Au printemps 1989, la Division des politiques et des services de construction du Service
correctionnel du Canada s'est ralliée à de nouveaux concepts d'aménagement des
organismes correctionnels choisis pour orienter la construction d'unités de logement
supplémentaires à l'établissement de William Head, en
Colombie-Britannique(1). Les travaux débuteront à l'été 1991 et
devraient être terminés d'ici environ un an. L'établissement correctionnel de
William Head sera alors unique en son genre au Canada. Les nouveaux concepts d'aménagement
reflètent les valeurs prosociales que l'on tente de promouvoir par la normalisation du milieu
correctionnel et par l'établissement d'une dynamique plus positive entre les délinquants
et le personnel de correction. Cet article passe en revue les nombreux documents de psychologie et de
sciences sociales qui sont consacrés à l'incidence des milieux et qui appuient
empiriquement, de façon soutenue, les concepts d'aménagement qui donnent forme à la
construction des unités de logement à l'établissement de William Head.
La « reconstruction » de l'établissement de William Head
Un cadre physique mal aménagé peut entraver les relations humaines et compromettre le
bien-être de ceux qui l'habitent. Par contre, l'aménagement «plus humain»
d'un lieu peut permettre des échanges valables et rehausser le bien-être de ceux qui s'y
trouvent.
Dans le cas de l'établissement de William Head, ce sera la première fois que les
valeurs fondamentales exposées dans l'énoncé de mission du Service correctionnel
du Canada seront employées comme principes directeurs dans l'aménagement d'un organisme
correctionnel important. Le concept qui sous-tend le projet est que l'établissement doit
ressembler à un milieu résidentiel, en éliminant toutes les
caractéristiques plus conventionnelles d'une prison.
Une hiérarchie résidentielle est prévue; elle a pour pierre angulaire la
chambre du détenu (espace individuel, privé) qui se trouve dans une maison
pour cinq ou six personnes (espace semi-privé, familial) située dans un quartier
(milieu semi-public, interaction en petits groupes) où se trouve également un centre
polyvalent (où se déroulent les programmes et qui regroupe une buanderie, les bureaux
du personnel, des installations de loisirs, etc.). Le niveau public est celui de la
collectivité carcérale, soit l'ensemble des quartiers(2). En tout, 240
détenus seront logés à l'établissement, soit cinq par maison, moyennant
huit maisons par quartier. Cet aménagement vise à susciter un esprit communautaire tout
en favorisant la croissance et l'enrichissement personnels.
Dans ce cadre résidentiel, des couleurs exclusives à chaque quartier, qui sont
d'ailleurs tous dotés de leurs propres nom et adresse, éveilleront chez les
détenus un sentiment d'appartenance. Un des aspects de l'établissement de William Head
qui le distingue nettement d'autres établissements aménagés de façon plus
conventionnelle est le degré de responsabilité individuelle que conservent les
délinquants. Ainsi, les personnes détenues à l'établissement de William
Head seront appelées à assumer des responsabilités (p. ex., la cuisine, le
ménage) qui sont typiques d'un milieu résidentiel.
La conception architecturale
La conception architecturale des unités de logement pour les détenus propose des
maisons de deux étages à deux logements; cinq détenus partagent un logement. Les
chambres, toutes privées, sont à l'étage supérieur. Elles sont toutes
pourvues d'un lit, d'un bureau, d'une chaise et d'un placard. Chaque chambre n'étant
occupée que par un détenu, elle constitue son domaine privé; il est libre de la
décorer et de disposer le mobilier à sa guise. Les chambres ne sont pas pourvues d'une
salle de bain privée. Il n'y a dans la maison qu'une seule salle de bain que partagent les
cinq détenus quoique la salle de bain ne puisse accommoder qu'une personne à la
fois.
À l'étage principal de la maison se trouvent un espace salon-salle à manger,
une cuisine complète, un cabinet de toilette, un espace de rangement et une terrasse
extérieure. Les détenus devront faire la cuisine et le ménage eux-mêmes,
conformément à la philosophie de la vie en milieu résidentiel.
Pour préserver le caractère résidentiel de l'établissement, il n'y aura
pas de barreaux aux portes et aux fenêtres ni de poste de garde. En fait, il sera impossible de
confiner les détenus dans les maisons. Les employés pourront passer d'un logement
à l'autre de la maison grâce à une porte communicante pour faire leur ronde et
autres fonctions connexes. Cependant, la plupart de temps, le personnel ne sera même pas dans
les maisons; il demeurera au centre collectif. Le plan général des maisons est fourni
au schéma 1.
Les six quartiers (qui comptent huit maisons chacun) seront pourvus d'un centre collectif individuel.
Cette grande structure polyvalente d'un étage comprendra un espace de loisirs (y compris un poste
de télévision et des tables de bridge et de billard), une buanderie, des salles de
réunion, les bureaux des gestionnaires des unités et un espace réservé au
déroulement des programmes. À l'instar des maisons, le centre sera dépourvu de
barreaux et d'une installation de sécurité perfectionnée. Par ailleurs, les
matériaux qui y seront utilisés seront semblables à ceux que l'on trouve dans les
maisons et la finition et le mobilier seront ordinaires.
La disposition
Les huit maisons et le centre collectif seront disposés de façon
légèrement différente dans chaque quartier afin de conférer à
chacun un caractère visuel distinct, quelque peu « villageois ». Chaque quartier
sera aménagé autour d'une cour ouverte centrale; des passages ouverts permettront de
passer d'un quartier à l'autre. Le plan du centre collectif est reproduit au schéma
2.
La clôture périmétrique de sécurité qui est déjà en
place d'un côté de l'établissement de William Head demeurera. Les autres
côtés donnent sur l'eau. Conformément à la nouvelle philosophie du milieu
résidentiel, un fort périmètre extérieur sera maintenu alors qu'à
l'intérieur, les détenus seront plus libres dans leurs déplacements et leurs
activités.
Les facteurs de perception Le confort thermique
Les détenus et le personnel de correction se plaignent souvent des conditions thermiques - ils
ont trop chaud ou trop froid, l~ air ne circule pas, il y a des courants d'air - dans les
établissements. La disposition prévue de l'établissement de William Head est
plus ouverte que ce n'est le cas ailleurs, ce qui devrait suffire à résoudre bon nombre
de ces problèmes. Par ailleurs, il est probable que chaque unité de logement sera
pourvue d'un dispositif de régulation d'ambiance. Le cas échéant, on propose de
laisser aux détenus le soin de régler eux mêmes le thermostat, comme ils le
feraient dans un milieu d'habitation normal.
Les couleurs et la lumière
Les couleurs de l'établissement de William Head n'ont pas encore été choisies,
bien que l'on dispose de données intéressantes à ce sujet. Par exemple, Wener et
Clark(3) signalent que les détenus préfèrent les couleurs vives et
les murales. Goldblatt(4), pour sa part, a constaté des effets
bénéfiques lorsqu'on laisse aux détenus le soin de peindre eux-mêmes les
murales.
Tel qu'indiqué plus haut, des couleurs différentes seront employées pour
distinguer les différents quartiers de l'établissement de William Head. D'un point de
vue psychologique, il s'agit là d'une mesure constructive qui devrait rehausser le sentiment
d'appartenance et d'identité des détenus au sein de leur quartier.
Vu l'absence de barreaux et de grillages de sécurité aux fenêtres, la
lumière naturelle entrera à flots et tous les détenus auront une vue
dégagée sur l'extérieur. Bien qu'aucune recherche empirique n'ait
été effectuée quant à l'incidence des fenêtres et de la
lumière naturelle dans un milieu correctionnel, des études faites dans les
écoles et les hôpitaux ont révélé que les milieux dépourvus
de fenêtres sont perçus comme étant moins agréables que ceux qui en sont
pourvus(5). Dans certains cas (chambres d'hôpital), on a même constaté
une corrélation entre l'absence de lumière naturelle et une hausse de stress, voire
même une dépression(6). Selon toute vraisemblance, ces constatations valent
autant dans un milieu correctionnel, comme en conviendrait d'ailleurs quiconque a déjà
vu une cellule sans fenêtre. Dès le début des années 1920, on
délaissait déjà le système auburnien (fenêtres dans les couloirs
périphériques, en face des portes de cellules) en faveur du système
pennsylvanien (fenêtres dans les cellules) principalement parce que la présence de
fenêtres crée un milieu plus agréable et humain(7).
Le bruit, les textures et les accessoires
Quoique ces caractéristiques peuvent sembler disparates, elles sont regroupées parce
que les textures utilisées au sein des établissements de même que le
matériel et les accessoires ont une incidence sur le niveau et le genre de bruit. Aux fins du
présent article, on entend par bruit tout son indésirable.
Selon Richard Wener du Bureau of Prisons des États-Unis, le bruit pose un problème
perpétuel dans les milieux correctionnels, surtout dans les prisons plus vieilles qui sont
aménagées de façon plus conventionnelle. En général, on a
constaté que le bruit gêne l'intimité, la concentration et le sommeil et qu'il
constitue une source de stress(5). Selon Moore(9), il existe un rapport direct
entre le niveau de bruit au sein d'un établissement et la fréquence des
problèmes de santé signalés par les détenus. Tous ceux qui ont
déjà travaillé au sein d'un établissement moins moderne ou qui en ont
déjà visité ne seront aucunement surpris par ces résultats. Le vacarme
métallique provoqué par l'ouverture et la fermeture des barrières, des verrous
et des portes de métal, en plus du bruit que font les détenus (bruits de pas,
discussions, cris, postes de radio et de télévision), est pratiquement incessant. Les
surfaces dures, par exemple les revêtements de tuile, qui sont communément
employées au sein des établissements exacerbent le problème dans la mesure
où elles réverbèrent le bruit au lieu de l'absorber.
Heureusement, dans le courant des dernières années, la tendance a été
à l'adoucissement des milieux correctionnels. L'utilisation de matériaux
d'atténuation sonore, comme les tapis et les carreaux acoustiques, est de plus en plus
répandue. On évite ou limite également le contact de surfaces
métalliques; on tente également d'atténuer le bruit des postes de radio et de
télévision en isolant ou en dispersant les sources de bruit. Il est prévu
d'intégrer ces caractéristiques et d'autres semblables à l'établissement
de William Head pour tenter de réduire les bruits énervants qui se retrouvent dans les
milieux correctionnels.
L'emploi de matériaux et de mobilier plus doux pourrait d'ailleurs avoir une incidence
positive autre que la réduction du bruit. Ainsi, selon les résultats d'une étude
faite par Chaiken, Derlega et Miller(10), les gens ont tendance à discuter plus
facilement de questions privées dans un cadre «doux » (agrémenté de
tapis, de décorations sur les murs et de chaises capitonnées) que dans un cadre
«strict» (où les murs et les planchers sont nus, et les chaises dures). Ces
constatations laissent supposer que le cadre non institutionnel prévu pour William Head
améliorera la qualité des échanges sociaux, ce qui concorde parfaitement avec
l'intention de la reconstruction.
Cependant, la caractéristique la plus frappante du nouveau visage de l'établissement
de William Head est peut-être l'aménagement résidentiel qui coupera le bruit qui
caractérise les milieux correctionnels. Le fracas du claquement des portes de cellule et le
bruit de la conversation de 40 ou 50 détenus dans une unité résidentielle seront
d'ores et déjà éliminés puisqu'il n'y aura plus de portes de cellules et
que seulement cinq ou six détenus seront logés dans une unité de logement. Le
niveau de bruit à William Head sera moins nuisible et provoquera moins de stress; par
ailleurs, on peut supposer que les bruits qui animeront l'établissement seront plus proches de
ceux que l'on entend normalement en milieu résidentiel.
Les conditions sociales et les facteurs psychologiques Le surpeuplement
Le problème du surpeuplement dans les organismes correctionnels ne cesse de s'aggraver, c'est
pourquoi toutes les modifications que l'on envisage d'apporter à l'établissement de
William Head devront forcément en tenir compte.
Ce sont probablement les relations et l'interaction sociale qui pâtissent le plus du
surpeuplement dans les établissements. D'après les résultats de recherches
empiriques, une forte densité de population se solde généralement par des
conséquences sociales pénibles. Par exemple, lorsqu'il y a surpeuplement,
l'agressivité est plus forte et la concurrence pour les ressources est plus serrée, ce
qui affecte la coopération et entraîne le retrait social. Lorsqu'il y a surpeuplement,
les autres sont perçus comme étant moins attirants ou intéressants, et le milieu
social même devient désagréable(11).
Il a été prouvé que le retrait social en réaction à une forte
densité de population (ou surpeuplement) prend diverses formes. Par exemple, certains se
retirent en adoptant une attitude défensive ou réticente(12); cette
réaction, par sa nature même, porte atteinte à la qualité de l'interaction
sociale. Par ailleurs, les questions qui dominent la conversation sont moins personnelles dans un
milieu fortement peuplé, même lorsque les gens présents se connaissent
bien(13).
Quoiqu'il n'y ait pas eu, jusqu'à présent, d'étude comparative des rapports
sociaux au sein des établissements correctionnels à faible et à forte
densités, on peut établir un parallèle avec une étude comparative de deux
types de résidences universitaires effectuée par Reichner(14). Reichner a
étudié les réactions d'étudiants habitant une résidence
aménagée en couloirs (forte densité) et une résidence
aménagée en logements (faible densité) lorsqu'ils étaient exclus de la
conversation dans un contexte d'interaction. Reichner a constaté que les étudiants
vivant dans un milieu à faible densité réagissaient plus fortement à
cette exclusion que leurs homologues habitant la résidence à forte densité. Ces
résultats indiquent que l'aménagement en couloir, donc à forte densité,
que l'on trouve dans bon nombre d'établissements conventionnels, ne facilite pas les rapports
humains constructifs. Par contre, l'aménagement prévu à William Head devrait
faciliter l'interaction positive des délinquants et du personnel.
D'autres données confirment qu'un comportement prosocial est plus fréquent dans les
milieux où la densité est moyenne ou faible. Latane et Darley(15) ont
effectué une série d'expériences types communément appelées
«études de l'effet du spectateur »; dans le cadre de cette expérience, un
des chercheurs agit comme s'il avait besoin d'aide - par exemple, il simule une crise cardiaque ou
fait semblant d'avoir besoin d'aide pour changer une crevaison. En ayant recours à la
méthode des « lettres perdues » (c'est-à-dire lorsque des lettres «
perdues» sont en fait laissées par le chercheur et adressées à son
laboratoire), Bickman et ses collègues(16) ont constaté que les «
lettres perdues» sont retournées plus fréquemment dans les résidences
où la densité de population est faible que dans celles qui sont plus densément
peuplées. Par ailleurs, Jorgensen et Dukes(17) ont constaté que dans une
cafétéria, les gens ont davantage tendance à suivre les directives
affichées et à retourner leurs plateaux là où ils les ont pris et, de
façon générale à nettoyer leur place, lorsque la cafétéria
est moins achalandée. En somme, toutes les études « sur l'effet du spectateur
» ont révélé que les gens sont beaucoup plus susceptibles de venir en aide
à leur prochain dans les milieux moins peuplés.
L'agressivité et la violence sont également liées au surpeuplement et elles
sont une source de préoccupation constante au sein des établissements correctionnels.
Comme on aurait pu le prévoir, les recherches sur la psychologie sociale et du milieu
indiquent que les milieux densément peuplés fomentent l'agressivité et la
violence; cette constatation vaut pour les détenus, l'ensemble de la population et même
les enfants(18). Alors que les hommes semblent mieux supporter le surpeuplement à
court terme, ce n'est pas le cas à long terme. Cette idée est particulièrement
importante pour ce qui concerne les établissements correctionnels justement parce que le
surpeuplement prolongé est exactement la situation que doivent supporter de nombreux
détenus. Les chercheurs Cox, Paulus et
McCain(19) ont étroitement suivi l'évolution de la densité de
population et du taux de violence dans plusieurs prisons américaines. Même en tenant
compte de facteurs indépendants de la densité, comme le moment de l'année et la
température, il existe des parallèles frappants entre l'augmentation de la
densité et l'incidence de la violence, par exemple des agressions. Ces résultats
indiquent nettement que pour réduire la violence carcérale, il faudrait songer
sérieusement à limiter la densité de population dans la conception d'un nouvel
établissement.
Un autre élément, qui touche à la fois le surpeuplement et
l'agressivité, est la réalité purement économique du surpeuplement: il y
a plus de concurrence et moins de ressources. En milieu correctionnel, les ressources peuvent
comprendre des choses aussi diverses que la disponibilité des salles de bain, les livres de
bibliothèque, les fauteuils pour regarder la télévision, l'équipement de
sport et de divertissement, en somme, tout ce dont un détenu pourrait vouloir se servir. La
conséquence du resserrement des ressources dû au surpeuplement est double. D'une part,
il y a le sentiment d'impuissance ou le malaise occasionné par le fait de ne pouvoir disposer,
ou disposer pleinement, d'une ressource. D'autre part, la concurrence et les conflits
résultant du manque de ressources donnent souvent lieu à des comportements agressifs et
violents.
L'adaptation au surpeuplement
L'adaptation au surpeuplement et la maîtrise de soi sont les notions connexes qui lient toutes
les conséquences sociales du surpeuplement. L'incarcération en milieu surpeuplé
est une source de stress qui peut faire naître un sentiment d'impuissance chez certains
détenus(20). Ils adoptent et mettent spontanément en pratique des
mécanismes d'adaptation, dont certains peuvent être plus positifs que d'autres. Le
retrait social est un moyen de supporter le stress causé par le surpeuplement. Par contre, il
va complètement à l'encontre des objectifs prosociaux préconisés dans la
Mission. L'évasion est un autre mécanisme d'adaptation qu'emploient les personnes qui
se trouvent dans un milieu surpeuplé. Lorsque le stress provoqué par le surpeuplement
devient insupportable, la personne s'évade de l'établissement. Il est évident
que ce mécanisme d'adaptation est inadmissible dans un milieu correctionnel.
Les questions de la surveillance des détenus et du contrôle externe ont
été jusqu'à présent les préoccupations premières dans les
milieux institutionnels conventionnels. De nouveaux concepts d'aménagement, comme ceux mis en
oeuvre à l'établissement de William Head, préconisent la
délégation de responsabilités aux détenus et les éléments
de contrôle interne ou social. Dans les nouveaux milieux correctionnels, les détenus
seront plus libres de choisir leur comportement, y compris « l'évasion », et
auront donc l'impression d'avoir davantage de maîtrise sur leurs vies. L'importance des
rapports sociaux est soulignée par les nouveaux concepts d'aménagement des
établissements; par ailleurs, ceux-ci permettent un degré d'intimité qui est
absent dans les établissements plus vieux et plus conventionnels. Conformément à
la philosophie qui sous-tend les nouveaux concepts d'aménagement, le détenu disposera
maintenant de mécanismes de contrôle et d'adaptation communs (par exemple, la
possibilité de « s'évader» pour regagner l'intimité de son espace
individuel) dont chacun dispose typiquement en milieu résidentiel normal.
L'intimité
L'intimité, que l'on définit d'ordinaire comme le contrôle de l'accès
à sa personne, manque typiquement au sein des établissements plus vieux. La recherche
de l'intimité est une fonction psychologique importante que les gens qui jouissent de leur
liberté tiennent pour acquis. De nombreuses recherches en sciences sociales se sont
intéressées à l'intimité; certaines d'entre elles sont pertinentes
à l'aménagement des établissements.
Une caractéristique importante de l'établissement de William Head est que les
détenus auront chacun leur chambre qu'ils seront libres de décorer et d'organiser
à leur gré. En plus, chaque détenu se verra remettre la clé de sa
chambre, ce qui lui permettra de contrôler les allées et venues dans son espace
privé tout comme il pourrait le faire en milieu résidentiel. Bien entendu, le personnel
de correction aura un passe-partout, mais il sera impossible d'enfermer les détenus dans leurs
chambres.
Le fondement empirique de ce type de logement pour les détenus est simple : on a
constaté que le contrôle et l'intimité importent à la plupart des
détenus. Par exemple, Smith(21) a étudié le comportement de groupes
de détenus qui se trouvaient dans un établissement pourvu de cellules pour quatre
personnes et qui ont emménagé dans un autre établissement où chacun avait
sa propre cellule. Il a été possible d'établir une corrélation frappante
entre l'intimité et la mesure dans laquelle les détenus avaient l'impression
d'être maîtres de leur existence. Les détenus qui prisaient le plus leur
intimité étaient également ceux qui se sentaient le plus impuissants lorsqu'ils
se trouvaient dans le premier établissement. Au sein de l'établissement neuf qui
permettait une plus grande intimité, plus les détenus attachaient de l'importance
à leur intimité, plus ils avaient l'impression de maîtriser leur vie.
McCain, Cox et Paulus(22) ont comparé plusieurs types de logements pour
détenus - pour une personne, pour deux personnes, pour plusieurs personnes, dortoir ouvert,
dortoir Segmenté - en mesurant le bien-être des détenus, comme le stress
rapporté et la violence. Les résultats qu'ils ont obtenus établissent un rapport
linéaire entre le degré d'intimité (facteur du nombre de détenus
logés ensemble) et les effets positifs : les effets négatifs étaient moindres
lorsque le degré d'intimité était élevé (chambre privée).
Cette étude, à l'instar de celle faite par Wener et Olsen(23), a
également permis de constater que les plaintes concernant leur état de santé
sont plus fréquentes chez les détenus qui partagent leur unité avec d'autres que
chez ceux qui disposent d'un logement privé. De même, d'Atri(24) a
constaté que le niveau de stress rapporté et la pression artérielle des
détenus qui partagent leur logement avec d'autres sont plus élevés.
Il ne semble pas y avoir de lien entre l'espace attribué à chaque détenu et les
conséquences du surpeuplement et du manque d'intimité. En effet, on n'a pu constater
aucun rapport entre l'espace (c'est-à-dire la superficie) dont dispose un détenu et une
amélioration quelconque de son bien-être. De surcroît, les détenus qui
occupent un logement individuel semblent mieux se porter même si la surface en mètres
carrés dont ils disposent est moindre que celle occupée par des détenus qui
partagent un logement. Du point de vue de l'aménagement, ce résultat est
intéressant car il permet de constater que ce qui est requis n'est pas davantage de place pour
les détenus, mais un espace limité ou convenable qui permette une certaine
intimité.
Bien que dans bon nombre de cas il puisse s'avérer difficile, d'un point de vue
expérimental, de faire la part entre les effets propres du surpeuplement et du manque
d'intimité sur le bien-être, le résultat général est sans
équivoque: le surpeuplement et l'absence d'intimité donnent lieu, conjointement ou
séparément, à un milieu désagréable, tendu et
éventuellement dangereux. Les plans mis de l'avant pour l'établissement de William
Head, dans la mesure où ils préconisent l'aménagement de logements visant
à encourager une interaction sociale bénéfique tout en respectant le besoin
d'intimité des détenus, constituent un précédent empirique qui fera
école.
La territorialité
Bien que le comportement territorial se manifeste souvent dans les milieux correctionnels, par
exemple dans le cas de motards ou d'un groupe ethnique ou racial quelconque qui se réunissent
toujours dans le même coin du réfectoire, il n'est pas aisé d'en tenir compte
dans l'aménagement des milieux correctionnels. D'une part, rares sont les recherches
empiriques entreprises dans ce domaine, et celles qui l'ont été sont plutôt
axées sur de grandes questions théoriques comme les comportements territorial, de
dominance, de délimitation ou de personnalisation, etc. Dans l'ensemble, on a cherché
à savoir ce qui pousse les êtres humains à délimiter leur territoire et
comment ils le font, et quel est l'antécédent dans l'évolution du comportement
territorial chez les humains. Outre les recherches visant à « fortifier » les
quartiers contre l'activité criminelle, rares sont les travaux qui visaient
d'éventuelles applications pratiques.
Tel que mentionné précédemment, les comportements territoriaux sont très
communs dans les milieux correctionnels. En fait, ce type de comportement est universel: on le
retrouve dans les rues, dans les quartiers et partout où les gens vivent en
collectivité(25). Ainsi, si les nouveaux principes d'aménagement
pénitentiaire visent à créer un milieu « normalisé» ou
résidentiel, on peut s'attendre à y retrouver des comportements territoriaux normaux,
de type résidentiel. Le cas échéant, on soutient qu'il est alors probablement
erroné d'envisager comment augmenter ou réduire la territorialité dans la
même perspective que le surpeuplement, mais qu'il faut plutôt trouver comment
préserver les aspects normaux, ou positifs, de la territorialité. Malgré le peu
de données à ce sujet, il n'est pas inconcevable que l'aménagement d'un milieu
plus normal, comme celui projeté par l'établissement de William Head, suffise à
arriver à cette fin.
En conclusion
La mesure la plus révélatrice de la qualité d'un milieu humain est probablement
le bien-être des gens qui y vivent. Dans le cas d'un établissement correctionnel
où un détenu demeure 24 heures par jour, souvent durant plusieurs années,
l'aménagement d'un milieu sain est d'autant plus important. Cela ne signifie pas que les
milieux correctionnels plus vieux (ni même les aménagements de type autonome plus
récents) sont forcément néfastes, mais plutôt que leur construction et
leur exploitation étaient fondées sur des principes directeurs différents. Par
exemple, alors qu'auparavant la surveillance et le contrôle primaient dans l'aménagement
des milieux correctionnels, de nos jours, les valeurs prosociales exposées dans la Mission du
Service correctionnel du Canada constituent les principes directeurs de l'aménagement
pénitentiaire. Vu les données dont on dispose, tout semble indiquer qu'un
établissement pourvu des caractéristiques prévues pour l'établissement de
William Head fournira aux détenus un milieu plus normal où leurs besoins fondamentaux
et les relations humaines primeront. On peut également conclure que ce type
d'aménagement concorde avec bon nombre des conditions préalables, établies par
déduction empirique, au bien-être des êtres humains.
Joseph Johnston est agent de recherche à la Direction de la recherche et des
statistiques du Service correctionnel du Canada. Il termine son doctorat en psychologie à
l'Université Carleton.
(1)Il faut souligner que les travaux prévus à l'établissement de
William Head ne reprennent qu'en partie les nouveaux concepts d'aménagement adoptés par la
Division de la politique et des services de construction. Une bonne partie de l'établissement de
William Head existe déjà, c'est pourquoi les nouveaux concepts d'aménagement n'ont
pu être mis à contribution que dans une partie de la structure, en l'occurrence les
nouvelles unités de logement.
(2)En raison de la disposition actuelle de l'établissement de William Head, il
est impossible de structurer l'établissement comme une « collectivité »,
conformément au concept d'aménagement original.
(3)R. Wener et N. Clark. (1977). "A User-Based Evaluation of The Chicago Metropolitan
Correctional Centre: Final Report." Rapport du Bureau of Prisons du ministère de la Justice des
États-Unis.
(4)L. Goldblatt. (J 972). "Prisoners and Their Environment: A Study of Two Prisons
for Youthful Offenders." Dissertation non publiée, North Carolina State University.
(5)C.S. Weinstein. (1979). "The Physical Environment of School: A Review of the
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(6)B.L. Collins. (J 975). "Windows and People: Alternative Survey. Psychological
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Series, 70, Washington, D..: Institute for Applied Technology.
(7)H.H. Hart. (1922). Plans and Illustrations of Prisons and Reformatories.
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(8)C.S. Weinstein. (1982). "Special Issue on Learning Environments: An
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(9)E. Moore. (1985). "Environmental Variables Affecting Prisoner Health Care
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(10)A.L. Chaiken, V.J. Derlega et S.J. Miller. (1976). "Effects of Room Environment
on Self Disclosure in a Counselling Analogue." Journal of Counselling Psychology, 23,
479-481.
(11)D. Ellis, H. Grasnick et B. Gilman. (1974). "Violence in Prisons: A Sociological
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P.M. Lehrer. (1981). "Physiological, Cognitive and Nonverbal Responses to Repeated Exposure to
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(12)G. W. Evans. (1979). "Crowding and Human Performance." Journal of Applied
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(13)E. Sundstrom. (1975). "An Experimental Study of Crowding: Effects of Room Size,
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(14)R.F. Reichner. (1979). "Differential Responses to Being Ignored: The Effects of
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(15)B. Latane et J.M. Darley. (1970). The Unresponsive Bystander: Why Doesn't He
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(16)L. Bickman, A. Teger, T. Gabriele, C. McLaughlin et E. Sunaday. (1973).
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(17)D.O. Jorgensen et F.O. Dukes. (1976). "Deindividuation as a Function of Density
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(18)C.M. Loo et D. Kennelly (1979). "Social Density: Its Effects on Behaviours
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aussi P. Smith, et K. Connolly. (1977). "Social and Aggressive Behavior in Preschool Children as a
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(20)J.W. Brehm. (1966). A Theory of Psychological Reactance. New York:
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