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L'existence du cycle de la violence est-elle prouvée?

D'après les résultats d'une récente étude comparative entre des enfants battus et privés de soins et des enfants qui n'avaient pas subi de tels mauvais traitements, les enfants maltraités et négligés sont plus susceptibles d'être délinquants et d'adopter un comportement criminel et violent une fois adultes.

Selon l'hypothèse du cycle de la violence, ou transmission de la violence entre générations, les enfants battus battront leurs enfants tandis que les victimes de violence deviendront des délinquants violents. Pourtant, un examen récent de la recherche faite dans ce domaine a révélé que les preuves empiriques pour appuyer cette hypothèse sont rares.

Bien que la théorie du cycle de la violence fasse de nombreux adeptes, la recherche s'est heurtée à des problèmes de méthodologie et n'a donc pas encore permis de tirer de conclusions sur les effets à long terme de la victimisation des enfants. Parmi ces problèmes, il y a notamment l'absence d'un groupe témoin qui puisse être comparé au groupe d'individus ayant subi des mauvais traitements ou été victimes de violence. Aussi, il y a la question du plan rétrospectif des études qui oblige le chercheur à s'en remettre à la mémoire des délinquants pour obtenir des détails sur leur petite enfance.

L'étude dont il est question ici est plus poussée que les recherches qui l'ont précédée : elle est fondée sur une définition relativement précise de ce que constituent mauvais traitement et négligence; elle suit un plan prospectif, c'est-à-dire qu'elle suit le développement des enfants plutôt que d'essayer de le reconstituer en fouillant le passé; elle porte sur un vaste échantillon; elle vise aussi un groupe témoin qui ressemble étroitement au groupe expérimental de par l'âge des individus, leur sexe, leur origine raciale et la classe sociale approximative dont ils sont issus; elle comprend une évaluation des effets à long terme du mauvais traitement et de la violence puisqu'elle s'intéresse aux individus au delà de l'adolescence et des tribunaux pour la jeunesse et les suit jusqu'à l'âge adulte.

Partant des registres publics d'une région métropolitaine des États-Unis, les chercheurs ont compilé un vaste échantillon de cas d'enfants victimes de mauvais traitement ou de négligence remontant à une vingtaine d'années; ils ont aussi établi un groupe témoin d'enfants n'ayant pas souffert de tels traitements. L'étude avait pour objet de voir dans quelle mesure les individus des deux groupes avaient adopté un comportement délinquant, criminel et violent en vieillissant.

Les chercheurs commencèrent par retenir tous les cas de violence physique, d'abus sexuel à l'égard des enfants et de négligence valides et confirmés par le tribunal de comté pour les jeunes et par les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes entre 1967 et 1971. Sur 2 623 cas, ils en conservèrent 908 qui feraient l'objet de l'étude.

Les cas de « violence physique » désignent tous les cas où une personne a « en toute connaissance de cause et délibérément infligé un châtiment corporel extrême ou une souffrance physique excessive » à un enfant.

La « violence sexuelle » est le terme employé pour regrouper diverses inculpations allant d'accusations assez imprécises comme « les coups et blessures infligés dans le but d'obtenir la satisfaction d'un désir sexuel » à des accusations plus précises et détaillées.

La « négligence » a été invoquée dans les causes où le tribunal a constaté qu'un enfant était privé de soins parentaux ou de surveillance convenables, qu'il vivait dans la misère, était sans foyer ou vivait dans un milieu où il était menacé par un danger physique.

Les enfants inclus dans le groupe témoin furent choisis à même les dossiers d'enregistrement des naissances du comté et les registres d'une centaine d'écoles primaires. Dans la mesure du possible, les caractéristiques de ces enfants étaient comparables à celles des enfants inclus dans le groupe expérimental, notamment pour l'âge, le sexe, l'origine raciale et le rang socio-économique de la famille pendant la période visée par l'étude. En fin de compte, les chercheurs furent en mesure d'établir une correspondance dans le cas de 73,7 p. 100 (ou 667) des enfants ayant été victimes de violence ou de négligence.

La proportion d'hommes et de femmes était à peu près égale dans les deux groupes, à savoir le groupe témoin et le groupe d'individus battus et négligés; en revanche, les Blancs étaient à peu près deux fois plus nombreux que les Noirs. L'âge moyen des individus des deux groupes était environ 26 ans; à peu près 85 p. 100 des individus étaient âgés d'entre 20 et 30 ans.

Les chercheurs ont puisé des données sur la délinquance juvénile, la criminalité adulte et le comportement criminel violent dans les dossiers officiels. Résultats En général, les individus battus et négligés en enfance étaient nettement plus susceptibles que les individus de groupe témoin d'avoir été arrêtés à la suite d'incidents de délinquance, de criminalité adulte et de comportement criminel violent (voir graphique). Dans l'ensemble, le taux d'arrestation juvénile était plus élevé chez les enfants battus et négligés (26 p. 100 comparativement à 17 p. 100), de même que le taux d'arrestation adulte (29 p. 100 et 21 p. 100) et l'incidence d'infractions violentes diverses (11 p. 100 et 8 p. 100).

Ces différences étaient présentes, du moins statistiquement, dans tous les groupes (hommes et femmes, Noirs et Blancs) et pour tous les comportements asociaux, à deux exceptions près. L'incidence de criminalité violente chez les femmes qui avaient été battues ou négligées en enfance était sensiblement égale dans les deux cas. Aussi, chez les femmes et les hommes de race blanche, le fait d'avoir été battus ou négligés en enfance ne semblait pas les rendre plus susceptibles de se faire arrêter pour comportement criminel violent.

En général, par rapport au groupe témoin, le nombre moyen d'infractions commises par les enfants maltraités était considérablement plus élevé (2,43 par rapport à 1,41); aussi, ces enfants avaient posé leur premier acte criminel alors qu'ils étaient plus jeunes que les enfants du groupe témoin (16,48 par rapport à 17,29). La proportion de multirécidivistes ou de personnes inculpées de cinq infractions et plus était plus élevée (17 p. 100 par rapport à 9 p. 100) chez le groupe expérimental.

Plusieurs indices de délinquance, de criminalité adulte et de comportement violent, mais non tous, distinguent les enfants maltraités des autres enfants. En particulier, une fois engagés dans la voie de la criminalité, les enfants n'ayant pas subi de mauvais traitements et les enfants maltraités étaient également susceptibles de s'y maintenir. Des enfants ayant un dossier d'infractions, la proportion de ceux qui poursuivaient leurs activités criminelles une fois adultes était sensiblement la même chez le groupe expérimental que chez le groupe témoin (53 p. 100 et 50 p. 100). En outre, la proportion de jeunes ayant commis des infractions avec violence était sensiblement égale à la proportion d'enfants qui devenaient des adultes violents (34,2 p. 100 du groupe expérimental et 36,8 p. 100 du groupe témoin).

Ainsi, il ne semblerait pas qu'un enfant victime de mauvais traitement risque plus qu'un autre d'adopter un mode de vie criminel. Par contre, il semblerait que ces enfants soient plus susceptibles de commettre un acte criminel et ce, à un jeune âge.

L'étude cherchait aussi à vérifier si l'incidence de violence est plus élevée chez les adultes victimes de violence physique au cours de leur enfance que chez ceux qui ont subi d'autres mauvais traitements ou qui ont été privés de soins. Comme on pouvait s'y attendre, ce sont chez les victimes de violence physique, puis chez les victimes de négligence, que le taux d'arrestation pour comportement criminel violent est le plus élevé.

Ainsi, 15,8 p. 100 des personnes battues dans leur enfance ont fini par être inculpées d'une infraction avec violence; 12,5 p. 100 des victimes de négligence se sont retrouvées dans la même situation. Cette proportion était de 7,9 p. 100 pour les individus du groupe témoin. Il est intéressant de constater que le taux d'arrestation le plus bas, soit 5,6 p. 100, inférieur même à celui du groupe témoin, était celui des personnes ayant subi uniquement des abus sexuels durant leur enfance.


Graphique
Graphique

Conclusion Les résultats de cette étude corroborent l'hypothèse du cycle de la violence: les enfants victimes de mauvais traitements et de négligence sont plus susceptibles que les enfants qui n'ont pas subi de tels traitements de devenir des délinquants, des criminels adultes et des criminels violents.

Il ne faut pourtant pas en conclure que tous les enfants maltraités ou négligés deviendront forcément des délinquants ou des criminels. Si 26 p. 100 de ces enfants avaient un dossier d'infraction, il ne faut pas oublier que 74 p. 100 n'en avaient pas. De même, si il p. 100 d'entre eux avaient été inculpés d'une infraction avec violence, ce n'était pas le cas de 89 p. 100 d'entre eux.



Cathy Spatz Widom. (1989). « The Cycle of Violence ». Science, 244, 160-166.