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Le rôle des guérisseurs traditionnels dans le traitement des délinquants sexuels autochtones

par Lawrence A. Ellerby et Jonathan H. Ellerby1
Forensic Behavioural Management Clinic, Native Clan Organization

Au Service correctionnel du Canada, on s’efforce de plus enplus d’offrir aux délinquants autochtones des interventions adaptées à leur culture pour éliminer leurs facteurs criminogènes. On a réalisé des progrès importants à cet égard dans les programmes de traitement destinés aux délinquants sexuels. Divers ouvrages rendent compte du fait qu’à maintes occasions, on a intégré la guérison et les auxiliaires traditionnels dans les programmes pour délinquants sexuels pour augmenter l’efficacité du traitement offert aux délinquants autochtones2.

Instinctivement, on serait enclin à être sensible au contexte culturel des délinquants sexuels autochtones et à répondre aux besoins de ceux qui souhaitent entreprendre une démarche de guérison traditionnelle. Comme dans le cas des autres programmes correctionnels, on a manifesté de l’intérêt pour l’évaluation de ce genre d’approche. On veut en arriver à mieux comprendre comment les auxiliaires spirituels et les méthodes de guérison traditionnelles peuvent diminuer le risque que présentent les délinquants et répondre à leurs besoins. On veut aussi déterminer la pertinence de ces interventions3. La fascination qu’exerce l’examen plus approfondi de ces questions est d’autant plus grande que s’y ajoute la mystique entourant l’ignorance générale à propos de la guérison traditionnelle.

Devant ce désir de comprendre et d’évaluer le rôle des Aînés et des méthodes de guérison traditionnelles dans le traitement des délinquants sexuels autochtones, on a entrepris un projet de recherche qualitative4. Dans cette étude, onze auxiliaires traditionnels (Aînés, guérisseurs, gardiens du calumet et fournisseurs de programmes pour Autochtones), huit fournisseurs de traitement pour délinquants sexuels (psychologues, thérapeutes) et douze délinquants autochtones de sexe masculin suivant un programme de traitement pour délinquants sexuels autochtones ont participé à des entrevues structurées, qui ont été enregistrées sur bande sonore, puis retranscrites. La méthode de recherche prévoyait aussi des évaluations par des participants-observateurs. Ces derniers ont assisté à des séances de thérapie de groupe, à des cercles de partage, à des cercles de joueurs de tambour et à des activités cérémonielles comme la cérémonie de la suerie et les cérémonies du calumet, et leurs observations ont été intégrées à l’analyse. La recherche a été effectuée dans huit établissements et bureaux de libération conditionnelle de la région des Prairies.

Conformément à la méthode de recherche qualitative décrite par Morgan5, les transcriptions des entrevues et les notes des participants-observateurs ont été examinées et on a appliqué un « processus de découverte » pour dégager des thèmes clés. Les données représentaient les résumés des commentaires formulés par les participants et des citations directes illustrant les principaux thèmes. On a décidé d’adopter cette approche car elle cadre bien avec la nature orale et expérientielle de l’apprentissage dans les cultures autochtones traditionnelles6.On a apporté une attention et un soin particuliers à la collecte des données; on a aussi considéré avec égard et respect la nature spirituelle de la guérison traditionnelle.

Voici cinq des domaines d’intérêt principaux de l’étude :

  1. Attitudes des Aînés à l’égard des délinquants sexuels.
  2. Rôle des Aînés dans le traitement des délinquants sexuels.
  3. Relations de travail entre les Aînés et les cliniciens.
  4. Approches traditionnelles utilisées pour la guérison des délinquants sexuels.
  5. Points de vue des Aînés sur l’évaluation des délinquants sexuels.

Dans cet article, nous présentons les principaux éléments de chacun de ces domaines, ainsi que certains commentaires formulés par les participants.

Attitudes et compréhension des Aînés à l’égard des délinquants sexuels

Tous les Aînés interrogés ont dit se sentir à l’aise dans leur rôle de guérisseurs auprès des délinquants sexuels autochtones. Ce niveau de confort est étroitement lié au fait que les Aînés considèrent que les hommes avec lesquels ils travaillent sont avant tout des personnes et ensuite des hommes qui ont commis un crime. L’attitude non critique des Aînés s’est révélée un élément essentiel de leur approche philosophique et thérapeutique à l’égard de la guérison.

« Je ne suis pas ici pour les juger ni pour les critiquer à cause de ce qu’ils ont fait. Ce n’est pas mon rôle. Nous, les Indiens, ne sommes pas ainsi. Nous essayons d’aider et de guérir une personne, plutôt que de la regarder de travers pour l’erreur qu’elle a commise. » (un Aîné)

« Durant un voyage spirituel, on est sensé aider les gens, pas les étiqueter. » (un Aîné)

Les Aînés ont souvent expliqué que leur attitude non critique est ancrée dans leurs croyances spirituelles et les bienfaits thérapeutiques de cette attitude sont manifestes. Selon beaucoup de délinquants, le fait de se sentir acceptés et non jugés a contribué à leur guérison et leur a donné de l’espoir et confiance en eux. Il est intéressant de souligner que les thérapeutes qui adoptaient une attitude semblable à l’endroit des délinquants sexuels recevaient une réponse aussi forte et positive de ces derniers.

Malgré cette attitude non critique, les Aînés ne minimisaient pas la gravité des infractions sexuelles et ils considéraient les délinquants sexuels comme des personnes qui ne sont pas équilibrées. Ils ont suggéré de nombreux facteurs qui pourraient contribuer à inciter une personne à avoir un comportement sexuel inadéquat. Cependant, dans presque tous les cas, ils estimaient que ce comportement est le résultat d’une blessure ou d’un traumatisme subi par le délinquant sexuel. Parmi les facteurs le plus souvent mentionnés, citons les effets négatifs de la colonisation, du dysfonctionnement des collectivités, des traumatismes subis durant l’enfance, de la toxicomanie, de la perte des enseignements traditionnels liés à une sexualité saine et de l’absence de modèles de comportement sains.

« Je pense aux pensionnats et à tout le cycle de violence qu’ils ont créé, aux enfants exploités sexuellement et, naturellement, à la colère et à la douleur qu’on ressent. Ils sont pris dans ce cycle, ce qui explique pourquoi des délinquants sexuels commettent ce genre de crimes. » (un Aîné)

« Dans les collectivités autochtones, l’alcool et l’abus de l’alcool sont tellement présents qu’il se commet beaucoup de crimes. Les gens voient ça toute leur vie, depuis l’enfance. Ça devient donc un mode de vie... Tout devient naturel, même la violence [sexuelle] et le manque de respect envers les femmes. Très souvent, on n’en parle pas à cause de la honte. Lorsqu’ils commencent à s’en tirer à bon compte, ils ne s’en préoccupent plus jusqu’à ce qu’ils se fassent prendre. » (un Aîné)

Les Aînés avaient une attitude très optimiste à propos du traitement et de la guérison. Tous ont dit que presque tout le monde peut guérir et que les possibilités de guérison des délinquants sexuels ne sont pas plus limitées que celles des autres personnes qui ont commis un crime ou qui ne sont pas équilibrées.

Rôle des Aînés dans le traitement des délinquants sexuels

Nous avons examiné à quels éléments des programmes les Aînés participaient ainsi que les perceptions et les attentes des Aînés et des thérapeutes à propos du rôle des Aînés dans le processus de traitement et de guérison. Les Aînés offraient divers services selon les programmes au sein desquels ils travaillaient. Parmi les services les plus courants, mentionnons l’exécution de cérémonies, le counseling individuel, la coanimation de groupes de traitement pour délinquants sexuels et de cercles de partage traditionnels ainsi que la participation au processus de planification de la réinsertion sociale.

Les Aînés et les thérapeutes ne voient pas de la même façon le rôle des Aînés dans le processus de traitement. En général, les thérapeutes considéraient que les Aînés offraient surtout une éducation culturelle, fournissaient un contexte culturel pour le traitement, exécutaient des cérémonies traditionnelles et agissaient comme consultants et agents de liaison avec la collectivité.

Peu de thérapeutes considéraient que les pratiques de guérison des Aînés étaient comparables aux stratégies de traitement contemporaines. Ils semblaient plutôt voir le rôle des Aînés dans la guérison comme plus précisément lié à l’identité culturelle. Si les thérapeutes accordaient de l’importance aux cérémonies traditionnelles dans le processus de guérison, ils ne comprenaient pas toujours leur nature thérapeutique intrinsèque.

Par ailleurs, les Aînés se voyaient comme des guérisseurs dont la principale responsabilité est de faciliter le processus de changement, la croissance et le rétablissement de l’équilibre et de l’harmonie chez les individus. Comme l’a résumé simplement un Aîné, « Je suis un Aîné. J’accomplis un travail de guérison. » Les enseignements culturels et le renforcement de l’identité culturelle font partie de leur travail, mais ces aspects de leur rôle sont intégrés dans la guérison.

Comme les thérapeutes qui estimaient que le traitement des délinquants sexuels constitue une fonction secondaire pour les Aînés, ces derniers se voyaient d’abord comme des guérisseurs holistiques avant de se considérer comme des personnes travaillant pour le traitement des délinquants sexuels. Les Aînés étaient moins susceptibles de voir leur rôle comme un rôle d’« enseignement » ou de « counseling » sur les questions propres aux délinquants sexuels; ils se concentraient plutôt sur la guérison et sur le rétablissement de l’équilibre entre les dimensions mentale, spirituelle, émotive et physique du délinquant. Contrairement aux thérapeutes, les Aînés estimaient que les méthodes traditionnelles de guérison qu’ils proposent répondent entièrement aux besoins des délinquants, aussi bien aux besoins généraux qu’aux besoins liés à l’infraction. Comme l’a souligné un Aîné, « la guérison touche tout. »

Relations de travail entre les Aînés et les cliniciens

Les cliniciens et les Aînés impliqués dans des programmes efficaces ainsi que les agents de programmes étaient tous conscients de l’importance de bonnes communications et d’une collaboration efficace. En fait, selon ceux qui entretenaient des relations de travail positives, la collaboration au sein de l’équipe est aussi essentielle au succès du programme que la démarche utilisée.

« Il s’agit principalement de savoir à quel point les relations de base sont efficaces et s’il existe de bons liens; le reste s’arrange d’une manière ou d’une autre. Lorsqu’il y a une ouverture, tout est possible. » (un thérapeute)

Les thérapeutes et les Aînés ont affirmé que les relations positives sont mutuellement bénéfiques, car elles permettent un apprentissage réciproque et augmentent la capacité de répondre aux besoins des délinquants qui suivent le traitement. Dans le cadre de ces relations de travail, les fournisseurs de traitement pour délinquants sexuels consultaient plus souvent les Aînés que l’inverse. Les Aînés semblaient plus à l’aise de se faire consulter que d’amorcer des contacts. Les thérapeutes et les Aînés se consultaient sur divers sujets, notamment la planification du traitement, le dépannage (p. ex., consultation sur un cas difficile, intervention en situation d’urgence), les questions culturelles pertinentes, l’évaluation des progrès du traitement et de la guérison, la planification de la mise en liberté et l’établissement de contacts avec la collectivité.

Ce n’étaient pas tous les thérapeutes ni tous les Aînés qui étaient capables d’entretenir des relations de travail idéales. Cela semblait être fonction de divers facteurs. Parfois, les relations difficiles étaient imputables à l’organisation boiteuse des éléments contemporains et traditionnels du programme, au manque de compréhension de la culture et des méthodes autochtones de la part des thérapeutes, ou à la faible appréciation des Aînés pour les stratégies de traitement des délinquants sexuels. Toutefois, le plus souvent, il semblait évident que les relations difficiles découlaient de conflits de personnalité entre les individus plutôt que de conflits d’ordre culturel.

Approches traditionnelles utilisées pour la guérison des délinquants sexuels

Il nous faut manifestement mieux comprendre les approches traditionnelles destinées au traitement des délinquants sexuels et relever les pratiques traditionnelles utilisées couramment si nous voulons faire des évaluations internes et comparatives des programmes pour délinquants sexuels et transmettre plus efficacement le contenu autochtone.

L’élément le plus distinctif de la guérison autochtone est son orientation vers la spiritualité traditionnelle. Tous les Aînés interrogés au sujet du style et de l’orientation principale des méthodes traditionnelles de guérison ont répondu que la santé spirituelle et la guérison sont au centre des méthodes traditionnelles. Non seulement ils soutiennent que la santé spirituelle est intrinsèque à la guérison des délinquants sexuels, mais ils affirment que la spiritualité constitue le fondement de toutes leurs interactions et philosophies, quels que soient le client ou le programme avec lequel ils travaillent.

« ... Il n’y a pas d’autre moyen pour nous d’aborder ces problèmes que de revenir aux principes, aux valeurs et aux croyances de nos Aînés, de nos directeurs spirituels. Il n’y a pas d’autre moyen de se sentir bien. » (un Aîné)

« Nous essayons d’aider ces délinquants... de changer leur comportement, leur façon de penser et leur style de vie de manière plus positive et pro-sociale. Nous croyons que c’est possible ... par la guérison, la guérison de l’esprit. » (un Aîné)

Selon les Aînés, une personne n’est pas en mesure de régler ses problèmes de délinquance sexuelle ou ses autres problèmes si elle ne peut satisfaire ses besoins spirituels.

On a demandé aux Aînés de cerner les buts qui sont au centre des méthodes traditionnelles de guérison et de traitement des délinquants sexuels. Malgré la diversité des réponses, les thèmes suivants étaient considérés comme des buts centraux des méthodes traditionnelles :

  • l’importance de la guérison holistique
  • le renforcement du sentiment d’identité
  • la nécessité d’apprendre et de préserver la culture traditionnelle
  • la responsabilisation de l’individu
  • la promotion d’un sentiment d’espoir et d’une attitude positive
  • l’amélioration de la capacité de divulguer avec honnêteté et responsabilité
  • la capacité d’établir et de maintenir des relations saines
  • la lutte contre les effets du racisme
  • l’éducation à une sexualité saine
  • l’importance du pardon
  • la gestion du risque
  • la planification et la préparation de la mise en liberté

En plus des buts communs dans les programmes traditionnels, on accordait aussi une grande importance au mode d’exécution, que les Aînés considéraient comme intrinsèque à leur travail. L’approche utilisée par les Aînés consiste à créer un climat de confiance, à manifester du respect pour les délinquants en tant que personnes, à s’identifier avec les délinquants et à interagir avec eux dans un climat de familiarité qui transcende les protocoles institutionnels auxquels les délinquants sont ordinairement soumis. Même si les Aînés ont tendance à être beaucoup plus passifs dans leur présentation du matériel, ils se sont toujours montrés disposés à sympathiser et à s’identifier avec les délinquants et leurs antécédents personnels.

Les Aînés impliqués dans les programmes pour délinquants sexuels autochtones utilisaient diverses techniques de guérison traditionnelles, comme les cérémonies de la suerie, les cercles de partage et les cérémonies du calumet. Ces cérémonies sont souvent menées de façon à répondre aux besoins des délinquants sexuels. Le nombre et le type de cérémonies exécutées dépendent de l’Aîné ou du guérisseur. Les Aînés ont fait état de certains problèmes et de certaines considérations en rapport avec l’exécution de cérémonies dans le cadre des programmes de traitement des délinquants sexuels, en particulier dans les établissements correctionnels.

En plus des cérémonies, les enseignements traditionnels et les plantes médicinales constituent souvent une partie importante du processus de guérison. Notre étude contient les détails sur le type et l’ampleur des enseignements utilisés par les Aînés auprès des délinquants, tant généraux que destinés aux délinquants sexuels ainsi que sur l’utilisation des remèdes.

Points de vue des Aînés sur l’évaluation des délinquants sexuels

Comme les Aînés jouent un rôle central dans les programmes pour délinquants sexuels autochtones, il est important de clarifier leur rôle dans le processus d’évaluation des délinquants. L’intérêt et l’examen se sont portés sur la volonté des Aînés de prendre part au processus d’évaluation des délinquants qui participent aux programmes de guérison traditionnelle ainsi que sur les critères utilisés par les Aînés pour évaluer les progrès ou l’absence de progrès dans la guérison. Il est arrivé assez souvent d’entendre des thérapeutes exprimer des doutes en ce qui concerne la volonté des Aînés de participer aux activités d’évaluation des délinquants. On avait le sentiment que les Aînés ne voulaient peut-être pas participer au processus ou que l’exercice les mettait mal à l’aise. Bien que ces doutes puissent reposer sur l’expérience, la plupart des Aînés ont dit être généralement disposés à fournir des renseignements sur les délinquants et à participer au processus d’évaluation. Dans l’ensemble, les Aînés ont présenté une grande diversité d’opinions et de perspectives culturelles dans le domaine de l’évaluation des délinquants.

Relativement à leur participation à l’évaluation, les Aînés ont souligné qu’ils accordent une grande importance à la confidentialité dans le processus de guérison; qu’ils ont conscience de la nature délicate de l’information qui leur est communiquée et qu’ils désirent maintenir une relation de confiance et de soutien avec les personnes avec lesquelles ils travaillent. Comme la confiance dans la relation de guérison et le respect de la vie privée du délinquant revêtent pour eux une importance primordiale, la plupart des Aînés ont dit qu’ils demandaient le consentement des délinquants avec lesquels ils travaillent avant de communiquer de l’information à propos de leur processus de guérison et de leurs progrès. Ils ont particulièrement insisté sur ce point en ce qui concerne la communication de renseignements obtenus durant la participation du délinquant à une cérémonie.

Un point qui préoccupe les cliniciens, c’est la tendance qu’ont les Aînés à se concentrer sur les seuls aspects positifs de la participation du délinquant au programme, sans reconnaître les difficultés ou les problèmes irrésolus qui peuvent être présents. On a l’impression que les thérapeutes se demandent parfois si les Aînés présentent un tableau équilibré des progrès des délinquants. Cette question était aussi considérée comme problématique par les Aînés. Une croyance universelle chez les Autochtones, particulièrement soulignée par les Aînés, est l’inconvenance de parler d’autrui négativement. Cela pose un problème à certains Aînés. Si les Aînés ont parlé librement de leurs réserves fondées sur la différence entre les perspectives culturelles, ils se sont montrés disposés à coopérer. Nombre d’entre eux jugeaient nécessaire de trouver un juste équilibre entre les différentes perspectives.

Lorsqu’on a demandé aux Aînés de faire des commentaires sur le risque et de dire s’ils se sentaient à l’aise pour évaluer le risque que présente un délinquant, un grand nombre ont dit qu’ils ne comprennent pas bien ce que l’évaluation du risque suppose ni comment les thérapeutes s’y prennent. En fait, les Aînés ont l’impression que lorsqu’on leur demande leur avis sur le risque, on veut qu’ils répondent par oui ou par non. Par conséquent, ils répugnent généralement à formuler des commentaires sur le risque. Tous les Aînés ont affirmé que même s’ils croient qu’un délinquant peut guérir et changer, il est rare qu’ils puissent affirmer qu’une personne est complètement rétablie ou qu’elle ne récidivera jamais.

« C’est difficile à dire. Même après avoir donné à ces hommes bien des enseignements et organisé bien des cérémonies de la suerie, je ne pourrais pas, honnêtement, dire à un psychologue ou à n’importe qui d’autre : cet homme-là ne va jamais récidiver car je me suis occupé de lui, que j’ai fait ceci ou cela. Non, je ne peux pas. » (un Aîné)

Il y a peu de compréhension et beaucoup d’incertitude au sujet de la façon dont les Aînés évaluent les progrès d’une personne qui participe au processus de guérison. On a essayé d’amener les Aînés à cerner ce qui leur semble être des points de repère dans le changement et les progrès, ainsi que les facteurs dont ils tiennent compte pour voir où en est rendue une personne dans sa démarche de guérison. Ils ont défini un certain nombre de thèmes principaux et de domaines qui leur semblent être des indices pertinents de guérison. Il est intéressant de remarquer que, parmi les facteurs et les indices qu’ils emploient pour évaluer le changement chez les délinquants, les plus courants sont apparentés de façon évidente et significative aux indicateurs contemporains utilisés pour l’évaluation.

Pour décrire comment ils déterminent le changement et les progrès, les Aînés ont parlé de leur perception intuitive et ils se sont décrits comme ayant la capacité de « percevoir » ou de « sentir » les changements. Quand on leur a demandé d’indiquer des indicateurs de changement concrets, ils ont mentionné les éléments suivants :

  • changements dans la façon de se présenter
  • plus grande ouverture au traitement et à la guérison
  • amélioration du niveau de confiance
  • plus grande honnêteté et responsabilité
  • libre expression des émotions
  • plus grand niveau d’espoir
  • plus grande connaissance de soi et plus grande assurance
  • plus grande fierté culturelle
  • confort avec soi et avec sa propre identité
  • expérience du remords et de l’empathie
  • établissement de relations saines

Le comportement durant les cérémonies est un autre élément important de l’évaluation des délinquants. Si les Aînés pensaient que la réaction du délinquant au cours des cérémonies peut donner une idée des progrès et de l’avancement de la guérison, ils estimaient aussi que ce comportement peut être trompeur. Par conséquent, il faut interpréter avec prudence la participation aux cérémonies pour s’assurer que la participation et le changement sont authentiques. Pour l’essentiel, les Aînés ont l’assurance de pouvoir déceler les attitudes et les comportements qui manquent d’authenticité.

Conclusions

Les trois derniers domaines examinés dans l’étude portent sur les points forts et les difficultés de la démarche traditionnelle de guérison dans les programmes destinés aux délinquants sexuels, le succès et la nécessité de la démarche traditionnelle de guérison dans les programmes pour délinquants sexuels, et les recommandations pour le développement futur des programmes.

On considère comme un point fort l’intégration des méthodes de guérison traditionnelles aux programmes de traitement des délinquants sexuels. Parmi les avantages les plus importants et le plus souvent cités, mentionnons que les Aînés et les méthodes de guérison traditionnelles favorisent un degré supérieur de confiance et d’ouverture face au modèle de traitement, le renforcement du sentiment d’identité chez les délinquants, et le développement d’un sens de la responsabilité envers la collectivité. De même, selon les Aînés, la dynamique holistique et les effets des cérémonies dans leur travail sont fortement associés à la croissance et au changement global des délinquants. Les principales difficultés liées à l’intégration des programmes de traitement contemporains pour délinquants sexuels et des méthodes de guérison traditionnelles concernent la formation professionnelle et à la sensibilisation aux différences culturelles. On a fait remarquer qu’il fallait sensibiliser davantage le personnel non autochtone à la culture et à la guérison autochtones, et offrir aux Aînés et aux autres auxiliaires traditionnels une formation plus précise sur l’évaluation et le traitement des délinquants sexuels.

Toutes les personnes interrogées administrateurs, psychologues, thérapeutes, Aînés et guérisseurs sont en faveur d’un processus de traitement et de guérison pour les délinquants sexuels autochtones. De même, tous les délinquants autochtones interrogés ont affirmé avoir tiré profit des méthodes de guérison traditionnelles.


1. 203-138 Avenue Est, Winnipeg (Manitoba) R3C 0A1. On peut se procurer des exemplaires de cette étude en écrivant au : Groupe de la politique correctionnelle autochtone, Solliciteur général du Canada, 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A OP8.

2. ELLERBY, L. « Traitement communautaire des délinquants sexuels autochtones : Faire face à la réalité et explorer les possibilités », Forum
Recherche sur l’actualité correctionnelle, Vol. 6, no 3, 1994; p. 23-25. Voir aussi ELLERBY, L. et STONECHILD, J. « Blending the traditional with the contemporary in the treatment of Aboriginal sexual offenders: A Canadian experience » dans Marshall, W., Fernandez, Y., Hudson, S., Ward, T. (Éd.) Sourcebook of treatment programs for sexual offenders, New York, Plenum Press, 1998, p. 399-415. Voir également ELLERBY, L., BÉDARD, J. et CHARTRAND, C., « Holism, wellness and spirituality: Moving from relapse prevention to healing » dans Laws, D.R., Hudson, S.M. et Ward, T. (Éd.), Remaking relapse prevention with sex offenders: A sourcebook, Newbeury Park, Californie, Sage Publications (sous presse); WILLIAMS, S., VALLÉE, S. et STAUBI, B. Aboriginal Sexual offenders: Melding Spiritual Healing with Cognitive-Behavioural Treatment, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1997 et WYSE, M. et THOMASSON, K. « A perspective on sexual offender treatment for Native Americans », dans Lewis, A.D. (Éd.), Cultural diversity in sexual abuser treatment: Issues and approaches, Brandon, Vermont, Safer Society Press, 1999.

3. LaPRAIRIE, C. A state of Aboriginal corrections, Ottawa, Ministère du Solliciteur général, 1996. Voir aussi Ellerby et Stonechild, 1998.

4. ELLERBY, L. et ELLERBY, J. Comprendre et évaluer le rôle des aînés et des méthodes de guérison traditionnelles dans le traitement des délinquants sexuels autochtones. Collection sur les Autochtones, Groupe de la politique correctionnelle autochtone, Ottawa, Solliciteur général du Canada, 1998.

5. MORGAN, D.L.Focus groups as qualitative research, Newbeury Park (CA), Sage Publications, 1988.

6. BECK, P.V., WALTERS, A.L. et FRANCISCO, N. The sacred: Ways of knowledge, sources of life, Tsaile (Arizona), Navajo Community College Press, 1996.Voir aussi DELORIA, V., God is red, New York, Delta Books, 1993.