pour un « contrôle de la criminalité ». La plupart des gens préféreraient un système de justice qui accorderait à la police et aux procureurs un pouvoir important, au lieu d'un système qui privilégie les garanties de procédure dans le but de préserver une application régulière de la loi.

Même si la police doit observer des règles découlant de la Constitution à propos du traitement des suspects et la collecte des preuves, les pratiques policières sont, en dernière analyse, régies par les tribunaux. Dans l'esprit de la population, par conséquent, la mission de la police se rapproche du modèle de justice basé sur le contrôle de la criminalité. Les autorités correctionnelles doivent respecter les droits des détenus, et les commissions des libérations correctionnelles doivent agir dans l'intérêt des détenus ainsi que de la société. Les gens connaissent moins bien et éprouvent moins de sympathie pour ces préoccupations d'ordre correctionnel et cela peut, en partie, refléter l'image, au sein de la population, des tribunaux, des procureurs et des autorités correctionnelles.

Simple question de visibilité?

Une dernière explication du plus fort taux d'approbation de la police est plus d'ordre pratique que théorique. Sous de nombreux angles, la police est la profession la plus visible parmi les composantes de la justice pénale -  ses membres portent l'uniforme, se déplacent généralement dans les véhicules identifiés, assument des tâches au sein de la population et dans les rues du pays. La nature profonde de la majeure partie du travail policier contraste avec les activités des autres professionnels du système de justice tels que les agents correctionnels ou les membres des commissions des libérations conditionnelles, qui accomplissent leur travail en coulisses, pourrait-on dire. Cela explique pourquoi un fort pourcentage de la population a des contacts avec les agents de police à un moment ou à un autre; le sondage MORI, au Royaume-Uni, relevait que 30 % des répondants déclaraient avoir eu des contacts avec la police dans l'année précédente. Combien de gens ont des contacts avec un agent correctionnel ou avec un membre d'une commission des libérations conditionnelles? Le niveau élevé d'exposition aux forces policières est susceptible de faciliter la confiance dans cette composante de la justice pénale.

Évaluations du système correctionnel

Les prisons savent mieux garder les détenus que les réadapter

On constate une variation considérable des évaluations du public des diverses fonctions correctionnelles. Le tableau 6 fournit le résultat de sondages réalisés dans trois pays différents. On avait demandé aux répondants d'évaluer le fonctionnement du système carcéral à partir de deux fonctions critiques : le maintien de la sécurité et la promotion de la réadaptation. Comme on peut le constater, les réponses sont concordantes d'un pays à l'autre. Les évaluations sont nettement plus positives concernant le maintien de l'ordre qu'au sujet de la promotion de la réadaptation. Au Canada par exemple, l'ESG de 1999 constatait que 58 % de l'échantillon se disait très ou assez confiant que le système carcéral faisait du bon travail en ce qui a trait au maintien de la sécurité, mais seulement 46 % étaient du même avis en ce qui concerne la promotion de la réadaptation dans les prisons (tableau 6).

Tableau 6
Évaluation du système carcéral par les populations de trois pays

Canada

 

 

 

 

 

 

Bon travail

Travail moyen

Travail médiocre

 

Ne sais pas

Maintien de la sécurité

26 %

32 %

20 %

 

21 %

Promotion de la réadaptation des détenus

14 %

32 %

28 %

 

26 %

 

 

 

 

 

 

États-Unis

 

 

 

 

 

 

Excellent

Bon

Satisfaisant

Médiocre

Ne sais pas

Maintien de la sécurité

18 %

49 %

23 %

8 %

2 %

Promotion de la réadaptation des détenus

2 %

12 %

34 %

48 %

4 %

 

 

 

 

 

 

Grande-Bretagne

 

 

 

 

 

 

Très confiant

Assez confiant

Pas très confiant

Pas confiant du tout

Ne sais pas

Maintien de la sécurité

25 %

64 %

7 %

1 %

3 %

Promotion de la réadaptation des détenus

5 %

39 %

40 %

9 %

7 %

Sources : É.-U. : voir Sourcebook of Justice Statistics; R.-U. : MORI (2003); Canada: Tufts (2000)

3. L'opinion publique et l'objectif des services correctionnels

Aux yeux des Canadiens, le système correctionnel doit servir de multiples buts. Il devrait réadapter, punir et dissuader les délinquants. 

La question la plus fondamentale qui se pose sans doute en ce domaine est celle de la finalité des services correctionnels. Le public, au Canada et ailleurs, ne donne pas au système correctionnel un seul et unique but. Les gens accordent plutôt à ce système un rôle important tant pour sanctionner les délinquants que sur le plan de leur réadaptation ou de leur réinsertion sociale. Cette constatation ressort de plusieurs sondages et recherches qualitatives5 qui se sont intéressés à la question. En 2002, Léger Marketing a demandé aux Canadiens d'indiquer quelle était « la priorité première du système correctionnel canadien ». Les répondants avaient le choix entre : sanction, dissuasion et réinsertion sociale (Léger, 2002a).

Le sondage a révélé une préférence presque équivalente pour la sanction et la réinsertion sociale : en termes de « mentions totales », 36 % des répondants ont choisi la sanction, 34 %, la réinsertion sociale et 27 %, la dissuasion. Ce résultat a été confirmé lorsqu'on a demandé aux gens de classer ces trois objectifs selon leur niveau de priorité -élevé, moyen ou faible6. Il ressort également de sondages menés auparavant que sanction et réhabilitation sont les deux options retenues par un nombre à peu près équivalent de répondants (p. ex., Corporate Research Associates Inc., 1998). Dans le sondage le plus récent (2004), la formulation de la question était différente, mais les résultats ont été essentiellement les mêmes (voir Environics Research Group, 2004a).

La prudence s'impose lorsqu'il s'agit d'interpréter les résultats de tels sondages. Aucune description du profil des personnes détenues dans les établissements correctionnels n'est fournie aux répondants. Ce facteur est important parce que d'autres recherches ont montré que l'idée que se fait le public d'un détenu est celle d'un délinquant violent qui a commis un crime grave et qui, souvent, a un casier judiciaire. Comme on l'a noté auparavant, les gens surestiment le nombre de délinquants emprisonnés dans des établissements correctionnels de compétence provinciale pour avoir commis des crimes violents et graves, et cette erreur d'appréciation est susceptible de fausser les réponses et de gonfler le nombre des répondants qui optent pour la sanction. Cette approche a été adoptée au sujet de la détermination des peines (voir Roberts, 1988), mais malheureusement pas dans le cas des services correctionnels.

Le public estime que la plupart des délinquants peuvent être réadaptés

Plusieurs sondages démontrent une tendance persistante parmi les Canadiens à croire à la réinsertion sociale. Ainsi, un sondage effectué dans tout le Canada par Léger Marketing, en 2002, a permis de constater que quatre répondants sur cinq estimaient que : « Un grand nombre de délinquants peuvent devenir des citoyens respectueux des lois grâce à des programmes, une éducation et d'autres mesures de soutien ». Cette solide confiance des Canadiens dans la doctrine correctionnelle est également mise en évidence par les résultats du sondage de 2004 d'Environics. On a demandé aux répondants d'indiquer laquelle des deux affirmations suivantes correspondait le mieux à leur opinion : « La plupart des délinquants peuvent être réadaptés et devenir des citoyens respectueux des lois »; « La plupart des délinquants ne peuvent pas être réadaptés ». Près des deux tiers des répondants ont choisi l'énoncé positif (8 % ont indiqué « Cela dépend » ou « Ne sais pas »; Environics, 2004a). 

Toutefois, la tendance s'est inversée dans les réponses à la question suivante : « Pour ce qui est des détenus qui ont commis des crimes violents ou des infractions sexuelles, pensez-vous que la plupart d'entre eux peuvent ou ne peuvent pas être réadaptés? » Comme l'illustre le tableau 7, près des trois quarts de l'échantillon étaient d'avis que, pour ces détenus, la réadaptation n'était pas possible. Ce résultat met en évidence le fait que le public a des opinions tranchées à propos des délinquants sexuels et de ceux qui commettent des crimes violents. Cependant, là encore, il faut nuancer et deux précisions s'imposent.

Premièrement, les recherches ont régulièrement démontré que si l'on pose aux gens une question générale comme celle-là, ils expriment une opinion plus négative. Ce genre de question incite les répondants à considérer les délinquants non pas comme des individus, mais comme des gens qui entrent dans certaines catégories. Si l'on avait donné aux répondants des détails sur les antécédents des délinquants purgeant une peine pour crimes violents, ils auraient été moins susceptibles de les percevoir tous comme étant, en bloc, « incapables de se racheter ». Deuxièmement, comme on l'a noté plus tôt, l'image que le public a d'un délinquant sexuel ou violent est généralement et uniquement celle qui est projetée dans les cas les plus graves, par des délinquants qui ont de longs antécédents criminels. 

Tableau 7
Attitudes du public envers la réadaptation

 

La plupart des délinquants incarcérés dans les établissements fédéraux

Détenus ayant commis des crimes violents et des infractions sexuelles

Peuvent être réadaptés

63 %

18 %

Ne peuvent pas être réadaptés

28 %

71 %

Cela dépend/Ne sais pas

8 %

11 %

Total

100 %

100 %

Attitudes envers la réinsertion sociale 

D'autres preuves indiquant que, dans une large mesure, les Canadiens souscrivent à la réinsertion sociale dans le cadre du système correctionnel émergent d'un sondage effectué au Québec, où la question suivante était posée : « Si l'on vous demandait de contribuer personnellement à la réinsertion sociale d'un ex-détenu considéré comme non dangereux, en travaillant bénévolement, par exemple, une heure par semaine pour un organisme qui aide de telles personnes, dans quelle mesure seriez-vous susceptible d'accepter d'apporter ce genre de contribution? » Près de la moitié des répondants ont déclaré qu'ils seraient assez ou très susceptibles de faire ce genre de contribution (Soucy, 1997).

De même, lorsqu'on a demandé aux gens interrogés dans le cadre d'un sondage mené par Léger Marketing au Québec et à Kingston s'ils considèreraient de « participer à la prestation de services correctionnels » dans leur collectivité, environ un tiers a répondu par l'affirmative. Les répondants auraient certainement été plus nombreux à souscrire à cette idée, si la question n'avait pas été posée à la fin d'un long questionnaire incluant des questions sur les délinquants condamnés pour actes de terrorisme ou autres infractions graves. Encore une fois, on pourrait mieux explorer le sujet en demandant aux répondants s'ils sont prêts à participer à une initiative spécifique et en leur indiquant clairement quel est le type de délinquant visé.

Enfin, il est important de noter que l'appui dont jouit la réinsertion sociale au Canada n'est pas un phénomène nouveau. Lors d'un sondage effectué en 1979, plus des deux tiers des répondants se sont déclarés en faveur d'augmenter les impôts « pour créer des emplois à l'intention des gens qui sortent de prison » (Brillon, Louis-Guérin et Lamarche, 1984). Un pourcentage comparable se déclarait en faveur d'une augmentation d'impôt pour financer l'ouverture de maisons de transition où seraient accueillis des ex-détenus (Brillon, Louis-Guérin et Lamarche, 1984). 

Attitudes envers les maisons de transition

Quoique la presse monte en épingle l'opinion défavorable du public sur les maisons de transition et autres établissements correctionnels, des indicateurs plus fiables permettent de brosser un tableau quelque peu différent. L'appréhension ou l'hostilité vis-à-vis des établissements correctionnels devrait se manifester dans les réponses du public à des questions concernant ces établissements. Or, dans le cadre d'un sondage récent (2002), lorsqu'on a demandé aux répondants d'indiquer si la présence d'établissements correctionnels comme des maisons de transition, des pénitenciers et des établissements psychiatriques compromettait la sécurité de la collectivité, seuls 12 % des répondants inclus dans l'échantillon ont déclaré que la collectivité était moins sûre à cause de cela (Léger Marketing, 2002b). De même, lorsqu'on a demandé à des habitants de Kingston si la présence de maisons de transition rendait leur ville plus ou moins sûre, seuls 16 % des répondants ont dit qu'elle l'était moins à cause de cela. Près des deux tiers des répondants ont déclaré que cela ne faisait pas de différence, alors que pour 12 % d'entre eux, la présence de maisons de transition était le gage d'une meilleure sécurité (Environics Research Group, 2000).

Une question plus directe était posée dans le cadre du même sondage. On a demandé aux répondants d'indiquer s'ils étaient pour ou contre la présence de centres de traitement et de maisons de transition dans leurs collectivités. La balance a penché de façon marquée en faveur de la présence de ces installations : les trois quarts des répondants se sont dits d'accord, seul un sur cinq ne l'était pas (Léger Marketing, 2002b). La plus récente évaluation de l'attitude du public envers les maisons de transition ressort d'un sondage effectué par Environics en 2004. Près des deux tiers des répondants inclus dans l'échantillon se sont dits d'accord avec l'affirmation suivante : « Le programme des maisons de transition est un bon moyen d'aider les délinquants à se réinsérer dans la société7. » (Environics Research Group, 2004a 8). Ces résultats amènent à penser que le syndrome du « Pas de ça chez nous » a été exagéré.

Libération conditionnelle

Connaissance, parmi le public, des tendances en matière de libération conditionnelle

Le public souscrit à de nombreuses opinions erronées à propos de la libération conditionnelle et des libérés conditionnels

La libération conditionnelle reste, au Canada, un des volets les plus controversés du système correctionnel. La grande majorité des détenus qui bénéficient d'une libération conditionnelle n'enfreignent pas les conditions qui leur sont imposées pendant qu'ils restent sous surveillance dans la collectivité. Cependant, lorsqu'un libéré conditionnel commet un crime grave, son acte est souvent monté en épingle par les médias, commentaires négatifs à l'appui, comme le montre ce titre « Un tueur en libération conditionnelle accusé du meurtre d'une femme » (Ottawa Citizen, le 8 mai 2002). Cette couverture médiatique défavorable est certainement responsable des opinions erronées que bien des Canadiens ont de la libération conditionnelle. Certaines de ces idées fausses ont trait à la façon dont le système fonctionne, alors que d'autres concernent les personnes libérées par les commissions des libérations conditionnelles nationale et provinciales.

Des sondages représentatifs menés auprès du public canadien ont révélé les tendances suivantes. La plupart des Canadiens :

  • Surestiment le taux de libération conditionnelle : en 1998, un tiers des Canadiens surestimait le taux de libérations conditionnelles accordées par la commission nationale en le plaçant entre 60 % et 100 %, alors qu'il était en réalité de 35 % (Roberts, Nuffield et Hann, 2000).
  • Présument que tous les détenus font une demande de libération conditionnelle et qu'ils en bénéficient tous, dès la première demande. En réalité, un pourcentage appréciable de détenus ne demande pas la libération conditionnelle.
  • Surestiment le taux de révocation et présument que la révocation est le plus souvent la conséquence d'une nouvelle infraction.
  • Surestiment le taux de récidive des libérés conditionnels (Association canadienne de justice pénale, 1988).

Lors du sondage le plus récent (effectué en 2004), on a demandé aux répondants d'évaluer le pourcentage de libérés conditionnels sous responsabilité fédérale qui commettent un autre acte criminel pendant la période où ils sont encore en liberté conditionnelle. Comme l'illustre le tableau 8, environ les deux tiers de l'échantillon ont surestimé le taux de récidive, et la marge, par rapport au taux réel, est importante. Cela recoupe les résultats de sondages effectués en 1998 (Roberts, Nuffield et Hann, 2000) et en 1985 (Roberts, 1988). On ne s'étonnera donc pas que les participants à un groupe de discussion aient été fort surpris d'apprendre qu'un pourcentage très élevé de libérés conditionnels ne commettent pas d'autre infraction pendant qu'ils sont encore sous surveillance dans la collectivité (Groupe Angus Reid, 1996).

Tableau 8
Perceptions du taux de récidive des libérés conditionnels sous responsabilité fédérale8 

Réponse

 

Exacte (20 % ou moins)*

19 %

Faible surestimation (21 %-30 %)

10 %

Forte surestimation (> 30 %)

65 %

* Réponse juste : 10 %

La même tendance générale ressort de recherches qualitatives effectuées en 1996 pour le compte du ministère du Solliciteur général. Il est noté dans le rapport que : « [Les participants] ont tout simplement l'impression qu'un grand nombre de détenus sont libérés après n'avoir purgé qu'une très petite partie de leur peine. » (Angus Reid, 1996).

Vu ces opinions erronées, il n'est pas surprenant que le public ait une certaine appréhension vis-à-vis des libérés conditionnels et considère qu'ils représentent une menace pour la collectivité. Cette réaction explique le courant mineur d'opposition à l'ouverture de maisons de transition (voir ci-dessus), ainsi que les critiques dont fait généralement l'objet la Commission nationale des libérations conditionnelles. Certains observateurs ont prétendu que l'abolition de la libération conditionnelle contribuerait à accroître la confiance du public dans le système de justice pénale. Par exemple, Greenspan, Matheson et Davis (1998) ont défendu l'abolition de la libération conditionnelle en faisant principalement valoir que cela favoriserait la confiance du public dans la façon dont la justice est rendue. En fait, l'abolition de la libération conditionnelle ou l'application de cette mesure uniquement au bénéfice de délinquants non violents a fait l'objet de demandes répétées. L'idée qui sous-tend les arguments avancés en faveur de l'abolition est que le public est résolument contre la libération conditionnelle des détenus. Est-ce bien le cas?

Attitudes envers la libération conditionnelle

Plusieurs études rigoureuses et équilibrées des attitudes du public envers la libération conditionnelle ont été faites ces dernières années, et elles révèlent une constante démontrant que l'hypothèse émise par ceux qui condamnent la libération conditionnelle est fausse. Il est utile d'examiner ces recherches en détail.

Jusqu'en 1999, l'analyse la plus systématique qui avait été faite des attitudes des Canadiens envers la libération conditionnelle datait de dix ans (Roberts, 1988). Au milieu des années 80, il était clair que les Canadiens appuyaient le concept de la libération conditionnelle des détenus. Un sondage mené à cette époque dans tout le Canada a révélé que deux tiers de la population étaient en faveur de la libération conditionnelle « pour certains délinquants ». Quant aux répondants à un sondage effectué en 1998, ils avaient le choix entre deux politiques claires. On leur a demandé de dire s'ils préféraient un système où « les détenus demeurent en prison jusqu'à la fin de leur peine » (donc un système de « prison ferme », sans possibilité de libération conditionnelle) ou un système permettant de remettre certains détenus en liberté sous surveillance dans la collectivité, avant la fin de leur peine (le statu quo au Canada). Les résultats ont démontré que le public était en faveur du statu quo, par rapport à un système sans libération conditionnelle, dans une proportion de 3 contre 1 (Roberts et coll., 2000).

Lors d'un sondage plus récent, on a demandé à des Québécois et à des Ontariens de dire s'ils étaient d'accord ou pas avec l'affirmation suivante : « Il est plus sûr de réinsérer graduellement les délinquants dans la société, tout en continuant de les contrôler et de les surveiller, que de les libérer sans condition à la fin de leur peine. » Quatre-vingt-quatre pour cent des répondants se sont dits d'accord, alors que seulement 14 % d'entre eux n'étaient pas d'accord (Léger Marketing, 2002b). Ces résultats ont été confirmés par des groupes de discussion organisés en 2004 : lorsqu'on a demandé aux participants ce qui se passerait s'il n'y avait pas de libération conditionnelle et si les détenus purgeaient leur peine jusqu'au bout avant d'être libérés sans condition, « l'opinion consensuelle était que ce serait catastrophique » (Environics Research Group, 2004b, p. 14).

Le public reste opposé à la libération conditionnelle des délinquants violents, particulièrement des détenus condamnés à perpétuité pour meurtre

Ces résultats ne signifient pas que les Canadiens sont en faveur de la libération conditionnelle de tous les délinquants, quel que soit leur profil. Moins d'un quart des personnes interrogées sont d'accord pour dire que : « On devrait considérer la possibilité de faire bénéficier tous les délinquants de la libération conditionnelle » (Léger Marketing, 2002). Les Canadiens se posent encore des questions à propos de la mise en liberté anticipée des délinquants purgeant des peines pour crimes violents : un peu plus de la moitié (56 %) des répondants à un sondage mené en 2002 dans tout le Canada se sont déclarés en faveur de l'abolition de la libération conditionnelle pour « tous les criminels violents » (Léger Marketing, 2002b). Cependant, encore une fois, il faut mettre ce résultat en contexte, c'est-à-dire l'image que conjure l'expression « criminel violent » dans l'esprit des gens. L'image que les gens ont des délinquants, particulièrement des délinquants violents, est bien pire que la réalité : pour la plupart d'entre eux, il s'agit d'un délinquant qui a été reconnu coupable d'un crime violent très grave, à quoi se rattache toute une série de condamnations précédentes (voir l'examen de cette question par Roberts et Stalans, 1997). La réalité est bien différente; les délinquants qui ont ce profil représentent un pourcentage relativement faible de la population carcérale.

Opinions générales c. décisions sur des cas particuliers 

Une deuxième façon de démontrer que le public est en faveur de la libération conditionnelle consiste à comparer les réponses de deux groupes - l'un à qui l'on demande de donner, en général, son opinion sur la libération conditionnelle, et l'autre qui est invité à se prononcer sur une demande particulière de libération conditionnelle. Lors d'un sondage national mené en 1998, on a fourni à la moitié des personnes interrogées une brève définition (deux phrases) de la libération conditionnelle, et à l'autre moitié, une description plus détaillée du processus suivi en la matière. Cet exercice avait pour but de déterminer si des gens renseignés sur la question se déclaraient contre la libération conditionnelle. On a demandé à tous les répondants de rendre une décision sur une demande de libération conditionnelle. Les résultats ont confirmé l'hypothèse voulant que la quantité des informations fournies sur le sujet influe sur l'appui accordé à la libération conditionnelle. Moins de la moitié des répondants à qui l'on n'avait donné qu'une brève définition du processus se sont prononcés en faveur de l'octroi de la libération conditionnelle; dans le groupe mieux renseigné sur le système, les trois quarts des répondants ont entériné la demande de libération conditionnelle (Roberts et coll . , 2000).

Cumberland et Zamble (1992) se sont intéressés au même axe de recherche. Ils ont constaté que, comme l'indiquaient les résultats de sondages nationaux, parmi les personnes qui participaient à leur étude, quatre sur cinq jugeaient le système de libération conditionnelle insatisfaisant. Cependant, lorsqu'ils ont demandé à un groupe de personnes comparable de rendre une décision sur des cas particuliers, une large majorité des répondants s'est déclarée en faveur de l'octroi de la libération conditionnelle, même à un détenu ayant de longs antécédents et purgeant une peine pour avoir commis un acte criminel violent.

Résumé

Pour résumer, il apparaît clair que même si le public critique fréquemment le système de libération conditionnelle, il n'est pas favorable à l'abolition de cette mesure. À cet égard, les choses ont peu évolué : les résultats d'un sondage publiés en 1988 indiquaient que seulement un quart des répondants était en faveur de l'abolition de la libération conditionnelle. Ce qui, dans le système, semble être contestable du point de vue du public concerne le type de délinquant qui devrait bénéficier de la libération conditionnelle et le moment où cette mesure peut être prise en faveur d'un détenu. Quoique les gens aient tendance à surestimer la durée de la période pendant laquelle un délinquant doit rester emprisonné pour purger sa peine, ils seraient probablement favorables à ce que la date à laquelle un détenu a le droit de faire une demande de libération conditionnelle soit repoussée au-delà du tiers de la peine, notamment en ce qui concerne les détenus purgeant une peine pour crimes violents. En outre, même si aucun sondage n'a été fait pour connaître l'opinion du public sur la libération d'office, il semble probable que les gens ne soient pas en faveur d'un tel droit statutaire et qu'ils préfèrent un système obligeant les détenus à faire une demande de mise en liberté sous condition.

Les attitudes des Canadiens envers la libération conditionnelle sont très semblables à celles de la population d'autres pays. Dans une étude récente où ils explorent l'opinion des Américains sur la libération conditionnelle, Cullen, Fisher et Applegate (2000) rapportent que la libération conditionnelle jouit d'un appui solide parmi le public, notamment en faveur des détenus qui ont pris des mesures pour se réadapter pendant leur incarcération. En revanche - ce qui n'est pas vraiment surprenant - les gens optent plutôt pour la sanction, et non pour la réadaptation, lorsque la question concerne des délinquants condamnés pour des crimes graves et violents, et ayant de longs antécédents criminels (voir Flanagan, 1996, pour des détails sur les attitudes des Américains envers ce qui touche le système correctionnel).

4. Effets de l'information sur les attitudes

Il existe un lien manifeste entre la connaissance que le public peut avoir de la justice pénale et son attitude à cet égard. En général, les gens les moins bien renseignés ont tendance à être les plus critiques. Une étude de Mattinson et Mirrlees-Black (2000), qui a mesuré la connaissance des taux de criminalité et les attitudes vis-à-vis de la détermination des peines dans les tribunaux pour adolescents, illustre bien ce phénomène. Ces chercheurs ont constaté qu'un quart des répondants les mieux informés, mais plus de la moitié de ceux qui étaient le moins bien renseignés, étaient d'avis que les peines étaient trop légères. Comme on l'a noté plus tôt, cependant, cela ne met en évidence qu'une simple association; pour établir si le niveau des connaissances détermine l'orientation de l'opinion, il faut avoir recours à un plan expérimental ou à une analyse statistique comme la régression logistique qui permet de tirer des inférences causales de données corrélationnelles.

Un public averti réagit différemment à des questions portant sur le système correctionnel

Le public n'ayant qu'une vague connaissance du système de justice pénale - et plus particulièrement, des services correctionnels -, il semble évident que l'amélioration des attitudes de la population à cet égard passe par une forme ou une autre d'éducation juridique. Plusieurs chercheurs ont exploré, à l'aide de plans expérimentaux, les effets d'initiatives conçues pour mieux faire connaître le système de justice parmi le public. L'hypothèse générale qui est testée est que l'opinion des gens est influencée par la quantité d'informations dont ils disposent et donc, que cette opinion est révélatrice à cet égard. Aucune étude n'a eu pour but de corriger toutes les idées fausses auxquelles souscrit le public ni de combler les lacunes dans ses connaissances. Chaque étude constitue donc un test partiel de l'hypothèse. Néanmoins, prises ensemble, ces études éclairent un pan important de l'opinion publique.

La constatation générale est que le public devient favorable à une action moins répressive lorsqu'on lui fournit plus de renseignements sur le processus de détermination des peines, ainsi que sur l'infraction et le délinquant en cause. Les exemples suivants illustrent ce phénomène.

•  Plusieurs chercheurs ont donné à des sous-groupes de répondants une quantité différente d'informations sur le même cas (p. ex., Doob et Roberts, 1983; Covell et Howe, 1996; Roberts et Hough, 2005; Roberts et coll., 2000). La constatation générale est que les répondants ont tendance à être favorables à une action plus répressive lorsqu'on leur en dit peu sur un cas. L'incarcération est le choix d'un plus grand nombre de répondants que l'on a informés uniquement de l'acte criminel pour lequel le délinquant a été condamné et à qui l'on demande ensuite d'imposer une peine. De même, en ce qui concerne la libération conditionnelle, lorsque les gens n'ont qu'une connaissance sommaire d'une demande de libération conditionnelle, ils sont plus susceptibles de s'opposer à la mise en liberté du délinquant en question, comme l'illustre l'exemple suivant.

L'hypothèse testée par la recherche menée par Roberts et coll. (2000) était qu'il devrait y avoir une différence entre les opinions du public en général et celles d'un public informé . Un échantillon représentatif de la population canadienne a été sélectionné et divisé en deux, selon la quantité d'information fournie. Aux participants à qui l'on a décidé de ne donner que des renseignements succincts, on a posé la brève question suivante : «  John Smith purge une peine de trois ans de prison pour introduction par effraction. Il est incarcéré depuis un an et fait une demande de libération conditionnelle. Devrait-on accéder à sa demande? »

La même question a été posée aux participants que l'on a décidé d'éclairer, mais en y ajoutant des renseignements sur la libération conditionnelle :

« La libération conditionnelle est une mesure grâce à laquelle certains délinquants sont autorisés à purger une partie de leur peine dans la collectivité. Si la Commission des libérations conditionnelles est convaincue que la présence du délinquant ne fait pas courir de risque à la collectivité, elle approuve la demande de libération conditionnelle. Cela signifie que, tant qu'il n'a pas complètement purgé sa peine, le délinquant doit rendre compte de ses faits et gestes à un agent de libération conditionnelle, et respecter plusieurs règles que lui impose la Commission nationale des libérations conditionnelles. Si le délinquant enfreint ces règles, il peut être à nouveau incarcéré. Maintenant que vous savez ce qu'est la libération conditionnelle, voici un cas précis. John Smith purge une peine de trois ans de prison pour introduction par effraction. Il est incarcéré depuis un an et fait une demande de libération conditionnelle, afin de réapprendre à vivre en société et d'être prêt à le faire à la fin de sa peine. M. Smith subviendra aux besoins de sa famille lorsqu'il sortira de prison. Devrait-on l'autoriser à purger le reste de sa peine dans la collectivité, sous le contrôle d'un agent de libération conditionnelle et en respectant les conditions que lui a imposées la Commission des libérations conditionnelles? »

Moins de la moitié (42 %) des répondants du groupe à qui l'on avait posé la question sous sa forme abrégée ont dit qu'ils octroieraient la libération conditionnelle au délinquant en question, alors que les trois quarts de ceux qui avaient lu la version longue ont fait ce choix. Il est clair que les attitudes du public changent en fonction des informations qui lui sont données.

•  Des chercheurs ont fourni des renseignements détaillés sur la peine imposée. Par exemple, Sanders et Roberts (2000) ont donné des précisions sur les conditions particulières à respecter pour purger une peine dans la collectivité, et les répondants se sont montrés, en conséquence, moins enclins à incarcérer le délinquant.

•  Des chercheurs comme Doble et Klein (1989), Hough et Roberts (1998) et d'autres ont donné aux répondants plus d'information sur les types de peines qui pouvaient être envisagés - plutôt que de simplement leur demander de déterminer une peine, sans préciser quelles étaient les options - et ils ont constaté que cela faisait baisser le nombre des partisans de l'incarcération10.

Examen d'expériences sur le changement d'attitude

Les démonstrations les plus convaincantes de l'influence de l'information sur les attitudes ont sans doute été faites en Grande-Bretagne. La première, qui date de dix ans, a été effectuée selon la technique connue sous le nom de « sondage délibératif ». Cette méthode d'exploration des attitudes du public combine les atouts du grand sondage -possibilité de généraliser les résultats obtenus avec un échantillon de la population - et ceux des groupes de discussion - possibilité de fournir une grande quantité d'information aux participants. Un sondage délibératif sur la criminalité et la justice a été fait en Grande-Bretagne en 1994. Un séminaire sur les sujets en question a été organisé pendant un week-end à l'intention des participants, et leurs attitudes ont été évaluées avant et après.

Les résultats ont étayé de façon encourageante l'hypothèse du lien entre information et changement d'attitude. Hough et Park (2002) ont analysé les données de ce sondage délibératif et ont conclu qu'il y avait eu « des réorientations marquées et persistantes d'attitudes ». Ces changements faisaient tous pencher la balance du même côté, c'est-à-dire : baisse du nombre de participants en faveur de mesures sévères comme l'incarcération pour sanctionner des actes criminels, et augmentation des partisans de la réinsertion sociale. Il n'est pas vraiment surprenant qu'il y ait eu une réorientation mesurable des attitudes immédiatement après le séminaire de deux jours . Mais ce qui est plus frappant, c'est que ces changements d'attitude aient été durables. Les participants ont été interviewés une troisième fois, dix mois après le séminaire, et la réorientation de leurs attitudes restait évidente.

Par exemple, les gens étaient plus susceptibles d'être d'accord avec l'affirmation suivante : « Les tribunaux devraient emprisonner moins de délinquants » et moins susceptibles d'être d'accord pour dire que « Tous les meurtriers devraient être condamnés à la prison à perpétuité »; de plus, le nombre des partisans de l'incarcération de jeunes ayant commis des cambriolages a baissé significativement à la suite du séminaire, et ce nombre est resté plus bas au bout de dix mois (voir Hough et Park, 2002). Quoique des minorités significatives soit n'aient pas changé d'opinion, soit aient adopté une attitude moins libérale, l'évolution nette s'est effectuée dans le sens d'un plus grand libéralisme.

Chapman, Mirrlees-Black et Brawn (2002) rapportent les résultats d'une expérience à plus petite échelle. Dans le cadre de leur étude menée en Grande-Bretagne, ils ont demandé à un échantillon de personnes sélectionnées au hasard de remplir un questionnaire sur leur connaissance du processus de détermination des peines et de questions connexes. Ils ont ensuite demandé à des sous-groupes de répondants de participer à l'une de trois « expériences d'amélioration de connaissances ». Un de ces sous-groupes a reçu une brochure sur le processus de détermination des peines, le deuxième a assisté à un séminaire et le troisième a regardé une présentation vidéo. La même information a été donnée aux trois groupes, la seule variante étant la façon dont cette information était transmise. Le niveau de connaissance du système de justice a été mesuré avant et après que les répondants aient participé à l'expérience, sous l'une ou l'autre forme. Les résultats ont indiqué que le niveau de connaissance s'était amélioré dans les trois groupes. Il est utile d'examiner cette étude de manière un peu plus approfondie, en s'intéressant notamment de plus près à l'outil le plus susceptible de provoquer un changement d'attitude : la présentation vidéo.

Les membres du groupe qui avaient visionné la présentation vidéo étaient ceux dont les connaissances s'étaient le plus améliorées. À titre d'exemples à l'appui, on peut notamment citer ceci :

  • le pourcentage des participants démontrant qu'ils connaissaient le processus de surveillance mis en place à la suite de la mise en liberté est passé de 42 à 70 %;
  • le pourcentage des participants capables d'indiquer correctement quelles étaient les tendances en matière de criminalité, observées au cours des deux années précédentes est passé de 12 à 41 %;
  • le pourcentage des participants sachant que dans une cour de magistrat, c'est un jury qui établit la culpabilité d'un délinquant est passé de 68 à 81 %.

C'est clair, le visionnage d'une présentation vidéo de 30 minutes peut améliorer les connaissances de la criminalité et de la justice. Il serait surprenant qu'il n'en soit pas ainsi, mais une réorientation marquée des attitudes a également été constatée. Après avoir regardé le programme, les gens ont manifesté une plus grande confiance dans l'efficacité du système de justice pénale appliqué aux délinquants. La question primordiale concernant les tendances en matière de détermination des peines a été posée avant et après que les participants aient visionné la présentation vidéo. Chez la plupart (58 %), on n'a constaté aucun changement d'opinion à propos de la validité des peines imposées par les tribunaux. Cependant, plus d'un quart des participants ont opté pour des solutions moins punitives après avoir regardé la présentation. En outre, les participants eux-mêmes ont reconnu l'effet de cette information : 44 % des répondants ont indiqué qu'ils avaient changé d'opinion à cause des renseignements qui leur avaient été fournis (Chapman et coll., 2002, p. 47). En revanche, les réponses à plusieurs questions n'ont révélé aucun effet significatif. Il faut toutefois prendre en compte la petite échelle du projet lorsqu'on en évalue les résultats. Par rapport à la stratégie éducative employée dans le cadre du sondage délibératif, les trois formules utilisées dans ce cas-ci étaient brèves et de moindre portée.

Salisbury (2004) rapporte les résultats d'une étude expérimentale plus récente effectuée en Grande-Bretagne. Une brochure informative a été remise à un sous-groupe de participants au British Crime Survey. On trouvait dans cette brochure des renseignements sur la criminalité et sur la détermination des peines. Aucun incitatif financier n'a été offert aux répondants; on ne leur a pas dit de lire la brochure et on ne les a pas avertis qu'on leur poserait des questions sur son contenu plus tard. Les gens à qui l'on avait remis la brochure ont été interviewés deux semaines plus tard. Leurs réponses ont été comparées à celles des participants à qui l'on n'avait pas fourni cette information.

Les résultats allaient dans le même sens que ceux d'autres expériences menées sur ce sujet. Salisbury rapporte de modestes hausses du niveau de la connaissance du système de justice et de la confiance qu'il inspire. Par exemple, lors de la deuxième entrevue, les répondants à qui l'on avait remis la brochure étaient plus susceptibles de considérer que le système de justice pénale est efficace pour ce qui est de réduire la criminalité, de poursuivre les coupables en justice et de répondre aux besoins des victimes d'actes criminels (voir Salisbury, 2004, figure 5). Il est cependant important de noter qu'il s'agissait d'un test conservateur de la relation entre, d'une part, la connaissance et, d'autre part, les attitudes et la confiance. Étant donné qu'on n'avait pas demandé aux membres du sous-groupe de lire la brochure, seuls 18 % d'entre eux l'avaient lue en entier (à quoi s'ajoutent 19 % qui ont indiqué en avoir lu certaines parties).

Les recherches sur les effets que peut avoir la communication d'informations au public ont été enrichies par la prise en compte des résultats d'un plus grand nombre d'études sur le terrain, qui permettent de faire participer le public plus activement que ce n'est possible dans le cadre d'un sondage représentatif ou même d'un groupe de discussion. Dans le cadre d'un projet de la Magistrates' Association et de la Probation Boards' Association britanniques, diverses personnes ont assisté à des présentations par des professionnels de la justice pénale. Les chercheurs qui ont évalué ces séminaires ont constaté que les présentations avaient accru la visibilité et l'acceptation des peines communautaires (voir King et Grimshaw, 2003). Les participants eux-mêmes ont déclaré que ces séances d'information avaient amélioré leurs connaissances. King et Grimshaw ont conclu que : « C'est clair, la majorité des auditoires étaient d'avis que les présentations avaient élargi leur connaissance des peines communautaires, des tribunaux de première instance, du service de probation et de la détermination des peines, en général. » (2003; p. 11). Autrement dit, les conclusions tirées de ce rapport reflètent celles des expériences de moindre portée examinées plus tôt dans le présent rapport.

Enfin, quoiqu'il ne s'agisse pas d'un instrument de recherche traditionnel, il est à noter qu'un test portant sur la relation information-opinion est disponible sur un site Web conçu pour contribuer à l'éducation du public. Les gens qui visitent le site www.crimeinfo.org.uk ont accès à de très nombreuses informations sur la criminalité et la justice en Grande-Bretagne. En outre, ils peuvent participer à un exercice interactif de détermination de peine. On leur donne une description du cas avant de leur demander ensuite d'imposer une peine. Ensuite, on leur fournit un complément d'information sur l'acte criminel et les délinquants en cause, ainsi qu'une documentation juridique pertinente, par exemple, sur les circonstances atténuantes ou aggravantes qui peuvent influer sur la détermination de la peine. Au terme de l'exercice, on demande aux participants s'ils maintiennent la peine qu'ils ont imposée au départ ou s'ils veulent choisir une autre option. Les résultats présentés jusqu'ici (février 2005) confirment la tendance qui se dégage d'expériences de contrôle sur échantillon aléatoire : les participants sont moins susceptibles de penser que l'incarcération est la peine qui convient.

Éducation ou propagande?

Les cyniques pourraient prétendre que les résultats de telles expériences ne sont en fait que l'aboutissement d'opérations de relations publiques - en voulant dire par là que les gens changent d'avis parce qu'on leur a fait avaler des informations biaisées. Ou encore, on pourrait dire que les changements d'attitude sont motivés par un désir de conformité lié au contexte expérimental : les gens changent d'avis parce qu'ils croient que le chercheur va avoir ainsi une meilleure opinion d'eux. De mon point de vue, en ce qui concerne ces études, aucune de ces réserves ne tient vraiment debout. Premièrement, l'information fournie aux participants dans le cas du sondage délibératif représentait toute une gamme d'opinions et ne consistait pas uniquement en exposés présentés par des universitaires à l'esprit libéral. Deuxièmement, le fait que les attitudes ont changé de façon spectaculaire sur certaines questions dans le cas du sondage délibératif (par exemple), et moins ou pas du tout, sur d'autres questions infirme l'argument de la conformité sociale. Si les gens voulaient que les chercheurs aient une bonne opinion d'eux ou s'ils voulaient dire ce qu'à leur avis, les chercheurs voulaient entendre, on aurait enregistré un « changement » d'attitude sur tous les points.

Il paraît clair que si les Canadiens connaissaient mieux le système correctionnel, leurs attitudes seraient plus positives. Un malaise persistera probablement au sujet des questions à propos desquelles il existe une différence fondamentale entre l'opinion publique et la façon dont le système correctionnel est appliqué. Ce serait sans doute le cas en ce qui concerne la libération d'office. Alors que - nous l'avons vu - la libération conditionnelle a très bonne presse parmi le public, il semble peu probable que cette autre forme de mise en liberté n'ait jamais le même appui, peu importe la quantité d'information fournie. On a donné aux participants à un groupe de discussion organisé en 2004 une description du programme de libération d'office, mais ils ont déclaré que « l'idée d'accorder une libération d'office à des délinquants après qu'ils aient purgé les deux tiers de leur peine ne se justifie guère. » (Environics Research Group, 2004b, p. 13).

L'information rassure le public

Le sondage de 2004 d'Environics illustre l'impact de l'information. Comme on l'a noté plus tôt, la plupart des Canadiens surestiment largement le taux de récidive des libérés conditionnels. Après qu'ils aient indiqué quel était, selon eux, le taux de récidive, on a donné aux répondants quelques informations et on leur a posé cette autre question :  « Environ 10 % des délinquants sous responsabilité fédérale commettent un autre crime durant la période où ils bénéficient d'une libération conditionnelle. Trouvez-vous cela très rassurant, rassurant, quelque peu rassurant ou pas du tout rassurant? » Une bonne moitié des répondants s'est déclarée rassurée par cette information. Il est possible que ce sentiment disparaisse la prochaine fois qu'un crime commis par un libéré conditionnel fait les manchettes; néanmoins, cette réponse amène à penser que le public est sensible à une information positive et n'est pas influencé uniquement par une idéologie.

Enfin, il est utile de noter que l'Association canadienne de justice pénale a organisé un forum public national sur la libération conditionnelle et la sécurité publique en 2000. Douze réunions publiques ont été tenues à l'échelle du Canada et, même si l'on ne peut pas considérer cette initiative comme une « expérience » aussi valide que le sondage délibératif mené en Grande-Bretagne (Hough et Park, 2002), elle a clairement révélé, de la part du public, un vif intérêt pour les questions relatives au système correctionnel. Un fort pourcentage des participants a indiqué être plus sensibilisé à ces questions grâce à cette expérience (voir Commission nationale des libérations conditionnelles, 2001). Ce genre d'activité encourageant la participation des citoyens devrait avoir un impact sur leurs attitudes vis-à-vis des services correctionnels et leur rappeler que ce que rapportent les médias donne rarement une image fidèle des prisons et du système correctionnel canadiens.

Conclusion

Cette étude a démontré que les opinions des Canadiens sur les questions touchant les services correctionnels restent remarquablement stables. Ils restent fidèles aux idéaux associés ces dernières années au système correctionnel. Ils continuent de penser que son but est la réadaptation et ils restent favorables au concept de la libération conditionnelle11. Quoique le système correctionnel inspire moins confiance que d'autres composantes de la justice pénale, les constatations qui ont été faites à ce sujet s'expliquent par la mission du système correctionnel et la façon dont les médias font rapport d'événements liés à ce système. Enfin, bien que les recherches canadiennes à ce sujet soient relativement limitées, celles qui ont été menées dans d'autres pays ont démontré que les attitudes du public vis-à-vis de la prison et le régime de libération conditionnelle sont influencées par l'information que l'on fournit aux personnes interrogées. Il est manifestement possible de changer les attitudes des gens et de rehausser le niveau de leur confiance dans les services correctionnels.

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1 Je voudrais remercier Christa Gillis (SCC) de ses commentaires judicieux sur une version antérieure du présent rapport.

2Cela explique peut-être pourquoi le sondage Environics de 2004 a constaté que l'opinion des personnes dont un ami ou un parent était détenu différait peu de l'avis des gens qui ne connaissait aucune personne incarcérée; la visite d'un pénitencier ne fournit qu'une connaissance superficielle de la réalité de l'expérience carcérale (Environics, 2004a) .

3 À partir de seulement deux références ponctuelles, il est difficile de tirer des conclusions définitives. C'est une des raisons pour lesquelles le Canada doit effectuer régulièrement ce genre de sondage sur la confiance.

4 Ainsi, 75 % se disaient en faveur de ce changement en 1980, et le pourcentage de répondants qui appuyaient l'affirmation restait aussi élevé ou était plus élevé (progressant à 80 % en 1988) pendant toute la décennie.

5Par exemple, les membres du groupe de discussion organisé par Angus Reid Group en 1996 « ne sont pas parvenus à définir d'un commun accord le but le plus important. » (Angus Reid, 1996, p. 5).

6Pourcentage des répondants accordant une priorité élevée : Sanction, 73 %; Réinsertion sociale, 70 %, Dissuasion, 64 %.

7 Avant qu'on leur demande s'ils étaient d'accord ou pas d'accord avec l'affirmation, les répondants avaient pris connaissance d'une description des maisons de transition.

8 Les répondants au sondage de 2004 d'Environics ont exprimé des réserves à propos des maisons de transition lorsque ces établissements ont été décrits comme des lieux abritant des délinquants reconnus coupables de crimes violents ou d'infractions sexuelles.

9 Question : « Selon vous, quel est le pourcentage de tous les délinquants sous responsabilité fédérale qui commettent un nouvel acte criminel alors qu'ils sont en liberté conditionnelle? »

10 Deux plans expérimentaux différents ont été employés. Doble et Klein (1989) ont eu recours à un plan comprenant un pré-test et un post-test, dans le cadre duquel les participants devaient déterminer une peine

11 Sauf, comme on l'a noté dans le texte, en ce qui concerne les détenus purgeant une peine parce qu'ils ont commis les actes criminels violents les plus graves.