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Une lueur dans une nuit sans étoiles : évaluation du programme de l'Equipe d'entraide de la Prison des femmes de Kingston

Certaines recherches ont porté sur l'efficacité des programmes de counseling par des codétenus dans les prisons pour hommes, mais on possède peu de documentation sur l'efficacité du counseling par les codétenues en milieu carcéral. En revanche, les rares études qui ont été faites incitent fortement à penser que les prisons de femmes se prêtent bien à des programmes de ce genre(2).

Une évaluation récente de l'Équipe d'entraide à la Prison des femmes de Kingston, en Ontario, vient corroborer ces observations. L'évaluation repose à la fois sur des méthodes qualitatives (entrevues par des compagnes conseillères) et quantitatives (questionnaire distribué à la population carcérale). D'après les résultats, tant les prisonnières formées en qualité de compagnes conseillères que celles qui ont bénéficié de leur counseling avaient le sentiment d'avoir progressé en ce qui a trait à la confiance en soi, à la liberté d'action et à l'auto-efficacité. L'Équipe d'entraide Le programme de l'Équipe d'entraide, qui est coordonné par le Service de psychologie de la Prison des femmes, s'appuie sur deux éléments centraux : un atelier de formation de six semaines pour celles qui aspirent à devenir compagnes conseillères et une expérience pratique sous forme de séances de counseling où la compagne conseillère formée entre en interaction avec une femme en détresse. Ce que les conseillères ont dit... Des entrevues ont été menées auprès de 12 femmes qui avaient bénéfice de la formation de compagnes conseillères.

Ces femmes ont déclaré que les répercussions affectives, psychologiques et comportementales de l'exploitation sexuelle et de la violence familiale subies au cours de l'enfance étaient au coeur des problèmes de santé mentale des détenues de la Prison des femmes. Ces femmes ont également souligné combien il était difficile de surmonter une détresse affective dans un milieu répressif.

Les personnes interrogées ont dit que l'atelier de formation de l'Équipe d'entraide les avait aidées à s'attaquer à ces problèmes grâce à l'aspect éducatif de la formation (les thèmes abordés sont l'exploitation sexuelle, la violence familiale, la colère, le sexisme, le racisme, l'homophobie, l'automutilation et le suicide) et à l'élément débat de chaque séance.

La plupart des participantes ont fait savoir que non seulement la formation de compagnes conseillères leur avait permis d'acquérir les aptitudes nécessaires à aider les autres détenues en détresse, mais qu'elles avaient bénéficié personnellement du programme. Les discussions en groupe portaient sur des thèmes intimement liés à la vie des participantes, de sorte que les conseillères ont appris qu'elles n'étaient pas seules dans leur combat et se sont senties moins isolées.

Cette constatation est peut-être l'une des plus importantes parce que, comme la recherche sur les traumatismes et la guérison l'a montré, le fait de rompre le silence qui entoure des expériences comme l'exploitation sexuelle dans l'enfance et de comprendre que d'autres ont survécu à des mauvais traitements analogues est essentiel pour surmonter des expériences traumatisantes(3).

Les participantes à l'entrevue ont également trouvé que la formation de l'Équipe d'entraide, tant dans sa philosophie que dans sa structure, faisait heureusement contrepoids à certains effets nocifs des expériences qu'elles avaient vécues et de l'environnement carcéral lui-même. Les femmes ont signalé que, dans ce milieu carcéral, elles se sentaient désorientées, pleines de méfiance et avaient perdu tout sentiment de sécurité. Par contraste, la formation leur offrait un espace cohérent et sûr, axé sur l'échange et la confiance, et leur démontrait que le personnel faisait confiance aux compagnes conseillères en leur confiant la tâche d'aider les femmes en détresse. Cet élément a renforcé chez les participantes le sentiment de leur propre valeur.

Au cours de la dernière décennie, les chercheurs et les cliniciens ont défini les effets à long terme de l'exploitation sexuelle subie durant l'enfance(4), les répercussions de la violence sur les femmes battues(5) et les traumatismes psychologiques résultant de la violence sexuelle et physique en général(6). Parmi les séquelles les plus courantes, on constate une détérioration du sentiment de sécu-rité et de l'intégrité personnelle, un sentiment écrasant d'impuissance et de paralysie, des difficultés à faire confiance et la haine de soi.

La prison intensifie les effets psychologiques liés au fait d'être victime d'agression sexuelle ou de violence physique (en tant qu'enfant ou adulte). Le cadre réglementaire et répressif reproduit la dynamique d'une relation d'abus de pouvoir où la victime est impuissante ou privée de dignité.

En revanche, l'atelier de formation créait une atmosphère de confiance, de partage et de respect et favorisait le sentiment d'autonomie et d'auto-efficacité des participantes. Ce que les bénéficiaires ont dit... En plus des entrevues, on s'est servi d'un questionnaire d'enquête pour réunir l'information sur l'utilisation du service d'entraide par la population carcérale.

D'après l'enquête, 81 p. 100 des 53 répondantes appréciaient l'existence de l'Equipe d'entraide même si elles n'avaient jamais fait appel à ses services dans une situation d'urgence. Les raisons les plus fréquemment citées pour demander à voir une compagne conseillère étaient les crises de dépression (33 p. 100), le désir d'autodestruction (22 p. 100) et les rappels éclairs de scènes de mauvais traitements (22 p. 100). (La plupart des répondantes ont mentionné plus d'une raison pour justifier leur désir de voir une compagne conseillère.)

Les répondantes qui ont reçu du counseling de leurs compagnes ont déclaré que ce soutien les avait aidées à surmonter le sentiment d'isolement et les moments de dépression et à se sentir mieux par rapport à elles-mêmes. Par exemple, les répondantes ont déclaré qu'elles avaient l'impression d'être comprises par la compagne conseillère.

Leurs observations montrent combien elles ont apprécié les conseillères:

  • «Elle m'a fait comprendre que ce n'est pas entièrement ma faute.»
  • «Cet endroit semble pousser les gens à s'écraser mutuellement. Et c'était bien de savoir qu'il y a des personnes qui ne se conduisent pas de cette façon.»
  • «Je me suis sentie en sécurité.»
La cote moyenne attribuée à l'utilité des compagnes conseillères a été de 4 sur une échelle de 1 à 5 (5 étant la note maximum). Recommandations Les compagnes conseillères et les répondantes ont également recommandé des améliorations au service général de l'Équipe d'entraide, qu'on peut regrouper en cinq catégories:
  1. Les prisonnières qui ont suivi l'atelier de formation ont demandé que sa durée soit prolongée (il est actuellement de six semaines) pour leur donner davantage le temps d'explorer les sujets. De nombreuses femmes considèrent que, vu la quantité de thèmes en rapport avec leur vie abordés pendant la formation, il leur faudrait plus de temps pour assimiler l'information.
  2. Les répondantes ont demandé que les détenues soient mieux informées de l'existence du service de l'Équipe. Elles ont trouvé qu'il serait utile d'aviser les détenues de l'existence du service lorsqu'elles sont admises à la prison parce que c'est justement la période d'adaptation initiale qui est généralement la plus difficile. (Depuis que cette étude a été réalisée, le service de psychologie a mis en oeuvre cette recommandation en renseignant les nouvelles venues sur l'Équipe d'entraide et les autres services de soins psychologiques accessibles.)
  3. Tant les prisonnières qui ont répondu aux entrevues que celles qui ont répondu au questionnaire d'enquête ont apprécié les agents de correction à qui on a demandé de se joindre à l'Équipe d'entraide comme membres «honoraires». Les participantes ont demandé que l'expérience se poursuive.
  4. Les participantes à l'étude ont émis le voeu qu'on demande à d'anciennes toxicomanes et à des prisonnières libérées de diriger les ateliers de formation. Elles pensent que la participation de ces personnes, plutôt que celle de «spécialistes», les aiderait à renforcer leurs liens avec la collectivité extérieure et avec des gens avec lesquels elles ont davantage en commun.
  5. Les participantes aux entrevues ont exprimé le besoin de voir créer une Équipe d'entraide officielle pour les femmes qui sortent de la Prison des femmes.
Résumé On a récemment pris conscience que la grande majorité des femmes du Canada purgeant une peine dans une prison fédérale ont été victimes d'exploitation sexuelle dans leur enfance et ont besoin de services pour les aider à surmonter cet handicap et les problèmes connexes(7). De récentes études conduites à la Prison des femmes renforcent l'idée qu'il est impératif de créer des programmes qui «donnent aux femmes la capacité de changer positivement leur style de vie dans un contexte d'éducation, d'aide et de guérison(8)».

Par ailleurs, une étude portant sur les femmes incarcérées dans les prisons du Colorado corrobore l'idée qu'il se trouve parmi elles un grand nombre de victimes de mauvais traitements et souligne l'importance de répondre aux besoins affectifs des femmes emprisonnées afin qu'elles puissent se réintégrer et demeurer dans la société(9).

Les participantes à cette étude ont décrit combien le cadre carcéral reproduit le déséquilibre de pouvoir et les sentiments d'insécurité, de dégradation et de peur qui sont inhérents à la plupart des relations aboutissant à des mauvais traitements, et comment cette situation peut aller à l'encontre de la guérison de leurs blessures affectives. Comme l'illustrent clairement les récentes publications sur les traumatismes et la victimisation, une atmosphère de sécurité dans laquelle les femmes peuvent acquérir un sentiment d'auto-efficacité est indispensable pour surmonter les expériences traumatisantes.

Les résultats de cette étude montrent qu'en dépit du climat généralement répressif de la prison, la formation de l'Équipe d'entraide a contribué à créer une atmosphère propre à donner aux membres le sentiment d'être acceptées et dotées d'une marge de manoeuvre. L'approche des membres de l'Équipe à l'égard du counseling de leurs compagnes témoigne également d'une sensibilisation aux séquelles psychologiques à long terme des mauvais traitements graves, sensibilisation qui a orienté les efforts qu'elles déploient pour rétablir l'équilibre et la maîtrise de leur vie des prisonnières qu'elles essaient d'aider.

Une véritable compréhension de la dynamique et des répercussions psychologiques de la violence et les initiatives destinées à restaurer chez les femmes le sentiment qu'elles ont une liberté d'action sont rares dans les programmes des prisons. L'Équipe d'entraide semble être un modèle de programme d'aide par les codétenues, original et efficace, et constitue également un modèle de traitement pratique et théorique des femmes incarcérées qui ont été victimes de mauvais traitements.


(1)Shoshana Pollack, Service de psychologie, Prison des femmes, Service correctionnel du Canada, C.P. 515, Kingston (Ontario) K7L 4W7.
(2)D. Wilfrey, C. Rodon et W. Anderson. «Angry Women Offenders», International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, vol. 30, n° 1, 1986, p. 41-51. Voir également E. Cenders et E. Player, «Women in Prison: The Treatment, the Control and the Experience, Gender, Crime and Justice, P. Carlen et A. Worrall, Philadelphie, Open University Press, 1987; D. Layton MacKenzie, J. Robinson et C. Campbell. «Long-term Incarceration of Female Offenders: Prison Adjustment and Coping», Criminal Justice and Behavior, vol. 16, n° 2, 1989, p. 223-238. L. Inowlucki et J. Mai, «That It Comes from Us Alone and Not from Someone Who Stands behind Us and Says You Must - A Discussion of Contradictory Experiences with Stopping Drug Use in Jail», Kriminologisches Journal, vol. 12, n° 4, 1980, p. 271-282. J. Clark et K. Boudin, «Community of Women Organize Themselves to Cope with the Aids Crisis: A Case Study from Bedford Hills Correctional Facility», Social Justice, vol. 17, n° 2, 1990, p. 90-109.
(3)J. Herman. Trauma and Recovery, New York, Basic Books, 1992. Voir également D. Howard, A Guide to Dynamics of Feminist Therapy, New York, Harrington Park Press, 1986. T. Laidlaw et C. Malmo, éd., Healing Voices: Feminist Approaches to Therapy with Women, San Francisco, Jossey-Bass Inc., 1990.
(4)A. Browne et D. Finkelhor. «Impact of Child Sexual Abuse: A Review of the Research», Psychological Bulletin, n° 99, 1986, p. 66-77. Voir également S.E. Blume, Secret Survivors: Uncovering Incest and Its After effects in Women, New York, Ballantine Books, 1990. Et voir Herman, Trauma and Recovery.
(5)A. Browne. When Battered Women Kill, New York, The Free Press, 1987. Voir également K. Yllo et M. Bograd. Feminist Perspectives on Wife Abuse, London, Sage Publications, 1988.
(6)L. Kelly. Surviving Sexual Violence, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1988. Voir également Herman. Trauma and Recovery.
(7)L. Axon. «Model and Exemplary Programs for Female Inmates - An International Review», rapport établi pour le Solliciteur général du Canada, 1989. Voir aussi, E. Adelberg et C. Currie, Too Few to Count: Canadian Women in Conflict with the Law, Vancouver, Press Gang Publishers, 1987. N. Deschepper, Canadian Women in Conflit with the Law: Current Issues and Perspectives, Ottawa, Condition féminine Canada, 1989. J. Heney, «Report on Self-Injurious Behaviour in the Kingston Prison for Women», rapport non publié, Service correctionnel du Canada, 1989.
(8)N. Deschepper. Canadian Women in Conflict with the Law: Current Issues and Perspectives, p. 24.
(9)S.E. Moss. «Women in Prison: A Case of Pervasive Neglect», Women in Therapy, vol. 2-3, n° 5, 1986, p. 177-185.