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La gestion du risque : l'avis du public et le tour de force que doivent réussir les autorités correctionnelles

Les préoccupations causées par la gestion du risque en milieu correctionnel ne sont pas ressenties uniquement par les spécialistes de justice pénale; c'est un problème qui touche aussi le public. Le présent article, bien que bref résume certaines conclusions d'enquêtes sur l'opinion publique à cet égard et se termine sur un commentaire personnel sur les échanges récents entre le système de justice pénale et le public à la suite d'un échec de la gestion du risque.

Il est important de comprendre que du point de vue du public, le risque ne pose un problème que lorsque les choses tournent mal, par exemple lorsqu'un libéré conditionnel commet de nouvelles infractions avec violence. Tragiquement, cette situation s'est produite au Canada à plusieurs reprises de mémoire récente. Par souci de concision, l'auteur ne présente ici les problèmes liés au risque qu'en ce qu'ils ont trait aux décisions en matière de libération conditionnelle, même si le risque touche manifestement d'autres aspects du système correctionnel Comment le système de justice pénale doit-il réagir face à un public qui s'inquiète du risque lié aux interventions correctionnelles dans la collectivité? Avant de pouvoir répondre à cette question, il faut d'abord comprendre la nature de l'opinion publique; c'est à ce stade qu'intervient la recherche systématique.

Compte tenu des récentes tragédies (voir ci-dessous) étalées dans les médias, il n'est pas surprenant que l'on ait l'impression que le public voit d'un mauvais oeil la libération conditionnelle, attitude que semblent d'ailleurs confirmer enquêtes et sondages menés auprès de groupes d'opinion. À cet égard, un sondage mené il y a deux ans a révélé que pratiquement les deux tiers du public étaient insatisfaits du régime de libération conditionnelle du Canada(2) Faut-il en conclure que le public rejette entièrement toute probabilité de risque? Je ne suis pas de cet avis. Il incombe aux chercheurs de dégager la signification exacte de ce résultat.

Pour ce faire, il faut établir la distinction entre l'opposition du public qui se fonde sur des fausses idées et l'opposition basée sur des différences d'opinions informées au sujet de la politique du système de justice pénale. Par exemple, le public ne semble pas s'opposer à la notion de libération conditionnelle, mais bel et bien à la façon dont il perçoit, perception d'ailleurs erronée, la mise en application du régime. Ainsi, seulement près de 5 p. 100 des Canadiens souscrivent à l'abolition complète de la libération conditionnelle. Parallèlement, tous conviennent que la libération conditionnelle, telle qu'elle existe actuellement, ne devrait pas être accordée aussi facilement aux détenus. L'opposition du public à la libération conditionnelle est largement tributaire d'idées fausses sur le système correctionnel en général et sur la libération conditionnelle en particulier. Certaines de ces idées fausses du public au sujet de la libération conditionnelle sont exposées ci-après. Idées fausses du public concernant la libération conditionnelle et le système correctionnel Les enquêtes ont prouvé que la plupart des gens pensent que le taux de libération conditionnelle a augmenté ces dernières années, or ce n'est pas le cas. De plus, les Canadiens surestiment et le nombre de détenus libérés sous condition, et le taux de récidive chez les délinquants en libération conditionnelle(3).

Les Canadiens ne sont pas les seuls à penser de cette façon; des recherches faites au Royaume-Uni et aux États-Unis ont donné des résultats comparables. Par exemple, alors que la population carcérale a augmenté de façon marquée dans ces pays, les sondages d'opinion révèlent que la majorité des gens n'a aucune idée du nombre réel de détenus.

Le tour de force que doit réussir le système correctionnel est évident: il lui faut rectifier les fausses idées qui ont cours de façon que le public puisse se faire une opinion juste des coûts réels et des avantages d'un système de libération conditionnelle. Toutefois, qu'en est-il de l'antipathie du public à l'égard de la libération conditionnelle anticipée quand celle-ci n'est pas fondée sur des idées fausses? Préoccupations du public Bien que les commissions de libération conditionnelle ne modifient pas la sentence en tant que telle, mais plutôt l'endroit où est purgée la peine, le public estime tout de même que la peine est modifiée et n'en est pas très content. Comme l'a fait remarquer tout récemment un groupe d'opinion: «d'aucuns sont d'avis qu'en raison de la libération conditionnelle, la sentence n'est pas ce qu'elle devait être»(4). Le système correctionnel doit se pencher sur cette notion.

Si le problème se pose au regard de la gestion du risque, c'est parce que la réaction du public en cas d'échec d'une libération conditionnelle est beaucoup plus vive quand il apprend que le délinquant n'a purgé qu'une fraction de la peine qui lui avait été imposée à l'origine. La critique du public serait moins acerbe si les sentences duraient réellement le temps prescrit. Le système de justice pénale doit soit convaincre le public du bien-fondé de la libération conditionnelle, soit apporter certaines modifications susceptibles de rapprocher la durée de la peine imposée par le tribunal du temps réellement purgé en établissement.

Bon nombre de Canadiens sont également préoccupés par le fait que le gouvernement ne semble pas se soucier de leur opinion. Le sondage auprès de groupes d'opinion mentionné précédemment, qui a été mené pour le compte du Solliciteur général du Canada, a révélé que de nombreux participants pensent que le gouvernement ne s'intéresse pas réellement à la réforme du système de justice pénale et que de surcroît, il ne tient même pas à savoir ce que pense l'opinion publique de la réforme législative. Bien sûr, je n'avance pas que la politique de justice pénale devrait être formulée par voie de sondages d'opinion, mais, manifestement, le gouvernement doit s'efforcer d'être davantage à l'écoute du public. Le défi que doivent relever les autorités correctionnelles est de se montrer plus sensibles aux opinions de la collectivité.

Il est important de souligner que la réaction du public à l'égard du système correctionnel n'est pas unilatéralement négative et que le public n'est pas totalement ignorant des questions de justice pénale. Des sondages menés au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne(5) le prouvent. Par exemple, en 1988, on a demandé à un échantillon représentatif de Canadiens de comparer la Commission nationale des libérations conditionnelles à d'autres divisions du système de justice pénale, y compris les services policiers, qui bénéficient traditionnellement de la faveur du public. Or seulement 17 p. 100 de l'échantillon a jugé la Commission de façon plus négative que les autres divisions du système(6).

En outre, le public est au conscient de la difficulté de la tâche qui incombe aux autorités correctionnelles qui doivent décider quels délinquants sont susceptibles de récidiver. Plus précisément, on a posé à des particuliers la question suivante: «Si vous appreniez qu'un libéré conditionnel a commis un délit en usant de violence avant la date d'expiration de sa peine, quelles raisons parmi les suivantes justifient le mieux, selon vous, qu'il ait été libéré en premier lieu?», et on leur fournissait ensuite une liste de raisons. Seulement 6 p. 100 des personnes interrogées ont répondu qu'elles attribueraient la libération du détenu à une erreur administrative. Quarante et un pour cent ont indiqué qu'elles attribueraient l'incident à une «incapacité de prédire le danger avec précision». Des études plus récentes prouvent également que le public sait bien qu'il entend beaucoup plus souvent parler des échecs du système de justice pénale que de ses succès(7). Information du public Une des principales conclusions découlant de la recherche sur l'opinion publique au sujet de la justice pénale est que lorsque les gens ont accès à plus d'information que n'en contient un simple article de journal, ils réagissent avec finesse et souplesse. Le même phénomène a été constaté aux États-Unis au regard de la peine de mort ainsi qu'au Canada, au sujet de la détermination de la peine en général(8). Le système correctionnel devrait s'efforcer de mieux informer le public au sujet des questions correctionnelles, y compris la prise de décisions en matière de libération conditionnelle. De cette façon, on pourrait atténuer l'hostilité du public, faute de pouvoir l'éliminer, sans perdre la distinction entre la perception que le public a du système et le système même. La sensibilisation du public est l'une des missions du système correctionnel, et celui-ci devrait consacrer davantage de ressources à sa réalisation.

Que veut le public? En ce qui a trait aux libérations conditionnelles, il est peu probable qu'il s'habitue à l'idée que les délinquants sexuels peuvent purger une portion considérable de leur peine au sein de la collectivité et sous supervision. En revanche, l'hostilité du public face à la libération conditionnelle anticipée de ces délinquants ne doit pas être interprétée comme un refus de la libération conditionnelle pour tous les délinquants et ne devrait pas donner lieu à des politiques de détention répressives visant l'ensemble de la population carcérale.

C'est, à mon avis, l'un des dangers du débat actuel sur la réforme de la détermination de la peine et la libération conditionnelle. Quand des particuliers affirment être contre le processus de libération conditionnelle, c'est souvent qu'ils ont en tête un délinquant en particulier - celui qui est condamné d'une infraction avec violence, et notamment d'une agression sexuelle. Il faut circonscrire le débat à un type de délinquant. Le projet de loi C-36, pour ne nommer qu'un projet récent, abonde dans l'autre sens. Bien qu'à l'origine, il ne devait porter que sur certains groupes de délinquants précis, les catégories d'infractions qui y sont citées comme admissibles à la révision judiciaire (admissibilité différée à la libération conditionnelle) supposent des délinquants divers et nombreux(9).

Tout système de justice pénale qui libère un nombre important de détenus avant la date d'expiration du mandat imposée par le tribunal doit confronter l'inévitable : certains délinquants qui finissent de purger leur peine sous surveillance dans la collectivité récidivent. Et, dans un petit nombre de cas, la récidive a des consequences tragiques ou fatales. Lorsque ces tragédies se produisent, il faut tenter d'en profiter pour remettre le système en question.

À cet égard, les familles des victimes - comme les Ruygrok et les Stephenson - fournissent parfois des exemples éclatants pour le système de justice pénale et pour la collectivité. Les lecteurs canadiens de Forum se souviendront que ces deux familles ont perdu un enfant dans des circonstances tragiques impliquant des délinquants en libération conditionnelle. Ces familles ont fait d'énormes sacrifices pour faire connaître les circonstances qui ont mené à ces homicides. L'énergie déployée par ces familles, et le temps qu'elles y ont mis, n'ont pas été en vains. Elles ont eu un impact important: Gerald Ruygrok et Jim et Anna Stephenson ont probablement fait plus pour attiser le débat public et faire avancer la cause de la réforme du droit pénal au regard de ces questions que de nombreux universitaires oeuvrant dans le milieu.

De toute évidence, le système de justice pénale devrait s'efforcer de se mettre au service du public et de donner voix à la victime, ou à sa famille. De récents exemples montrent que les victimes ne reçoivent pas toujours l'attention qu'elles méritent. Parfois, le système n'est même pas en mesure de leur fournir une aide, même quand il ne s'agit que d'une aide financière modeste. Il y a de cela quelques années, on a demandé au gouvernement fédéral, sans succès, de payer le coût de la transcription du compte rendu de l'enquête Ruygrok. Un autre exemple, plus récent celui-là, s'est produit durant l'enquête sur la mort de Christopher Stephenson. La famille de la victime a dû payer de sa poche tous les honoraires juridiques de la défense, soit près d'un demi-million de dollars.

Après avoir refusé de rembourser aux familles des victimes leurs honoraires juridiques, les gouvernements fédéral et provincial sont revenus sur leur position après avoir fait l'objet de lourdes pressions. Compte tenu que le budget du système de justice pénale du Canada s'élève à quelque sept milliards de dollars(10), le public ne peut comprendre que le gouvernement éprouve tant de difficulté à débourser l'argent qui lui est demandé. Ce type de réaction ne fait qu'aliéner les victimes et le public en général.

Afin d'endiguer l'hostilité du public après un échec de gestion du risque, le système correctionnel se doit également de réagir sans équivoque lorsque les conclusions des diverses enquêtes sont rendues publiques. En outre, le système correctionnel devrait veiller à tenir le public au fait de ses intentions et des mesures qu'il compte prendre par suite des recommandations découlant des diverses enquêtes.

Par exemple, en décembre 1988, le verdict du conseil des coroners sur la mort de Tema Conter(11) a été rendu public. Il était assorti de 38 recommandations. Combien d'entre elles ont été mises en application? Combien des recommandations formulées dans l'affaire Ruygrok ont été adoptées? Une étude de l'incidence des recommandations des récents conseils des coroners constituerait un intéressant projet de recherche.

Le conseil chargé de l'enquête dans l'affaire Stephenson vient tout juste de publier son rapport qui contient 71 recommandations visant l'amélioration des mesures prises par le système de justice pénale en cas d'infraction sexuelle. Certaines d'entre elles, comme le projet de promulgation d'une espèce de loi sur les prédateurs sexuels au Canada ou l'invocation accrue des dispositions visant les délinquants dangereux, soulèveront forcément la controverse et exigeront une étude rigoureuse. En revanche, bien d'autres recommandations sont simples et peuvent aisément être mises en application sur-le-champ. Conclusions Certains faits et sondages d'opinion publique récemment survenus au Canada ont mené à plusieurs conclusions. En premier lieu, le système correctionnel doit réagir de façon plus dynamique et avec davantage d'attention à la collectivité en général et aux victimes en particulier. En deuxième lieu, les Canadiens ne forment pas un groupe cohésif qui exige l'abolition de tous les régimes de libération conditionnelle anticipée ou qui ne comprend pas les subtilités de la gestion des délinquants et les défis qu'elle pose. Le public veut plutôt rendre plus stricts les règlements sur la libération conditionnelle pour certains types de délinquants qui constituent un faible pourcentage de la population carcérale sous juridiction fédérale. En troisième lieu, le système correctionnel devrait multiplier les efforts qu'il déploie pour renseigner le public sur le processus correctionnel, d'autant plus que si celui-ci s'oppose en partie au système, c'est parce que son opinion est fondée sur des idées fausses quant aux rouages du système et aux statistiques publiées.


(1)Roberts (Julian V), Département de criminologie, Faculté des Sciences sociales, Université d'Ottawa, J, avenue Stewart, Ottawa (Ontario) K1N 6H7.
(2)Voir Gallup Canada Inc., Gallup National Omnibus Attitudes Toward Parole, Toronto, Gallup Canada Inc., 1988.
(3)Voir Commission canadienne sur la détermination de la peine, Sentencing Reform: A Canadian Approach, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1987. Voir aussi Roberts (J.), «Early Release from Prison: What Do the Canadian Public Really Think?» Revue canadienne de criminologie, 30, 1988, p. 231-239.
(4)Environics Research Group Limited, A Qualitative Investigation of Public Opinion on Sentencing, Corrections and Parole, Toronto, Environics Research Group Limited, 1989.
(5)Voir Roberts (J.V.), «Public Opinion, Crime and Criminal Justice», dans M. Tonry (éd.), Crime and Justice: A Review of Research, Chicago, University of Chicago Press, 1992.
(6)Roberts (J.V.), Public Opinion and Sentencing: The Surveys of the Canadian Sentencing Commission, Ottawa, ministère de la Justice Canada, 1988.
(7)Environics Research Group Limited, A Qualitative Investigation of Public Opinion.
(8)Voir Zamble (E.), «Public Support for criminal Justice Policies: Some Specific Findings», Forum - Recherche sur l'actualité correctionnelle, 2, 2, 1990, p. 16-22. Et voir Doob (A.) et Roberts (J.), «Public Punitiveness and Public Knowledge of the Facts: Some canadian Surveys», chapitre 6 dans N. Walker et M. Hough (éd.), Public Attitudes to Sentencing, Aldershot, Gowe,; 1988.
(9)Voir Roberts (J.) et von Hirsch (A.), «Sentencing Reform in canada: Recent Developments», Revue générale de droit, 23, 1992, p. 319-355.
(10)Voir Waller (I.), Putting Crime Prevention on the Map. Rapport préliminaire de la Conférence internationale sur la sécurité urbaine, la lutte contre la toxicomanie et la prévention du crime, Paris, France, novembre 1991, p. 18-20.
(11)Tema Conter fut assassinée par Melvin Stanton à qui la Commission nationale des libérations conditionnelles avait accordé un permis d'absence temporaire sans escorte.