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La recherche appliquée à l’appui de l’efficacité des programmes

Franca Cortoni1

Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

On considère trop souvent l’exécution de recherches appliquées, en tant que moyen de déterminer si les programmes permettent efficacement de traiter les facteurs criminogènes et de réduire la récidive, comme un processus entrepris longtemps après qu’un programme a été mis en application et qu’il s’est écoulé assez de temps pour qu’on puisse en déterminer les résultats. Mais cette situation aboutit à des résultats très insatisfaisants étant donné que, durant l’évaluation, il se pose inévitablement des questions auxquelles on ne peut pas répondre. La recherche appliquée servant à évaluer l’efficacité d’un programme doit être conçue au moment de l’élaboration de celui-ci et être revue et adaptée au fur et à mesure de l’évolution du programme2. Cette façon de procéder garantit l’existence de sauvegardes pour prévenir les erreurs et permettre de tirer des conclusions valables3.

Le modèle logique

Une évaluation a pour objectif général de mesurer le changement4. On établit un plan de recherche en vue de vérifier les résultats et de confirmer que ceux-ci (c.-à-d. le changement) sont attribuables au programme. Un bon plan de recherche garantit que les changements escomptés sont bien définis et opérationnalisés. Il neutralise également les autres variables pour qu’on puisse clairement attribuer le changement au programme.

Le modèle logique est un cadre utile pour faire le lien entre les objectifs et les résultats escomptés du programme 5. Il constitue aussi une bonne source d’information pour déterminer les autres variables, comme la durée de l’incarcération et la participation à d’autres programmes, qui peuvent être liés aux résultats6. Il faut absolument neutraliser ces variables pour prouver que les résultats sont attribuables au programme en question plutôt qu’à une autre raison. Un modèle logique est un organigramme qui établit les liens existant entre les principales composantes du programme, les objectifs de la mise en œuvre et les objectifs immédiats et à long terme. Il permet de mener des évaluations axées sur la prise de décisions. Les questions de recherche et méthodes d’enquête découlent naturellement du modèle, et les activités liées à la recherche sont précisées. Il s’agit notamment de déterminer qui utilisera les résultats de la recherche et à quelles fins, d’estimer les ressources à court et à long terme nécessaires pour mener la recherche et d’établir les méthodes de collecte des données. Le modèle sert aussi de fondement pour identifier les évaluations des résultats intermédiaires et à long terme. Enfin, il permet de faire en sorte que tous les aspects liés à la conception, à l’exécution et à l’évaluation du programme sont précisés d’avance. Autrement dit, l’utilisation d’un modèle logique comme étape initiale pour concevoir un cadre d’évaluation aide à clarifier les objectifs, à cerner les éléments manquants, à distinguer les fins des moyens, à faire en sorte que les résultats escomptés soient clairement liés aux composantes du programme et bien établis, et à éliminer des hypothèses au sujet de ce que le programme est censé produire7.

Définir les questions de recherche

La question habituelle que l’on pose lors de l’évaluation des programmes correctionnels est de savoir si un programme a permis de réduire la récidive. Pour y répondre, il faut mener des évaluations bien conçues, accompagnées de longues périodes de suivi. Malgré tout, il peut être difficile de déterminer l’efficacité à partir d’études ponctuelles, notamment d’études servant à évaluer la réduction de la récidive dans certaines sous-catégories d’activités criminelles peu fréquentes, comme les crimes avec violence et les infractions sexuelles avec violence. Il ne faut toutefois pas oublier qu’en plus de nous renseigner sur le programme visé, une évaluation des résultats soigneusement conçue ajoute au corpus général de recherches et peut éventuellement faire partie de méta-analyses ultérieures. La méta-analyse s’impose rapidement comme la méthode privilégiée pour prouver que des programmes contribuent efficacement à réduire la récidive. Elle aide aussi à réduire l’incidence des menaces à la validité interne et externe que présentent les plans d’évaluation non aléatoires8.

La question de l’incidence favorable d’un programme sur la gestion réussie du risque n’est toutefois pas la seule qui soit pertinente. La recherche appliquée sert aussi à déterminer si le programme a permis de recruter les candidats ciblés, d’aborder les objectifs du traitement et de produire des changements immédiats ou à court terme, par exemple d’améliorer l’adaptation au milieu carcéral. à long terme, il faut vérifier si les progrès résultant du traitement ont été maintenus et s’il y a un lien entre ces programmes et un accroissement du comportement prosocial dans la collectivité. Enfin, il est utile de demander tout simplement aux participants ce qu’ils ont pensé du programme et s’ils ont eu l’impression qu’on s’est occupé de leurs besoins.

Instruments psychométriques

On utilise couramment des instruments psychométriques ou des tests papier-crayon pour valuer les programmes. Ces instruments servent à valuer les délinquants par rapport à des aspects qui sont censés changer en raison de la participation au programme. Les tests sont normalement administrés avant le traitement et après le programme. Si celui-ci est fructueux, on constate alors des différences dans les résultats entre les deux étapes. Ainsi, si le programme réussit à réduire les attitudes antisociales, les scores postérieurs au traitement obtenus sur un instrument psychométrique qui mesure les attitudes antisociales devraient être inférieurs aux scores préalables au traitement. Ces différences sont une forme de preuve que le programme produit les changements voulus.

On sous-estime souvent l’importance des instruments psychométriques comme moyen de mesurer les progrès résultant du traitement et de prouver l’efficacité d’un programme. Les éléments à mesurer ne sont pas non plus toujours examinés attentivement. Parfois, on choisit des instruments en fonction de notions préconçues quant à ce qui « devrait changer » à l’issue du traitement, plutôt que ce qui change normalement. Ainsi, on inclut régulièrement l’assertivité dans l’évaluation d’un programme, alors que rien ne prouve que le manque d’assertivité est lié au comportement criminel. Les instruments psychométriques devraient être choisis attentivement en fonction de leur fidélité et de leur validité pour ce qui est de mesurer le concept en question, lequel devrait être le facteur criminogène, ou un aspect de celui-ci, que cible le programme.

Parfois, il n’existe pas de test psychométrique pour la fin visée. On a tendance alors à utiliser des instruments qui mesurent mal le concept, par exemple un test de la personnalité, ou alors à créer un nouvel instrument. La recherche révèle que des instruments inadéquats ne produisent pas une information utile au sujet de l’efficacité d’un programme9. En ce qui concerne la création d’un nouvel instrument, elle peut être justifiée, mais elle exige plusieurs étapes d’élaboration pour déterminer la fidélité et la validité de l’instrument10. C’est ce travail d’élaboration empirique qui est trop souvent négligé lorsqu’on crée de nouveaux tests. Or, si les propriétés psychométriques d’un instrument ne sont pas établies, toute recherche subséquente basée sur les résultats du test qui n’a pas été validé sera dénuée de sens. La vérification de la capacité du nouveau test de mesurer correctement le concept doit par conséquent faire partie du cadre de recherche.

Le problème des groupes témoins

Les groupes témoins non traités devraient être appariés aussi étroitement que possible au groupe traité. Les variables d’appariement pertinentes incluent à tout le moins l’âge, le niveau de risque général et les besoins criminogènes identifiés. Il faut également tenir compte d’aspects comme le milieu, la date du prononcé de la peine et la durée de celle-ci. Le milieu englobe les conditions dans lesquelles évoluent les délinquants traités et le groupe témoin, comme le type d’établissement où le programme a été offert. Il est une des variables qu’on néglige le plus souvent en recherche appliquée11. Il peut pourtant avoir des répercussions considérables si l’on veut, par exemple, examiner les résultats de programmes ayant pour but intermédiaire d’améliorer l’adaptation au milieu carcéral ou déterminer si un programme de traitement résidentiel serait aussi efficace s’il était offert dans un établissement correctionnel ordinaire.

L’aspect qui pose sans doute le plus de difficulté pour la création de groupes témoins est la prise en compte de la participation à des programmes autres que celui à l’étude. Au Service correctionnel du Canada (SCC), les délinquants doivent ordinairement achever un éventail de programmes correctionnels qui visent tous à remédier à divers facteurs criminogènes. Ainsi, les délinquants sexuels purgeant une peine de ressort fédéral suivent en moyenne 3,2 types de programmes distincts12. Il est rare que les délinquants ne suivent aucun programme en établissement ou dans la collectivité. Pour évaluer l’impact d’un programme donné, il faut donc clairement tenir compte de la participation à d’autres programmes. Comme Lösel le fait observer, plus le milieu carcéral est thérapeutique, plus il est difficile de démontrer l’efficacité d’un programme donné13. Cette situation souligne l’importance de créer des groupes témoins appropriés et d’utiliser des méthodes novatrices pour tenir compte de la participation à d’autres interventions thérapeutiques ou correctionnelles.

Il est extrêmement difficile d’apparier les délinquants en fonction de leur participation à des programmes, en plus d’autres variables pertinentes. En effet, il faut les apparier non seulement par rapport au type et à l’intensité des programmes, mais aussi selon qu’ils ont achevé ou non ces programmes. C’est pourquoi l’on a besoin de stratégies novatrices pour tenir compte de ces variables. Dowden et Serin ont justement élaboré une stratégie de ce genre dans leur évaluation du Programme de maîtrise de la colère14. Ils ont créé une variable composée du rendement dans le programme faisant entrer en ligne de compte tant le nombre de programmes suivis par les délinquants que leur achèvement ou l’abandon de ceux-ci. Ils ont ensuite apparié les délinquants participant au traitement et faisant partie du groupe témoin en fonction de cette variable pour tenir compte de son effet. Cette technique leur a permis de conclure que la participation au Programme de maîtrise de la colère avait fait une contribution spécifique à la baisse subséquente des taux de récidive avec violence et en général. Comme cet exemple le prouve, un appariement judicieux avec le groupe témoin permet de tirer de la recherche des conclusions plus solides.

Le facteur de l’attrition

Un programme peut être très efficace pour réduire la récidive parmi les délinquants qui l’achèvent. Toutefois, sa rentabilité peut être compromise si seulement une faible proportion des délinquants l’achèvent15. De plus, des études révèlent que les délinquants qui commencent mais n’achèvent pas un traitement récidivent à un taux plus élevé que ceux qui l’achèvent ou qui n’y ont jamais participé16. L’attrition est un phénomène universel bien reconnu dans la littérature correctionnelle. Au SCC, malgré un écart dans les taux réels, 20 % en moyenne des délinquants qui commencent des programmes ne les achèvent pas pour diverses raisons17, statistique qui se compare favorablement aux taux d’abandon signalés dans la littérature18.

Habituellement, les délinquants abandonnent des programmes parce que ceux-ci n’ont pas répondu à leurs attentes. Ils trouvent le programme trop exigeant ou ne pensent pas que celui-ci peut les aider. Ils peuvent aussi être renvoyés d’un programme à cause d’un comportement perturbateur ou de leur manque d’assiduité. On considère souvent ces raisons d’abandonner un traitement comme un signe du manque de motivation de la part du délinquant. Ce manque de motivation peut être lié à une résistance de la part du client19 ou à une incapacité à voir les avantages intrinsèques de participer au programme 20. Le plan d’évaluation devrait donc inclure des moyens de mesurer la motivation et de déterminer son incidence sur la participation au programme.

Une autre cause éventuelle de l’attrition est le manque de correspondance entre l’intervention recommandée et le programme. Ainsi, si l’on détermine qu’un délinquant présente un faible besoin dans un domaine donné, mais qu’il est tenu d’achever un programme d’intensité élevée, il risque d’être découragé et de ne pas achever le programme. Encore une fois, le modèle logique préciserait la population cible et les exigences pour faire en sorte que seuls les candidats appropriés soient inclus dans le programme. L’évaluation du programme servirait à vérifier que le programme a effectivement été offert aux bons candidats. Si les mauvais candidats suivent le programme, les évaluations des résultats subséquentes pourraient être invalidées.

Conclusion

La conception et l’exécution de recherches servant à évaluer les programmes correctionnels peuvent constituer des tâches redoutables. Il s’agit pourtant du seul moyen de déterminer que l’intervention a atteint ses buts énoncés. Le but général d’un programme correctionnel est de remédier aux facteurs criminogènes pour réduire les taux de récidive et de contribuer à la protection de la société. Vu son importance, il incombe aux évaluateurs des programmes d’élaborer des plans de recherche appropriés qui contribueront à nos connaissances dans ce domaine.


1   340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9

2   PATTON, M. Q. Utilization-focused Evaluation, Thousand Oaks, CA, Sage Publications Inc., 1997.

3   MCGUIRE, J. « élaboration d’un modèle logique de programme à l’appui de l’évaluation » dans Compendium 2000 des programmes correctionnels, MOTIUK, L. L. et SERIN, R. C. (dir.), vol. I, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 2000, p. 208-220.

4   Ibid.

5   OGBORNE, A. C. évaluation de programme : Aperçu de quelques questions fondamentales, communication présentée à l’Institut d’été du Centre de recherche en toxicomanie du Service correctionnel du Canada, Montague, Île-du-Prince-édouard, 2003.

6   Op. Cit., McGUIRE, 2000.

7   Op. Cit., OGBORNE, 2003.

8   LÖSEL, F. « Evaluating the effectiveness of correctional programs: Bridging the gap between research and practice » dans Offender Rehabilitation in Practice, BERNFELD, G. A., FARRINGTON, D. P. et LESCHIED, A. W. (dir.), New York, NY, John Wiley & Sons, 2001, p. 67-92.

9   Ibid.

10 NUNALLY, J. C. Psychometric Theory, New York, NY, McGraw-Hill Book Company, 1967.

11 Op. Cit., LÖSEL, 2001.

12 MAILLOUX, D. et SERIN, R. Facteurs ayant une incidence sur les programmes pour délinquants sexuels, document inédit, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 2003.

13 Op. Cit., LÖSEL, 2001.

14 DOWDEN, C. et SERIN, R. Programmes de maîtrise de la colère à l’intention des délinquants : Effets des mesures du rendement, Rapport de recherche R-106, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 2001.

15 MARSHALL, W. L. et WILLIAMS, S. « évaluation et traitement des délinquants sexuels », Forum — Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol 12, no 2, 2000, p. 41-44.

16 HANSON, R. K. et BUSSIÈRE, M. T. « Predicting relapse: A meta-analysis of sexual offender recidivism studies », Journal of Consulting and Clinical Psychology, vol. 63, 1996, p. 802-809. Voir aussi ROBINSON, D. L’incidence du Programme d’apprentissage cognitif des compétences sur la récidive après la mise en liberté chez les délinquants sous responsabilité fédérale du Canada, Rapport de recherche R-41, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1995.

17 SERIN, R. « Améliorer le rendement des délinquants qui participent aux programmes », Forum — Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 13, no 1, 2001, p. 27-29.

18 Op. Cit., LÖSEL, 2001.

19 PRESTON, D. L. « La résistance au traitement en milieu correctionnel » dans Compendium 2000 sur les programmes correctionnels efficaces, MOTIUK, L. L. et SERIN, R. C. (dir.), vol. I, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 2000, p. 47-55.

20 WILD, T. C., NEWTON-TAYLOR, B. et ALLETTO, R. « Perceived coercion among clients entering substance abuse treatment: Structural and psychological determinants », Addictive Behaviors, no 23, 1998, p. 81-95.