Volume 5, numéro 2, 1993 - La gestion du risque en milieu correctionnel Service correctionnel du Canada - FORUM - Recherche sur l'actualité correctionnelle
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Les indicateurs du risque de violence familiale au sein d'une population de détenus sous juridiction fédérale

Dans le but de caractériser les indicateurs du risque de violence familiale, des chercheurs ont passé en revue les dossiers de près de 600 délinquants de sexe masculin incarcérés dans sept établissements correctionnels fédéraux du Canada. Les délinquants jurent groupés en trois catégories: les délinquants non violents dont le dossier ne rapportait aucune incidence de comportement violent, les délinquants violents avec des étrangers dont le dossier signalait des antécédents d'agression, mais pas à l'endroit de leur conjointe ou d'autres membres de leur famille, et les délinquants violents avec leur famille qui, pour la plupart, s'étaient aussi attaqués à des gens qui n'étaient pas membres de leur famille.

Les chercheurs se sont penchés sur la mesure dans laquelle les délinquants avaient été victimes de violence dans leur famille d'origine; ils ont constaté des différences prononcées entre les trois groupes. Les délinquants non violents avaient rarement été victimes de violence, ceux coupables de violence avec des étrangers l'avaient été modérément, mais les délinquants qui violentaient leurs proches étaient les plus susceptibles d'avoir eux-mêmes été victimes de violence. Un examen approfondi de la nature des mauvais traitements infligés (physique, sexuelle ou témoin de violence) a donné des résultats comparables.

Les chercheurs ont également constaté qu'il y avait des différences entre les groupes de délinquants selon la nature des troubles psychiatriques dont ceux-ci étaient atteints, et notamment que les délinquants enclins à la violence familiale étaient plus susceptibles de souffrir de troubles de la personnalité non psychotiques (p. ex. état limite de trouble de la personnalité ou narcissisme).

Les caractéristiques des délinquants qui victimisent leur famille rappellent de bien des façons celles des populations incarcérées: dans les deux cas, les individus sont souvent issus d'une famille violente, ils ont souvent été victimes de séparations traumatisantes, ils sont alcooliques ou toxicomanes et ils sont atteints de troubles psychiatriques ou de troubles de la personnalité(3).

L'objectif de la présente étude était d'estimer la prévalence des indicateurs du risque de violence familiale parmi les détenus sous juridiction fédérale et d'évaluer l'incidence de la violence familiale. Ces données sont utiles à fin de gestion du risque posé par les détenus sous juridiction fédérale parce que les délinquants ayant des antécédents de violence familiale ou une propension à un tel comportement sont susceptibles de répéter ce comportement après leur libération, particulièrement s'ils renouent des liens affectifs avec les personnes qu'ils fréquentaient avant d'être incarcérés. Méthode Les chercheurs ont passé en revue les dossiers de 597 délinquants de sexe masculin incarcérés dans sept établissements correctionnels fédéraux en se servant d'une fiche de codage d'évaluation du risque établie d'après les dossiers. Cette fiche de codage servait à consigner les incidents de victimisation pendant l'enfance signalés dans les dossiers des délinquants (sévices d'ordre physique et sexuel ou témoin de violence entre les parents), les instances de dépendance ou d'abus de substances intoxicantes, les données d'emploi et, le cas échéant, les antécédents d'agression physique ou sexuelle d'un membre de la famille ou d'une autre personne.

De plus, la fiche de codage rendait compte des diagnostics de troubles psychiatriques et de troubles de la personnalité, par exemple les personnalités antisociales, les troubles limites de la personnalité, le narcissisme, l'histrionisme ou les troubles de la personnalité mixtes. Les chercheurs ont dressé cette liste de troubles psychiatriques à l'aide des tableaux de diagnostics Axis I et de troubles Axis Il tirés de l'ouvrage Diagnostic and Statistical Manual of the Mental Disorders (DSM-IIIR)(4). Les chercheurs n'ont consigné d'indicateur de troubles psychiatriques que si un diagnostic explicite du psychiatre ou du psychologue de l'établissement figurait au dossier du détenu. Résultats Classification des groupes de délinquants violents Les chercheurs ont retenu les instances de violence suivantes :
  • accusations ou condamnations criminelles pour infractions commises contre les personnes (par exemple voies de fait ou agression sexuelle, menaces, usage d'armes, vol qualifié, enlèvement ou meurtre) portées au casier judiciaire du délinquant;
  • allégations officielles de comportement violent (y compris l'emploi de la force physique, la menace avec une arme et les menaces graves de sévices physiques) qui se sont soldées par la suspension ou la révocation de la libération sous condition, mais qui n'ont pas entraîné d'accusations ou de condamnations criminelles;
  • les allégations de comportement violent (telles que définies ci-dessus) qui ont été signalées ou ont fait l'objet d'une enquête, mais qui n'ont pas été officiellement confirmées.
Les chercheurs ont classé les instances de violence recensées en six catégories
  • agression physique d'un membre de la famille;
  • agression sexuelle d'un membre de la famille;
  • menaces proférées à l'endroit d'un membre de la famille;
  • agression physique d'une personne qui n'est pas membre de la famille;
  • agression sexuelle d'une personne qui n'est pas membre de la famille;
  • menaces proférées à l'endroit d'une personne qui n'est pas membre de la famille.
Par membre de la famille, les chercheurs entendaient une personne avec qui le délinquant avait un lien de parenté directe, c'est-à-dire sa conjointe de droit ou de fait ou sa compagne s'ils cohabitaient, son enfant naturel, son beau-fils ou sa belle-fille.

Les chercheurs ont consigné, dans chaque catégorie de comportement violent, les caractéristiques de la victime (c'est-à-dire homme adulte, petite fille, adolescent ou adolescente, inconnu). Aussi, ils ont pris en note la nature de l'arme utilisée et la gravité des sévices infligés à la victime (c'est-à-dire sans gravité, menaces seulement, blessures mineures, modérées ou graves, décès).

D'après les rapports ainsi dressés, les délinquants ont été répartis en trois groupes : les délinquants non violents (NV) étaient ceux dont le dossier ne signalait aucune instance de violence. Les délinquants violents avec des étrangers (VE) étaient ceux dont le dossier signalait des instances de violence dont avaient été victimes uniquement des personnes étrangères à la famille du délinquant (y compris toutefois les attaques de personnes connues du délinquant). Enfin, les délinquants violents avec les membres de leur famille (VF) étaient ceux dont le dossier signalait des instances de violence infligée aux membres de la famille, sans tenir compte des instances de violence infligée à des personnes étrangères à la famille.

De l'échantillon total, 12,4 p. 100 des détenus (74) faisaient partie du groupe NV, 58 p. 100 (346) du groupe VE et 29,6 p. 100 (177) du groupe VF. Sévices subis au sein de la famille d'origine L'étude des dossiers des délinquants afin d'identifier ceux qui avaient été victimes de sévices au sein de leur famille d'origine a donné des résultats très probants. Les chercheurs ont tenu compte de trois catégories de sévices: physiques, sexuels et autres. Dans la catégorie autres, ils ont inclus le fait d'avoir été témoin de sévices physiques ou sexuels infligés à d'autres membres de la famille ou le fait d'avoir été gravement négligé ou abandonné. Les chercheurs n'ont pas tenu compte des sévices d'ordre émotif ou psychologique.

Dans l'ensemble, quatre détenus sur dix (41 p. 100) avaient été victimes de sévices graves pendant leur enfance ou leur adolescence d'après les rapports consignés à leur dossier.

Comme le montre la figure 1, la comparaison des groupes de détenus a révélé que 20,3 p. 100 des détenus du groupe NV avaient été victimes de sévices à l'instar de 38,7 p. 100 de ceux du groupe VE. Les détenus du groupe VF étaient les plus susceptibles d'avoir été victimisés; c'était le cas de plus de la moitié d'entre eux (54,6 p. 100) dont les dossiers signalaient qu'ils avaient été victimes de mauvais traitements alors qu'ils étaient enfants. Ces différences ont une signification statistique, comme les différences soulignées par la comparaison directe des groupes VF et VE.



Figure 1
Figure 1
Lorsque les chercheurs se sont penchés sur la nature précise des mauvais traitements infligés aux délinquants dans leur famille d'origine, ils ont de nouveau constaté que les délinquants du groupe VF étaient les plus susceptibles d'avoir été victimisés. D'après leurs dossiers, 41,4 p. 100 des délinquants VF avaient été victimes de sévices physiques comparativement à 29,9 p. 100 des individus du groupe VE et à 14,9 p. 100 de ceux du groupe NV. Pratiquement le tiers de l'échantillon total (31,4 p. 100) avait été victime de mauvais traitements physiques.

Du groupe VF, 17,5 p. 100 des détenus avaient subi des sévices d'ordre sexuel comparativement à 9,8 p. 100 du groupe VE et 5,4 p. 100 du groupe NV.

Enfin, environ 20p. 100 des délinquants du groupe VF avaient été témoins de violence au sein de leur famille d'origine par rapport à il p. 100 des délinquants du groupe VE et à 5,4 p. 100 de ceux du groupe NV. Toutes les différences rapportées ci-dessus ont une signification statistique.

Par conséquent, d'après les dossiers d'établissement, les détenus du groupe VF étaient plus susceptibles que les autres sujets d'avoir été victimes de sévices au sein de leur famille d'origine, peu importe la nature des mauvais traitements subis. Troubles psychiatriques De tout l'échantillon, légèrement plus du tiers (34,4 p. 100) donnaient des signes d'être atteints de troubles de la personnalité. Chez les détenus du groupe VF, le taux d'incidence se chiffrait à 43,5 p. 100 comparativement à 34,1 p. 100 chez les détenus du groupe VE et 13 p. 100 chez ceux du groupe NV.

Comme le montre la figure 2, la nature des troubles de la personnalité présentés par les détenus varie considérablement selon le groupe. Les délinquants du groupe VE étaient tout aussi susceptibles que ceux du groupe VF d'avoir été diagnostiqués comme antisociaux (soit 20,7 et 21,5 p. 100 respectivement) tandis que ceux-ci étaient nettement plus susceptibles d'être atteints d'autres troubles de la personnalité (principalement état limite, narcissisme, troubles mêlés et autres), à raison de 22p. 100 par rapport à 13,4 p. 100 chez les délinquants du groupe VE.



Figure 2
Figure 2 Discussion Cette étude révèle, après coup il est vrai, que les délinquants qui violentent leur famille sont plus susceptibles d'avoir eux-mêmes été victimes de violence pendant leur enfance que les délinquants qui s'attaquent à des étrangers et que, notamment, les délinquants non violents.

Les chercheurs ont également constaté que l'incidence de troubles de la personnalité est forte chez ces délinquants. Même si l'on peut s'attendre que les troubles de personnalité antisociale soient les plus répandus dans les trois groupes, il faut souligner que le narcissisme et les troubles limites de la personnalité sont sur-représentés, particulièrement chez les délinquants du groupe VF. L'un des critères sur lesquels se fonde un diagnostic de trouble limite de la personnalité est le fait de s'impliquer dans des «bagarres physiques» tandis que le narcissisme se caractérise par une réaction de rage, de honte ou d'humiliation au fait d'être critiqué. Manifestement, toutes ces réactions augmentent la probabilité que le sujet fasse partie d'un groupe violent.

Les délinquants qui usent de violence avec leur famille semblent nécessiter un programme transitoire de gestion de la colère qui met particulièrement l'accent sur les relations conjugales et familiales. Idéalement, un tel traitement serait inspiré du modèle de traitement de groupe mis au point par Ganley(5) et d'autres. Ces modèles ont été décris par Dutton(6). Les aspects de gestion de la colère et de la responsabilité personnelle qui font partie de ces modèles de traitement s'avèrent utiles dans le traitement de détenus, bien qu'ils aient été modifiés avant d'inclure aussi la colère qui naît en milieu carcéral. En revanche, la forte incidence de troubles de la personnalité chez les détenus VF pose un véritable obstacle à la réussite des programmes de traitement.

Sans vouloir influencer les recherches futures, le taux élevé de mauvais traitements subis par les délinquants sous juridiction fédérale pendant leur enfance et leur adolescence est digne d'intérêt. Bon nombre des profils de victimes de mauvais traitements sont basés sur des sujets adultes de sexe féminin qui ont suivi une psychothérapie(7), ce qui peut éventuellement donner l'impression soit que les individus de sexe masculin ne sont pas maltraités, soit qu'ils ne souffrent pas de séquelles prolongées des mauvais traitements subis. La présente étude prouve que ces conclusions sont fausses. Les hommes qui ont été victimisés pendant leur enfance sont plus susceptibles de commettre des crimes violents.


(1)Dutton (Donald. G.), département de psychologie, University of British Columbia, 2136 West Mall, Vancouver (Colombie-Britannique) V6T 1Z4.
(2)Hart (Stephen D.), Mental Health Law and Policy Institute, Simon Fraser University, Burnaby (Colombie-Britannique) V5A 1S6.
(3)Dutton (D.G.), «Behavioral and Affective Correlates of Borderline Personality Organization in Wife Assaulters», International Journal of Law and Psychiatry, en cours d'impression. Voir aussi Hamberger (K.L.) et Hastings (J.E.), «Personality Characteristics of Spouse Abusers, A Controlled Comparison», Violence and Victims, 3, 1, 1988, p. 31-48. Et voir Hart (£D.), Dutton (D. G.) et Newlove (T.), «The Prevalence of Personality Disorder Among Wife Assaulters», Journal of Personality Disorders, en cours d'impression.
(4)Diagnostic and Statistical Manual of the Mental Disorders, 3e éd. rév., Washington, D. C., American Psychiatric Association, 1987.
(5)Ganley (A.), Participant's Manual: Court-Mandated Therapy for Men Who Batter:A Three Day Workshop for Professionals, Washington, D.C., Centre for Women Policy Studies, 1981.
(6)Dutton (D. G. ), The Domestic Assault of Women: Psychological and Criminal Justice Perspectives, Boston, Allyn and Bacon, 1988.
(7)Briere (J.), «The Long-Term Clinical Correlates of Childhood Sexual Victimization», Annals of the New York Academy of Sciences, 528, 1987, p. 327-334. Voir aussi Bryer (J.B.), Nelson (B.A.), Miller (J.B.) et Krol (PA.), «Childhood Sexual and Physical Abuse as Factors in Adult Psychiatric Illness», American Journal of Psychiatry, 144, 11, 1987, p. 1426-1430.