Rapport du Groupe de travail sur la sécurité

2. INTRODUCTION

« Les contrées qui bordent la Baie D’Hudson pourraient devenir la Sibérie anglaise. Nous pourrions y envoyer nos condamnés, plutôt que de les pendre par milliers en Angleterre ou de les exiler dans nos colonies, où ils corrompent les indigènes. Les condamnés devraient toujours être envoyés dans un pays désolé et, en quelque sorte, inhabité, où leur mauvais exemple ne peut se transmettre ; là, ils seraient à l’abri de leurs anciennes tentations et ils devraient travailler. Par conséquent, ils pourraient se racheter. »  [Traduction]

The Gentleman's Magazine
Série no 24
Novembre 1754

Le Canada n’a jamais eu l’honneur équivoque de servir de colonie pénitentiaire à l’Angleterre. Et ceux qui doivent sans doute s’en réjouir le plus sont les Autochtones qui, de fait, vivaient sur ces terres «désolées » et «inhabitées ». Néanmoins, les principes de détention énoncés par l’auteur de cet article il y a près de 250 ans exercent sans doute aujourd’hui un certain attrait sur quelques Canadiens. En règle générale, pourtant, le système correctionnel du Canada n’a jamais exilé les délinquants dans des régions isolées et inhospitalières, préférant les incarcérer dans des prisons et des pénitenciers. Les conditions de détention ont dans une large mesure reflétée la philosophie dominante de notre société, suivant les époques, mais il vaut la peine de signaler que le premier pénitencier du Canada, érigé en 1835, loge encore de trois à quatre cent détenus.

Le Groupe de travail sur la sécurité avait pour mandat «d’élaborer un cadre de sécurité qui rend à son meilleur l’interaction entre le personnel et les délinquants tout en favorisant la réinsertion sociale en toute sécurité de ces derniers. » Pour bien comprendre toute la signification de ce mandat, les membres du Groupe de travail ont dû réfléchir à l’aspect «humain » du système correctionnel, à l’expérience de délinquants comme Martin...

  • Martin Andrews, un adolescent de 15 ans, dormait d'un sommeil agité sous l’escalier de la cave chez ses parents, dans le sud de l’Ontario. Un grattement à la porte de l’escalier le tira de son sommeil. « Martin, tu m’entends? », chuchota sa sœur. Martin s’extirpa de sa cachette et monta avec raideur mais en silence. « Je suis ici », répond-il. Sa sœur lui passa sous la porte un sandwich au beurre d’arachide. « Je suis désolée, Martin. Je n’ai pas eu le temps de préparer autre chose. » « Je suis ici depuis combien de temps cette fois, Annie? J’ai peur. Est-ce qu’il va me laisser sortir un jour? »
  • « J’ai entendu papa dire à maman que tu pourrais sortir demain. Je suis vraiment désolée. Cela fait trois jours que tu es là. « Martin devina qu’Annie s’éloignait sans bruit, de crainte d’être surprise en flagrant délit.
  • À dix-sept ans, Martin se tenait immobile devant le juge. « Martin, vous avez été renvoyé devant le tribunal pour adultes parce que les interventions répétées des services d’aide à la jeunesse ont totalement échoué. Vous avez maintenant été déclaré coupable de huit introductions par effraction et d’une accusation de voies de fait graves. Je vous condamne à deux années d’emprisonnement dans un pénitencier fédéral. » Les larmes roulaient sur les joues d’Annie qui regardait les fonctionnaires de la Cour emmener son frère, menottes aux poignets.
  • Les premiers jours de Martin au pénitencier à sécurité moyenne de Kingston se sont déroulés sans histoire. Il passait la plupart de son temps seul dans sa cellule, ne sortant que pour répondre à des questions au sujet de ses antécédents médicaux et familiaux ou de son casier judiciaire. À mesure que les mois passaient, toutefois, il avait des conflits de plus en plus fréquents avec les autres détenus. Il n’avait pas d’amis. Il a commencé à porter un couteau sur lui pour aller dans la cour. Il cherchait à éviter les contacts avec deux prisonniers d’une autre unité. Ces prisonniers l’avaient battu à plus d’une reprise et ils l’avaient menacé de viol. Un soir, il a été traîné dans un coin du gymnase, le couteau sur la gorge. Il s’est dégagé et il a sorti son arme. Il a commencé à frapper son assaillant et il ne pouvait plus s’arrêter. Il lui a porté quinze coups de couteau.
  • La « victime » de Martin a survécu à ses blessures. Martin a toutefois été condamné à dix ans d’emprisonnement et envoyé dans l’une des deux unités spéciales de détention du Canada. Il avait 18 ans quand il est arrivé à l’unité des Prairies. Il y est demeuré 18 mois avant d’être transféré à l’USD du Québec. Alors qu’à l’USD des Prairies il s’était inscrit à certains programmes, Martin ne pouvait participer aux programmes dans ce nouvel établissement. Les détenus boycottaient tous les programmes. Lui-même refusait de rencontrer son agent de gestion de cas, de crainte de devoir demander la protection. Au cours de l’année qui a suivi, il n’a vraiment eu de contacts qu’avec l’aumônier de l’établissement. À mesure que leur relation s’approfondissait, Martin révélait les détails de son passé. Il a décrit la violence et l’alcoolisme parentaux, les tribunaux de la jeunesse, les foyers d’accueil, les centres de détention et, finalement, le système carcéral fédéral. Il a avoué à l’aumônier que sa plus grande crainte était d’être incarcéré dans la même prison que son père biologique, qui purgeait une peine d’emprisonnement à vie pour meurtre. Il a aussi expliqué le sentiment d’immense solitude qu’il éprouvait depuis son entrée dans le système carcéral. Il était incapable de se lier d’amitié avec les autres détenus. Il ne savait pas pourquoi. Avant de rencontrer l’aumônier, il n’avait jamais envisagé de parler au personnel. Le soir où il a appris que l’aumônier quittait le SCC, Martin a pleuré en silence dans sa cellule.
  • Martin a fini par persuader les responsables de la prison de l’envoyer dans un établissement à sécurité maximale. Il a par la suite révélé que le jour de l’audition de sa demande de transfèrement, il avait fabriqué un nœud coulant et l’avait caché dans sa cellule. Si la Commission d’examen avait rejeté sa requête, il se serait pendu.
  • À l’établissement à sécurité maximale, Martin a cherché à établir des relations similaires à celle qu’il avait connue avec l’aumônier à l’USD. Il a commencé à converser avec les détenus et le personnel, d’abord avec hésitation. A force de tâtonnements, il a découvert que certaines personnes, des détenus et des membres du personnel, s’intéressaient bel et bien à lui. Il a été particulièrement étonné que des agents de correction soient disposés à s’asseoir avec lui pour parler de tout et de rien. Ils n’avaient aucun motif pour agir ainsi. Ils ne lui demandaient rien. Ils ne l’analysaient pas. Ils se contentaient de lui parler, comme à tout être humain. Des représentants d’un groupe d’entraide appelé Lifeline l’ont visité. Martin a commencé à croire que, d’une certaine façon, sa vie avait peut-être un sens. Il a se sentait plus libre, mais il ne savait trop pourquoi. Il a participé à nouveau à des programmes, cette fois dans le but d’en profiter au maximum. Il a découvert un programme de l’aumônerie qui l’a aidé à se comprendre comme il ne s’était jamais compris auparavant.
  • Au bout de neuf mois, Martin a été transféré dans un établissement à sécurité moyenne. Il a ensuite obtenu un placement à l’extérieur, puis la semi-liberté. Aujourd’hui, Martin est en liberté conditionnelle totale. Il a un travail et il va à l’école. Il a une amie qu’il aime vraiment beaucoup. Mais le plus important peut-être, c’est que Martin assume aujourd’hui la responsabilité de sa vie dans le contexte de sa collectivité. Comment cela s’est-il produit? C’est peut-être parce qu’un aumônier du système carcéral a su l’écouter et lui faire-part de sa foi, que des agents de correction se sont intéressés à lui à un niveau personnel ou que sa propre volonté s’est réveillée et qu’il a voulu profiter de ce qui lui était offert pour se tirer d’affaire.

L’histoire de Martin n’est pas exceptionnelle. De nombreux détenus ont vécu des expériences douloureuses dans leur vie personnelle à l’extérieur de la prison et ont connu la peur, la solitude et la colère en détention. Le Groupe de travail était aussi profondément conscient de la réalité de la vie carcérale du point de vue des personnes qui travaillent à l’intérieur des prisons...

  • À la fin de ses études au Collège du personnel du SCC, Jim Kane n’était pas aussi satisfait que lorsqu’il avait terminé le programme de justice du collège communautaire. Premièrement, le contenu des cours l’avait déçu. Il reprenait en grande partie ce qu’on lui avait déjà enseigné. Deuxièmement, et cela était peut-être encore plus important, Jim était troublé par le message ambigu que semblaient transmettre certains moniteurs. « Voici ce que dit le livre, et voici la réalité. » Il se demandait si cela reflétait des lacunes des politiques organisationnelles ou si quelques-uns des moniteurs essayaient d’impressionner la classe avec des « histoires de guerre ».
  • Le malaise de Jim s’est accentué lorsque Jim est entré en fonction dans un pénitencier à sécurité maximale. Le message y était encore plus ambigu. Certains de ses collègues lui ont paru tout à fait capables de combiner leurs fonctions de sécurité avec leurs responsabilités de counselling. D’autres semblaient négliger la sécurité pour se concentrer presque entièrement aux programmes et au counselling. Et d’autres encore n’avaient aucun respect ni pour le SCC ni pour les détenus. Ils l’intimidaient. Ils parlaient contre la direction et déclaraient sans ambages que l’on ne pouvait être loyal qu’à ses collègues. « Ce qui se passe ici ne doit pas sortir d’ici. Ne l’oublie jamais. Si tu l’oublies, on va te laisser tomber.»
  • Jim venait d’une famille de classe moyenne type. Il n’était pas certain de ce qui l’avait attiré vers le système pénal, mais ses valeurs personnelles lui paraissaient très importantes. Il avait un profond sentiment du bien et du mal. Il croyait en la justice, en l’équité et en l’égalité. Il était très conscient des injustices sociales, de la pauvreté et du sort de ceux qui avaient eu moins de chance que lui. Mais il était mal préparé à la cruauté de la vie à l’intérieur d’une prison. Les détenus demandaient régulièrement la protection qui leur était accordée. Ceux qui essayaient de s’en tirer tout seul échouaient souvent et ils étaient victimes de voies de fait. Les fouilles effectuées par le personnel permettaient souvent de découvrir des armes, et il ne se passait pas une semaine sans que l’on trouve de la drogue ou de l’information au sujet de transactions touchant les stupéfiants.
  • Jim s’est réjoui de sa promotion à un poste de CO2 qui lui donnait l’occasion de travailler plus étroitement avec les détenus de l’unité. Il était fier de sa capacité de bien gérer ses fonctions tout en collaborant plus étroitement avec les agents de libération conditionnelle pour mettre sur pied des plans correctionnels à l’intention des détenus. Il a vite constaté que pour pouvoir se prononcer sur les plans de transfèrement et de libération il devait bien connaître les détenus. Mais ses efforts à cet égard étaient entravés par de nombreux facteurs. Le roulement des détenus à l’unité, par exemple, était extrêmement élevé. Jim n’avait guère le temps de bien connaître les détenus, occupé qu’il était à gérer les élargissements, les transfèrements et les demandes de protection. Et il était scandalisé de la répugnance apparente qu’éprouvait la direction à punir les agresseurs. Il s’opposait à certaines politiques, en particulier celles qui semblaient plus axées sur les droits des détenus que sur les besoins du personnel. Pourquoi, par exemple, les détenus pouvaient-ils choisir impunément de ne pas travailler et de ne pas participer aux programmes? Jim aurait voulu changer non seulement la vie des détenus, mais aussi l’organisation dans son ensemble. Il se sentait impuissant dans les deux cas. Et il en éprouvait une vive frustration, en particulier compte tenu des risques inhérents à son travail. Jim n’avait jamais été blessé, mais il avait été menacé. Il savait qu’un certain nombre de ses collègues avaient été blessés, et que des changements s’imposaient de toute urgence. Lorsqu’on lui a demandé d’énoncer les changements qui lui semblaient les plus pressants, Jim a fourni une réponse très brève. « Nous avons toutes les études et toutes les politiques dont nous avons besoin pour que le système donne de bons résultats. Nous avons aux échelons supérieurs des dirigeants intelligents et dévoués, mais qui ne savent pas collaborer les uns avec les autres. Personne ne semble savoir ce que les autres font. Pour que le SCC fonctionne bien, il faut que nos dirigeants forment une véritable équipe. Sinon, ceux d’entre nous qui sommes au bas de l’échelle allons le payer très cher. »

Ces deux récits éclairent d’un jour très différent la question de la sécurité au sein du Service correctionnel du Canada. D’une part, le Groupe de travail était conscient de la nécessité d’élaborer un cadre de sécurité qui respectait le droit des personnes incarcérées d’être traitées avec humanité tout en offrant les meilleures perspectives de changement positif. D’autre part, nous savions qu’il fallait élaborer un cadre qui permettrait au personnel de se consacrer pleinement aux buts de l’organisation, sans craindre indûment pour sa sécurité dans ce milieu des plus difficiles.

En examinant la question de la sécurité, le Groupe de travail a reconnu qu’il fallait établir un cadre bien défini pour l’avenir. Pour faire la distinction entre la réalité et les possibilités, il fallait aller au-delà de notre propre paradigme et garder l’esprit ouvert pour reconnaître des possibilités qui, autrement, nous auraient échappé. C’est donc avec de grands espoirs que nous nous sommes lancés dans un voyage d’exploration et de découvertes. Nous avons déterminé la nécessité absolue de créer des occasions d’initier un dialogue avec le milieu académique, les partenaires du système de justice pénale et les membres de notre personnel pour commencer à dégager une vision de l’avenir. Nous nous sommes beaucoup déplacés au Canada, pour visiter de nombreux établissements et bureaux de libération conditionnelle. Nous nous sommes rendus à l’étranger pour visiter des pénitenciers en Israël, aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, en Angleterre, en Irlande, en Irlande du Nord, en écosse, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Partout où nous sommes passés, nous avons ouvert bien grand les yeux et les oreilles. Nous avons cherché non pas tant à valider nos propres opinions au sujet des systèmes carcéraux qu’à découvrir l’excellence dans notre domaine.

« Si nous continuons d’agir comme nous l’avons toujours fait, nous obtiendrons les mêmes résultats que par le passé. »

- Ken Peterson